Voilà deux mois, j’étais également d’avis de voter le renvoi en commission.
À présent, pour les raisons que j’ai exposées lors de la discussion générale, il me semble que cette motion est en décalage par rapport à l’évolution du problème et qu’il convient de la rejeter.
Certes, l’examen et l’adoption de cette proposition de loi ne constitueraient qu’un signal, une petite piqûre d’épingle, somme toute mineure, qui ne serait vraisemblablement pas de nature à entamer la carapace particulièrement épaisse des quelques groupes qui exercent, à mon sens, une position dominante sur le marché des services numériques. Mais le simple fait d’engager une navette sur ce texte serait perçu comme une avancée. En termes de communication, ce ne serait pas neutre !
Au demeurant, pour faciliter une éventuelle adoption de la proposition de loi, je serais prêt à la modifier et à la simplifier, en particulier en supprimant l’article qui vise à instaurer une taxation sur les services commerciaux en ligne. Il s’agit en réalité d’un autre débat, que j’avais initialement souhaité joindre à celui-ci, mais qui soulève une multitude d’autres questions.
Il me semblerait donc opportun d’en revenir à une modeste taxation des régies de publicité en ligne, la publicité constituant bien le cœur du modèle économique des groupes de l’internet.
Au demeurant, les spécialistes de l’économie de l’audiovisuel savent que l’un des grands problèmes aujourd’hui est la baisse tendancielle du marché publicitaire, qui pose à la fois des problèmes de financement et de concurrence pour l’ensemble des chaînes de télévision, les anciennes comme les nouvelles.
Les causes de cette hémorragie du marché publicitaire sont, dans une très large mesure, à chercher dans le développement des vecteurs numériques, qui peut par ailleurs s’avérer excellent sur le plan économique.
Il me semble que cette taxation des régies de publicité est susceptible de faire son chemin. Au demeurant, l’adoption d’un modeste texte au Sénat ne serait absolument pas de nature à compromettre toute étude que le Gouvernement souhaiterait engager par ailleurs. Il ne ferait qu’initier le processus de navette, la date d’inscription du texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale restant pour l’instant indéterminée.
Je crois que ce serait surtout une façon de poursuivre le dialogue engagé avec la Commission européenne sur le respect des principes de proportionnalité et de lien direct évoqués dans la récente lettre des commissaires que j’ai citée.
Madame la ministre, je regrette que, au début de votre intervention, vous ayez pu dire que le terrain que nous traitions avait été abandonné par les gouvernements précédents. Ceux-ci n’ont certes pas été parfaits, mais celui-ci ne l’est pas non plus !
Mes chers collègues, pour me connaître un peu, vous savez que, lorsque mes amis politiques étaient au gouvernement, mon soutien ne me dispensait pas d’exercer, au jour le jour, une sorte de devoir d’inventaire, ce qui m’évite de devoir le faire à présent qu’ils ont cédé la place… Il me semble d’ailleurs qu’il est préférable de procéder ainsi, de ne pas jouer aux béni-oui-oui à l’égard de ses amis lorsqu’ils sont au pouvoir, mais d’être transparents et directs à leur endroit, ne fût-ce que pour tâcher de leur rendre service.
En l’occurrence, il me semble que, sur ce sujet, des idées et des principes avaient été évoqués du temps de Nicolas Sarkozy : en particulier, la mission conduite par M. Zelnik avait été, à l’époque, la première à évoquer ce problème du déséquilibre des marchés de l’internet et à plaider pour des éléments de fiscalité spécifique.
Ensuite, je ne referai pas la chronique : il est vrai qu’un fort lobbying s’est exercé en la matière. Dans ce pays comme dans les autres États amis d’Europe, les intérêts économiques sont en effet extrêmement puissants et n’hésitent pas à se faire entendre. Nous ne pouvons l’ignorer, mes chers collègues.
D’ailleurs, Mme la ministre a eu raison, en évoquant la situation de la presse en Allemagne, de dire qu’il existait des groupes d’intérêt de force variable, et que certains avaient pesé plus que d’autres. C’est la réalité des choses. Ne soyons pas naïfs : il est clair qu’il existe sur ce marché des services de l’information des positions puissantes. Il appartient aux États de frayer leur chemin au milieu d’un paysage pour le moins complexe.
Mes chers collègues, le groupe auquel j’appartiens a bien voulu, hier, s’associer à ma demande de rejet de cette motion tendant au renvoi du texte en commission. J’espère que le Sénat votera majoritairement contre celle-ci.
S’il ne le faisait pas, la commission des finances continuerait son travail et profiterait en quelque sorte de ce renvoi pour approfondir ses propres études. Il s’agit pour nous d’un sujet structurant, sur lequel, quoi qu’il en soit, nous reviendrons, madame la ministre, et sur lequel nous nous efforcerons d’être exigeants, en dépassant les clivages politiques qui, s’ils sont naturels dans notre assemblée, devraient à mon sens davantage s’effacer sur un thème de cette nature.