Intervention de Jean-Jacques Mirassou

Réunion du 28 mars 2013 à 9h00
Journée nationale de la résistance — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Jacques MirassouJean-Jacques Mirassou :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 27 mai 2013, il y aura exactement soixante-dix ans qu’a eu lieu la première réunion consécutive à la création du Conseil national de la Résistance, présidée par Jean Moulin. Il n’est pas inutile, bien au contraire, de rappeler dans quelles conditions cette création a eu lieu.

Depuis le 11 novembre 1942, la zone dite « libre » n’existe plus. L’occupation du pays est totale et l’Allemagne nazie, aidée en cela par le régime complice de Pétain, accentue de plus en plus la répression des mouvements de résistance.

Du reste, ces différents mouvements s’étaient spontanément constitués depuis la défaite et l’appel lancé le 18 juin 1940 par le général de Gaulle. Mais l’absence de coordination fragilise la Résistance et l’empêche d’être aussi efficace qu’elle pourrait l’être, tant dans ses actions de terrain, dans son combat quotidien, que dans la portée de son message à destination des populations.

C’est la raison pour laquelle le général de Gaulle et l’ensemble des dirigeants de la France libre ont très rapidement compris la nécessité d’unifier les différents mouvements de Résistance à travers la création du Conseil national de la Résistance.

Cette mission a été confiée par le général de Gaulle à Jean Moulin, son délégué, qui est parachuté en France en janvier 1942. Pendant plus d’un an, Jean Moulin rencontre les dirigeants de la Résistance, gagne leur confiance tout en leur apportant soutien matériel et en les incitant à travailler ensemble.

Ces efforts aboutissent à la création du Conseil national de la Résistance, le 27 mai 1943.

La réunion constitutive se tient à Paris, au premier étage du 48, rue du Four, chez René Corbin. Le Conseil national de la Résistance, sur l’initiative de Jean Moulin, secondé de Pierre Meunier et de Robert Chambeiron, était composé de dix-neuf personnes, toutes recherchées par l’occupant, qui se sont réunies bien sûr dans la plus grande clandestinité.

Il s’agit des représentants des huit grands mouvements de résistance et des deux grands syndicats d’avant-guerre – la CGT et la CFTC – ainsi que des représentants des six principaux partis politiques de la IIIe République se reconnaissant dans les idéaux républicains.

La création du Conseil national de la Résistance constitue à plus d’un titre un acte fondateur, car il aura permis de regrouper en son sein des personnalités venant d’horizons différents et qui, en transcendant leurs différences, ont su privilégier ce qui les rassemblait avant tout, c’est-à-dire leur attachement indéfectible à la République et à ses valeurs, à la nécessité absolue de les défendre.

À partir de là, le Conseil national de la Résistance s’est assigné deux missions : la mise en œuvre d’un plan d’action immédiat, aussi efficace et implacable que possible, de lutte contre l’occupant et Vichy jusqu’à la libération du pays ; l’élaboration, à plus ou moins long terme, de mesures à appliquer après la Libération – c’est ce qu’il est convenu d’appeler « le programme du Conseil national de la Résistance » – dans le but de restaurer dans notre pays la démocratie sous toutes ses formes, de mettre en place les réformes économiques et sociales qui ont façonné notre modèle de société, lesquelles prévalent encore de nos jours et qu’il nous appartient de préserver.

Le CNR aura donc réussi son formidable pari, tant dans le combat qu’il a mené contre l’occupant que dans le redressement du pays à partir de la Libération.

La disparition tragique de Jean Moulin, après son arrestation à Caluire le 21 juin 1943 et les terribles sévices qui lui ont été infligés, aurait pu, on s’en doute, déstabiliser et mettre en péril le Conseil national de la Résistance. Pourtant, l’organisation et le cloisonnement renforcé du dispositif auront permis de franchir cette épreuve sans remettre en cause la pérennité du CNR, qui représentera jusqu’au bout la légitimité de la France du refus de la capitulation et de l’occupation.

Du reste, c’est bien parce que le général de Gaulle a incarné cette légitimité qu’il a pu s’affirmer, à juste titre, comme le représentant de l’ensemble de la France combattante. C’était le passage obligé pour que notre pays puisse reconquérir sa souveraineté en retrouvant sa place à la table des vainqueurs et en échappant ainsi à sa mise sous tutelle par les Alliés à partir de la Libération. Ce n’était pas chose acquise.

Voilà donc, mes chers collègues, rapidement résumée, quelle fut l’épopée du Conseil national de la Résistance, de ceux qui l’ont animé et de tous ceux qui ont payé au prix fort, celui de leur vie, leur refus de se soumettre à un ordre totalitaire, tout en exprimant leur volonté de voir leurs concitoyens reconquérir, dans un deuxième temps, l’exercice de leurs droits fondamentaux dans un système politique démocratique, apaisé et tourné vers l’avenir.

Incontestablement, le personnage le plus emblématique du Conseil national de la Résistance est Jean Moulin, qui a payé au prix du sacrifice suprême l’attachement à son idéal.

Fort légitimement, il repose depuis le 19 décembre 1964 au Panthéon.

À travers sa personne, la « reconnaissance de la patrie aux grands hommes » concerne l’ensemble des résistantes et des résistants, qui, parfois très jeunes, ont pris toute leur place au service de la République. Ils font partie, incontestablement, de ceux que Victor Hugo, dans son poème Hymne, a célébrés par anticipation comme des martyrs, des vaillants, des forts.

N’y aurait-il que ce que je viens d’évoquer à l’instant, cela suffirait largement à mes yeux pour justifier la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter, dont l’article 1er instaure une journée nationale de la Résistance destinée à assurer la transmission de la mémoire de cette partie de l’histoire de notre pays, tout en rendant un hommage légitime et appuyé à ceux qui en ont été les acteurs, et dont certains vivent encore.

Bien sûr, certains esprits chagrins, une fois de plus, ont estimé que l’adoption d’une telle proposition de loi ferait courir le risque d’un « encombrement » du calendrier mémoriel.

À ceux-là, je réponds très facilement qu’aucune commémoration officielle, qu’il s’agisse de la journée nationale de la déportation, du 8 mai, du 18 juin ou du 16 juillet, n’est dédiée spécifiquement au Conseil national de la Résistance et, d’une manière plus générale, à la Résistance.

Par ailleurs – faut-il l’ajouter ? –, un sondage CSA publié en juillet 2012 fait ressortir que 67 % des jeunes de quinze à dix-sept ans et 60 % des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans ignorent ce que fut la rafle du Vél’ d’Hiv. Cela démontre, de manière indiscutable à mon sens, qu’il y a encore fort à faire pour que les jeunes de notre pays aient une connaissance plus précise de cette période dramatique et cruciale de l’histoire de la France.

Dans le même temps, 85 % de nos concitoyens considèrent qu’il est important de transmettre aux jeunes cette mémoire et les enseignements que l’on peut en tirer.

En effet, force est aussi de constater que, de nos jours, le négationnisme et le révisionnisme connaissent une montée en puissance, et qu’un certain nombre de démocraties ont du mal à contenir la résurgence de partis néonazis.

Il est donc parfaitement indispensable que notre jeunesse accède à un niveau de connaissance du passé lui permettant d’appréhender dans les meilleures conditions son propre avenir en retenant les leçons de l’histoire.

Faut-il, au prix d’une répétition à mon sens bienvenue, citer une nouvelle fois Winston Churchill : « Celui qui ignore son passé se condamne à le revivre ! » ?

On comprendra donc facilement que, au-delà de la reconnaissance et de l’hommage rendu par cette future loi à l’ensemble des résistantes et des résistants, il y a également l’opportunité d’engager une démarche éminemment pédagogique à l’égard de notre jeunesse.

Bien sûr, le concours national de la Résistance et de la Déportation organisé conjointement par le ministère de l’éducation nationale et les collèges connaît chaque année un réel succès, grâce également à l’implication des anciennes résistantes et anciens résistants. Toutefois, il faut bien constater que ces exercices ne sont pas suivis partout, en particulier dans les collèges implantés dans des quartiers où la citoyenneté gagnerait à faire un bond en avant.

Est-il besoin de préciser également – et cela me semble déterminant – que le monde combattant, et singulièrement les associations les plus emblématiques de la Résistance au premier rang desquelles figure l’association nationale des anciens combattants et amis de la Résistance, réclame depuis plusieurs décennies, à juste titre, l’instauration d’une journée mémorielle ? J’ajoute que de nombreuses collectivités territoriales – communes, départements et régions – relayent depuis bien longtemps cette demande par des dépôts de vœu ou des demandes de résolution.

Voilà donc, mes chers collègues, s’agissant de l’hommage nécessaire à rendre à la Résistance et à ses acteurs ainsi que de la transmission de la mémoire aux plus jeunes d’entre nous, ce qui justifie l’article 1er de cette proposition de loi qui vise à instaurer une journée nationale de la Résistance, le 27 mai de chaque année.

Des cérémonies patriotiques seront organisées au cours de cette journée qui ne sera ni fériée ni chômée, comme le précise l’article 2.

L’article 3 de la proposition de loi, quant à lui, concerne ce que j’appellerai le volet pédagogique à mettre en place à l’égard de notre jeunesse.

Il a fait l’objet d’une concertation avec l’excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, Ronan Kerdraon, afin d’aboutir à une rédaction plus en adéquation avec le point de vue du corps enseignant. Les actions éducatives évoquées visent pour des raisons évidentes les élèves du collège et du lycée qui ont atteint l’âge critique leur permettant de mieux appréhender ces données historiques.

Le volet pédagogique doit à mon sens permettre de faire une démonstration. Celle-ci part du constat très simple selon lequel, au moment où notre pays, écrasé sous la botte nazie et par le régime de Vichy, était prêt à sombrer dans le désespoir et la résignation, il s’est trouvé des femmes et des hommes qui, en initiant la Résistance, ont engagé la lutte contre l’occupant, se démarquant ainsi très fortement de ce désespoir et de cette résignation et faisant le pari de l’avenir.

Parallèlement, et ce n’est pas la moindre des choses, ces femmes et ces hommes se sont attachés, dans un formidable élan de volontarisme et de lucidité, à imaginer, en 1943, ce que serait la société de demain, celle qui allait se mettre en place après la Libération.

Cette démarche éminemment politique, au sens le plus noble du terme, a vu sa concrétisation dans le programme élaboré par le Conseil national de la Résistance, dont la première édition mentionnait en surtitre : « Les jours heureux ».

C’était aussi la démonstration que, tant que la perspective de la victoire alliée n’était pas acquise, un acte politique pouvant paraître virtuel pendant l’occupation était de nature à rompre le fatalisme et à influer fortement sur le cours des choses.

C’est à mes yeux – et je pense que vous partagerez mon point de vue – le sens premier d’un acte politique majeur.

C’est dire que, au moment où s’opère au sein de l’opinion publique, et singulièrement de la jeunesse, une distanciation avec le monde politique, il y a là matière à réflexion pour arriver à réconcilier nos concitoyens avec la chose publique.

Cette réflexion s’adresse également aux élus que nous sommes, qui ont parfois trop tendance à céder au confort intellectuel, dans le meilleur des cas, voire à une forme de résignation.

Il faut donc aller chercher sans cesse dans cette tranche d’histoire, et auprès de ceux qui l’ont faite, les raisons d’espérer et la volonté, à travers des décisions politiques, de construire une société plus juste, plus fraternelle, dans le cadre d’une République que nous devons sans cesse rénover.

En votant cette proposition de loi, je vous invite, mes chers collègues, à apporter notre modeste contribution à cette belle entreprise. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion