Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 3 avril 2013 à 14h30
Indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement — Adoption définitive en deuxième lecture d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

… par le Sénat, l’Assemblée nationale, le Gouvernement et les acteurs associatifs.

En effet, le présent texte est le fruit d’un travail collectif visant à pallier les lacunes actuelles de notre système d’alerte et d’expertise.

Il aura fallu convaincre pour aboutir à cette nouvelle lecture et, je l’espère, à un vote conforme à celui de l’Assemblée nationale. De fait, les résistances à la transparence sont nombreuses, non tant au sein de cet hémicycle qu’à l’extérieur. Quoi qu’il en soit, la transparence est un enjeu démocratique, et, en tant que parlementaires, nous avons le devoir d’en garantir l’effectivité. À ce titre, nous ne pouvons que saluer ce texte, qui opère une réelle avancée démocratique.

Nos concitoyens sont lucides face aux risques émergents qui menacent leur santé, qu’il s’agisse de l’impact des ondes ou des produits chimiques, de la qualité de leur alimentation, de l’eau ou de l’air, sujets qui constituent autant de préoccupations quotidiennes. De plus, ils s’inquiètent de la source de ces risques et de la réactivité des autorités de contrôle, qui peut parfois sembler trop tardive.

L’amiante, le Mediator, les pilules de troisième et quatrième générations fournissent autant d’exemples à fort retentissement médiatique. Ces affaires, qui ne sont pas pour nous rassurer, soulèvent de nombreuses interrogations et mettent parfois au jour un échec de l’action publique.

Les craintes de nos concitoyens sont légitimes, quand bien même elles se révéleraient infondées.

C’est précisément parce que le danger est multiforme que nous nous sommes engagés sur le front de la modernisation de la gestion du risque et que nous avons pris le parti de considérer toutes les alertes. En protégeant les lanceurs d’alerte et en garantissant l’indépendance de l’expertise, cette proposition de loi contribue à mieux répondre aux risques émergents.

Assumer de manière transparente la gestion du risque, c’est résorber la peur que de nouveaux scandales aient lieu. Il nous faut tout à la fois prendre en compte les risques rationnels et la peur irrationnelle qu’ils engendrent.

À l’heure où les lobbies s’activent pour faire ratifier leurs choix par les politiques, le fait de rediscuter de l’expertise scientifique était avant tout un acte démocratique.

Une enquête réalisée en 2011 par un institut de sondages souligne que, s’ils font globalement confiance à la « Science », les Français expriment beaucoup de méfiance vis-à-vis des scientifiques dans des domaines sensibles comme le nucléaire, les nanotechnologies ou les OGM. Plus largement, une très large majorité d’entre eux estime être insuffisamment informée concernant les débats et les enjeux de la recherche. Bref, en dépit d’une large communication, les résultats obtenus sont, somme toute, plutôt mitigés.

Cela étant, débattre de l’expertise scientifique pourrait presque passer pour un oxymore : les mots « expert » et « scientifique » sont si souvent invoqués, précisément, pour clore le débat ! Cependant, chacun d’entre nous garde en mémoire des dossiers au sujet desquels l’expertise s’est tout d’abord montrée très arrogante, avant de se révéler très défaillante.

Nous – législateur et Gouvernement – sommes de plus en plus souvent sommés d’arbitrer des débats d’une grande technicité. Ces discussions nous laissent souvent fort perplexes et nous soumettent à une simple alternative entre, d’une part, l’aveuglement – la foi du charbonnier – et, de l’autre, l’obscurantisme.

Dans ce cadre, le principe de précaution est régulièrement mis en cause : ce dernier est très injustement soupçonné de freiner soit le développement scientifique et technologique, soit l’utilisation même des avancées qu’il permet.

Pourtant, à nos yeux, les avantages du principe de précaution l’emportent sur les conséquences, parfois néfastes, de l’enthousiasme débridé de ces cinquante dernières années en faveur de toute forme de progrès scientifique et technologique. En effet, avec les premiers retours d’expérience, on constate que la vigilance est essentielle, car, sur certains dossiers, le doute l’emportera encore longtemps sur les certitudes.

Par présomption, l’expertise serait nécessairement scientifique, donc objective, et la critique de cette dernière serait idéologique, donc subjective. Pour arbitrer conformément à l’intérêt général, nous nous tournons dès lors vers des experts et nous nous demandons souvent, durant les processus de réflexion, si l’expertise menée par ceux-ci est aussi indépendante qu’il est confortable de le croire.

Malheureusement, comme l’ont illustré plusieurs drames sanitaires et environnementaux, l’expertise scientifique souffre parfois d’un déficit d’indépendance et de pluralisme. De plus, les experts scientifiques ont, eux aussi, des convictions – c’est bien leur droit – et des partis-pris idéologiques.

Voilà pourquoi l’expertise doit également être contradictoire, dans la mesure où elle constitue rarement une activité neutre. Une expertise au service de l’intérêt général nécessite une vigilance soutenue, en amont comme en aval, et ce à tous les niveaux institutionnels.

Nous avons eu maintes fois l’occasion de découvrir que tel scientifique ou tel expert n’était pas sans liens tantôt avec l’industrie agroalimentaire, tantôt avec celle du pétrole, tantôt avec celle du tabac. La qualité d’expert scientifique ne suffit donc pas à prévenir tout conflit d’intérêts économiques.

Mes chers collègues, sur ce point, je me contenterai de citer le cas bien connu de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, dont la présidente a dû démissionner en raison de sa proximité avec l’entreprise Monsanto.

A contrario – l’anecdote est amusante –, c’est un simple étudiant, expert en rien, sinon en recherches obsessionnelles dans les bibliothèques, qui a permis de dévoiler le poids réel des lobbies dans la législation européenne : ce jeune homme a recensé des pans entiers de cette législation qui étaient tout simplement des copier-coller de rapports transmis par les lobbies !

Pour conserver ses propriétés éthiques, scientifiques et démocratiques, l’expertise doit être multidisciplinaire et pluraliste, et par conséquent composée de scientifiques issus d’horizons différents, ainsi que de représentants de la société civile. C’est ce que prévoit la proposition de loi, et je m’en réjouis.

La parcellisation des connaissances, la spécialisation des pratiques et la professionnalisation des disciplines ont disqualifié la compétence des simples « profanes » en hiérarchisant les savoirs. Toutefois, les citoyens ont un rôle essentiel à jouer dans le champ des controverses et des incertitudes.

Les lanceurs d’alerte ne sont pas des gêneurs ; ce sont des vigies que la complexité et la technicité de notre monde rendent indispensables. Ils peuvent se tromper, nous objectera-t-on ; sans doute, mais il en est de même des experts ! Or, parmi ces derniers, certains se sont trompés, rétractés, trompés de nouveau, ont parfois été discrédités avant d’être, en définitive, réhabilités.

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