Intervention de François Fortassin

Réunion du 3 avril 2013 à 14h30
Droits sanitaires et sociaux des détenus — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de François FortassinFrançois Fortassin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat intervient alors que la Cour de cassation a décidé de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur le droit du travail applicable aux détenus.

Le code de procédure pénale prévoit que « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail ». Toute la question est de savoir si cette disposition porte atteinte, ou non, aux droits et libertés garantis par la Constitution.

La question du droit du travail en prison n'est pas nouvelle. En 2000, la commission d'enquête sur la situation dans les prisons françaises, présidée par M. Louis Mermaz, relevait que « l'absence de respect du droit du travail ruine la conception même du travail pénal comme outil d'insertion ».

Lors de la loi pénitentiaire de 2009, l’ancienne majorité n’est pas allée jusqu’à l’institution d’un contrat de travail en détention, estimant que l’application du droit commun – congés payés, rémunération au moins égale au SMIC, indemnisation en cas de rupture du contrat – dissuaderait les entreprises privées d’employer des personnes détenues.

Elle a prévu la conclusion d’un acte d’engagement entre l’administration et la personne détenue énonçant « les droits et obligations professionnels de celle-ci, ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération. » Cette disposition semble aujourd'hui inappliquée ; l’accès au travail reste encore soumis à l’arbitraire de l’administration pénitentiaire, le déclassement ne constituant qu’une simple mesure disciplinaire.

Dans son rapport de 2011, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté déplorait cette situation. Surtout, il relevait que les détenus exerçant une activité rémunérée pour le « service général » ou pour des entreprises extérieures étaient traités et payés de manière injuste, voire dérisoire. La loi impose des minimas de 45 % du SMIC pour la production et de 33 % pour le service général, mais les payes sont souvent inférieures, si bien que ces chiffres deviennent en réalité des plafonds.

Ajoutons à cela que les détenus travaillent dans des conditions bien éloignées des règles d’hygiène et de sécurité du code du travail qui s’imposent en détention : espaces pas ou peu aérés, fréquemment exigus, machines ayant quelquefois plus de trente ans d’âge ou étant d’un maniement dangereux, etc.

L’inspection du travail n’a même pas le droit de se rendre inopinément en prison ; elle doit y être invitée par l’administration. Le moins que l’on puisse dire, étant donné que l’on a affaire à des gens bien organisés, c’est que, ce jour-là, les choses se passent plutôt bien…

En février dernier, le conseil des prud’hommes de Paris a donné gain de cause à une détenue qui demandait notamment que soit reconnue comme licenciement la fin de sa collaboration avec l’entreprise venue sous-traiter dans l’établissement pénitentiaire.

Contrairement à cette décision, qui ne concerne que les relations établies entre un détenu et une entreprise, mais qui pourrait néanmoins faire jurisprudence, la question prioritaire de constitutionnalité, ou QPC, touche au code de procédure pénale. Les conséquences qui en découleraient s’appliqueraient donc à tous les détenus exerçant une activité professionnelle.

Le droit du travail semble entrer peu à peu dans la prison et la décision du Conseil constitutionnel pourrait nous pousser à nous emparer rapidement de cette question. Monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement sur ce point ?

D’autres aspects font l’objet d’un rappel à l’ordre continu de la part du Contrôleur général. Dans son rapport de 2012, celui-ci a notamment insisté sur le fait que les personnes privées de liberté méconnaissent leurs droits ; il a rappelé l’exigence de leur donner une information effective, tant cette dernière reste aujourd’hui fréquemment parcellaire. Sur ce point, je voudrais saluer Mme la garde des sceaux, qui a souhaité faciliter la diffusion au sein des établissements pénitentiaires de la dernière édition du Guide du prisonnier, rédigé par l’Observatoire international des prisons.

S’agissant des droits sanitaires, le Contrôleur général note qu’en raison des difficultés d’accès aux hôpitaux et des conditions de détention inadaptées, certains détenus ne peuvent pas se soigner dans des conditions dignes en prison. Bien que la suspension de peine pour raison médicale existe, celle-ci reste selon lui trop restrictive. La prise en charge effective des urgences en milieu carcéral demeure disparate en raison, notamment, de l’éloignement géographique de certaines structures pénitentiaires.

Dans leur rapport sur l’application de la loi pénitentiaire de 2009, Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat soulignent que l’accès aux soins, quels qu’ils soient, souffre de fortes inégalités d’une région à l’autre, avec un taux de médecins pour 1 000 détenus variant d’un à quatre pour les généralistes et d’un à sept pour les psychiatres.

Il semble aussi que beaucoup reste à faire pour prendre en compte la situation des personnes âgées ou très malades en détention.

On le voit bien, les droits sanitaires et sociaux ne sont malheureusement pas toujours effectifs en prison. Beaucoup l’ont dit, la privation de liberté ne signifie pas la privation des droits. Les détenus restent des citoyens, des personnes humaines à part entière, et la meilleure chance de réussir leur insertion, c’est précisément de reconnaître leurs droits fondamentaux.

Nos prisons sont, encore aujourd’hui, des lieux où trop de femmes et d’hommes demeurent soumis à des conditions de vie dégradantes et humiliantes.

Le groupe RDSE auquel j’appartiens est depuis longtemps très attentif à cette question du respect des droits et de la dignité des détenus. Faut-il rappeler le rapport de 2000 de Guy-Pierre Cabanel, ancien président de notre groupe, et de Jean-Jacques Hyest intitulé Prisons : une humiliation pour la République, qui fait encore autorité, ou encore l’excellente discussion qui s’est déroulée ici-même, le 11 mai 2006, à l’occasion de la question orale avec débat du regretté président Jacques Pelletier sur le respect effectif des droits de l’homme en France ?

Monsieur le ministre, nous savons que Mme la garde des sceaux et vous-même préparez avec beaucoup d’engagement personnel une grande loi pénitentiaire, tant attendue à la fois par les détenus et les fonctionnaires de l’administration. Nous l’attendons et, d’ici là, nous approfondirons encore la question le 25 avril prochain, puisque le Sénat, à la demande du groupe RDSE, mènera ce jour-là un débat plus large sur la politique pénitentiaire en France.

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