Intervention de David Assouline

Réunion du 4 avril 2013 à 9h00
Fiscalité numérique neutre et équitable — Suite de la discussion et renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, défendue par M. Marini, soulève des questions majeures, comme nous l’avons tous souligné. Cette discussion ne relève pas du débat technique entre spécialistes, car elle s’inscrit au cœur des problématiques de régulation en temps de crise, à l’heure ou les avancées technologiques modifient non seulement les modèles économiques et industriels, mais aussi les habitudes de consommation culturelle.

L’économie numérique est partout, elle capte au quotidien des milliards d’individus connectés et irrigue l’ensemble des secteurs économiques. Dans le monde, Google a dépassé les 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2012 et son bénéfice net a augmenté de 10 %. En France, Google, Amazon, Facebook et Apple, à eux seuls, dégagent de 2, 5 milliards d’euros à 3 milliards d’euros de revenus.

Les entreprises que je viens de citer sont emblématiques de l’industrie numérique, qui reste fondamentalement une industrie de contenus. Dès lors, vous pouvez imaginer que l’instauration d’une fiscalité neutre et équitable s’avère cruciale pour la culture et pour la presse, notamment avec la question des droits d’auteurs et de la rémunération des contenus par les moteurs de recherche. L’accord récent entre Google et l’Association de la presse d’information politique et générale, qui n’a pas de lien avec les réflexions en cours sur l’intervention de l’État en faveur de la presse, constitue une avancée qu’il faut saluer. Par ailleurs, l’État a pu aider à la mise en place d’un fonds dédié, d’un montant de 60 millions d’euros, qui facilitera la transition de la presse vers le monde numérique : ce n’est qu’un début, car cette mesure ne représente pas la solution définitive. Tous ces éléments montrent qu’il est légitime de se pencher sur l’argent qui irrigue le numérique, et Google l’a bien compris !

Il s’agit en l’espèce de redistribuer de la richesse, de favoriser l’innovation et la création culturelle. Les acteurs de la culture sont concernés au premier chef, parce que leurs ressources sont tirées de taxes affectées. Or le secteur de l’économie numérique échappe à l’impôt depuis trop longtemps, et nous ne pouvons plus regarder ailleurs. Prolonger notre temps de réaction ne fera que rendre la situation plus difficile. Les marchés classiques du livre et de la musique, pour ne parler que de supports physiques, sont en difficulté et voient leur assiette de taxation se réduire. Dans le même temps, l’édition et la distribution d’œuvres, surtout audiovisuelles, ont des besoins de financement importants, et le contexte budgétaire est contraint.

S’il faut être connecté pour réaliser des transactions dématérialisées, l’impôt sur les sociétés et la TVA, eux, sont déconnectés du pays de consommation. Prenons l’exemple des médias : certains groupes de presse se sont alliés, compte tenu de la crise qu’ils traversent, pour demander la création d’une taxe sur ceux qui captent leurs productions. On a invoqué les compétences de l’Union européenne, avant que les Allemands n’adoptent une telle taxe. On a alors organisé des réunions intergouvernementales, notamment avec les Portugais. Depuis, Google s’inquiète de l’adoption éventuelle d’une législation et en tient compte. Il est donc nécessaire à la fois de sortir du cadre restreint du commerce en ligne et de dépasser le cadre national. Pour défendre la culture et la communication, il faudra agir au niveau global.

Malheureusement, cette proposition de loi ne voit pas assez loin et son champ n’est pas assez large. Son auteur envisage la création de taxes sectorielles sur la publicité en ligne et le commerce électronique sur le territoire national. Or, en réalité, nous avons besoin de mesures fiscales adaptées à chaque domaine. Il faut cibler pour être efficace : c’est la seule solution pour avancer dans ce dossier complexe. Tous les secteurs de la culture sont physiquement touchés : les archives, les bibliothèques, le cinéma. Avec cette proposition de loi, nous abordons le problème sous un angle trop général, mélangeant les aspects technique, économique, de compatibilité européenne, de sorte que nous n’y voyons plus clair. Nous gagnerions à adopter une stratégie de taxation ciblée sur chacun des champs de notre compétence.

À ce titre, le rapport de MM. Collin et Colin, remis le 18 janvier 2013, trace des perspectives très intéressantes, en dehors des sentiers battus, qu’il s’agisse du recensement des données des utilisateurs ou du financement par le marché de ce secteur. Il est donc trop tôt, à mon avis, pour se doter d’un arsenal législatif qui fermerait des portes au lieu d’en ouvrir. En outre, dans l’état actuel des choses, ce dernier serait difficile à rendre opérationnel non seulement du point de vue fiscal, mais aussi au regard du droit européen – vous le savez d’ailleurs bien, monsieur Marini.

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