Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner aujourd’hui, pour la seconde fois, une proposition de loi dont l’examen a débuté ici même, il y a un peu plus de six mois. Ce texte utile a été déposé sur l’initiative de notre collègue Marie-Christine Blandin, et nous l’en remercions.
Bien entendu, nous n’avons pas changé d’avis depuis la première lecture. C’est pourquoi nous réaffirmons la nécessité de garantir l’indépendance, la transparence et la traçabilité de l’alerte en matière sanitaire ou environnementale. Parallèlement, nous réitérons le soutien des sénateurs du groupe CRC au présent texte.
À ce stade, la seule véritable question qui subsiste est la suivante : l’objectif affiché pourra-t-il être atteint ? En effet, la présente proposition de loi traduisait à l’origine une ambition forte, qui se trouve sensiblement amoindrie après son examen par l’Assemblée nationale, même si notre rapporteur, comme à son habitude, voit toujours les choses de manière positive. §
Tout d’abord, disons-le, grâce à ce texte, les lanceurs d’alerte disposeront enfin d’un statut juridiquement reconnu et protecteur, comme le prévoyait l’article 52 de la loi dite « Grenelle 1 », adoptée en 2009. C’est pourquoi je m’attendais à ce que la Haute Assemblée vote cette proposition de loi de manière unanime !
Toutefois, le mode de traitement de l’alerte au sein des entreprises a été sensiblement modifié au cours de la navette parlementaire.
Ainsi, plutôt que de créer une instance spécifique au sein des entreprises, destinée à gérer et à instruire les alertes prévues dans la version initiale de la proposition de loi, le Sénat avait préféré confier ces compétences aux CHSCT. À la réflexion, cette modification nous satisfaisait pleinement.
La rédaction adoptée par l’Assemblée nationale a remis en cause ce choix, en renvoyant la gestion de l’alerte à l’entreprise ou, à défaut, au représentant de l’État au sein du département. Dans ce dispositif, le CHSCT est simplement destinataire des informations. Cette modification n’est pas anodine.
La réécriture accomplie par l’Assemblée nationale a été justifiée par la faiblesse des moyens des CHSCT, qui ne leur permettrait pas de faire face à de nouvelles missions. À cet égard, je rappelle que nous avions déjà soulevé ce problème au sein de cet hémicycle, en appelant précisément à un renforcement de ces moyens.
Par ailleurs, il a été souligné que la responsabilité de la gestion de l’alerte devait avant tout incomber à l’entreprise et, le cas échéant, au représentant de l’État dans le département. Sur ce sujet, Mme la ministre a fait remarquer à juste raison qu’une telle mission revient d’ores et déjà aux préfets de département. §
À ma connaissance, cette disposition n’a pas permis de prévenir le moindre scandale environnemental lié à l’activité d’une entreprise.
De telles mesures, qui se révèlent redondantes par rapport au droit actuel, ne sont pas satisfaisantes. C’est pourquoi nous restons dubitatifs. Nous regrettons que le CHSCT ne dispose pas de moyens d’intervention directe, notamment du droit d’enquête ou de la faculté de recourir officiellement à un expert en cas d’alerte dans le cadre d’une mission bien identifiée.
À nos yeux, le fait de confier ces nouvelles missions au CHSCT permettait a contrario à cette instance de bénéficier d’une vision plus globale des activités de l’entreprise, sous l’angle non seulement social et économique, mais aussi environnemental et sanitaire.
Qui plus est, une telle démarche répondait parfaitement à la notion de développement durable, qui induit cet impératif : ne pas remplacer la problématique sociale par la problématique environnementale, mais bel et bien appréhender ces deux questions dans un même mouvement pour élaborer des réponses réellement performantes.
Au total, la nouvelle rédaction de ce texte prévoit la création d’une Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement. Il s’agit de garantir, tout au long du traitement de l’alerte, d’une part, le bon déroulement de la procédure et la bonne coordination des acteurs et, de l’autre, sa traçabilité. Nous attendons désormais de voir quels moyens seront accordés à cette instance, en ces temps de réduction des dépenses.
En conséquence, nous prenons la présente proposition de loi comme un premier pas engageant, qui permet de remettre l’intérêt général au centre de l’expertise scientifique en matière environnementale et sanitaire.
Néanmoins, il nous faudra tôt ou tard aller plus loin. Comme nous l’avions dit en première lecture, nous devons nous poser collectivement la question du financement de la recherche. Nous souhaitons que soit réhabilitée l’idée même de recherche publique et donc de financement public. §Dire que certains secteurs d’activités ne relèvent pas du marché, c’est poser la question de l’intérêt général dans un domaine essentiel.
Parallèlement, comme nous l’avions également demandé, nous souhaitons voir redéfinis les contours du secret industriel, qui, pour l’heure, limite la transparence des expertises et entrave les pouvoirs de contrôle des instances concernées comme des citoyens.
Enfin, cette alerte citoyenne, codifiée et encadrée, testée dans les domaines sanitaire et environnemental, pourra le cas échéant être utilement étendue à d’autres secteurs. Promouvoir l’alerte citoyenne comme une des garanties de la transparence, c’est sans doute une piste intéressante pour élaborer les instruments démocratiques d’aujourd’hui et de demain.
Vous l’aurez compris, nous voterons en faveur de ce texte, qui tend à garantir un statut protecteur aux lanceurs d’alerte. À cet égard, je précise que je crains bien plus l’activité des lobbies un peu partout, notamment au niveau européen, que l’action de quelques citoyens alertés par une situation qui leur semble anormale.