Intervention de Delphine Batho

Réunion du 3 avril 2013 à 14h30
Indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Delphine Batho :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes parvenus à une étape importante de la procédure parlementaire de cette proposition de loi.

À l’automne dernier, lors des débats au Sénat, la nécessité de garantir l’expertise scientifique et de mettre en place des outils adaptés à la gestion des risques émergents avait été reconnue par tous.

La gestion de ces risques est une préoccupation quotidienne des Français.

Le travail des deux chambres sur ce texte a été exemplaire. Je tiens à remercier Marie-Christine Blandin et le rapporteur Ronan Dantec, à saluer l’initiative du groupe écologiste du Sénat et à rendre hommage au travail accompli par l’ensemble des parlementaires qui ont pris part aux débats.

Grâce à vos échanges, la procédure parlementaire a permis d’approfondir le sujet et de résoudre les difficultés faisant obstacle à l’adoption de cette proposition de loi, à savoir la nature et les modalités de fonctionnement de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, d’une part, l’organisation de l’exercice du droit d’alerte dans l’entreprise, d’autre part.

Un important travail a, en effet, été accompli par le Sénat et l’Assemblée nationale. Loin de dénaturer la proposition de loi et ses objectifs, ce travail a donné au texte un impact plus important grâce à l’adoption d’une approche opérationnelle et pragmatique.

Dorénavant, l’alerte est affirmée, d’emblée, en préambule du texte, comme un droit : c’est un signal important. Les droits des lanceurs d’alerte sont posés. Ces derniers font l’objet d’une véritable protection juridique, aux termes de laquelle nul ne doit pouvoir être inquiété parce qu’il aurait révélé un danger sanitaire ou environnemental.

Le dispositif issu de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé est étendu à l’ensemble du champ de la santé et de l’environnement.

Les personnes qui sont victimes de discrimination parce qu’elles ont relaté des faits relatifs à des atteintes à la santé publique ou à l’environnement pourront saisir le Défenseur des droits.

La charge de la preuve est également modifiée puisqu’elle incombera désormais à la personne accusée d’avoir pris une mesure discriminatoire, et non au lanceur d’alerte.

Dans le même temps, les devoirs des lanceurs d’alerte sont également fixés. L’information que l’alerte rend publique ou qu’elle diffuse doit exclure tout caractère diffamatoire ou injurieux. Si le lanceur d’alerte est de mauvaise foi ou a l’intention de nuire, il peut être poursuivi pénalement.

Ces limites à l’exercice du droit d’alerte lui donnent toute sa force et sa légitimité.

Par ailleurs, en réponse à certaines inquiétudes formulées au Sénat et à l’Assemblée nationale, les règles relatives à la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement ont aussi été améliorées.

Vous aviez, mesdames, messieurs les sénateurs, pris le parti, en première lecture, d’orienter le texte sur cette formule plutôt que sur celle d’une haute autorité. Le Gouvernement a totalement approuvé cette approche. Cette commission ne sera donc pas une nouvelle entité se substituant aux agences ou aux organismes existants ; elle servira de dispositif d’appui à l’ensemble des acteurs, sera à même de travailler avec eux et de leur apporter rapidement des contributions.

L’exigence initiale d’une indépendance par rapport aux ministères est restée intacte. Cette indépendance sera assurée, d’une part, par la composition de cette instance, laquelle comprendra des représentants de l’État, des parlementaires, des membres du Conseil économique, social et environnemental et des experts, et, d’autre part, par sa possible saisine au-delà des seuls membres du Gouvernement.

La Commission nationale aura pour rôle de généraliser les bonnes pratiques et le « compagnonnage » entre les organismes existants, comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, ou l’Institut national de l’environnement industriel et des risques, l’INERIS.

La volonté a été nettement exprimée de ne pas imposer une nouvelle réglementation, tout en permettant rapidement aux organismes qui sont les moins avancés en matière de déontologie et de qualité de l’expertise de bénéficier de l’expérience de ceux qui sont déjà largement engagés dans ce mouvement.

Cette commission diffusera également les bonnes pratiques d’ouverture à la société civile des organismes publics. C’est un élément clé pour la bonne compréhension de la recherche et de l’expertise, plus nécessaire encore pour les risques émergents et les questions soulevées par les alertes.

Consolider le dialogue entre la société, les chercheurs et les experts aide à l’appropriation par nos citoyens des travaux scientifiques. L’ANSES, l’INERIS et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l’IRSN, ont déjà beaucoup œuvré en ce sens.

La Commission nationale de la déontologie et des alertes se voit aussi confier un rôle général de suivi des alertes. En amont, elle informera les établissements sur les éléments à porter dans les registres des alertes. Sur ce point particulier, la proposition de loi indique bien que ces registres sont du ressort des établissements.

La proposition de loi met en place un dispositif de traçabilité visant à éviter que des alertes ne soient perdues ou ignorées. La Commission nationale transmettra les alertes aux ministères compétents, complétant les dispositifs de prise en compte dans les établissements et sur le terrain.

Les organismes indiqueront dans les registres des alertes les suites qui y sont données, y compris en renvoyant vers des études en cours ou des initiatives déjà prises. De la même façon, les ministres feront connaître les éléments en lien avec les alertes que la Commission nationale peut leur transmettre.

Dans son rapport au Parlement et au Gouvernement, la Commission nationale informera de la mise en œuvre des procédures d’enregistrement des alertes par les organismes. Cela permettra au pouvoir législatif d’avoir une vision globale.

Elle aura une structure légère, comme l’est celle du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, le HCTISN, sans administration propre, et elle s’appuiera sur une instance déjà existante.

Je propose que cette instance soit le Comité de la prévention et de la précaution, qui agit dans les domaines de l’environnement et de la santé et traite déjà des aspects relatifs tant à l’alerte qu’à la pratique de l’expertise. Créé par un arrêté du 30 juillet 1996, il fait partie de la liste des commissions administratives du ministère prorogées pour une durée de cinq ans par un décret du 6 juin 2009.

Composé à ce jour d’une vingtaine de personnalités scientifiques reconnues pour leurs compétences sur les questions touchant à l’environnement et à la santé, il assure une fonction de veille, d’alerte et d’expertise sur les problèmes sanitaires liés aux perturbations de l’environnement. Il éclaire, par ses avis, les politiques du ministère au regard des principes de prévention et de précaution.

Positionné dans des champs proches de ceux de la nouvelle commission, créé par voie réglementaire, présidé par une personnalité ne représentant pas une structure de l’État, le comité semble donc offrir une première base pertinente.

L’évolution du Comité de la prévention et de la précaution nécessitera, bien sûr, des aménagements réglementaires qui seront mis en œuvre dans les meilleurs délais après l’adoption de la proposition de loi. À l’heure actuelle, les missions confiées ne sont pas les mêmes, les règles de saisine diffèrent, et la composition n’est pas celle qui a été retenue pour la commission. Nous procéderons à ces évolutions par la voie réglementaire.

Par ailleurs, pour assurer le secrétariat de la Commission nationale, je propose l’aide des services existants de mon administration. Je souhaite que cette instance puisse également s’appuyer pour des missions régulières sur les inspections générales concernées par ses sujets.

Le deuxième point principal sur lequel le texte a profondément évolué est le droit d’alerte au sein de l’entreprise.

Lors des débats au Sénat, j’avais indiqué que des négociations sociales portant sur les prérogatives des institutions représentatives du personnel étaient en cours et que cette échéance devait être prise en compte dans les discussions sur la proposition de loi.

Les débats à l’Assemblée nationale sont intervenus peu de temps après l’accord du 11 janvier 2013, obtenu à la suite de ces importantes négociations sur la sécurisation de l’emploi.

Le titre II de la proposition de loi a ainsi pu être complété en toute connaissance de cause. Il est prévu que le droit d’alerte sera reconnu à tout travailleur de toute entreprise, et à chaque représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, ainsi que, dans les conditions fixées par le code du travail, aux délégués du personnel.

Ce point est important, car, en complément des mesures de protection prévues par le titre III de la proposition de loi, le représentant du personnel bénéficie d’une protection spéciale en cas de licenciement.

Ce droit d’alerte s’exercera en cas de risque grave, et non pour des risques anodins, en cohérence avec les dispositions du code du travail sur la santé au travail.

Une procédure est organisée pour répondre à l’alerte et, surtout, un retour pour information est prévu devant le CHSCT. Ce dispositif améliore de manière significative la transparence du suivi de l’alerte. Il laisse aussi la possibilité, en cas de divergence sur le bien-fondé de l’alerte ou en l’absence de suite de la part de l’employeur, de saisir le représentant de l’État.

Le Gouvernement soutient également l’extension de l’obligation d’information des salariés à la santé publique et à l’environnement, sur un même plan que la santé au travail.

Il est important de rappeler que les missions et attributions des CHSCT n’ont pas été étendues à la santé publique et environnementale. La compétence du CHSCT, c’est bien la santé au travail, la protection de la santé des travailleurs et l’amélioration des conditions de travail. L’étendre à la santé publique et à l’environnement aurait constitué une réforme importante du CHSCT.

Une telle évolution aurait nécessité une modification de ses moyens d’action et n’aurait pu se faire sans que les partenaires sociaux en aient débattu. Or, le Gouvernement considère que c’est à ces derniers de prendre l’initiative de faire évoluer le CHSCT en ayant une vision globale de cette instance. C’est la voie et la méthode que nous avons choisies dans le cadre de la grande conférence sociale de juillet 2012. Il y aura une prochaine étape en juillet 2013, qui sera l’occasion d’examiner la question de la suite à donner à l’évolution du CHSCT.

Vous le voyez, cette proposition de loi est maintenant complète, et de grande qualité. Ce texte constituera un jalon marquant dans le rétablissement de la confiance de nos concitoyens dans les autorités et les procédures d’évaluation des risques.

Il viendra compléter les différents travaux en cours sur la prévention des risques sanitaires environnementaux. Vous le savez, c’est une priorité du Gouvernement, fixée lors de la conférence environnementale.

La France est en pointe sur ce sujet dans le monde et dispose d’une compétence scientifique reconnue, notamment en ce qui concerne les perturbateurs endocriniens.

Vous avez, d’ailleurs, récemment adopté la proposition de loi visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A.

L’élaboration d’une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens est aussi en cours. Le groupe de travail en charge de sa rédaction réunit de nombreux élus, dont la sénatrice Chantal Jouanno, des représentants des ministères, des agences publiques, des associations, des syndicats de salariés et des fédérations d’entreprises, ainsi que des personnalités qualifiées.

Ce travail aboutira en juin à la présentation d’un plan d’action et de propositions pour avancer sur la définition et l’identification des perturbateurs endocriniens, sur la recherche des risques liés, sur les actions de réduction de ces risques et sur l’information et la sensibilisation du grand public.

Sur le plan européen, je rencontrerai demain le commissaire européen à l’environnement, M. Janez Potočnik, pour lui demander que l’Agence européenne des produits chimiques transmette aux autorités françaises la liste des substances pour lesquelles le dossier d’enregistrement REACH mentionne explicitement une utilisation dans les jouets et articles de puériculture.

La France soutient fermement la position selon laquelle le critère d’activité, qui renvoie à une notion de seuil sans effet, ne peut pas être pris en compte dans la définition des perturbateurs endocriniens.

Le souhait du Gouvernement est donc que cette stratégie nationale puisse incarner une approche française volontariste sur la scène européenne. Cette proposition de loi s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Il s’agit maintenant d’entériner la démarche dont vous avez pris l’initiative, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous nous engagerons, ensemble, à mettre pleinement en œuvre le progrès qu’incarne cette proposition de loi, pour la prise en compte effective des signaux faibles d’alerte environnementale et sanitaire. §

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