Intervention de Stéphane Mazars

Réunion du 28 mars 2013 à 15h00
Abrogation du délit de racolage public — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Stéphane MazarsStéphane Mazars :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le 13 novembre 2002, le ministre de l’intérieur de l’époque, chargé de défendre le projet de loi pour la sécurité intérieure, déclarait dans cet hémicycle que la création du délit de racolage passif était destinée à protéger les personnes prostituées. « L’argument est lumineux dans sa simplicité », avait-il même ajouté.

Dix ans plus tard, nous ne pouvons que constater que les objectifs n’ont pas été atteints, bien au contraire.

Souvenons-nous que la loi du 18 mars 2003 avait été débattue dans un contexte particulier, où le sentiment d’insécurité – réelle ou ressentie – était invoqué pour justifier un durcissement de notre droit pénal, sans autre approche que la répression. Il s’agissait déjà d’appliquer une méthode qui, hélas ! a fait florès par la suite : répondre par une loi à un fait divers, ou encore légiférer sous l’influence non pas de la raison, mais de l’émotion.

Nous savons à quel point cette manière d’élaborer notre droit est inefficace, qu’il s’agisse de lutter contre les réseaux de prostitution ou contre tout autre type d’infractions.

La situation de la prostitution dans notre pays est complexe à appréhender, dans la mesure où les formes mêmes de la prostitution sont multiples, en particulier depuis l’explosion d’internet.

Le nombre de personnes prostituées est d’ailleurs sujet à débat : selon l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, notre pays compterait entre 18 000 et 20 000 personnes prostituées, cette estimation étant contestée par le Syndicat du travail sexuel, qui pour sa part avance le chiffre de 300 000 personnes concernées.

Quoi qu’il en soit, ces personnes, souvent d’origine étrangère, sont pour la plupart les victimes de réseaux criminels.

Le racolage passif a été incriminé par notre droit en 1939, avant d’être transformé en délit par la loi Marthe Richard de 1946. Ramené au rang de simple contravention en 1958, il fut supprimé en 1994, en raison de l’imprécision de ses éléments constitutifs, qui rendait, en pratique, sa poursuite impossible.

Le rétablissement de ce délit en 2003 n’a pas été assorti des outils juridiques permettant de lutter efficacement contre les réseaux mafieux de prostitution apparus au cours des années quatre-vingt-dix.

L’objectif était avant tout d’écarter de la voie publique les personnes prostituées affichant un comportement considéré alors comme outrancier ou dérangeant, afin de pouvoir faire comme si la prostitution, devenue invisible, avait été éradiquée.

Certes, la diminution de la visibilité de la prostitution sur la voie publique a été patente les deux premières années. Toutefois, la situation s’est rapidement inversée, dès lors que le nombre de personnes mises en causes et le taux de poursuites n’ont cessé de reculer.

Le nombre de condamnations pour racolage passif s’est effondré, passant de 1 000 en 2005 à 206 en 2009. La grande majorité des peines prononcées sont désormais des amendes. En 2009, une peine d’emprisonnement, dans la plupart des cas assortie de sursis, a été prononcée dans trente cas seulement.

Aujourd’hui, comme l’a relevé Mme la garde des sceaux, les parquets recourent presque systématiquement aux mesures alternatives aux poursuites pénales, comme le rappel à la loi.

Mes chers collègues, on ne résout pas un problème social comme celui du sort des personnes prostituées exploitées en se bornant à le placer hors de notre champ de vision !

Le rapport d’information sur la prostitution en France, remis en avril 2011 par notre collègue député Guy Geoffroy, pourtant membre de l’ancienne majorité, dresse un bilan accablant de la mise en œuvre du délit de racolage passif depuis sa création. À rebours de l’intention initiale du législateur, ce délit a engendré des effets pervers, qui globalement n’ont fait qu’aggraver la situation des personnes concernées.

Cela a déjà été dit, la répression du racolage passif n’a fait que déplacer les lieux de prostitution, sans avoir d’effet réel sur le niveau de l’activité prostitutionnelle, vers les zones périurbaines, où les personnes prostituées sont davantage exposées à des risques d’agression.

De surcroît, le statut de délinquants dont sont désormais affublées ces personnes les place en situation de fragilité et d’infériorité face aux clients ou aux proxénètes, qui exercent sur elles chantages et menaces.

En conséquence, l’effet le plus notable de l’application de cette mesure a été le renforcement de l’influence des réseaux de proxénétisme. En effet, la fragilisation des personnes prostituées, notamment de celles qui sont entrées clandestinement sur le territoire français, souvent en contractant une dette de passage, les oblige à se placer sous la dépendance de proxénètes.

Enfin, on ne peut naturellement passer sous silence les grandes difficultés en matière d’accès aux soins et les conditions d’hygiène dramatiques dont pâtissent ces personnes. À cet égard, je tiens à saluer le rôle des associations, qui œuvrent dans un contexte difficile pour diffuser des messages de prévention et assurer une indispensable prise en charge sanitaire et sociale.

Mesdames les ministres, vous avez annoncé la présentation prochaine d’un projet de loi relatif à la prostitution. Les membres de mon groupe s’en réjouissent, car c’est bien une politique publique globale qu’il convient de définir aujourd’hui, afin bien sûr de lutter contre les réseaux d’exploitation des personnes prostituées, mais aussi d’assurer une meilleure prise en charge sanitaire et sociale de ces dernières.

L’abrogation du délit de racolage passif, pour indispensable qu’elle soit, ne peut constituer une fin en soi. Nos débats l’ont montré.

Au reste, il est significatif que cinquante-trois associations de soutien aux personnes prostituées se soient prononcées contre le présent texte, estimant que la seule abrogation du délit de racolage ne suffira nullement à résoudre la question de la précarisation des personnes prostituées. Au contraire, selon ces associations, elle risquerait de fragiliser le travail visant à faire reconnaître la prostitution comme une violence.

La réflexion doit donc se poursuivre. Je songe en particulier à la délicate question de la pénalisation des clients, qu’il serait prématuré de trancher ici et maintenant.

Pour notre part, nous sommes conscients que l’immense majorité des personnes prostituées sont avant tout des victimes. Conformément aux positions que les radicaux de gauche avaient déjà exprimées en 2003 en s’opposant à l’instauration du délit de racolage passif, notre groupe votera ce texte, afin d’émettre dès maintenant un signal politique fort.

Cela étant, nous attendons surtout que le Gouvernement se mobilise sur cette question pour apporter une réponse globale, cohérente et plus protectrice de la dignité des personnes prostituées. Mesdames les ministres, vous pourrez compter sur la représentation nationale, comme nous savons pouvoir compter sur votre détermination. §

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