Intervention de Philippe Marini

Réunion du 4 avril 2013 à 9h00
Fiscalité numérique neutre et équitable — Suite de la discussion et renvoi à la commission d'une proposition de loi

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, président de la commission des finances :

Malheureusement, la fiscalité est loin de se situer sur ces hauteurs ! Mme la ministre le sait, la fiscalité, ce sont une assiette, un taux, un système de recouvrement et des sanctions. Cela ne nécessite pas de faire appel à de hautes compétences intellectuelles ! C’est une discipline pratique, c’est quelque chose qui doit tourner, qui doit fonctionner !

Peut-être nous direz-vous, madame la ministre, si MM. Collin et Colin ont progressé, si leurs travaux ont été complétés et si l’on peut voir un vrai impôt mis en place sur les données personnelles et leur absorption par des moteurs de recherche.

Ce que je sais, c’est que, dans un domaine très précis, celui de la rémunération des éditeurs de presse, domaine qui ne peut évidemment être que très attentivement suivi par nos excellents collègues de la commission de la culture, l’Allemagne, quant à elle, a continué à avancer. Elle a adopté une loi, votée par le Bundestag le 1er mars, ratifiée par le Bundesrat le 22 mars, établissant des droits voisins du droit d’auteur pour les éditeurs de presse. Certes, le lobby de Google s’est absolument déchaîné en mettant en œuvre des moyens considérables. Quant à la France, elle n’a pas voulu suivre cette voie législative en ce qui concerne les éditeurs de presse, préférant un accord a minima négocié entre les éditeurs et Google, certes signé sous les ors de l’Élysée et en présence de M. le Président de la République lui-même.

Mais, vous le savez, il reste beaucoup de choses à clarifier. Et je ne parle pas seulement de la nomination du président du conseil d’administration du Fonds d’aide à la transition numérique de la presse : si je ne me trompe, il y a polémique sur ce sujet, et on n’a pas vraiment réussi à se mettre d’accord.

Je ne sais pas non plus quel est le statut de ce Fonds. Je ne sais pas s’il fonctionnera avec de l’argent privé ou de l’argent public. Si argent privé il y a, je ne sais pas s’il sera utilisé selon des prescriptions publiques. Je ne sais pas si ces 60 millions d’euros sont un fusil à un coup. À la vérité, je ne sais pas non plus de manière certaine quelle est la provenance de ces crédits.

Je n’irai pas plus loin dans les questions. Peut-être, madame la ministre, nous apporterez-vous des éléments de réponse ? En tout cas, cher président David Assouline, par rapport à une loi votée par une représentation nationale, par deux assemblées, comme l’ont fait nos collègues et partenaires allemands, le dispositif dans lequel nous nous sommes engagés comporte à mon avis des faiblesses. Il est en tout cas beaucoup moins transparent et clair que celui qui a été mis en place outre-Rhin.

Vous allez sans doute évoquer de nouveau, madame la ministre – et je le souhaite vivement –, la feuille de route numérique adoptée par le Gouvernement. Celle-ci comporte un volet que j’applaudis, relatif au « rétablissement de notre souveraineté fiscale ».

Comme chacun le sait, plusieurs étages sont à considérer. Nous sommes bien engagés, avec d’autres, dans le processus mondial lancé par l’OCDE et le G20, dans lequel s’intègre le concept d’établissement stable virtuel.

Par ailleurs, l’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises du numérique, à savoir l’opération communautaire ACCIS, suivra le sort de l’ensemble de l’opération ACCIS de modification des règles internationales de l’OCDE et communautaires : il faudra parvenir à un consensus des États membres de l’Union européenne. Or je ne crois pas que vous ayez la capacité divinatoire de nous indiquer quand il sera à notre portée. Cet objectif, qu’il nous faut manifestement chercher à atteindre, paraît encore bien lointain.

En outre, vous avez sollicité l’avis du nouveau Conseil national du numérique, le CNN, ce qui est une excellente chose, mais le précédent s’était livré au même exercice.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que les professionnels qui siègent au sein d’un tel conseil sectoriel, et donc quelque peu corporatif, ne sont que rarement enthousiastes à l’idée de concevoir eux-mêmes une taxation s’appliquant à leur propre secteur.

Enfin, en matière de TVA, j’ai lu que la France exigerait de ses partenaires européens le strict respect du calendrier relatif à la mise en place du « mini-guichet » européen de TVA, qui permettra, dès 2015, de taxer la consommation de services en ligne dans l’État du consommateur. C’est une excellente chose. Je pense qu’il faut en effet veiller au strict respect des engagements pris par nos partenaires en ce sens.

Vous me pardonnerez mon insistance et mon impatience, mais il y aura tant de sujets à traiter dans le projet de loi de finances pour 2014 ! Le renvoi à la commission de cette proposition de loi était tout à fait envisageable voilà deux mois, et je l’avais alors approuvé. Depuis lors, le rapport de MM. Colin et Collin a-t-il donné lieu à la définition d’une taxe opérationnelle ? Je ne le crois pas.

Avec cette motion tendant au renvoi à la commission qui, je le répète, pouvait sembler naturelle au départ, n’essaie-t-on pas d’enterrer la démarche dans des méandres procéduraux, afin de ne rien faire ? Vous ne m’en voudrez pas de le suspecter quelque peu.

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