La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à vingt et une heures dix.
La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle le débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle, organisé à la demande du groupe CRC.
La parole est à M. Gérard Le Cam, pour le groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen ont souhaité que soit mené dans notre assemblée un débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle.
Le droit de semer, c’est non seulement le droit de ressemer sa récolte, mais également celui de pouvoir choisir librement des semences, de procéder à des échanges et de faire de la sélection et de la recherche librement.
Il s’agit aussi de savoir comment il est possible, notamment dans le domaine agricole et, donc, dans celui du vivant, de concilier les droits de propriété au regard de la recherche et les droits que l’ensemble des hommes détiennent sur ce patrimoine naturel commun.
La propriété intellectuelle dans le secteur agricole voit s’opposer deux systèmes : le certificat d’obtention végétale, le COV, et le brevet.
Pourquoi souhaitions-nous organiser ce débat aujourd’hui ?
Tout d’abord, la réglementation européenne, tant dans le domaine agricole qu’en matière de propriété intellectuelle, est en train d’évoluer avec la mise en place d’un brevet européen unitaire et les réformes de la politique agricole commune et du certificat d’obtention végétale.
Le projet de la Commission européenne, dit « better regulation », qui est censé simplifier, comme on a coutume de le dire, les réglementations, pourrait également avoir un impact sur ce secteur.
Au-delà du cadre européen, d’autres accords tentent d’imposer une vision ultralibérale de l’agriculture en faisant de la recherche dans ce domaine une véritable bulle spéculative.
Comme vous le savez, une société qui possède cent brevets a plus de valeur sur le marché financier qu’une société qui n’en a que dix, et cela indépendamment de la réalité et de l’importance de la découverte.
Parallèlement, on assiste à une montée en puissance de la protection juridique de ces opérations commerciales. Je pense ici au projet ACTA, ou accord de commerce anti-contrefaçon, sur la contrefaçon et les droits d’auteur, heureusement rejeté par le Parlement européen, ou aux accords de libre-échange, notamment l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne.
Face à cette offensive des puissances financières et juridiques, telles que Monsanto, Pioneer Hi-Bred ou Syngenta, c’est l’ensemble de notre filière semencière qui risque d’être accaparée.
Si l’Europe veut préserver sa souveraineté alimentaire, si elle veut maîtriser son progrès génétique, alors elle doit être ferme et résolue pour défendre les droits des agriculteurs, des obtenteurs et le certificat d’obtention végétale, outil de base ancré dans nos territoires.
Dans ce contexte, il importe de ne pas se tromper d’adversaire. Le législateur français, en 2011, a ouvert un conflit entre les obtenteurs et les paysans qui font des semences de ferme ou des semences paysannes, au prétexte de protéger le COV. Or la véritable menace pour la filière semencière vient non pas de nos campagnes, mais bien des marchés et des dérives du brevetage.
La loi de 2011 a fait des semences de ferme, au nom de la recherche, une pratique interdite ou soumise à paiement, et des agriculteurs de potentiels contrefacteurs. Pourtant, des années cinquante jusqu’à l’an 2000, le progrès génétique, sur la seule base du rendement des variétés, est constant. Les semences de ferme ne sont donc pas un obstacle à la recherche. Le secteur semencier a d’ailleurs beaucoup investi dans cette dernière, l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, participant lui aussi largement à ce progrès, aux côtés des semenciers.
Le système du COV et le principe de l’exception du sélectionneur ont suscité, contrairement au brevet, un véritable dynamisme dans la recherche, qu’elle soit publique ou privée.
Mes chers collègues, vous connaissez sans doute la phrase attribuée à Newton, qui pose cette absolue nécessité de défendre les droits des inventeurs et que nous ne saurions contester : « J’ai vu plus loin que les autres parce que je me suis juché sur les épaules de géants ». Le savoir se nourrit des connaissances passées et partagées ; une nouvelle technologie est liée aux innovations qui l’ont précédée.
Cependant, au nom du progrès technologique et de la recherche, les limites entre l’invention et la découverte ont peu à peu été effacées. Comment pouvons-nous accepter, par exemple, qu’un gène natif puisse faire l’objet d’un brevet ? Il ne s’agit pourtant que de la preuve expérimentale d’une réalité existante !
En outre, de plus en plus de brevets sont déposés, y compris par des organismes publics, sans que la découverte avancée soit vérifiée dans ses effets. C’est le cas avec le dépôt de brevets sur des fonctions de gènes qui sont souvent présumées, et non pas réellement prouvées. Or de tels brevets peuvent contraindre les organismes de recherche à abandonner leurs travaux en raison des droits de propriété très élevés revendiqués par de grandes firmes semencières.
Nous assistons à une privatisation du patrimoine génétique mondial et à l’appropriation illégitime, par des intérêts mercantiles, de l’héritage que nous ont légué depuis des milliers d’années les paysans, les agriculteurs et la nature elle-même.
Cette tendance a des conséquences très graves, en particulier dans le domaine agricole. Par exemple, il faut savoir que les droits versés au titre des brevets par Limagrain à Monsanto sont équivalents aux bénéfices réalisés par cette société en vendant ses semences sur le marché américain. Elle y travaille donc uniquement pour occuper le terrain.
Face à cette appropriation capitalistique des végétaux au détriment des besoins alimentaires en termes de quantité et de qualité des variétés, ainsi que de diversité génétique, la France a su mettre sur pied le système des COV.
À la différence de ce qui se passe avec le brevet, qui donne à l’inventeur des droits sur tous les produits développés à partir de son invention, mêmes s’ils sont différents, avec le certificat d’obtention végétale un autre obtenteur peut utiliser la variété protégée pour mettre au point une nouvelle variété, sans pour autant payer le détenteur du certificat d’obtention végétale. Cet élément de différence fondamental est appelé « l’exception du sélectionneur ». En bref, avec le COV, la recherche reste accessible à tous.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, entre les deux systèmes, brevet ou COV, notre préférence va sans aucune réserve au second !
Cependant, il est important de souligner, tout d'abord, que le COV n’interdit pas le brevet et ne saurait protéger les obtenteurs ni les agriculteurs contre ses effets dévastateurs. Aux États-Unis, les agriculteurs achètent des semences brevetées pour ne pas se faire attaquer pour contrefaçon, en cas de contamination de leur récolte !
Par ailleurs, le COV présente des défauts majeurs qui, loin d’avoir été corrigés par la loi du 8 décembre 2011 relative aux certificats d’obtention végétale, portent une atteinte disproportionnée aux droits des agriculteurs et, en particulier, à la pratique des semences fermières.
Revenons un instant sur quelques étapes de l’histoire du COV, afin de mieux cerner les termes du débat et les exigences que nous défendons.
Depuis 1961, l’ensemble des conventions de l’Union pour la protection des obtentions végétales, l’UPOV, donnent une définition de l’obtention et excluent les variétés paysannes population de la protection du COV.
Cependant, les deux premières conventions de 1961 et de 1978 n’interdisent pas de développer une variété « découverte » dans le champ d’un paysan pour décrire ensuite ses caractères morphologiques et déposer un COV. À son début, le COV valide donc une appropriation gratuite des semences paysannes qui s’accompagne, comme en contrepartie, d’une tolérance des semences de ferme, c’est-à-dire du droit, pour l’agriculteur, de ressemer une partie de sa récolte.
En France, cet état du droit est remis en cause dès 1970, époque à laquelle les semences de ferme sont interdites. Cependant, la difficulté d’apporter la preuve de la contrefaçon consécutive à la pratique des semences de ferme a pour conséquence que cette pratique perdure. Dans les années 1980, n’ayant toujours pas les moyens d’empêcher les paysans d’utiliser leurs semences de ferme, les semenciers essaient d’agir sur les trieurs à façon. Un accord interprofessionnel tentera même d’interdire le triage à façon.
Toutefois, c’est en 1991, avec l’entrée en scène des organismes génétiquement modifiés, que l’UPOV va connaître d’importantes transformations.
Émergent alors des contentieux entre les obtenteurs et les sociétés qui viennent de la chimie
M. Daniel Raoul le conteste.
Une erreur a été commise à cette époque, car on a affaibli le COV en cherchant à le protéger. À ce moment-là, face au système du brevet sur le végétal, nous avons perdu, et je pèse mes mots, la guerre et l’honneur !
Au lieu de rejeter les brevets sur les plantes, on a recouru à la notion, très contestable scientifiquement et très fragile juridiquement, de « variété essentiellement dérivée », afin d’interdire le dépôt d’un COV sur une variété dite « nouvelle » dans laquelle on aurait seulement modifié un gène.
Ce faisant, on a changé d’approche. Jusque-là, la variété nouvelle, pour être couverte par un COV, était établie en fonction de la façon dont elle poussait, des caractères qu’elle développait. Avec la « variété essentiellement dérivée », on a pris en compte ce que la variété contenait génétiquement pour déclarer si elle était nouvelle, ou non.
On se souvient de l’affaire du gène de résistance de la laitue au puceron, qui illustre à merveille les dangers de cette approche. Ce caractère de résistance, devenu incontournable, concerne près de 90 % des variétés de laitues commercialisées. Une entreprise hollandaise, Rijk Zwaan, avait mis au point, par un procédé de sélection assistée par marqueurs, des salades résistant au puceron Nasanovia. Le trait conférant cette résistance avait été identifié dans une espèce sauvage, Lactusa Virosa. L’entreprise néerlandaise avait ensuite obtenu un brevet protégeant la manière d’obtenir ce caractère par une méthode originale, qui permet de casser la liaison génétique entre le caractère de résistance et le caractère de nanisme qui, selon le brevet, lui était systématiquement attaché.
Or, bien avant, une entreprise française, Gautier Semences, avait sélectionné avec l’appui de l’INRA d’Avignon des lignées de laitues contenant ce même trait, sans problème lié au nanisme des salades. Elle n’avait déposé aucun brevet.
Forte de son brevet, la société hollandaise a demandé aux sélectionneurs de semences potagères d’acquitter des redevances pour continuer à utiliser ce trait. Au départ, les obtenteurs sont restés solidaires et ont décidé de saisir la justice pour contester et faire annuler le brevet. Finalement, il semble que la société ait trouvé des accords financiers avec l’ensemble des semenciers, sauf Gautier Semences qui, en raison de sa taille, ne pouvait ni payer les droits sur le brevet ni financer un procès.
À la lumière de cette expérience, il nous apparaît fondamental non seulement de ne pas accepter de tels brevets, mais également de créer les forces juridiques nécessaires, de mutualiser les efforts pour que les agriculteurs et les semenciers ne soient pas isolés face à de telles agressions commerciales.
Au début des années 1990, la protection du COV a été également étendue au-delà de la « production à des fins d’écoulement commercial » des semences ou des plants, à leur reproduction, qu’elle soit destinée à la vente, comme dans le passé, ou à l’utilisation à la ferme.
Le règlement communautaire de 1994, précise les contours et le contenu du nouveau statut des semences de ferme : celles-ci deviennent des dérogations facultatives et limitées aux droits de l’obtenteur.
Le règlement interdit les semences de ferme pour la plupart des espèces cultivées et les autorise pour vingt et une espèces – plantes fourragères, céréales, oléagineux, lin ou pommes de terre –, sous réserve du paiement d’une rémunération équitable à l’obtenteur, dont sont exonérés les petits agriculteurs – au sens de la PAC, il s’agit de ceux produisant l’équivalent de 92 tonnes de céréales au maximum.
En bref, les semences de ferme sont soit interdites, soit autorisées en contrepartie du paiement de royalties. De plus, au regard de la loi de 2011, cet usage est strictement limité à l’exploitation de l’agriculteur : est exclue toute possibilité d’échange de semences de ferme protégées par un COV appartenant à un tiers.
En dépit de cette réglementation, mes chers collègues, comme vous le savez, peut-être même par expérience personnelle, la majorité des agriculteurs européens a continué à utiliser des semences de ferme sans verser de rémunération aux obtenteurs. Seul le blé tendre a fait l’objet d’une réglementation.
Dans ce contexte, la loi du 8 décembre 2011 a tenté de durcir un peu plus les contraintes illégitimes imposées aux agriculteurs qui sortent du circuit traditionnel de la semence industrielle. Le groupe CRC s’était opposé à l’adoption de cette loi, exprimant des désaccords profonds sur plusieurs de ses articles.
Au-delà de l’importance des semences fermières et paysannes en termes de diversité biologique et de réduction des intrants, toute restriction à l’utilisation par un agriculteur des semences issues de sa propre récolte constitue, sur le plan juridique, une atteinte au principe de partage des avantages, garanti par le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, ou TIRPAA, alors même que les obtenteurs en bénéficient.
C’est pourquoi je voudrais maintenant revenir plus en détail sur ce qu’a été la position du Parlement français en 2011, pour que nous puissions débattre de ce qu’elle sera demain.
J’évoquerai six points qui nous intéressent particulièrement, au regard des discussions que nous avons menées avec plusieurs associations, syndicats ou chercheurs qui travaillent sur ces questions.
Premièrement, les semences de ferme devraient, par principe, être autorisées. Elles sont depuis des siècles à la libre disposition des sélectionneurs qui en ont tiré profit. L’agriculteur paie l’obtenteur au moment où il achète la semence certifiée et c’est suffisant. Il serait donc nécessaire de modifier l’article L. 623-4-1 du code de la propriété intellectuelle, afin de limiter la protection du COV aux reproductions ou multiplications « sous forme de variété fixée conservant l’ensemble des caractères distinctifs » de la variété en cause.
Deuxièmement, j’évoquerai la qualification de contrefaçon : la loi de 2011 qualifie l’utilisation de semences de ferme hors des cas prévus à article L. 623-24-1 du code de la propriété intellectuelle de « contrefaçon » de variétés commerciales, et étend les sanctions au produit de la récolte, alors que ces semences n’en reproduisent pas l’ensemble des caractères distinctifs et que le produit des récoltes n’est pas vendu sous la dénomination variétale. Sauf si ces deux conditions sont remplies, nous estimons que le régime de la contrefaçon ne devrait pas s’appliquer. En conséquence, il convient de limiter l’application du régime de contrefaçon prévu à l’article L. 623-24-4 du code de la propriété intellectuelle.
Troisièmement, comme je l’ai exposé tout à l’heure, selon le droit européen, il revient au titulaire du certificat d’obtention végétale de prouver qu’une personne n’aurait pas respecté les droits attachés à ce certificat. Cela pose un certain nombre de difficultés d’application qui nous arrangent, mais qui créent une instabilité juridique dangereuse.
Or, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2011, l’article L. 661-9 du code rural précise désormais que « toute personne physique ou morale exerçant une activité de production, de protection, de traitement ou de commercialisation des matériels mentionnés à l’article L. 661-8 déclare son activité à l’autorité compétente pour le contrôle ». En application de cette disposition, les autorités disposeront d’une liste exhaustive de tous les producteurs de semences de ferme ainsi que des espèces cultivées par chacun d’entre eux, éventuellement même des variétés.
Ainsi, on facilite le contrôle des obtenteurs et on crée une présomption de contrefaçon à leur bénéfice. En effet, cette information pourrait leur être transmise.
Mes chers collègues, je vous rappelle que « les organismes officiels » sont autorisés par le règlement européen de 1994 à fournir toute information pertinente si « cette information a été obtenue dans l’exercice normal de leurs tâches, sans charge ni coûts supplémentaires ». En séance, en 2011, le ministre de l’agriculture avait bien précisé que le dispositif ne créait aucune charge financière, s’assurant ainsi de la légalité de la transmission future des renseignements.
Nous proposons, dans le respect des exigences de traçabilité et du droit de semer, de limiter le dispositif, donc la déclaration, aux règles concernant « la sélection, la production, la protection, le traitement, la circulation, la distribution, l’entreposage », en vue de la commercialisation des semences, des matériels de multiplication des végétaux, des plants et plantes ou parties de plantes destinés à être plantés ou replantés.
Cette mention est importante, car la loi de 2011 a également étendu l’application de cet article à tout plant « destiné à être planté ou replanté ». Autrement dit, l’agriculture vivrière et le jardinage amateur sont également concernés !
Quatrièmement, comme vous le savez, la loi de 2011 prévoit – cette disposition est codifiée à l’article L. 623-24-3 du code de la propriété intellectuelle – la mise en place d’un double mécanisme pour déterminer le montant et les modes de collecte de l’indemnité qui serait due par les agriculteurs produisant des semences de ferme.
Ce faisant, elle s’inspire largement de l’accord sur le blé tendre. Dans le cadre de cet accord, il appartient aux agriculteurs qui estiment ne pas être redevables de la cotisation volontaire obligatoire, de demander son remboursement, ce qu’ils ne font jamais, par manque d’information. Ainsi, un agriculteur qui ferait du blé tendre à partir de semences qui ne seraient pas ou plus protégées par un COV, paie automatiquement la cotisation et c’est à lui de prouver qu’il n’aurait pas dû l’acquitter !
De plus, la loi prévoit que ses conditions d’application puissent résulter d’un accord interprofessionnel. On peut alors se demander s’il est légitime de déclarer opposable à tous un accord signé seulement par certains.
Cinquièmement, nous aimerions préciser la question des échanges de variétés protégées, strictement interdits aux termes de la loi. On peut imaginer – il nous semble que c’est un minimum – que de tels échanges soient permis en cas de pénurie, en limitant les volumes échangés à un tonnage déterminé. Bien sûr, nous exigeons une autorisation bien plus large lorsqu’il s’agit de semences paysannes, tout en étant ouverts sur une limitation territoriale.
Sur cette question des échanges, il est très important de garantir la traçabilité des semences. Cependant, cela ne signifie pas qu’il faille interdire tout échange de semences paysannes.
À ce sujet, il semblerait que la direction générale de la santé et de la protection des consommateurs ait suggéré, à l’article 2 de son projet de règlement sur les semences, d’exclure du champ d’application du catalogue certaines activités. On lit ainsi :
« Ce règlement ne s’applique pas aux matériels de reproduction :
« a) destinés uniquement à des fins de sélection ;
« b) destinés uniquement à des fins de test ou scientifique ;
« c) destinés uniquement à, et entretenus par, les banques de gènes et les réseaux de conservation des ressources génétiques associées à des banques de gènes ;
« d) échangés en nature entre des personnes autres que les opérateurs. »
Or les banques de gènes et les réseaux associés ne font, à ce jour, que de la conservation. Il serait intéressant de considérer que la gestion dynamique à la ferme est une méthode de conservation en soi. La réserve prévue au point c), si elle était étendue à la conservation in situ, autoriserait les échanges de semences entre agriculteurs membres de tels réseaux.
De plus, nous aimerions connaître l’avis du Gouvernement sur la proposition visant à permettre les échanges « en nature entre des personnes autres que les opérateurs ».
Selon nous, les agriculteurs qui produisent non des semences commerciales, mais uniquement des semences de ferme ou paysannes, ne doivent pas être qualifiés d’opérateurs et devraient donc pouvoir échanger leurs semences sans appartenir aux réseaux formels évoqués précédemment. La remarque vaut d’autant plus que les échanges de petites quantités de semences ne résisteront pas plus aux lourdeurs administratives qu’aux coûts financiers générés par l’inscription au catalogue.
Sixièmement, et enfin, des agriculteurs et des paysans nous ont fait part de leurs inquiétudes en ce qui concerne la définition de la variété retenue à l’article L. 623-2 du code de propriété intellectuelle.
En effet, les caractères qui définissent ces variétés au sens du COV s’imposent aussi pour l’inscription au catalogue. Leur développement reste donc limité aux échanges informels entre les agriculteurs, alors qu’il serait utile, à côté des variétés industrielles, de les développer. Nous portons aujourd’hui au débat cette question de l’ouverture des critères pour l’inscription au catalogue des variétés population. Ce sont les variétés formées par la reproduction en pollinisation libre, avec ou sans sélection, d’une population naturelle ou artificielle.
Face à toutes ces problématiques, face aux incursions de la spéculation financière dans le domaine de la connaissance, c’est toute notre filière industrielle de semences qui est en sursis.
C’est pourquoi, des chercheurs ou obtenteurs, en passant par les trieurs à façon, les agriculteurs faisant de la semence de ferme et ceux qui utilisent des semences industrielles ou des semences paysannes, tous doivent travailler ensemble pour s’entendre sur une réglementation qui prenne en compte les intérêts de chacun. Et c’est possible ! Peut-être nous direz-vous, monsieur le ministre, comment vous pensez organiser cette nécessaire concertation. Tous les syndicats agricoles seront-ils associés ?
Le débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle est, avant tout, un débat de société. La question des semences montre à quel point la réflexion éthique et politique est en retard par rapport à la science, aux réglementations commerciales et aux appétits financiers.
Quel modèle agricole voulons-nous porter ? Quelles garanties souhaitons-nous donner à notre indépendance alimentaire ? Allons-nous, enfin, nous doter des armes nécessaires pour lutter contre les brevets sur le vivant ?
Je termine, monsieur le président.
À travers ce débat, nous avons souhaité, à partir de la question des semences de ferme, élargir la réflexion à la brevetabilité du vivant, qui menace notre indépendance alimentaire, la diversité de notre agriculture et la filière de la recherche végétale. Nous avons souhaité que toutes ces questions puissent être prises en compte dans la préparation des réformes à venir.
Ce soir, on sème. Demain, nous voulons récolter notre liberté économique, intellectuelle et écologique. La vie n’est pas seulement une marchandise !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC . – Mme Delphine Bataille et M. Joël Labbé applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ce débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle, qui a été demandé par le groupe CRC et vient d’être ouvert par M. Le Cam, il s’agit en fin de compte, pour nos collègues, de remettre en cause la loi relative aux certificats d’obtention végétale, qui, issue d’une proposition de loi sénatoriale, fut définitivement adoptée le 8 décembre 2011. Le groupe socialiste s’était abstenu sur ce texte, mais, je le dis au passage, M. Raoul aurait presque pu le voter si son amendement sur le principe de l’autoconsommation avait été voté.
Quoi qu'il en soit, les décrets d’application de cette loi ne sont pas encore parus. Or ils donneraient effectivement aux agriculteurs la capacité de disposer d’un potentiel de semences et de ressources génétiques à la hauteur de leurs ambitions en matière de compétitivité, de volume et de qualité.
En quoi ce texte de loi conforte-t-il l’excellence de notre secteur agricole ?
Tout d’abord, il renforce les spécificités du COV, système de propriété intellectuelle propre aux semences qui, contrairement au système du brevet, favorise l’innovation variétale et l’accès libre à la biodiversité créée.
Ensuite, il sécurise le financement de la recherche et donne aux sélectionneurs français les moyens de développer durablement les programmes d’amélioration des plantes.
Enfin, il autorise la pratique des semences de ferme et permet ainsi de trouver un juste équilibre entre le droit des sélectionneurs et celui des agriculteurs utilisateurs.
Ce texte a recueilli l’accord de la grande majorité des organisations professionnelles agricoles.
Toutefois, certains syndicats ont souhaité instrumentaliser le débat afin d’opposer les éleveurs et les céréaliers en assénant un certain nombre de contrevérités.
Les opposants au texte ont ainsi affirmé qu’il tendait à taxer à l’hectare les éleveurs qui consomment leur propre production. C’est archi-faux puisque les accords interprofessionnels permettent, précisément, d’exonérer les agriculteurs autoconsommant toute leur production, ainsi que les petits producteurs qui produisent jusqu’à 92 tonnes.
Contrevérité aussi quand ils prétendent que cette loi conduirait à l’interdiction des semences de ferme, alors que c’est tout le contraire ! Aujourd’hui, ceux qui utilisent des semences de ferme protégées s’exposent à des contentieux et le texte légalise l’utilisation des semences de ferme.
Contrevérité encore quand ils avancent qu’elle rendra les agriculteurs complètement dépendants des grands groupes privés. Là aussi, c’est tout le contraire ! Si nous ne nous battons pas pour préserver le pôle semencier français, nous risquons, dans une ou deux décennies, de nous réveiller en constatant amèrement qu’il ne reste que quatre ou cinq producteurs de semences au monde et qu’ils sont soit anglo-saxons, soit chinois !
À cet égard, la loi COV me semble aller dans le bon sens, précisément en ce qu’elle nous évitera, demain, d’être pieds et poings liés face à ces multinationales, dont certaines n’aspirent qu’à une chose : breveter leurs génétiques ! Car, je le rappelle, la création variétale a un poids économique non négligeable dans notre pays.
Nous avions introduit dans le texte de la proposition de loi une avancée – elle convenait même à nos collègues écologistes ! – en adoptant un amendement permettant de protéger et de préserver le patrimoine végétal d’intérêt commun – ce qu’on appelle les variétés paysannes, ou variétés anciennes – et prévoyant l’organisation de la conservation des ressources phylogénétiques patrimoniales françaises.
Cet amendement donnait également satisfaction à la Confédération paysanne, ce qui n’a pas empêché celle-ci d’exercer une pression – pression amicale, bien sûr ! – sur le groupe CRC en lui demandant de remettre en cause tout le travail que nous avions commencé en 2006, puisque le Sénat avait, cette année-là, voté une première fois la proposition de loi qui fut définitivement adoptée en 2011.
Nous avons un défi mondial à relever, celui de la sécurité alimentaire.
En effet, la FAO – Food and Agriculture Organization – estime qu’il faudra accroître de 70 % la production alimentaire d’ici à 2050 pour nourrir les 2, 3 milliards de personnes supplémentaires que comptera alors notre planète.
Pour que l’agriculture continue à remplir sa fonction nourricière, il est donc indispensable d’augmenter les rendements agricoles, mais en tenant compte des aléas climatiques et de la nécessité de respecter davantage l’environnement.
« Produire plus et mieux » : c’est bien la synthèse des défis que l’agriculture doit relever, et elle s’y emploie depuis plusieurs décennies déjà. Derrière elle, c’est toute la filière semences qui est mobilisée pour trouver des réponses. Car la semence est à l’origine de toute production agricole. C’est donc en premier lieu à cette filière que revient la responsabilité de proposer des solutions à la crise agricole que nous traversons.
Le constat est dressé, les objectifs sont posés. Reste à définir les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre.
Nous n’avons pas pléthore de solutions : seules la recherche et la science peuvent nous permettre de résoudre la crise agricole et de relever le défi de la sécurité alimentaire.
Il ne s’agit pas ici de relancer le débat sur les OGM. Quoique… Pourquoi pas, monsieur le ministre ? §
C’est à vous de le faire !
La recherche agronomique et génétique va bien au-delà : décryptage des génomes de la plante pour mieux comprendre ses mécanismes – assimilation de l’azote, résistance aux maladies, etc. – ou marquage génétique.
Le « sélectionneur », appelé aussi « obtenteur », est celui qui met au point de nouvelles variétés végétales à partir de la biodiversité existante : ces nouvelles variétés permettent de répondre aux contraintes de l’agriculteur et aux nouvelles attentes de la société. Elles contribuent à l’émergence de cette agriculture productive mais « durable » – même si je n’aime pas ce mot, qu’on met un peu à toutes les sauces – que l’Union européenne appelle de ses vœux.
Ainsi, les études prouvent que certaines variétés modernes de blé, moins dépendantes des engrais chimiques, cultivées avec des apports d’azote raisonnés et moins de fongicide, offrent parfois un rendement supérieur aux variétés anciennes.
Un hectare de terre nourrit actuellement plus de quarante personnes, alors qu’il en nourrissait une quinzaine en 1960. Les améliorations apportées aujourd’hui aux variétés se structurent autour d’axes clés de recherche : meilleure tolérance à la sécheresse, meilleure résistance aux maladies ou encore amélioration des qualités nutritionnelles.
Quelles conclusions pouvons-nous tirer de tout cela ? Eh bien, que le défi que la filière semences doit relever est très ambitieux, mais qu’il n’est pas insurmontable !
Cette filière a déjà fait beaucoup. Pour produire plus et mieux, elle doit aller encore plus loin. Dans cette perspective, il faut lui donner les moyens de poursuivre ses recherches. Or la réponse à la question du financement de la recherche variétale ne va pas de soi.
Il n’est pas envisageable, dans le contexte actuel de crise économique que nous connaissons, de solliciter l’aide de l’État. Le seul moyen d’assurer l’avenir de la recherche est bien de faire appliquer aux agriculteurs le droit de propriété intellectuelle sur les variétés nouvellement créées qu’ils utilisent : pour le blé, par exemple, le droit est de 5 centimes d’euro par quintal.
Rappelons que, pour mettre au point une nouvelle variété végétale, il faut compter, en moyenne, dix ans de recherches. Il est donc logique que ce travail de longue haleine, dont toute la filière agricole bénéficie, soit rémunéré. Ce n’est pas M. Raoul qui me démentira, lui qui est élu d’une région où la production de semences occupe une place importante : l’Anjou.
La loi du 8 décembre 2011 assure la juste rétribution de l’effort de recherche fourni par les sélectionneurs, grâce à l’institution d’un droit d’auteur spécifique aux semences : le certificat d’obtention végétale.
Cette loi est la transposition en droit français de la convention internationale UPOV – Union des protections des obtentions végétales sur les certificats d’obtention végétale. Elle dispose que chacun est libre d’utiliser des semences de variétés protégées par un COV en contrepartie du paiement d’une rémunération au sélectionneur qui a créé ces variétés.
Le COV a l’immense avantage de laisser un libre accès aux nouvelles variétés à des fins de recherche.
Avec 72 entreprises de sélection, dont une grande majorité de PME et d’entreprises de taille intermédiaire, la France est à la pointe de l’innovation en recherche variétale. Cette richesse entrepreneuriale est la meilleure garantie de la pluralité des solutions proposées aux agriculteurs et aux consommateurs.
La loi COV constitue donc un grand pas pour préserver le dynamisme de nos entreprises de recherche ainsi que la compétitivité de la filière semences et de la filière agricole française dans son ensemble.
Cette loi constitue aussi une reconnaissance du métier de sélectionneur, qui fait l’objet de beaucoup de peurs et d’idées reçues. Or la revalorisation de ce métier, qui est au cœur des grands enjeux du XXIe siècle, est indispensable pour recréer une attractivité du secteur auprès des jeunes, car nous ne pourrons relever les défis qui sont devant nous sans l’apport de nouveaux talents.
Mes chers collègues, nous le savons tous, la progression des rendements depuis les années cinquante a été rendue en grande partie possible grâce à la sélection végétale. Nous constatons cependant, depuis dix ou vingt ans, une tendance à la stagnation de ces rendements, toutes espèces confondues. Cette stagnation est due en partie aux aléas climatiques, en partie à la diminution des intrants, mais aussi et surtout à un moindre effort de recherche, celle-ci s’étant concentrée vers certaines semences considérées comme plus intéressantes, telles que le maïs, et vers d’autres priorités : une meilleure résistance des plantes à certains parasites, un meilleur développement avec moins d’intrants…
Face aux enjeux de l’alimentation mondiale et de l’adaptation de notre appareil de production agricole au changement climatique, aux impératifs d’une gestion plus économe en eau, en fertilisants ou en produits phytosanitaires, la recherche doit apporter des solutions. À cet effet, les entreprises de sélection doivent pouvoir retirer les fruits de leur travail pour pouvoir ensuite financer la recherche.
Les entreprises françaises proposent chaque année 500 à 600 variétés nouvelles, toutes espèces confondues : céréales, légumes et, à hauteur de 60 %, plantes ornementales.
L’existence d’un système efficace de protection de la propriété intellectuelle est donc une condition du maintien de l’effort de recherche sur les végétaux.
Nos obtenteurs, qui sont souvent de petites et moyennes entreprises, ont besoin d’être confortés.
Le secteur semencier français est dynamique. La France est le premier producteur européen et le deuxième exportateur mondial de semences, avec 72 entreprises de sélection, 257 stations de multiplication et environ 23 000 agriculteurs multiplicateurs. La filière réalise un chiffre d’affaires de 2, 4 milliards d’euros.
Le droit des obtentions végétales permet de protéger les obtenteurs, la recherche, les multiplicateurs et les agriculteurs. C’est un moyen de protéger sans confisquer et le meilleur rempart contre la brevetabilité du vivant.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, il faut publier ces décrets, qui sont attendus par la profession dans son ensemble : coopératives, semenciers, multiplicateurs, agriculteurs. La pleine application de la loi de 2011 peut en outre aider à créer des emplois, donc à lutter contre le chômage, et cela sans que l’État ait à verser un sou !
Conserver nos atouts et trouver un juste équilibre : telle doit être notre ambition. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier le groupe CRC d’avoir pris l’initiative de ce débat.
Sur ce vaste sujet, qui recouvre de nombreuses questions, nous ne tomberons pas toujours d’accord, mais il est toujours bon de débattre. Cela étant, je ne pense pas qu’il s’agisse de savoir s’il faut abroger la loi du 8 décembre 2011. Du reste, cela ne servirait à rien : la France est signataire de la convention UPOV et celle-ci a vocation à s’appliquer qu’il existe ou non une loi nationale en la matière.
Mieux vaut légiférer nous-mêmes si nous voulons que la législation nous convienne !
M. Pointereau a d’ores et déjà cité des chiffres, mais je tiens à le faire à mon tour afin de donner la mesure de l’enjeu : 72 entreprises de sélection, 240 entreprises de production, 20 000 agriculteurs développant des variétés, 15 000 salariés, près de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Ces seuls chiffres indiquent qu’il s’agit d’une filière importante, essentiellement implantée entre Angers et Nantes, et aussi un peu en amont, dans notre belle vallée de la Loire.
Dans ce secteur, la France est le premier producteur européen et le deuxième exportateur mondial, même si elle est désormais talonnée par la Chine et le Brésil. Les BRICS arrivent !
La propriété intellectuelle constitue-t-elle une entrave au droit de semer ? Cela ne vous surprendra pas, ma réponse est non. La France a en effet élaboré un système équilibré, fondé sur le certificat d’obtention végétale. Contrairement au brevet, ce titre de propriété intellectuelle présente un avantage : il permet d’assurer la protection juridique de chaque variété végétale nouvelle et la rémunération de ses auteurs, tout en autorisant, d’une part, l’usage de ressources végétales pour la création de nouvelles variétés – l’« exception du sélectionneur » – et, d’autre part, l’utilisation par les exploitants agricoles d’une partie du produit de leur récolte pour ensemencer les suivantes – l’« exception de l’agriculteur ».
Le système du COV forme un rempart contre la brevetabilité des obtentions végétales.
Vous le savez, la ligne adoptée par les États-Unis, le Japon et l’Australie est différente : ils n’ont pas de système de certificat d’obtention végétale et veulent tout protéger par brevet, ce qui entraîne les conséquences décrites par M. Le Cam. Il s’agit d’un débat de fond, dans lequel l’Europe doit être leader. Les négociations portant sur les problèmes de propriété intellectuelle, que M. le ministre connaît bien, vont en effet reprendre.
Le système du COV est conforme, je vous le rappelle, à la convention de l’Union pour la protection des obtentions végétales du 19 mars 1991, ainsi qu’au règlement communautaire du 27 juillet 1994.
Ce système est également conforté par la jurisprudence de la Grande chambre de recours de l’Office européen des brevets, l’OEB, sur la non-brevetabilité des procédés essentiellement biologiques – c’est-à-dire « naturels » – pour l’obtention des végétaux. Même s’il est arrivé que l’OEB délivre un certain nombre de brevets « douteux », nous pouvons considérer que la jurisprudence s’est stabilisée de façon satisfaisante.
Ce système est en outre conforme à l’accord intergouvernemental relatif à une juridiction unifiée du brevet, laquelle aura d’ailleurs son siège à Paris. Ledit accord prévoit explicitement que les droits conférés par un brevet ne s’étendent pas à « l’utilisation de matériel biologique en vue de créer ou de découvrir et de développer d’autres variétés végétales ».
Nous disposons donc d’une base solide.
L’extension aux variétés essentiellement dérivées de la protection offerte à l’obtenteur par le COV permet d’éviter que l’introducteur d’un gène breveté dans une variété végétale existante obtienne un droit de propriété total sur la variété obtenue par transformation génétique, et donc empêche l’utilisation de cette variété pour de nouveaux développements.
En comblant le vide juridique entourant les semences de ferme, la loi du 8 décembre 2011 a établi un équilibre entre le respect d’un droit plus qu’ancestral – le « privilège du fermier » existe en fait depuis l’apparition des sociétés agricoles organisées, voilà 4 000 ou 5 000 ans ! – et la protection de la propriété intellectuelle. Sur ce point, chers collègues du groupe CRC, nous avons certainement une divergence d’analyse.
Cette réforme, attendue depuis longtemps, était nécessaire, car la pratique des semences de ferme présente de nombreux avantages en matière de traçabilité, de sécurité d’approvisionnement, de respect de l’environnement et de biodiversité.
Faute de contrat ou d’accord entre les obtenteurs et les agriculteurs, les semences de ferme, à l’exception du blé tendre, sont utilisées sans contrepartie financière. De ce fait, de nombreux agriculteurs peuvent être poursuivis pour contrefaçon. Depuis les années quatre-vingt, plusieurs exploitants agricoles ont ainsi été condamnés.
Rappelant que la liste européenne des espèces pouvant être utilisées comme semences de ferme, qui comprend 21 espèces, est trop restrictive, j’encourage vivement le Gouvernement à élargir la liste nationale, comme l’y autorise l’article L. 623-24-1 du code de la propriété intellectuelle.
S’agissant des conditions d’application du privilège du fermier, la priorité doit être donnée, selon moi, à la négociation interprofessionnelle, sur le modèle de l’accord relatif au blé tendre, afin que les agriculteurs ne se retrouvent pas seuls face aux entreprises semencières pour négocier le montant de l’indemnité prévue à l’article L. 623-24-2 du code de la propriété intellectuelle.
De mon point de vue, l’État ne devrait intervenir par voie de décret qu’en dernier recours.
Compte tenu de la crise dans laquelle sont actuellement plongés nombre d’agriculteurs, il importe que l’indemnité versée en contrepartie de l’utilisation de semences de ferme soit sensiblement inférieure au montant perçu pour la production sous licence de semences de la même variété.
Je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, si des accords similaires à celui relatif au blé tendre sont en voie de conclusion depuis l’adoption de la loi de 2011, et comment vous envisagez l’établissement de tels accords.
Je vous serais également reconnaissant de bien vouloir nous indiquer si vous envisagez d’exonérer du paiement de l’indemnité les agriculteurs qui produisent des semences de ferme dans un but d’autoconsommation, notamment pour l’alimentation du bétail.
Il faut aussi veiller à ce qu’une part importante des sommes versées en contrepartie de l’utilisation des semences de ferme soit consacrée au financement de la recherche variétale, et plus particulièrement à la recherche destinée à la production de semences reproductibles.
Pour ce qui concerne le triage à façon, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir si vous prévoyez de préciser les conditions dans lesquelles les agriculteurs seront autorisés à trier, c’est-à-dire à séparer les graines destinées au réensemencement des champs et les graines dépourvues de qualités semencières suffisantes, qui peuvent notamment être utilisées pour l’alimentation du bétail.
La loi du 8 décembre 2011 a laissé plusieurs questions en suspens ; se pose ainsi le problème des décrets d’application.
Je pense en particulier à la remise en cause de « l’exception du sélectionneur » pour les agriculteurs qui n’ont pas les moyens d’« extraire » d’une variété génétiquement modifiée les caractères brevetés. Il conviendrait d’apporter une solution à ce problème, faute de quoi la création variétale deviendra le monopole des grandes entreprises semencières.
La législation française ne comprend pas non plus de dispositions destinées à permettre au titulaire du COV d’obtenir toute information pertinente des agriculteurs et des opérateurs de triage à façon, et aux agriculteurs d’obtenir des informations du titulaire du COV et de les faire circuler.
La loi du 8 décembre 2011 a aussi laissé en suspens la question, hautement polémique, des variétés anciennes.
Dans l’arrêt Association Kokopelli contre Graines Baumaux SAS du 12 juillet dernier, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la réglementation actuelle, en ce qu’elle n’exclut pas la commercialisation de ces variétés, prenait en considération les intérêts économiques des vendeurs de variétés anciennes ne satisfaisant pas aux conditions d’inscription aux catalogues officiels.
La réglementation de l’Union a été déclinée dans notre droit. Ainsi, en 2008 et 2010, trois nouvelles listes de variétés anciennes ont été ouvertes au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France : deux listes « variétés de conservation » et une liste « variétés dont la récolte est principalement destinée à l’autoconsommation ».
Monsieur le ministre, dans quelles conditions, en particulier financières, envisagez-vous le développement de ces inscriptions sur les listes des variétés anciennes ?
Afin de faciliter la diffusion des variétés anciennes, votre ministère et l’interprofession des semences prennent en charge l’intégralité des frais liés à l’inscription de variétés sur ces listes. Toutefois, il semble que ce dispositif ne soit pas pleinement satisfaisant aux yeux de certains professionnels. En effet, pour être homologuées, les variétés doivent être « distinctes, suffisamment homogènes et stables ».
Exactement !
Or de nombreuses variétés anciennes ne remplissent pas ces conditions. Comment comptez-vous résoudre ce problème ?
J’en viens à l’aspect européen du dossier des semences. La Commission européenne devrait prochainement proposer de réviser la législation communautaire en la matière. Pouvez-vous nous donner des informations à ce sujet ?
Je souhaitais formuler un certain nombre de propositions concernant la lutte contre la contrefaçon, mais je m’aperçois que j’arrive à la fin de mon temps de parole. Je n’en évoquerai donc qu’une.
La proposition de loi que j’ai déposée, et qui a malheureusement disparu avec le changement de majorité – il y a beaucoup de raisons de se réjouir de ce changement, mais en voilà une de s’en réjouir un peu moins…
Sourires
Il y a deux considérations principales qui peuvent justifier une telle décision. En premier lieu, entre cinq et dix cas par an seulement font l’objet d’une procédure : il ne s’agit donc pas d’une jurisprudence de masse ! En second lieu, il est important que les juges aient une certaine expertise sur ces questions passablement complexes.
Nous avions d’abord pensé proposer d’installer cette juridiction spécialisée à Angers, ville qui accueille déjà l’Office communautaire des variétés végétales. Mais, dans la mesure où les semenciers se trouvent aussi à Angers, ce n’est peut-être pas une si bonne idée...
C'est la raison pour laquelle nous avons songé au TGI de Paris, déjà seul compétent pour les contentieux concernant les brevets.
Monsieur le ministre, je tiens à votre disposition mes autres propositions visant à favoriser la lutte contre la contrefaçon en matière d’obtention végétale. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, venant d’un département rural, je suis particulièrement sensible aux préoccupations des agriculteurs. Lorsque la loi relative aux certificats d’obtention végétale a été adoptée en 2011, un certain nombre d’entre eux ont exprimé leurs craintes devant cette nouvelle attaque contre les semences de ferme et les semences paysannes, ainsi que, plus généralement, contre un modèle agricole alternatif au modèle productiviste et industriel.
En 2011, le débat s’est focalisé sur l’opposition entre ces deux modèles, alors que, en réalité, ils sont complémentaires et forment la diversité du modèle agricole français.
Monsieur le ministre, vous avez dit vouloir faire de la France un modèle de l’agro-écologie. Nous saluons cette ambition et, dans ce cadre, les semences de ferme et les semences paysannes ont un rôle à jouer. En effet, en ressemant une partie de leurs récoltes, en procédant à des échanges de petites quantités de semences paysannes, les agriculteurs participent concrètement à la réalisation des objectifs de préservation de la biodiversité.
Ils proposent des pistes pour mettre en œuvre une agriculture durable et revenir à des pratiques agronomiques vertueuses.
Les travaux du Grenelle de l’environnement préconisaient déjà le recours à la technique traditionnelle des mélanges variétaux qui, en bousculant le dogme de la variété pure, a permis la lutte contre les maladies et la baisse des fongicides. Ainsi, moins de 20 % des semences de ferme sont enrobées avec un insecticide, contre près de la moitié des semences certifiées.
De plus, les semences de ferme respectent les circuits courts, elles ne sont pas délocalisables, alors que de nombreuses semences certifiées sont produites à l’étranger.
En 2005, la France a ratifié le traité international sur les ressources phylogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, qui s’imposait à elle depuis 2003 puisque la Communauté européenne l’avait elle-même ratifié. Ce texte affirme « que les droits [...] de conserver, utiliser, échanger et vendre des semences de ferme et d’autres matériels de multiplication et de participer [...] au partage juste et équitable des avantages en découlant sont un élément fondamental de la concrétisation des droits des agriculteurs ».
Aujourd’hui, le traitement réservé aux semences fermières et paysannes ne nous semble pas respecter les objectifs du traité. Cela est d’autant plus injuste que les semences industrielles ont puisé dans les semences paysannes.
La loi de 2011 relative aux certificats d’obtention végétale, sous couvert de protéger les semences de ferme, les a reléguées au rang de pratiques interdites ou tolérées sous condition de rémunération. En effet, comme l’a dit mon collègue Gérard Le Cam, les semences de ferme ne sont autorisées que pour 21 espèces, contre paiement de royalties. En dehors de cette liste, elles sont tout simplement interdites et, considérées comme des contrefaçons, donnent lieu à de sévères sanctions.
Un premier pas vers la protection des semences de ferme serait d’élargir la liste des espèces prêtant à dérogation, comme vous en avez le pouvoir par voie réglementaire, monsieur le ministre. Il serait également possible de relever le tonnage au-delà duquel la pratique des semences de ferme donne lieu à paiement.
Plusieurs pistes sont donc envisageables. Il est important d’organiser sur ces questions une concertation avec tous les acteurs du secteur. Nous souhaitons connaître vos intentions en la matière, monsieur le ministre.
Comme l’atteste la proposition de loi que nous avons déposée au mois de juin 2012, nous portons l’exigence d’une légalisation totale des semences de ferme et paysannes. Nous souhaitons que l’agriculteur soit autorisé à ressemer sa récolte comme à faire de la sélection à partir de ses propres semences, à condition qu’elles ne reproduisent pas l’ensemble des caractères distinctifs de la semence certifiée et que le produit des récoltes ne soit pas vendu sous la dénomination variétale.
Nous souhaitons que des échanges puissent être autorisés. Je distingue bien les échanges de semences certifiées, donc industrielles, qui pourraient être limités à un contexte de crise, par exemple en cas de pénurie ou de sinistre grave touchant certaines exploitations, et les échanges des semences de ferme ou paysannes qui pourraient être limités en termes de quantité et de distance ou de périmètre d’échange.
Les semences de ferme ont montré leur utilité et leur complémentarité par rapport aux semences industrielles. Ainsi, souvenez-vous, en l’absence de semences commerciales disponibles pour assurer la relance des protéagineux et développer les couverts végétaux afin de répondre au verdissement de la PAC, on a utilisé des semences de ferme. On a encore fait appel à elles pour compenser le déficit fourrager provoqué par la sécheresse en 2011.
Il ne s’agit donc pas pour nous d’opposer deux systèmes, les semences industrielles et les semences fermières. La filière semencière en France a fait la preuve de son excellence. Elle joue, avec l’INRA, un rôle majeur en termes d’indépendance alimentaire et de recherche.
Lors des débats qui ont précédé le vote de la loi de 2011, on a souvent entendu l’argument selon lequel la pratique des semences de ferme mettrait en péril la recherche. Or le progrès génétique a été constant alors même que les semences fermières étaient tolérées. C’est donc une erreur de croire que la ressource financière dégagée par la taxation des semences de ferme est la condition du dynamisme de la recherche.
De plus, si des financements sont nécessaires, pourquoi les faire reposer sur les seuls agriculteurs, alors que toute la filière agroalimentaire bénéficie des progrès en termes de productivité et de qualité nutritionnelle des produits agricoles ?
Par ailleurs, si des partenariats, qui ont montré leur excellence, se sont constitués au sein des organismes publics de recherche, mais également entre la recherche publique et la recherche privée, les coupes budgétaires répétées depuis des années affaiblissent considérablement les moyens alloués à la recherche publique. Ainsi, l’absence de création de postes en 2013, les masses salariales bloquées, le refus d’intégrer dans les dispositifs de titularisation, en bref, la politique d’austérité que vous avez décidé de conduire, ne forment pas un environnement favorable au dynamisme de la recherche. Or le sujet exige une programmation de la recherche sur un temps long.
De plus, certaines activités liées au contrôle des semences, dont il est question dans la loi de 2011, sont aujourd’hui fragilisées.
En 2011, sous le précédent gouvernement, l’INRA et le ministère de l’agriculture avaient déjà constitué un groupe de travail ayant pour mission de « réfléchir aux conséquences de la baisse importante de la subvention accordée à l’INRA pour assurer les missions autres que la recherche stricto sensu ».
Pour certaines des missions « complémentaires » de l’INRA qui sont assurées par le groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, le GEVES, se dessine au niveau européen une volonté dangereuse de dévier vers l’autocertification. En effet, avec le projet Better Regulation, la Commission européenne a proposé de simplifier l’actuelle certification des semences par une « autocertification » agréée par les pouvoirs publics, validant les systèmes de contrôle internes.
Confier aux industriels du secteur le soin de contrôler les critères d’évaluation et les modalités d’études des variétés, aujourd’hui missions du GEVES, nous semble très dangereux. Il nous faut être exigeants sur ces questions et, monsieur le ministre, nous aimerions connaître votre position sur ce point précis.
Enfin, je veux attirer votre attention sur les dangers de l’appropriation du vivant.
Depuis de nombreuses années, de grandes firmes ont développé une stratégie commerciale et financière afin de s’approprier les espèces végétales. Voici ce que l’économiste Benjamin Coriat explique à propos du brevet : « Il ne consiste plus en une récompense attribuée à l’inventeur en échange de la divulgation de son invention : le brevet se mue, pour la firme qui le détient, en droit d’exploration, cédé sous forme de monopole, pour toutes les inventions à venir, non décrites et non prévisibles, avant même que toute invention ait été effectuée et, a fortiori, divulguée. »
En Europe, la directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques n’interdit pas le brevetage d’un gène dans une plante ni même celui d’une espèce végétale. Récemment, l’Union française des semenciers, consciente qu’il s’agissait là d’une arme redoutable, s’est opposée à la brevetabilité des gènes natifs.
Monsieur le ministre, quelle voix portera la France sur ce sujet ? Si l’Europe veut maîtriser son progrès génétique, elle doit être claire et ne pas reconnaître les brevets sur les gènes natifs. C’est une décision politique qui doit être prise et qui, à nos yeux, serait une véritable protection pour le système du certificat d’obtention végétale. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un sujet de société qui donne toujours lieu, surtout dans le monde rural, à des discussions très animées.
L’intitulé même de ce débat, « droit de semer et propriété intellectuelle », reflète parfaitement les interrogations des différents acteurs concernés.
Dans une vision beaucoup trop simplificatrice, on oppose souvent les agriculteurs et les semenciers.
Les agriculteurs estimeraient que leur droit de semer ne doit pas être altéré par des géants de l’industrie semencière, à qui ils doivent dans de nombreux cas verser une redevance au titre de la propriété intellectuelle. Cela reviendrait à les sacrifier au profit de l’industrie semencière et ils n’auraient bientôt plus qu’un seul choix : acheter toutes leurs semences à l’industrie avec des propositions sans cesse plus nombreuses, notamment d’OGM.
Les semenciers, eux, au nom de la propriété intellectuelle, revendiqueraient un droit de plus en plus étendu sur les semences et imposeraient aux agriculteurs une redevance de plus en plus lourde, notamment afin de financer la recherche. Ils concourraient, par le progrès végétal, à la sécurité de la chaîne alimentaire et à l’économie des filières de production, dans une démarche de respect durable de l’environnement, la recherche dans ce secteur étant primordiale puisqu’elle fait évoluer les variétés, transformant ainsi le potentiel végétal en vue d’une amélioration de la qualité des produits et d’une hausse des rendements.
Loin de ces deux visions caricaturales, il existe un juste équilibre, qui doit d’autant plus être conforté que l’objectif alimentaire est, aujourd’hui plus que jamais, déterminant : on prévoit 9 milliards de bouches à nourrir en 2050 ! Voilà qui impose un niveau de productivité toujours plus élevé, et, contrairement aux clichés, l’obtenir n’empêche pas pour autant le respect du monde végétal et de l’environnement en général.
Un autre point à prendre en compte est le poids économique du secteur des semences et des plants, qui réalise un chiffre d’affaires annuel de plusieurs milliards d’euros. Cela est d’autant plus vrai pour la France, qui est redevenue l’an dernier, avec 1, 2 milliard d’euros d’exportations de semences et de plants, championne du monde dans ce domaine, devant les États-Unis et les Pays-Bas.
La France reste en outre le premier producteur européen de semences.
Il peut être également utile de rappeler l’évolution du métier de semencier.
Longtemps cantonné au monde agricole, composé de PME familiales fondées par des agriculteurs et de coopératives, le métier de semencier s’est ouvert aux investisseurs extérieurs au milieu des années soixante-dix. Des entreprises qui étaient aux antipodes du monde agricole, comme Shell ou Elf, se sont alors ruées sur ce secteur qu’elles considéraient comme porteur.
Dans un second temps, au cours des années quatre-vingt, les entreprises semencières sont devenues la proie des agrochimistes, la complémentarité des deux activités étant alors plus évidente.
Cela m’amène à évoquer la crainte, fondée, exprimée par des agriculteurs, mais aussi par des semenciers européens et français, d’un monopole exercé par certains grands groupes, notamment américains.
Aujourd’hui, deux tiers des semences du monde font l’objet d’un commerce. Elles sont vendues par une dizaine de firmes spécialisées, dont certaines bénéficient d’un quasi-monopole – Monsanto, Bayer ou DuPont de Nemours sont les plus connues –, doublé d’un monopole sur l’alimentation animale. Cela signifie donc qu’un tiers seulement est constitué de semences que les « familles paysannes » prélèvent sur leurs récoltes et troquent entre elles ou de semences produites par de petites entreprises d’obtenteurs.
Reste que le développement des entreprises semencières est un atout pour la recherche, et il convient de s’arrêter un instant sur ce point.
En France, le budget de recherche dans le secteur des semences est d’environ 250 millions d’euros, pour 72 entreprises, ce qui représente 13 % à 20 % de leur chiffre d’affaires. À titre de comparaison, le seul budget recherche de Monsanto est de l milliard d’euros : une seule firme américaine dispose donc d’un budget de recherche cinq à six fois supérieur à la somme des budgets recherche des 72 entreprises françaises spécialisées en la matière !
Il ne s’agit évidemment pas de prendre Monsanto pour modèle et de tomber dans l’excès, mais de montrer que le poids de la recherche en France reste marginal, voire dérisoire dans certains cas. Or il me semble important de donner les moyens à nos chercheurs pour qu’ils créent les variétés de demain.
Globalement, la France est le troisième marché pour les semences dans le monde, après les États-Unis et la Chine, qui, de leur côté, font de la recherche une priorité.
Ma région, l’Aquitaine, abrite de grands groupes qui sont des fleurons de la recherche dans ce secteur : Maïsadour et Pau Euralis. Et cette région n’est pas une exception ! La France ne doit pas se laisser dominer, non seulement parce que nous avons les connaissances et les capacités techniques et d’ingénierie pour rivaliser, mais aussi parce que nous ne devons pas laisser les autres pays maîtres de l’alimentation de demain.
Pour concilier l’impératif de recherche et la liberté des agriculteurs, le Parlement a légiféré dans le domaine des semences.
M. Christian Demuynck, quand il était sénateur, avait déposé une proposition de loi relative aux certificats d’obtention végétale. Cette dernière, cosignée par nombre de sénateurs centristes, notamment M. Deneux, a été adoptée par le Sénat et l’Assemblée nationale à la fin de l’année 2011, au terme d’un débat extrêmement animé.
À mon sens, ce texte a permis des avancées intéressantes et nécessaires.
Il assure tout d’abord la transposition en droit français de la convention internationale UPOV de 1991, confortant les spécificités du certificat d’obtention végétale.
Il offre ensuite un cadre juridique aux semences fermières pour certaines espèces et rend ainsi possible la rémunération de l’obtenteur de semences, tout en permettant à l’agriculteur de ressemer ses propres semences.
Il met enfin la France en conformité avec les textes européens, qui sont d’ailleurs en cours de révision.
La loi de 2011 constitue selon moi un bon compromis, à la fois pour les agriculteurs et les semenciers, tout en harmonisant la législation française avec celle de l’Union européenne, ce qui est gage de plus d’efficacité.
Mais, pour une parfaite mise en œuvre de cette loi, les décrets d’application sont extrêmement importants, monsieur le ministre. Or, actuellement, onze décrets sont encore en attente de publication. Notre vigilance doit donc être maintenue, car le contenu de ces décrets est loin d’être négligeable, ce débat en témoigne.
À la suite de l’adoption de cette loi, pourtant équilibrée, des associations se sont constituées qui y sont très hostiles ; ainsi, Semons la Biodiversité milite pour son abrogation, principalement au nom de la défense du revenu des agriculteurs. Mais, si les agriculteurs conservent et replantent leurs propres semences, sans aucune protection ni redevance pour les semenciers, la recherche ne peut que disparaître, emportant avec elle toute la valeur ajoutée qu’elle peut apporter à l’agriculture.
Quant à l’argument de la souveraineté alimentaire, souvent invoqué par ces associations qui se disent protectrices de la liberté des agriculteurs, il ne peut être soutenu puisque, sans recherche, justement, nous perdrons notre souveraineté alimentaire au profit d’autres États.
Toutes ces critiques ont amené certains élus à déposer de nouvelles propositions de loi. Je ne les évoquerai que brièvement, car, à mon sens, elles versent dans l’excès.
En juin 2012, certains de nos collègues ont déposé une proposition de loi en faveur de la défense des semences fermières et de l’encadrement des obtentions végétales. Elle me semble aller trop loin.
À l’Assemblée nationale, une proposition de loi encore plus radicale a également été déposée, le 12 décembre 2012, par le député Jean-Jacques Candelier, avec pour unique but d’abroger la loi de 2011. Les motifs sont clairs et malheureusement excessifs : la loi de 2011 viserait uniquement à protéger les intérêts des semenciers contre ceux des agriculteurs, ce qui me paraît inexact.
Nous serons peut-être amenés à examiner ces deux propositions de loi dans les mois qui viennent, si la grande réforme de l’agriculture que vous prévoyez, monsieur le ministre, ne revient pas sur cette question…
En vérité, deux grands modèles coexistent aujourd’hui : d’une part, le certificat d’obtention végétal, choisi par la France et les pays regroupés au sein de l’UPOV ; d’autre part, le brevet, choisi par les États-Unis, l’Australie ou encore le Japon.
Si les entreprises européennes ont accru leurs dépôts de brevets, 2012 étant une année record pour l’Office européen des brevets, comme le montre le rapport annuel de cet organisme en date du 6 mars dernier, ce système de protection ne paraît pas constituer, au sein de l’Union européenne, une solution opportune dans le domaine des semences agricoles.
Le certificat d’obtention végétale semble, en revanche, être une solution satisfaisante, et cela pour plusieurs raisons.
Au sélectionneur il garantit la protection de la dénomination de l’invention ainsi qu’une relative exclusivité sur la vente des semences pendant une durée de vingt à trente ans.
À l’agriculteur le COV laisse le droit de prélever une partie de sa récolte pour la ressemer, en payant un montant réduit : c’est ce que l’on appelle le « privilège de l’agriculteur » – peut-être faudra-t-il d’ailleurs revenir sur cette terminologie.
De plus, la mise au point d’une nouvelle variété à partir d’une variété protégée par un COV est permise et cette nouvelle variété peut être mise sur le marché sans que son inventeur doive quoi que ce soit au détenteur du COV. Il faut cependant que la nouvelle variété puisse se perpétuer indépendamment de la première variété. C’est l’exemption en faveur de l’obtenteur.
Enfin, il faut souligner que l’exemption de la recherche permet aux chercheurs d’utiliser gratuitement la variété protégée dans leurs travaux.
Ces caractéristiques distinguent bien le COV du brevet car, tout en reconnaissant la performance intellectuelle de l’inventeur et en garantissant à celui-ci un retour sur investissement, il met le savoir à la disposition de tous.
Contrairement aux variétés protégées par un COV, les variétés brevetées ne peuvent être librement utilisées à des fins de sélection par tous.
Le brevet est ainsi beaucoup plus contraignant, au point de constituer pour les agriculteurs un véritable handicap. C’est pourquoi les procès opposant les « géants des semences » à de « petits agriculteurs » se font de plus en plus nombreux.
Ce constat ne fait que renforcer l’idée selon laquelle le COV est une solution intermédiaire bien adaptée.
Je terminerai en évoquant les OGM, car les amalgames peuvent être faciles : défendre la recherche, préconiser un juste milieu entre la liberté des agriculteurs et la protection de la recherche, ne signifie pas prôner les OGM.
La recherche vise avant tout à faire évoluer les variétés en vue d’un meilleur rendement, d’une productivité accrue, sans toutefois s’écarter desprocessus normaux et naturels de sélection. Les OGM sont donc, à mon sens, un tout autre sujet, sur lequel nous aurons certainement un jour l’occasion de débattre, tout comme nous devrons sans doute distinguer, dans nos futurs débats, les espèces autogames des espèces hybrides, ces dernières ayant un rapport plus lointain avec nos discussions d’aujourd'hui.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier le groupe CRC d’avoir pris l’initiative de réitérer en quelque sorte le débat que nous avions eu en décembre 2011.
Comme cela a été rappelé avant moi, ce débat fait en effet directement référence à la loi Demuynck sur les certificats d’obtention végétale adoptée en décembre 2011.
Élu du Maine-et-Loire, et scientifique de surcroît – j’accumule les défauts !
Sourires.
Mon département abrite en effet, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner lors de nos précédents débats, de nombreuses structures, mondialement connues, spécialisées dans l’obtention et la sélection de variétés végétales : l’Office communautaire des variétés végétales, l’OCVV, la Station nationale d’essais de semences, la SNES, le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, le GEVES, ce dernier regroupant à la fois le ministère de l’agriculture, l’INRA et le groupement national interprofessionnel des semences et plants.
Tout le Val-de-Loire, y compris dans sa partie nord, cher Rémy Pointereau, est réputé pour son climat clément : je n’ai pas besoin de vous rappeler les vers qui célèbrent « la douceur angevine », ni de vous dire que, moi aussi, je peux préférer « mon petit Liré » au mont Palatin !
Sourires.
Je voudrais souligner le rôle primordial des COV dans la protection de la recherche.
Contrairement au modèle du brevet, défendu par les États-Unis, l’Australie et le Japon, le système du COV autorise l’usage des variétés créées pour tout nouveau programme d’amélioration végétale. L’amélioration des plantes étant un processus continu, le droit de propriété conféré au créateur d’une nouvelle variété végétale ne concerne pas l’utilisation de cette variété pour en créer de nouvelles, en particulier en recherche et développement. Ainsi, une nouvelle variété, même si elle fait l’objet d’un COV, peut servir de base au développement de nouvelles variétés sans qu’il y ait de droit à payer ; c’est le modèle des logiciels libres, si l’on veut faire une analogie avec l’informatique.
Ce caractère ouvert offre la meilleure garantie de non-appropriation du vivant. Il existe, entre le brevet et le COV, une divergence quant à l’appropriation, et je considère que le COV reste la meilleure parade contre la brevetabilité du vivant.
En 2011, j’avais soumis au rapporteur de la proposition de loi Demuynck un amendement qu’il avait eu l’amabilité de reprendre et qui mettait en avant la notion de variété découverte, laquelle exclut toute valeur ajoutée apportée par le découvreur. Il est bien évident que, par exemple, le fer se trouvant dans la nature, on ne va pas breveter le fer en vertu de ses propriétés magnétiques ! C’est le même raisonnement concernant les variétés végétales.
Le maintien d’une liberté totale d’accès à la variété protégée, en tant que ressource génétique, est ce qui différencie fondamentalement le certificat d’obtention végétale du brevet. Les COV participent donc de la défense du bien commun en nous prémunissant contre la mainmise de certaines entreprises sur le patrimoine génétique mondial et en garantissant par ailleurs – c’est l’autre bout de la chaîne – le financement de la recherche et développement. Nous savons en effet combien le processus est long avant d’obtenir une nouvelle variété : peu importe la technique utilisée, que ce soit la mutagénèse ou la transgénèse, cela prend du temps et cela a un coût.
Vous l’aurez compris, les COV sont pour moi un modèle qu’il convient absolument de défendre sur le principe, tant au niveau français que sur le plan européen et mondial.
Je ne dresserai cependant pas un panégyrique de la loi de décembre 2011. Certes, elle a permis de mettre enfin en conformité notre droit interne avec la réglementation européenne, notamment en matière de semences de ferme et de variétés essentiellement dérivées. Toutefois, elle n’a pas réglé le problème, loin s’en faut, évoqué par plusieurs orateurs, de l’autoconsommation et de la nécessaire défense du droit des agriculteurs en la matière. Elle n’a pas non plus résolu la question du financement de la recherche publique. Autrement dit, elle n’a pas assuré l’indispensable prise en compte du pluralisme dans les interprofessions non plus que la protection des variétés anciennes.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous n’êtes pas sans savoir qu’aucun texte d’application, à l’exception de celui de juillet 2012, n’est encore paru. Le chantier est ouvert ! Nous sommes dans l’attente d’au moins dix textes réglementaires de toute nature : décrets en Conseil d’État, décrets simples, arrêtés…
Nos amendements avaient permis, en collaboration avec le rapporteur, M. Pointereau, d’améliorer le texte initial.
Nous avions ainsi obtenu que soit précisée, dans la loi, l’interdiction d’octroyer un COV pour les variétés existantes simplement découvertes et n’ayant donc fait l’objet d’aucun travail de recherche ou d’innovation de la part du candidat obtenteur.
S’agissant de la rémunération éventuelle des semences de ferme, nous avions obtenu que son montant soit forcément inférieur à celui de la rémunération payée sous licence, ce qui, pour certains, ne semblait pas aller de soi.
Nous avions aussi progressé sur la difficile question des variétés essentiellement dérivées. Ne disposant ni d’un écran, ni d’un tableau noir, ni d’un vidéoprojecteur, je ne me lancerai pas ici dans un cours sur les VED §notion extrêmement complexe et qui n’est toujours pas éclaircie. Qu’est-ce en effet qu’une variété essentiellement dérivée ? Même en prenant les critères DHS, nous ne savons pas jusqu’où remonter. Si, à partir d’une variété A, une variété B puis une variété C sont obtenues, à qui les droits d’auteur sont-ils dus ? Doit-on remonter jusqu’à A, ou seulement jusqu’à B ?
Rassurez-vous, mes chers collègues, je n’ai pas l’intention de vous soumettre à une interrogation écrite à la sortie de l’hémicycle – j’allais dire de l’amphi…
Nouveaux sourires.
Quoi qu’il en soit, nous avions obtenu que le droit exclusif du titulaire s’étende aux variétés essentiellement dérivées d’une autre variété sauf lorsque cette variété est elle-même essentiellement dérivée d’une autre variété – et je m’arrêterai là, car on peut aller jusqu’à l’infini !
Sourires.
Je sais, monsieur le ministre, que vous n’attendez pas le projet de loi d’avenir agricole pour travailler sur le sujet et que vous avez d’ores et déjà engagé une large concertation. Je tiens cependant à attirer une nouvelle fois votre attention sur le fait qu’une dizaine de textes sont en attente.
S’agissant de la question de la rémunération des semences de ferme, je souhaite pour ma part – il me semble d’ailleurs qu’il s’agit de la procédure retenue par le Gouvernement – que nous prenions exemple sur l’accord blé tendre de juin 2001. Ce dernier a démontré que des solutions pouvaient être trouvées, dans le cadre des interprofessions, entre obtenteurs et agriculteurs. Il faut donner la priorité à ces accords collectifs sur les modalités de fixation de la rémunération des obtenteurs.
En revanche, il faut que le cadre interprofessionnel permette à tous les syndicats d’agriculteurs représentatifs d’être associés à ces accords et qu’il leur donne la possibilité de s’exprimer. Cette remarque est valable, dans le secteur des semences, non seulement pour le GNIS mais aussi pour toutes les interprofessions agricoles.
Il me semble indispensable d’étendre la liste des espèces concernées par les semences de ferme en fonction des besoins exprimés par les agriculteurs. La convention UPOV vise l’ensemble des espèces végétales mais, pour l’instant, le règlement communautaire de base limite la dérogation à vingt et une espèces, auxquelles s’ajoute une espèce fourragère protégée seulement – on se demande pourquoi – au Portugal. Il faut absolument faciliter l’accès des agriculteurs à l’information sur les COV ainsi que sur les droits dus, en améliorant l’étiquetage des semences.
Je souhaite également que les contributions volontaires obligatoires – il fallait tout de même le faire pour trouver un tel concept !
Sourires.
Le soutien à la recherche publique est d’autant plus indispensable que les firmes privées ont parfois tendance à privilégier des variétés qui peuvent, certes, répondre aux impératifs de productivité de l’industrie agroalimentaire, mais qui ne favorisent pas particulièrement la sobriété en matière d’intrants, ces deux aspects n’étant pas nécessairement corrélés ! Il y a pourtant en la matière d’importants progrès à faire. À cet égard, l’échec « annoncé » du plan Écophyto 2018 ne peut que nous encourager à redoubler d’efforts.
Dans mon département, par exemple, l’INRA travaille actuellement sur des semences nécessitant trois fois moins d’intrants à l’hectare pour une production offrant un rendement acceptable. Des solutions existent donc, à condition d’investir dans la recherche et développement sur de nouvelles variétés.
Il faudra entériner le fait que l’on ne peut demander aux agriculteurs de payer des royalties sur des récoltes produites à partir de semences de ferme quand ils autoconsomment sur l’exploitation ces productions, et, en disant cela, je me tourne vers le rapporteur de la loi de 2011 !
M. Rémy Pointereau opine.
Certes, lorsque les productions sont autoconsommées pour l’alimentation animale, il peut y avoir un risque de concurrence éventuellement déloyale s’il s’agit de bétail mis ensuite dans le commerce, mais le problème se pose en tout cas de façon certaine lorsqu’il s’agit de cultures destinées à protéger l’environnement. Je pense évidemment aux fameuses bandes enherbées de cinq mètres le long des cultures. Demander aux agriculteurs de payer des royalties dans ce cas, c’est pousser le bouchon un peu trop loin et il nous faudra au moins corriger ce point.
Il faudra aussi assurer les conditions d’accès des agriculteurs à des variétés tombées dans le domaine public, car sont actuellement seules commercialisées des variétés protégées. À défaut, le marché des semences protégées pourrait être considéré comme captif !
À titre d’exemple, je prendrai le cas d’un agriculteur que je connais et à qui vous pourriez d’ailleurs rendre visite, monsieur le ministre ! §
Il serait cependant tellement plus simple que toute personne physique ou morale puisse disposer d’un libre accès à un tel patrimoine. Cet agriculteur remplit en fait le rôle de conservatoire de variétés anciennes.
La procédure d’inscription au catalogue officiel des variétés anciennes devrait être simplifiée ; les frais d’inscription pourraient, malgré les contraintes budgétaires, être pris en charge et la liste des variétés anciennes étendue.
Pour conclure, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité – et je sais pouvoir compter, monsieur le ministre, sur votre engagement résolu – de veiller au maintien d’une exception COV pour le végétal, mais dans le cadre d’un brevet européen unique. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux saluer l’initiative du groupe CRC, qui nous permet de rouvrir ce débat bien nécessaire.
Les réglementations en matière de semences et d’obtentions végétales s’établissent dans un cadre européen et international. Or le cadre actuel, complexe, est particulièrement complaisant avec les aspirations des grosses firmes semencières.
En France, la loi relative aux certificats d’obtention végétale, publiée le 8 décembre 2011, n’est pas satisfaisante et, si elle permet d’éviter la brevetabilité du vivant, il faut constater qu’elle a provoqué une très vive émotion dans une partie du monde agricole et de la population, mais aussi dans une partie non négligeable de la communauté scientifique.
Privilégiant nettement les droits des obtenteurs, cette loi nie un des droits fondamentaux des agriculteurs en leur interdisant d’utiliser leur propre récolte de variétés protégées par un COV comme semences. Cette interdiction vaut pour la majorité des espèces cultivées à l’exception de vingt et une d’entre elles, dont l’utilisation est soumise au paiement de royalties lors de chaque ensemencement.
Contrairement à ce qui a été trop souvent affirmé, la loi ne se contente pas d’adapter le droit français au regard de nos engagements européens et internationaux : elle renforce les droits des obtenteurs bien au-delà de ce qui est exigé par ces engagements.
Une loi équitable et équilibrée aurait prévu une juste part de revenus pour l’obtenteur d’un COV, mais pas plus. La loi de 2011 reconnaît en effet le travail « d’obtention », c’est-à-dire le travail qui consiste à reproduire une variété végétale en la sélectionnant de manière à ce qu’elle devienne « distincte, homogène et stable », travail qui mérite rémunération, mais la légitimité de la rémunération de l’obtenteur doit se limiter au service qu’il ajoute à un bien commun : pas moins mais, surtout, pas plus !
Or cette loi est dangereusement déséquilibrée. Je ne citerai que quelques exemples.
Premièrement, elle refuse aux agriculteurs le droit, désormais réservé aux seuls obtenteurs, d’utiliser une variété protégée pour en sélectionner une autre.
Deuxièmement, elle généralise aux vingt et une espèces concernées par la loi dite COV le paiement de la contribution volontaire obligatoire blé tendre, alors que cette contribution vise aussi les agriculteurs qui utilisent les dernières variétés non protégées par un COV encore disponibles ou des semences paysannes qu’ils ont eux-mêmes sélectionnées et renouvelées.
Troisièmement, elle ouvre la porte aux brevets français et européens qui interdisent l’utilisation de toute semence de ferme ou paysanne porteuse de gènes brevetés sans la volonté de l’agriculteur.
Quatrièmement, elle ouvre également la porte à un nouveau brevet unitaire européen qui menace d’interdire toutes les semences de ferme de toutes les espèces.
In fine, qu’offre cette loi ? Elle garantit la distinction, l’homogénéité et la stabilité des semences et, de ce fait, contribue à leur uniformisation.
Il faut l’admettre, elle permet à un certain type d’agriculture, qui a son importance, d’orienter clairement sa production. Mais cela convient surtout aux firmes semencières, aux firmes productrices d’intrants et aux firmes publicitaires chargées de promouvoir les nouveaux produits.
Cette loi conduit ainsi à l’uniformisation et à la réduction des variétés de plantes et de graines comestibles, ce qui ne va ni dans le sens de l’intérêt général ni dans celui de l’intérêt supérieur de l’humanité.
À titre d’exemple, la perte de biodiversité cultivée est estimée à 75 % ces cinquante dernières années par une étude de la FAO. Or l’humanité a besoin de cette diversité, qui est un facteur d’adaptation aux climats, aux sols, aux terroirs, aux différents milieux.
Toujours selon la FAO, cinq grandes compagnies semencières contrôlent aujourd'hui 75 % de la semence potagère mondiale. Or le vivant n’est pas un secteur dans lequel le marché doit faire la loi.
Il a fallu 3, 5 milliards d’années d’interactions du vivant pour engendrer la diversité génétique. Puis les sociétés successives ont identifié, sélectionné, échangé cette matière durant plusieurs milliers d’années. Ce bien commun naturel, mais aussi culturel, est patrimoine de l’humanité. Il nous a été transmis et nous avons le devoir de le léguer aux générations futures.
C’est pourquoi nous trouvons inacceptable que la loi entrave les autres pratiques culturales, c’est-à-dire celles des paysans qui échangent régulièrement leurs semences, renouvelant ainsi la variabilité et la diversité des populations indispensables à l’adaptation aux milieux.
Il est de la responsabilité des politiques de lutter contre la mainmise de quelques-uns sur la biodiversité, de garantir le respect des droits de l’ensemble des acteurs, qu’ils soient petits ou grands, ainsi qu’un modèle agricole soutenable et solidaire, à l’échelle tant nationale que mondiale. Cela implique notamment de soutenir le métier de paysan, et non de le fragiliser plus encore.
La loi relative aux certificats d’obtention végétale du 8 décembre 2011 doit donc être ajustée. Elle donne un droit exclusif à l’obtenteur sur la production, la reproduction et la commercialisation des semences ou des plants de sa propre variété, ainsi que sur l’utilisation commerciale de sa dénomination.
La loi, en excluant les semences de ferme et les variétés de ferme, en fait de facto des contrefaçons des variétés commerciales. Pourtant, ces semences « illégales » jouent un rôle que ne peuvent pas remplir les semences commerciales d’obtenteurs : adaptation locale des cultures, limite de la dépendance aux intrants, préservation des populations d’insectes pollinisateurs et de l’ensemble de la biodiversité.
Les semences et les variétés de ferme sont un complément irremplaçable et non un concurrent qu’il faut opposer aux semences d’obtenteurs.
C’est pourquoi nous, écologistes, demandons que soient prises en compte les populations variables ou évolutives multipliées en pollinisation libre ou en sélection massale par les agriculteurs.
Cet élargissement ne peut se faire uniquement par décret, car il nécessite la modification de l’article L. 623.1 du code de la propriété intellectuelle. Cependant, un décret pourrait être pris rapidement afin de mieux protéger les semences de ferme et les semences anciennes.
Parmi les décrets attendus, il en est un en projet sur l’amélioration de la politique des semences. Il met en œuvre l’article 117 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement et l’article 31 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.
Sa publication avait été bloquée par votre prédécesseur, monsieur le ministre. Il vous appartient de le rendre d’actualité et cela en procédant, comme à votre habitude, à de larges consultations, afin d’évoluer vers une meilleure protection de la biodiversité culturale et de la biodiversité globale, qui constituent, je le répète, un patrimoine inestimable pour les générations futures.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues du groupe CRC, qui ont pris l’initiative de ce débat sur le droit de semer et la propriété industrielle.
Ces deux notions sont apparemment contradictoires puisqu’il s’agit, dans un cas, de reconnaître le droit des agriculteurs de ressemer librement une partie de leur récolte et, dans l’autre, de récompenser l’effort de recherche et d’innovation des semenciers par un droit exclusif sur les variétés végétales.
Ces notions sont-elles néanmoins conciliables ? Cette question a été au cœur des débats sur la loi relative aux certificats d’obtention végétale du 8 décembre 2011. Celle-ci devait garantir l’équilibre des droits entre les différents acteurs, en étendant la portée des COV et en autorisant, dans le même temps, l’utilisation de semences de ferme sur la même exploitation, sous réserve d’une indemnisation de l’obtenteur.
Le groupe du RDSE avait choisi de soutenir ce texte, considérant qu’il consolidait un modèle de protection de la propriété industrielle « moins pire » que celui du brevet, qui verrouille de façon dramatique la recherche mais a malheureusement ses partisans.
Le COV est à la génétique ce que le logiciel libre est à l’informatique : c’est une manière d’innover sans bloquer l’innovation chez les utilisateurs puisqu’il laisse la variété protégée librement disponible pour toute sélection d’autres variétés. Ce dispositif est donc une alternative efficace au brevet.
Par ailleurs, la France ayant été pionnière dans la mise en place de ce certificat, adopté maintenant par soixante-neuf pays, il était assez paradoxal qu’elle n’ait pas encore adapté sa propre législation aux standards internationaux.
Cela étant, nous l’avions dit à l’époque, notre position se voulait constructive dans l’attente d’un traitement satisfaisant de la question des semences de ferme au cours de la navette parlementaire.
À nos yeux, il fallait étendre l’autorisation au-delà des vingt et une espèces recensées à l’échelon européen et, au minimum, exonérer de la contribution volontaire obligatoire les agriculteurs utilisant des semences de ferme à des fins d’autoconsommation pour des cultures réalisées en application d’obligations environnementales ou en cas de perturbations sur le marché des semences. Notre collègue Daniel Raoul s’était d’ailleurs battu en ce sens.
C’était bien naïf de notre part puisque le Gouvernement a obtenu un vote conforme à l’Assemblée nationale, nous privant ainsi de revenir sur cette question ! Il est vrai que, entre-temps, le Sénat avait changé de majorité et qu’une navette aurait pu être fatale à l’adoption définitive de la loi…
En réalité, cette question va au-delà de la préservation des capacités de la recherche. Si l’enjeu était celui-là, nous serions tous d’accord.
Chacun a bien conscience que, pour conserver une recherche dynamique dans ce secteur, dans lequel la France est déjà en pointe, les entreprises de semences et de plants doivent pouvoir espérer un juste retour de leurs efforts d’innovation et disposer des mêmes droits que les entreprises concurrentes.
Encore faut-il savoir de quelle recherche on parle : dans quel but, pour quel développement agricole et par qui ?
Il est clair que l’obtention doit sanctionner un réel travail de recherche, en d’autres termes l’innovation. Sur ce point, la loi relative aux certificats d’obtention végétale semble satisfaisante.
Mais l’orientation de cette recherche n’est pas toujours adaptée au contexte actuel. Des blés de pays d’il y a 150 ans au blé tendre d’aujourd’hui, la recherche a fait évoluer les variétés, entraînant une amélioration spectaculaire de la production céréalière nationale, toutes espèces confondues, avec des hausses de rendement considérables. L’apport d’engrais, de produits phytosanitaires, le machinisme, la technique, le savoir-faire et la volonté patiente de l’agriculteur ou encore ses choix de rotation ont aussi largement contribué à cette progression.
Le défi alimentaire impose, certes, de conserver un niveau élevé de productivité, mais il faut aussi prendre en compte les nouvelles aspirations gustatives, le changement climatique et les objectifs de durabilité afin de préserver la capacité de la terre à nous nourrir demain.
De surcroît, certaines grandes firmes ont décidé d’orienter 100 % de leurs programmes de recherche vers des variétés hybrides, non reproductibles à la ferme. Va-t-on donc assister au contrôle de la totalité des semences et de la nourriture par une poignée de multinationales ?
Prenons garde à ce que le droit que nous construisons n’ôte pas aux agriculteurs le rôle de sélectionneurs qu’ils ont toujours joué dans l’histoire de l’agriculture, et ce depuis la révolution néolithique.
Ils ont contribué non seulement à la conservation in situ des semences, mais aussi à la préservation et surtout au renouvellement de la biodiversité cultivée. Le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture de la FAO, approuvé par la France en 2005, reconnaît la considérable contribution, passée, présente et future, des agriculteurs.
En limitant la reproduction aux seuls champs des semenciers, on met la poule aux œufs d’or en danger, car il n’y a aucune commune mesure entre la diversité produite spontanément par des millions de paysans et celle qui résulte industriellement de quelques firmes agro-semencières, dont le mode de fonctionnement est fondé sur l’économie d’échelle et la standardisation.
La loi relative aux certificats d’obtention végétale introduit une nouvelle définition de la variété, issue de la convention de 1991 de l’UPOV, l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales, laquelle s’impose pour tout enregistrement et exclut les variétés population, caractérisées par une large diversité génétique. En effet, seules les lignées pures ou les hybrides F1 sont admis.
Ces variétés standardisées ne peuvent pas s’adapter à la diversité des terroirs et à la variabilité des climats sans recours important aux intrants chimiques. Leur monopole est un frein considérable au développement des agricultures paysannes et biologiques, qui utilisent la diversité et la variabilité intravariétales pour adapter leurs cultures.
Peut-on négliger de préserver le patrimoine génétique que représentent les variétés anciennes sachant que, d’après la FAO, 75 % de la diversité génétique présente dans l’agriculture a déjà disparu au XXe siècle ?
Puisqu’il faudra nourrir 9 milliards d’humains en 2050, il y aura de la place pour des modèles culturaux et culturels divers. Nous devons reconnaître le droit fondamental des agriculteurs à être les inventeurs de leurs choix agronomiques.
Il vous appartient, monsieur le ministre, de prendre les décrets d’application de la loi relative aux certificats d’obtention végétale.
S’il apparaît légitime que la protection conférée à l’obtenteur par un COV s’étende à toute commercialisation de semences de la variété qu’il a sélectionnée, est-il justifié qu’elle s’étende également à la récolte et aux semences produites par l’agriculteur lui-même ? La question est posée.
Il est vrai qu’une grande part des semences de ferme ne reproduit pas l’ensemble des caractères distinctifs de la variété initiale et produit des récoltes vendues sans aucune référence à une variété protégée par un COV.
Quoi qu’il en soit, cette loi ne règle pas la juxtaposition du brevet et du COV, qui reste un problème majeur. Elle ne prévoit rien sur la présence au catalogue des semences libres de droit. Elle ne reconnaît pas les variétés dites « variétés population ».
Il nous paraît donc indispensable d’engager une large consultation des parties prenantes afin d’apporter des réponses à ces différents points lors de l’élaboration des décrets.
Envisagez-vous, monsieur le ministre, de proposer une modification de la législation pour que les semences anciennes et nouvelles appartenant au domaine public et librement reproductibles sortent du champ d’application de la législation actuelle sur le commerce des semences ?
Enfin, qu’entendez-vous faire pour donner les moyens à la recherche publique de relever le défi alimentaire à venir ? §
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à saluer, comme je l’avais déjà fait à l’occasion d’un débat sur la ruralité, la qualité de vos interventions sur un sujet que vous abordez, j’ai pu le constater, en spécialistes.
Les questions relatives aux semences, au végétal, au brevetage du vivant ont été présentées comme des sujets de société et des enjeux éthiques, et, effet, beaucoup de choix devront être faits dans l’avenir afin de déterminer quelle conception de l’agriculture, mais aussi de la société, nous souhaitons promouvoir.
Ce soir, je vais d’ailleurs laisser de côté l’aspect technique, trop vaste pour le cadre de ce débat, et m’en tenir aux grands principes et aux objectifs politiques qui en découlent.
La première question qui est posée porte sur le choix majeur entre le brevetage et l’obtention. Je tiens à dire de manière très claire que je suis, et cela depuis longtemps déjà, pour l’obtention face au brevetage du vivant…
Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles il est préférable de choisir l’obtention plutôt que le brevetage du vivant. Vous l’avez dit, il y a derrière ce choix la préservation d’une liberté essentielle. Le brevetage de l’innovation entraîne une captation qui nous rend directement dépendants non pas des chercheurs, mais de ceux qui se rémunèrent sur la recherche. Il y a là un véritable enjeu.
En tant que ministre de l’agriculture, je tiens donc à défendre l’obtention végétale par rapport au brevetage du vivant.
À partir de là, des questions se posent sur l’application des règles qu’entraîne ce choix, sachant notamment que la France dispose d’un secteur économique des semences qui fait d’elle un pays reconnu et présent à l’échelle internationale dans ce domaine.
J’ai rencontré, il y a quelques semaines, le ministre ukrainien de l’agriculture. Il m’a parlé de beaucoup de choses, à propos desquelles, d’ailleurs, je n’ai pas forcément répondu. Une question l’intéressait plus particulièrement, celle des semences. Il s’adressait au ministre de l’agriculture français parce qu’il savait que, derrière lui, toute une industrie était susceptible de lui apporter des garanties et les moyens de développer la production céréalière dans son pays.
Il y a donc bien là un enjeu économique.
Il se trouve, en outre, que l’on a, dans ce secteur, ce que l’on recherche dans beaucoup d’autres : un tissu de PME-PMI. D’ailleurs, leur nombre crée par lui-même de la diversité dans le choix des semences. C’est aussi, à mon sens, un élément dont il faut tenir compte.
J’ajoute que, d’après les chiffres que l’on m’a donnés, il s’agit d’un secteur qui investit de 13 % à 15 % de son chiffre d’affaires dans la recherche, ce qui en fait l’un des secteurs qui consacre le plus de fonds à celle-ci. Il finance ainsi la recherche privée, bien sûr, mais également la recherche publique, comme l’a dit M. Raoul.
On a là les éléments sur la base desquels je souhaite que l’on discute : un choix stratégique, celui de l’obtention, un secteur économique qui s’appuie sur un tissu de PME-PMI et une recherche qui trouve à se financer au travers du système mis en place.
Une seconde question se pose ensuite, qui est liée elle à l’histoire de l’agriculture et au rôle qu’ont eu les paysans et les agriculteurs au cours des siècles dans l’amélioration des semences végétales. Ainsi, entre les premiers épeautres et les blés actuels, des modifications majeures se sont produites ; résultat de la sélection empirique, de l’expérience et de la transmission de celle-ci, l’amélioration des semences a ensuite été permise aussi par la recherche académique et scientifique.
Je voudrais donc que l’on abandonne l’idée selon laquelle il y aurait d’un côté la science, qui ferait avancer les choses, et, de l’autre, un monde agricole qui en serait dépendant. À cet égard, Michel Griffon, défenseur de l’agriculture écologiquement intensive, utilise une notion intéressante, celle de la « science implicative ». Les chercheurs cherchent, bien entendu, mais ils peuvent également s’appuyer sur l’expérience des agriculteurs. Il y a là un effet dialectique qui peut être tout à fait fructueux et permettre d’avancer de manière globale.
C’est tout le sens du débat entre Gérard Le Cam et Joël Labbé, dont les positions diffèrent sur la sélection des semences opérée par les agriculteurs eux-mêmes. Mais, au-delà, chacun a conscience, et c’est ce qui m’a frappé, de la nécessité de préserver un équilibre qui, personnellement, me semble positif. Or, basculer dans un sens ou dans l’autre pourrait le remettre en cause.
C’est ce qui m’amène au second principe : il faut préserver l’équilibre entre, d’une part, notre capacité à disposer d’un secteur économique de production de semences qui fonctionne et à financer une recherche qui permet à notre pays d’être reconnu à l’échelle mondiale, et, d’autre part, la liberté laissée aux agriculteurs de faire des choix.
Voilà les deux grands principes sur lesquels je veux que s’appuie la concertation que nous allons ouvrir au sein du ministère de l’agriculture pour aboutir aux fameux décrets en suspens. D’après ce que l’on me dit d’ailleurs, ce sont non pas dix, mais quatre décrets et un arrêté qui seraient en attente de publication, …
… publication qui pourrait intervenir d’ici à la fin du premier semestre 2013.
Au cours de cette concertation, nous allons donc tenter, sans l’abroger ni la remettre en cause, d’améliorer la loi afin de parfaire cet équilibre auquel je suis attaché. C’est, je le répète, la ligne que je souhaite voir retenue.
La concertation pourra, bien sûr, porter aussi sur plusieurs des points qui ont été évoqués ce soir.
Ainsi, s’agissant de l’autorisation des espèces pour les semences de ferme, il faudra évidemment augmenter le nombre d’espèces autorisées.
S’agissant de la rémunération, il me semble que l’on pourrait s’appuyer sur le principe d’une médiation pour conclure des accords interprofessionnels dans ce domaine, sur le modèle de ce qui a été fait pour le blé tendre.
Ces accords doivent permettre d’engager le débat sur la biodiversité et de trouver des solutions pour le financement de la recherche, tout en préservant la possibilité d’avoir recours à des semences de ferme.
Il faudra cependant que notre réflexion sur l’ensemble des variétés de semences, et en particulier sur les variétés anciennes, reste au sein du cadre actuel. Il faut, certes, que nous soyons ouverts et que ces variétés continuent à pouvoir être utilisées, mais elles doivent l’être dans le cadre que nous connaissons, c'est-à-dire celui du catalogue. Je le précise, je suis favorable à l’extension des espèces autorisées.
Agir dans un cadre, ce serait être corseté, sortir du cadre, ce serait être libre ? On peut très bien évoluer librement dans le cadre général et c’est en tout cas l’objectif que nous visons !
S’agissant de la question spécifique de la recherche, je suis attaché à un système de financement qui permette demain, comme c’est le cas aujourd’hui, d’avoir recours aussi bien à la recherche publique qu’à la recherche privée, car l’une et l’autre peuvent et doivent concourir à l’amélioration des semences.
J’évoquerai encore un point, d’ordre législatif. Je réfléchis au moyen d’encourager les échanges de semences de ferme entre agriculteurs et je pense que les groupements d’intérêt écologique et économique que nous allons mettre en place avec la loi d’avenir agricole nous permettront de le faire. Il ne s’agit pas d’ouvrir territorialement la possibilité de ces échanges, car se poserait immédiatement la question du niveau du tonnage ou du territoire sur lequel il s’applique, mais, dès lors que l’on s’engage dans ce processus collectif, il ne devrait y avoir aucun problème.
Tels sont les enjeux que je retiens du débat de ce soir, même s’il porte aussi sur d’autres questions, comme celles des semences paysannes. Différentes des semences de ferme, elles ne répondent cependant pas, du fait de leur variabilité, à l’exigence de stabilité, qui fait partie des critères pour l’obtention végétale. Si toutefois des semences paysannes étaient stables, aucune raison ne s’opposerait à ce qu’elles entrent dans ce cadre.
En conclusion, nous devons être ouverts, et c’est ce à quoi le ministère s’engage, tout en gardant le cadre fixé par loi de 2011 et nous devons avoir pour objectif, je le répète parce que c’est fondamental, de défendre le système de l’obtention par rapport à celui du brevetage.
Que les États-Unis, l’Australie et le Japon aient opté pour le système du brevetage alors que la France et l’Allemagne ont défendu celui de l’obtention dans la négociation qui a eu lieu à l’échelle européenne est symptomatique de l’enjeu stratégique qui s’attache à ce choix.
Je suis donc satisfait de cette discussion, mesdames, messieurs les sénateurs, et ouvert au débat qui va s’engager. J’ai bien compris que la loi de 2011 avait suscité de nombreuses questions. Elle permet toutefois des améliorations et fixe des objectifs que son rapporteur a rappelés. En cela, elle constitue une base que nous pourrons améliorer et adapter, tout en restant dans le cadre qu’elle fixe, car c’est ce cadre qui, tout en garantissant la liberté des agriculteurs, permet de financer la recherche et de préserver un secteur économique. Il doit en effet continuer à faire de la France un leader dans le secteur de l’agro-écologie tout en assurant la performance, c’est-à-dire la viabilité, économique et écologique de notre agriculture, pour ne pas dire de nos agricultures !
En matière de semences, des champs, si je puis dire, sont ouverts…
Nous en avons terminé avec le débat sur le droit de semer et la propriété intellectuelle.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 28 mars 2013 :
De neuf heures à treize heures :
1. Proposition de loi relative à l’instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance (n° 350, 2012-2013) ;
Rapport de M. Ronan Kerdraon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 433, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 434, 2012-2013).
À quinze heures :
2. Questions d’actualité au Gouvernement.
De seize heures quinze à vingt heures quinze :
3. Proposition de loi visant à l’abrogation du délit de racolage public (n° 3, 2012-2013) ;
Rapport de Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n° 439, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n°°440, 2012-2013).
4. Question orale avec débat n° 2 de Mme Aline Archimbaud à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les droits sanitaires et sociaux des détenus.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures quinze.