Intervention de Ronan Dantec

Réunion du 3 avril 2013 à 14h30
Indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Ronan DantecRonan Dantec :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous voici à nouveau réunis pour examiner, cette fois-ci en deuxième lecture, la proposition de loi relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, votée par l’Assemblée nationale en première lecture le 31 janvier dernier.

Les députés ont poursuivi le travail de fond que nous avions engagé ici sur ce texte, je le rappelle, d’initiative parlementaire. En reprenant la concertation avec les partenaires sociaux, les différents groupes politiques, les ministères et Matignon, l’Assemblée nationale a abouti à une rédaction qui reflète à la fois un souci d’efficacité et un équilibre politique. C’est pourquoi je n’ai pas jugé utile de déposer de nouveaux amendements. Je formule le souhait, et la commission du développement durable avec moi, que nous adoptions cette proposition de loi dans les mêmes termes que nos collègues députés.

Le travail effectué par les députés répond tout d’abord à un souci de restructuration du texte et de clarification juridique.

En première lecture, nous n’avions pas pu adopter de texte en commission, ce qui ne nous avait pas permis de procéder à tous les aménagements techniques que le texte aurait nécessités. C’est chose faite avec la rédaction qui nous revient de l’Assemblée nationale : la quasi-totalité des articles qui sont encore en discussion le sont du fait de l’adoption d’un nombre important d’amendements de nature rédactionnelle et de ré-ordonnancement du texte.

Les députés ont tout d’abord créé un titre Ier A consacré au droit d’alerte en matière sanitaire et environnementale. Ils y ont placé l’ancien article 8, devenu article 1erA, qui précise les droits et obligations du lanceur d’alerte. Cet article est désormais placé en exergue du texte. Cela lui confère une meilleure lisibilité et marque une volonté politique forte de répondre aux enjeux du repérage et de la protection des lanceurs d’alerte, ce qui était bien la motivation initiale de l’auteur du texte.

Dans le titre Ier, consacré à la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, les députés ont apporté quelques modifications de forme. Cette commission est maintenant chargée de définir les critères qui fondent la recevabilité d’une alerte. C’est un point important, que nous avons évoqué ce matin en commission, et le texte, dans son nouvel ordonnancement, est dorénavant plus clair.

L’article 1er créé un cadre, mais il reste encore beaucoup de choses à préciser. La Commission nationale aura à faire cet important travail de précision. Par ailleurs, notons que l’Assemblée nationale a prévu, c’est une amélioration majeure, un alinéa aux termes duquel les décisions des ministres compétents concernant la suite donnée aux alertes doivent être dûment motivées et transmises à la commission.

Sur la composition de la commission, les députés ont intégré au texte une obligation de parité – reconnaissons que le Sénat aurait pu y penser. Ils ont également prévu la possibilité de saisine de la commission par les organes nationaux de l’ordre des professions relevant de la santé ou de l’environnement. Voilà encore une amélioration résultant du travail parlementaire.

Enfin, l’Assemblée nationale a complété l’article 5, en précisant les règles applicables en matière de conflits d’intérêts et de secret professionnel, notamment en ce qui concerne les exigences de déclaration publique d’intérêts et la pratique du déport.

Le travail effectué par les députés se situe, vous le voyez, dans le prolongement du nôtre, et complète utilement les dispositions prévues pour l’exercice des missions de la commission de déontologie.

En première lecture, divers orateurs avaient craint la création d’un « machin » supplémentaire. En séance, j’avais indiqué que cette commission serait créée à moyens constants. Madame la ministre, c’est un point important pour la commission, et je prends acte des précisions que vous avez apportées sur ce sujet. Nous partons d’une structure existante, le Comité de la prévention et de la précaution, et je note tout particulièrement vos propos quant à l’évolution de ce comité. Rien ne s’oppose plus à ce que nous avancions maintenant assez rapidement, et nous allons le faire à moyens constants, sans création de structure supplémentaire.

C’est dans le titre II, relatif à l’exercice du droit d’alerte en entreprise, que se trouvent les modifications les plus substantielles au texte que nous avions adopté. La question de l’alerte en entreprise nous avait beaucoup mobilisés, et avait suscité diverses oppositions et discussions. Certains partenaires sociaux s’en étaient émus. La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a mené de nouvelles concertations, avec les partenaires sociaux et le ministère du travail.

Je vous avais proposé de remplacer les cellules d’alerte initialement prévues par la proposition de loi par une extension des missions des CHSCT, déjà compétents en matière d’alerte interne aux entreprises. Cette solution semblait en effet plus opportune. Elle avait été portée par les syndicats lors des auditions que ma collègue Aline Archimbaud avait menées au nom de la commission des affaires sociales.

Les députés ont conservé ce principe et la même architecture générale pour le titre II. Ils ont cependant allégé l’extension des missions du CHSCT. Il est apparu en effet au rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, après avoir entendu les arguments des partenaires sociaux – syndicats et patronat –, ainsi que ceux du ministère du travail, qu’il était difficile de maintenir l’ensemble du dispositif tel que nous l’avions adopté, notamment du fait des négociations en cours sur la question des institutions représentatives du personnel.

Il est également apparu qu’en l’absence de moyens nouveaux dévolus aux CHSCT, en termes de formation comme de crédits d’heures, il leur serait difficile d’exercer pleinement ces nouvelles prérogatives.

Forte de cette analyse, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, saisie au fond, alors que c’est la commission du développement durable qui l’est au Sénat, a créé un chapitre spécifique au sein du code du travail pour traiter de la question des alertes en matière de santé publique et d’environnement. L’article 9 regroupe désormais les diverses dispositions relatives au rôle des CHSCT.

L’Assemblée nationale n’a pas souhaité étendre les prérogatives de ce comité pour en faire le gestionnaire de l’alerte dans l’entreprise. Toutefois, je le souligne, elle a conservé une dimension collective à la prise en charge de l’alerte. Un droit d’alerte est ainsi accordé au représentant du personnel dans le CHSCT, et ce dernier doit être informé spécifiquement des alertes lancées et des suites qui leur sont données. Ce nouveau chapitre du code du travail reprend en outre les dispositions essentielles de protection des lanceurs d’alerte contre les discriminations. Il s’agit là encore d’une avancée majeure de ce texte.

Comme nous l’avions voulu, l’alerte conservera donc une dimension collective. Cela va dans le sens d’une nouvelle culture collective du risque, qui est l’une des garanties nécessaires à la mise en œuvre du droit d’alerte.

Les députés ont par ailleurs proposé qu’en cas de litige sur le bien-fondé ou la suite donnée à l’alerte par l’employeur, le travailleur comme le représentant du personnel au CHSCT pourront saisir le préfet. Une culture de l’alerte est bien créée dans l’entreprise, mais la gestion de l’alerte n’est pas gérée en son sein. Si l’entreprise ne réagit pas, le salarié pourra alerter le préfet, et il sera protégé. Si, à son tour, le préfet ne réagit pas, la Commission nationale pourra être saisie par une organisation syndicale et elle interrogera le ministère concerné. Ce dispositif sera moins lourd pour le CHSCT. C’est un compromis constructif qui s’inscrit dans un ensemble cohérent.

Peu de modifications ont été apportées par l’Assemblée nationale sur le troisième et dernier titre, regroupant les mesures encadrant le droit d’alerte, tant pour la protection des lanceurs d’alerte que pour la limitation des éventuels excès.

La protection des lanceurs d’alerte est codifiée à l’article L. 1350-1 du code de la santé publique, en reprenant la protection très large existant dans le domaine des produits de santé depuis la loi dite « Mediator » de décembre 2011. A contrario, les abus seront sanctionnés pénalement, conformément aux règles existantes en matière de dénonciation calomnieuse.

Les députés ont choisi de supprimer la disposition que nous avions introduite à l’article 16 A, concernant la possibilité, pour les institutions représentatives du personnel, de présenter leur avis sur les démarches de responsabilité sociale, environnementale et sociétale de l’entreprise dans le cadre de son rapport de gestion. Certains estimaient qu’il s’agissait d’un cavalier. Le Gouvernement a indiqué son souhait de ne pas voir cette question traitée dans le cadre de cette proposition de loi. Il a rappelé qu’une mission tripartite est chargée de préciser d’ici à juillet 2013 les modalités de développement de cette responsabilité en France. Nous resterons très attentifs à cette question.

La navette parlementaire aura ainsi permis de préciser et d’enrichir le texte initial. Ce travail est d’une actualité brûlante. Voilà quelques jours à peine, les juges en charge de l’instruction de l’affaire du Mediator ont mis en examen l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé pour homicides et blessures involontaires. Il lui est reproché « d’avoir contribué à créer la situation qui a engendré le dommage des victimes et de n’avoir pas pris les mesures permettant de l’éviter ».

Il est donc plus que jamais nécessaire d’assurer la transparence de l’expertise et de garantir sa déontologie, afin de sécuriser le travail des agences et rétablir la confiance des citoyens.

Lors des auditions que j’ai réalisées dans le cadre de la préparation de mon rapport, les agences ne se disaient pas opposées à la présente proposition de loi. Elles étaient certes soucieuses d’éviter des lourdeurs administratives supplémentaires, mais également parfaitement conscientes que l’existence à leurs côtés d’une commission capable de valider leurs propres règles de déontologie contribuait à les sécuriser.

En offrant un regard extérieur aux divers organismes sanitaires et environnementaux, la Commission nationale les confortera. Elle pourra soutenir et guider les agences en identifiant les bonnes pratiques tant en Europe qu’en France.

Ce texte protégera aussi les lanceurs d’alerte non institutionnels. Même si le risque zéro n’existe pas, les conditions de leur protection seront mieux réunies, et telle était notre responsabilité en présentant cette proposition de loi, pour que les signaux faibles soient repérés à un stade suffisamment précoce et éviter ainsi des catastrophes sanitaires comme celles que nous avons malheureusement connues régulièrement ces dernières décennies.

Par ce travail parlementaire collectif – je tiens, à cet égard, à remercier l’ensemble des parlementaires, de sensibilités politiques très différentes, qui y ont participé –, nous montrons l’importance de notre capacité d’initiative parlementaire. Nous avons fait œuvre utile et participé de la modernisation de la décision publique, qui passe par l’indépendance de l’expertise.

Il y a sur ce texte, je le crois, place pour un consensus. Je vous propose donc de l’adopter par un vote conforme.

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