Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 4 avril 2013 à 9h00
Fiscalité numérique neutre et équitable — Suite de la discussion et renvoi à la commission d'une proposition de loi

Fleur Pellerin :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable, ainsi que le rappel utile que vous avez fait des enjeux en termes de culture, d’économie et d’aménagement du territoire qui s’attachent à la fiscalité du numérique, vient en amont d’une série d’initiatives gouvernementales.

Le 31 janvier dernier, j’ai eu l’occasion de vous indiquer combien ce sujet importait au Gouvernement, qui entend bien faire de la France un élément moteur des discussions ayant lieu dans le cadre des instances internationales.

Depuis notre dernier débat sur ce texte, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur Marini, l’OCDE a présenté lors du G20 de Moscou des 14 et 15 février dernier son plan d’action destiné à lutter contre les phénomènes d’évasion fiscale et d’érosion des bases imposables. Le ministre de l’économie et des finances a rappelé à cette occasion que la France soutenait activement ce plan d’action.

J’y insiste, j’ai usé de toute mon influence auprès du Gouvernement pour que nous portions de manière très proactive à la fois les groupes de travail et la réflexion au sein de l’OCDE, un terrain qui avait été totalement laissé à l’abandon depuis dix ans par les gouvernements précédents.

Vous le savez, ce combat n’est pas gagné d’avance. Au sein du G20 et de l’OCDE, cependant, la France est désormais motrice. Elle copréside aujourd’hui, avec les États-Unis, le groupe de travail sur la modernisation des règles traditionnelles de territorialité, au sein duquel sera revisité le concept d’établissement stable virtuel. La France poussera en ce sens. Je crois que les travaux internationaux en cours fournissent, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, une occasion historique de progresser.

Au sein de l’Union européenne, la France, là encore, s’est voulue très proactive et motrice. Dans un courrier adressé à la Commission européenne, le Gouvernement avait demandé au commissaire Šemeta d’inclure des dispositifs volontaristes ciblant le secteur numérique dans son plan de lutte contre la fraude.

Lors du Conseil Ecofin de janvier dernier, la France a appelé la Commission européenne à faire plus et mieux dans ce domaine, et s’est engagée à lui proposer au cours de l’été prochain des mesures législatives concrètes pour réformer, en Europe, la taxation des entreprises du secteur numérique. L’échéance que nous nous sommes fixée peut sembler quelque peu lointaine, mais elle se justifie par la nouveauté de ce sujet, qui n’est pas aussi simple que M. Marini l’a laissé entendre. Il s’agit là de problématiques extrêmement complexes. Si des solutions simples existaient, je pense que les gouvernements précédents n’auraient pas manqué de les trouver depuis longtemps. Il est en effet très difficile, s’agissant de telles activités, de territorialiser les revenus et les bénéfices.

Plus globalement, le rapport de MM. Colin et Collin irrigue désormais la réflexion en France et dans nombre des États européens. Une mission de concertation a été confiée au Conseil national du numérique, dont la composition, je tiens à le préciser, a été entièrement renouvelée afin, précisément, d’éviter qu’il ne devienne une instance de lobbying ou de représentation d’intérêts catégoriels ou sectoriels. Il est désormais composé non seulement de représentants de l’écosystème numérique, mais également de chercheurs, d’universitaires et d’investisseurs, c’est-à-dire de parties prenantes n’ayant pas forcément intérêt à ce que le débat ne progresse pas, bien au contraire. Tel est bien le sens dans lequel j’ai souhaité renouveler la composition du Conseil national du numérique.

Ma position, dans le dossier de la fiscalité numérique, est qu’il faut rétablir une égalité devant l’impôt, une égalité concurrentielle entre les acteurs aujourd’hui vertueux en termes fiscaux et ceux qui ne le sont pas ou qui sont exemptés de fait d’impôt en vertu des stratégies d’optimisation fiscale qu’ils mettent en place. Notre objectif n’est pas de pénaliser l’économie numérique ou son développement. Nous devons donc, dans le cadre de notre réflexion sur la fiscalité, être très attentifs aux équilibres afin que celle-ci ne constitue pas un frein pour les entreprises innovantes, notamment françaises, et ne les pénalise pas au profit d’acteurs over the top ou multinationaux dont les obligations en matière de TVA et d’impôt sur les sociétés sont très allégées.

Nous devons veiller à établir une équité entre les différents acteurs présents sur les mêmes marchés, quelle que soit leur nationalité, sans qu’il soit ici question de cibler plus particulièrement les Américains ou telle société déterminée.

La mission de concertation confiée au CNN a été mise en place pour tester les différentes hypothèses envisageables, parallèlement au chantier concernant l’imposition des résultats. D’autres hypothèses, qui ne figurent pas toutes dans le rapport de MM. Colin et Collin, ont en effet été envisagées, comme la taxe sur la bande passante ou la taxe sur les clics, qui impliquent un certain nombre de réflexions techniques.

S’agissant de la taxe sur les clics, par exemple, il convient de déterminer les moyens techniques qui peuvent être mis en œuvre sans être trop intrusifs et dans le respect de la protection des données personnelles. Ce travail est extrêmement lourd techniquement, et cela explique le temps que nous prenons pour le mener à bien et pour trouver des solutions. Ces concertations sont actuellement en cours.

M. Claude Domeizel a rappelé, à juste titre, que la prospérité des entreprises du numérique repose en grande partie sur l’exploitation de contenus produits par d’autres. C’est notamment le cas des contenus culturels, mais on pourrait également citer les données personnelles et la publicité ciblée : si quelque chose est gratuit, c’est en général parce que vous êtes le produit !

Vous l’avez dit, monsieur Marini, les contenus culturels ont retenu bien légitimement l’attention de la commission de la culture du Sénat. J’ai d’ailleurs été auditionnée par ses membres le mois dernier – M. Assouline l’a rappelé – pour répondre à leurs interrogations. Nombre de questions se posent en effet en termes de culture et de répartition de la valeur du fait du développement de l’économie numérique dans le secteur culturel.

Je tiens néanmoins à insister sur le caractère général et transversal des problèmes posés par l’économie numérique. L’ensemble des contenus, culturels ou non, participent à la création de valeur des entreprises du numérique, notamment les données personnelles, très minutieusement analysées dans le rapport de MM. Colin et Collin.

Il ne faut pas non plus stigmatiser l’économie numérique.

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