Intervention de Dominique Braye

Commission des affaires économiques — Réunion du 27 mars 2013 : 3ème réunion
Audition de M. Dominique Braye président de l'agence nationale de l'habitat

Photo de Dominique BrayeDominique Braye, président de l'Agence nationale de l'habitat :

J'ai toujours pensé qu'une bonne idée doit s'imposer, d'où qu'elle vienne. J'étais le Beppe Grillo de l'époque !

Le rapport sur la copropriété que je viens vous présenter aujourd'hui m'a été commandé en juin 2011 par le ministre d'alors, Benoist Apparu. Je m'étais vite aperçu, lorsque j'ai pris fonctions à l'Anah, que c'était là un problème majeur dans le pays, qui risquait d'avoir des conséquences explosives si nous ne le traitions pas. En vérité j'ai été surtout l'animateur de ce rapport, dont la cheville ouvrière fut, entre autres, un brillant polytechnicien, Laurent Girometti, ainsi que Soraya Daou, de l'Anah, ici présente également. Ils m'ont en particulier aidé, pour aboutir à des solutions concrètes, à constituer un groupe de travail réunissant tous les acteurs : Caisse des dépôts et consignations, Union sociale pour l'habitat (USH), Fédération des entreprises publiques locales, etc. J'ai aussi rencontré ceux qu'on m'avait dissuadé de rencontrer : M. Bruno Dhont, directeur de l'Association des responsables de copropriété (ARC), les professionnels, les élus, etc...

Notre pays compte 560 000 copropriétés, ce qui représente environ 6,2 millions de logements ; 85 % d'entre elles se portent bien, mais 15 % d'entre elles, soit environ 800.000 à un million de logements, connaissent des difficultés qui peuvent aller jusqu'à la fragilité, une vingtaine étant dans de très graves difficultés. La copropriété est un système complexe et fragile. Son équilibre repose sur cinq piliers, dont chacun peut être fragilisé : l'état du bâti, le fonctionnement des instances décisionnelles, la gestion financière, la solvabilité des copropriétaires et les modes d'occupation - les intérêts peuvent être incompatibles, surtout lorsque les propriétaires-bailleurs sont nombreux.

La question des copropriétés fragiles a émergé dans les années quatre-vingt, dans des grands ensembles ou des immeubles de la reconstruction commençant à vieillir. L'Anah, qui s'occupe de l'habitat indigne ou dégradé, fut saisie. Elle ne reste pas inactive : en 2011 elle a dépensé 91 millions d'euros, et elle agit souvent en synergie avec l'Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru) dans le cadre de projets de renouvellement urbain. Malheureusement, l'intervention publique est toujours trop tardive. Elle arrive au moment où elle coûte le plus cher, et a le moins de chance de succès. Le but est donc d'intervenir plus tôt. Mieux vaut prévenir que guérir, le rapport le dit bien.

Ancien vétérinaire, j'ai conscience qu'il faut bien connaître son malade pour porter le bon diagnostic et prescrire le bon traitement. La connaissance des copropriétés était inexistante lorsque j'ai commencé le rapport : dix-huit observatoires produisaient des éléments d'information trop divers pour être comparables, chaque élu mettant en avant certains critères plutôt que d'autres. Le terme même de copropriété n'était pas défini, encore moins la copropriété dégradée. Première mesure, donc : développer des outils d'observation pour connaître la réalité. Nous avons mis en place, avec la Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature, (DGALN), un système de pré-repérage. Nous avons créé un pôle national d'appui et de connaissance à l'Anah. Il convient d'immatriculer les copropriétés.

Le régime juridique de la copropriété est inutilement compliqué. Les parlementaires doivent le simplifier. Conçu lorsque les copropriétés furent créées, il n'est plus adapté aux graves problèmes que certaines rencontrent aujourd'hui.

La première chose est de créer des copropriétés viables. Les promoteurs doivent prendre en compte cette exigence. Au-delà d'un certain nombre de logements, une copropriété devient impossible à gérer. Les équipements communs doivent être adaptés, et ne pas entraîner de charges futures excessives pour les copropriétaires. La pratique de la division en volumes, à laquelle ont recours de plus en plus d'architectes sur des ensembles immobiliers non complexes, aboutit parfois à faire payer une partie des charges par certains copropriétaires et non par tous : un encadrement législatif s'impose. La copropriété n'est certes pas adaptée à certains types de logements spécifiques : parfois, il vaut mieux créer des sociétés civiles immobilières (SCI), je songe aux résidences étudiantes, aux résidences pour personnes âgées. Enfin, les mises en copropriété d'immeubles existants doivent être mieux encadrées et accompagnées.

Il faut ensuite apprendre à gérer un patrimoine en commun : j'ai pu constater, en me rendant à un colloque sur la copropriété au Canada et au Québec, combien cela semblait plus simple dans les pays nordiques que chez nous : à l'évidence, les Français sont moins à l'aise avec le préfixe « co- » qu'avec le mot « propriété » ! L'intérêt individuel prime sur l'intérêt collectif. Les parties communes sont perçues comme n'appartenant à personne alors qu'elles appartiennent à tout le monde, et que leur bonne gestion nécessite de raisonner sur le moyen ou long terme.

Un immeuble n'est pas éternel : il vieillit, il faut l'entretenir. La principale mesure préconisée par le rapport est de généraliser le triptyque : diagnostic de l'état de la copropriété, plan pluriannuel de travaux, et mise en place d'un fonds de travaux obligatoire, instituant une forme de financement de l'« usure » des parties communes et en lissant l'effort financier des copropriétaires pour y faire face. Mme Duflot, je m'en réjouis, nous a entendus. Le plan pluriannuel répondrait au diagnostic, qui lui-même remplacerait les diagnostics multiples et thématiques, mais en s'adaptant aux capacités financières des copropriétaires. Le ministère de la Justice estime que le fonds de travaux obligatoire est assimilable à de l'épargne forcée ; il n'en est rien, c'est tout simplement de l'amortissement. N'est-il pas anormal qu'un copropriétaire resté dix-neuf ans ne paie rien pour la réfection périodique d'une toiture qui intervient la vingtième année, et que celui qui lui succède paie la totalité ? Ce fonds sera attaché non pas au copropriétaire mais au lot : lors de la vente, le vendeur ne le récupère pas, il compense l'usure intervenue pendant son occupation. Les syndics, comme le gouvernement, résistent à l'idée de compte séparé : les dépôts financiers des copropriétaires produisent des intérêts perçus par les syndics et taxés par l'État, tout cela au détriment des copropriétés. Soyez fermes ! Des comptes séparés permettraient de détecter beaucoup plus vite les impayés, et donc d'accroître les chances de les récupérer. Il faut rétablir une vraie confiance entre syndics et copropriétaires.

Un bilan de l'arrêté dit Novelli, qui détermine la répartition entre charges particulières et charges générales, ne serait pas inutile. Tout ce qui n'est pas dans les charges générales est dans les charges particulières : il faut inverser cette logique. Les syndics multiplient les lettres en cas d'impayés, au lieu de procéder rapidement à une mise en demeure, point de départ d'une procédure... Les charges particulières doivent être précisément définies.

Il conviendrait également de favoriser l'information des futurs acquéreurs. Il est frappant de voir combien ceux-ci font souvent preuve de légèreté : ils examinent chaque centimètre carré de la voiture qu'ils veulent acheter mais achètent sur un coup de coeur un bien immobilier, sans rien étudier ! Un moyen simple de les informer serait de leur remettre une fiche synthétique sur l'état de la copropriété, très sommaire : nous savons bien que donner des centaines de pages, comme le font les notaires et les professionnels, sert à noyer les personnes sous l'excès d'information. Il faudrait aussi que les charges courantes prévisionnelles figurent dans les annonces. L'acheteur doit disposer de toutes les informations dès la signature du compromis, afin que son rêve ne devienne pas un cauchemar. Il suffit de faire courir le délai de rétractation à la date de communication de l'ensemble des documents requis, et ceux-ci seront, en totalité, transmis avec la plus grande diligence !

Pour les copropriétés dont les difficultés sont les plus grandes, il faut renforcer l'action publique. Nous en distinguons trois catégories : les copropriétés fragiles, les copropriétés en difficulté mais qu'on peut redresser, et les copropriétés considérées en « coma dépassé », pour lesquelles le redressement n'est plus possible à structure constante, ce qui appelle des mesures extraordinaires. L'action publique doit être orientée vers la prévention. Il faut mettre en place un dispositif de veille et d'observation locale des copropriétés : l'Anah peut aider les collectivités à le faire, dans un premier temps à titre expérimental grâce au dispositif de soutien des collectivités, dans le cadre des politiques locales de l'habitat. Il convient également d'informer et de sensibiliser les copropriétaires de copropriétés fragiles.

Comment, s'agissant des copropriétés que l'on peut encore redresser, améliorer le traitement ? En intervenant simultanément sur tous les piliers qui sont fragilisés. Chaque copropriété doit faire l'objet d'un diagnostic précis. Il faut ensuite choisir soigneusement la stratégie à suivre. Un exemple impressionnant m'en a été donné récemment dans le Maine-et-Loire, où une action judicieuse et concertée a donné des résultats spectaculaires ; à l'inverse, comme dans telle grande ville du Poitou-Charentes, les résultats peuvent être très mauvais si l'on n'utilise pas les bons outils. L'ingénierie opérationnelle doit être bien pensée : une convention avec le procureur de la République peut être nécessaire. Le cadre contractuel est privilégié dans les partenariats. Les moyens doivent être mobilisés et un appui national est indispensable.

Pour les copropriétés les plus en difficulté, un traitement sur mesure est nécessaire. L'administration provisoire doit être améliorée : il faut parfois pouvoir se passer des assemblées générales, trop lourdes à convoquer. Je propose un traitement des dettes des charges qui puisse aller jusqu'à l'effacement, comme on fait pour une entreprise en faillite. La scission juridique de la copropriété doit être facilitée, notamment dans les très grands ensembles immobiliers. Des mécanismes doivent permettre d'effectuer des travaux, dont le financement doit être sécurisé. Un recours accru au portage fait l'objet de nombreuses réflexions. Ma première expérience à ce sujet à Mantes-la-Jolie n'a pas été un succès ! Nous avions entrepris un portage massif, coûteux, que nous avons heureusement pu dénouer parce que le quartier s'est transformé rapidement. Par la suite, nous avons modifié notre façon de faire, avec des opérations de portage plus ciblées...

Le régime de sortie de copropriété peut être simplifié : des expériences intéressantes ont vu le jour, avec des bailleurs sociaux qui rachètent l'ensemble et laissent pendant douze ans la possibilité aux copropriétaires devenus locataires de racheter leur lot.

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