En effet, le texte n’apporte que des réponses fragmentaires à des questions de grande ampleur et tend à faire de l’entreprise le cœur du problème – et non le problème, comme certains pourraient le penser.
Je commencerai par l’indépendance de l’expertise.
Je pèse mes mots, il n’existe pas d’expertise indépendante en soi, ni de certitudes de l’expertise, derrière laquelle les décideurs politiques pourraient s’abriter, comme l’a démontré une nouvelle fois le débat suscité par les travaux du professeur Séralini sur le maïs OGM NK603, auxquels je me suis intéressé. Le Haut Conseil des biotechnologies avait estimé que la toxicité de ce type de maïs n’était pas démontrée par cette étude.
La meilleure garantie d’indépendance, c’est le recours à l’expertise pluraliste, pluridisciplinaire, contradictoire et transparente. À chacun son rôle : aux scientifiques celui de donner leur avis et d’alerter, aux politiques celui de décider et d’appliquer, ou pas, le principe de précaution, selon une lecture qui ne doit surtout pas se résumer au seul article 5 de la Charte de l’environnement. Nous aboutirions sinon à faire du principe de précaution un principe d’inaction, ce que je dénonce, ayant été le rapporteur du texte à l’époque, car il n’est surtout pas cela.
Il ne faut pas oublier les articles 8 et 9 de cette charte, et e pense en particulier à l’innovation. Autrement, l’innovation se fera ailleurs, ce qui signifie que les brevets seront détenus par d’autres. Au terme de vingt ans d’efforts pour mettre au point le brevet européen, je suis excessivement sourcilleux sur ce point.
J’évoquerai ensuite la création de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement.
Même si ce qui devait être une agence dans le texte initial a été transformé en commission par l’Assemblée nationale, nous considérons que nous n’avons pas besoin de créer une structure de plus, dont les compétences ne sont pas bien clarifiées par rapport à celles des agences existantes. Je ne pense pas me tromper beaucoup en disant qu’avec ce texte le Gouvernement a souhaité faire plaisir au groupe écologiste, mais que, parallèlement, il trouble et perturbe les chefs d’entreprise.
Le rapport de l’Inspection générale des finances de mars 2012 intitulé L’État et ses agences énumère déjà 1 244 agences de l’État. Le développement des autorités administratives indépendantes et autres établissements publics est un phénomène déjà ancien, qui s’est développé de façon inflationniste au fil des ans en termes de moyens humains et financiers. Ce phénomène ne s’est pourtant pas accompagné d’un renforcement suffisant de la tutelle de l’État.
En matière de santé, en particulier, près de dix agences existent déjà, dont l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, créée à la suite de l’affaire du Mediator en décembre 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, mise en place en janvier 2010, l’Institut de veille sanitaire et l’Institut de radioprotection et de sureté nucléaire.
Par ailleurs, près de quatorze agences rattachées au ministère de l’écologie traitent de problèmes environnementaux.
La multiplicité des agences d’expertise est un véritable sujet d’interrogation. Elle pose, compte tenu des exigences budgétaires, la question de la rationalisation des missions respectives, ainsi que la nécessité de regrouper un certain nombre d’entre elles dont les missions et les domaines d’intervention sont redondants.
Je sais les efforts consentis lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale, mais j’estime que tout cela créera indiscutablement de nouvelles charges et des tracasseries administratives supplémentaires pour nos entreprises, qui n’en ont pas besoin.
On parle de « choc de compétitivité », et vous répondez par davantage de complexité.
On parle d’allégements de charges, et vous répondez par la création d’une commission nationale !
Le Gouvernement annonce un « choc de simplification », qui doit débuter par un gel de la production de normes, et vous répondez par des contraintes supplémentaires.
On annonce même la mise en place d’un « test PME », qui doit mesurer l’impact des nouvelles réglementations sur les entreprises. Je serais curieux de voir comment les dispositions de cette proposition de loi passeront ce test !
J’imagine également que les instances communautaires ne verront pas sans un certain effroi le comportement du gouvernement français en la matière. À l’heure où, plus que jamais, nous devons parler convergence avec notre principal partenaire, l’Allemagne, nous en « rajoutons » en termes de spécificité et de complexité française. Croyez-moi, nous n’avons vraiment pas besoin de complexifier davantage la vie des entreprises de notre pays !
J’en viens à l’exercice du droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement dans l’entreprise et à la protection des lanceurs d’alerte.
La création d’une procédure d’alerte sanitaire et environnementale dans les entreprises de plus de onze salariés et celle d’un statut spécifique pour une catégorie de salariés relèvent du champ de la négociation paritaire et des partenaires sociaux. Ces derniers n’ont pas manifesté jusqu’à présent la volonté d’inclure ce sujet dans le champ des négociations.
Par ailleurs, cette procédure serait créée par extension des missions du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail présent dans toutes les entreprises de plus de cinquante salariés.
Que se passera-t-il pour les plus petites entreprises ?
Ce dispositif entraînera, à mon sens, un alourdissement considérable des obligations liées aux institutions représentatives du personnel, notamment pour les entreprises de moins de cinquante salariés, alors qu’elles demandent avant tout un allègement et une rationalisation des obligations existantes, notamment par la fusion des trois instances représentatives existantes – le délégué du personnel, le comité d’entreprise et le CHSCT – en un seul comité des salariés et des conditions de travail.
Cette proposition de loi crée une nouvelle catégorie de salariés, avec un statut particulier, celui de lanceur d’alerte, qui pourrait déboucher sur des incertitudes juridiques, des abus, voire une inégalité entre les salariés.
De plus, cela pourrait avoir des conséquences dramatiques pour certaines petites entreprises qui ne disposent pas des moyens de communication nécessaires pour réagir efficacement, en cas d’alertes lancées à tort ou par malveillance.
Je voudrais donc appeler votre attention, mes chers collègues, sur les risques qui peuvent découler de la médiatisation de fausses alertes, susceptible d’affecter durablement la réputation d’une entreprise.
Je peux paraître un peu sévère aux yeux de certains, mais, en tant qu’élu de Normandie, je suis bien placé pour savoir que ces fausses alertes ont contribué voilà quelques années, dans mon département, au discrédit de certaines entreprises, voire à leur disparition pure et simple, …