Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 27 mars 2013 à 21h10
Débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen ont souhaité que soit mené dans notre assemblée un débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle.

Le droit de semer, c’est non seulement le droit de ressemer sa récolte, mais également celui de pouvoir choisir librement des semences, de procéder à des échanges et de faire de la sélection et de la recherche librement.

Il s’agit aussi de savoir comment il est possible, notamment dans le domaine agricole et, donc, dans celui du vivant, de concilier les droits de propriété au regard de la recherche et les droits que l’ensemble des hommes détiennent sur ce patrimoine naturel commun.

La propriété intellectuelle dans le secteur agricole voit s’opposer deux systèmes : le certificat d’obtention végétale, le COV, et le brevet.

Pourquoi souhaitions-nous organiser ce débat aujourd’hui ?

Tout d’abord, la réglementation européenne, tant dans le domaine agricole qu’en matière de propriété intellectuelle, est en train d’évoluer avec la mise en place d’un brevet européen unitaire et les réformes de la politique agricole commune et du certificat d’obtention végétale.

Le projet de la Commission européenne, dit « better regulation », qui est censé simplifier, comme on a coutume de le dire, les réglementations, pourrait également avoir un impact sur ce secteur.

Au-delà du cadre européen, d’autres accords tentent d’imposer une vision ultralibérale de l’agriculture en faisant de la recherche dans ce domaine une véritable bulle spéculative.

Comme vous le savez, une société qui possède cent brevets a plus de valeur sur le marché financier qu’une société qui n’en a que dix, et cela indépendamment de la réalité et de l’importance de la découverte.

Parallèlement, on assiste à une montée en puissance de la protection juridique de ces opérations commerciales. Je pense ici au projet ACTA, ou accord de commerce anti-contrefaçon, sur la contrefaçon et les droits d’auteur, heureusement rejeté par le Parlement européen, ou aux accords de libre-échange, notamment l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne.

Face à cette offensive des puissances financières et juridiques, telles que Monsanto, Pioneer Hi-Bred ou Syngenta, c’est l’ensemble de notre filière semencière qui risque d’être accaparée.

Si l’Europe veut préserver sa souveraineté alimentaire, si elle veut maîtriser son progrès génétique, alors elle doit être ferme et résolue pour défendre les droits des agriculteurs, des obtenteurs et le certificat d’obtention végétale, outil de base ancré dans nos territoires.

Dans ce contexte, il importe de ne pas se tromper d’adversaire. Le législateur français, en 2011, a ouvert un conflit entre les obtenteurs et les paysans qui font des semences de ferme ou des semences paysannes, au prétexte de protéger le COV. Or la véritable menace pour la filière semencière vient non pas de nos campagnes, mais bien des marchés et des dérives du brevetage.

La loi de 2011 a fait des semences de ferme, au nom de la recherche, une pratique interdite ou soumise à paiement, et des agriculteurs de potentiels contrefacteurs. Pourtant, des années cinquante jusqu’à l’an 2000, le progrès génétique, sur la seule base du rendement des variétés, est constant. Les semences de ferme ne sont donc pas un obstacle à la recherche. Le secteur semencier a d’ailleurs beaucoup investi dans cette dernière, l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, participant lui aussi largement à ce progrès, aux côtés des semenciers.

Le système du COV et le principe de l’exception du sélectionneur ont suscité, contrairement au brevet, un véritable dynamisme dans la recherche, qu’elle soit publique ou privée.

Mes chers collègues, vous connaissez sans doute la phrase attribuée à Newton, qui pose cette absolue nécessité de défendre les droits des inventeurs et que nous ne saurions contester : « J’ai vu plus loin que les autres parce que je me suis juché sur les épaules de géants ». Le savoir se nourrit des connaissances passées et partagées ; une nouvelle technologie est liée aux innovations qui l’ont précédée.

Cependant, au nom du progrès technologique et de la recherche, les limites entre l’invention et la découverte ont peu à peu été effacées. Comment pouvons-nous accepter, par exemple, qu’un gène natif puisse faire l’objet d’un brevet ? Il ne s’agit pourtant que de la preuve expérimentale d’une réalité existante !

En outre, de plus en plus de brevets sont déposés, y compris par des organismes publics, sans que la découverte avancée soit vérifiée dans ses effets. C’est le cas avec le dépôt de brevets sur des fonctions de gènes qui sont souvent présumées, et non pas réellement prouvées. Or de tels brevets peuvent contraindre les organismes de recherche à abandonner leurs travaux en raison des droits de propriété très élevés revendiqués par de grandes firmes semencières.

Nous assistons à une privatisation du patrimoine génétique mondial et à l’appropriation illégitime, par des intérêts mercantiles, de l’héritage que nous ont légué depuis des milliers d’années les paysans, les agriculteurs et la nature elle-même.

Cette tendance a des conséquences très graves, en particulier dans le domaine agricole. Par exemple, il faut savoir que les droits versés au titre des brevets par Limagrain à Monsanto sont équivalents aux bénéfices réalisés par cette société en vendant ses semences sur le marché américain. Elle y travaille donc uniquement pour occuper le terrain.

Face à cette appropriation capitalistique des végétaux au détriment des besoins alimentaires en termes de quantité et de qualité des variétés, ainsi que de diversité génétique, la France a su mettre sur pied le système des COV.

À la différence de ce qui se passe avec le brevet, qui donne à l’inventeur des droits sur tous les produits développés à partir de son invention, mêmes s’ils sont différents, avec le certificat d’obtention végétale un autre obtenteur peut utiliser la variété protégée pour mettre au point une nouvelle variété, sans pour autant payer le détenteur du certificat d’obtention végétale. Cet élément de différence fondamental est appelé « l’exception du sélectionneur ». En bref, avec le COV, la recherche reste accessible à tous.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, entre les deux systèmes, brevet ou COV, notre préférence va sans aucune réserve au second !

Cependant, il est important de souligner, tout d'abord, que le COV n’interdit pas le brevet et ne saurait protéger les obtenteurs ni les agriculteurs contre ses effets dévastateurs. Aux États-Unis, les agriculteurs achètent des semences brevetées pour ne pas se faire attaquer pour contrefaçon, en cas de contamination de leur récolte !

Par ailleurs, le COV présente des défauts majeurs qui, loin d’avoir été corrigés par la loi du 8 décembre 2011 relative aux certificats d’obtention végétale, portent une atteinte disproportionnée aux droits des agriculteurs et, en particulier, à la pratique des semences fermières.

Revenons un instant sur quelques étapes de l’histoire du COV, afin de mieux cerner les termes du débat et les exigences que nous défendons.

Depuis 1961, l’ensemble des conventions de l’Union pour la protection des obtentions végétales, l’UPOV, donnent une définition de l’obtention et excluent les variétés paysannes population de la protection du COV.

Cependant, les deux premières conventions de 1961 et de 1978 n’interdisent pas de développer une variété « découverte » dans le champ d’un paysan pour décrire ensuite ses caractères morphologiques et déposer un COV. À son début, le COV valide donc une appropriation gratuite des semences paysannes qui s’accompagne, comme en contrepartie, d’une tolérance des semences de ferme, c’est-à-dire du droit, pour l’agriculteur, de ressemer une partie de sa récolte.

En France, cet état du droit est remis en cause dès 1970, époque à laquelle les semences de ferme sont interdites. Cependant, la difficulté d’apporter la preuve de la contrefaçon consécutive à la pratique des semences de ferme a pour conséquence que cette pratique perdure. Dans les années 1980, n’ayant toujours pas les moyens d’empêcher les paysans d’utiliser leurs semences de ferme, les semenciers essaient d’agir sur les trieurs à façon. Un accord interprofessionnel tentera même d’interdire le triage à façon.

Toutefois, c’est en 1991, avec l’entrée en scène des organismes génétiquement modifiés, que l’UPOV va connaître d’importantes transformations.

Émergent alors des contentieux entre les obtenteurs et les sociétés qui viennent de la chimie

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