Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi cette proposition de loi ? Tout simplement parce que le rôle, le devoir et l’honneur du politique est de traiter les problèmes qui préoccupent la société.
S’il est un problème sensible aujourd’hui, c’est bien celui de la protection pénale des forces de sécurité et de l’usage des armes à feu. Tel est l’objet de notre proposition de loi, qui procède d’un double constat : il existe, d’une part, un malaise au sein des forces de l’ordre et, d’autre part, un ressenti de même nature parmi la population.
Dans son rapport, monsieur le ministre, la mission Guyomar revient par deux fois sur le « contexte actuel caractérisé par un certain malaise ». Elle ajoute que « des améliorations sont souhaitables et d’autres plus que nécessaires ». Dans le compte rendu des auditions sont également évoquées les questions récurrentes touchant à l’usage des armes et à la légitime défense, qui traduisent, selon la mission, l’existence d’un besoin de protection élargie et plus efficace.
De même, dans son rapport, notre collègue Virginie Klès souligne qu’il existe légitimement une forte attente des forces de l’ordre. Je me plais à relever, monsieur le ministre, qu’elle-même appelle à améliorer significativement et dans les délais les plus brefs la sécurité juridique des membres des forces de l’ordre.
L’actualité est telle que l’Assemblée nationale a elle aussi examiné, dès le mois de décembre 2012, une proposition de loi ayant le même objet, déposée par nos collègues députés du groupe UMP Guillaume Larrivé, Éric Ciotti et Philippe Goujon.
Le malaise, je l’ai dit, est également ressenti par la population, qui, devant la recrudescence des attaques contre les forces de l’ordre, réagit à son tour et réclame une protection renforcée pour ces dernières ainsi que des sanctions aggravées contre les auteurs des actes violents.
À ce double constat se greffe un autre élément préoccupant. Il s’agit de ce que j’ai appelé un « effet de ciseaux », c’est-à-dire d’un certain divorce entre, d’une part, l’interprétation jurisprudentielle des textes faite par la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour de Cassation et, d’autre part, le sentiment populaire, c'est-à-dire le sentiment du peuple, que nous représentons, sur le principe de la légitime défense.
Cette fracture ne peut qu’interpeller le politique. Ce dernier aspect de la question constitue un problème quasi philosophique, qui resitue le débat dans un contexte plus large.
Ce sont ces trois raisons qui nous ont conduits, mon collègue Pierre Charon et moi-même, à nous mobiliser sur ce sujet qui apparaît comme un vrai problème de société.
Si nous pouvons comprendre, madame le rapporteur, les observations que vous faites en matière de techniques juridiques et en discuter, notre vision – notre philosophie, dirais-je même – est totalement différente de la vôtre.
J’en veux pour preuve votre argumentaire selon lequel on ne répond pas à la violence par la violence. À travers cette expression, que je trouve particulièrement malheureuse, vous stigmatisez ce que vous appelez « la violence » des forces de l’ordre. Ce faisant, vous parlez comme les juges de la Cour européenne des droits de l’homme, qui évoquent « la force meurtrière » des forces de l’ordre.
Nous, tout simplement, nous parlons de légitime défense ; nous, tout simplement, nous voulons d’abord protéger les policiers et les gendarmes, qui ne sont, je le rappelle, ni des machines ni des ordinateurs, mais des hommes et des femmes qui risquent leur vie pour nous et pour la défense de la société.
Qui est prêt, aujourd’hui, comme eux, à mettre en péril sa vie pour les autres ?
Sauf à confondre le bien et le mal, sauf à faire fi, monsieur le ministre, de toutes les valeurs qui fondent la cité, on ne peut mettre sur un même plan la violence illégale, aveugle et barbare, d’individus qui n’hésiteront pas un instant, eux, à ouvrir le feu sur des innocents et l’usage des armes fait par les forces de l’ordre dans un cadre légal, contraignant et ne permettant, comme nous le proposons, d’ouvrir le feu que dans un nombre de cas très limité.
Nous ne sommes pas au Far-West ni même aux États-Unis, et nous n’avons pas besoin de cow-boys en France. Toutefois, cette philosophie rousseauiste, démentie par la brutalité de la violence de malfaiteurs sans foi ni loi, ne nous paraît pas admissible !
Jour après jour, les Français sont les témoins impuissants de cette profonde dérive « du vivre ensemble » et des valeurs. L’uniforme ne protège plus ; au contraire, il devient une cible. À mes yeux, mes chers collègues, notre pays marche sur la tête.
Nous devons donc prendre toutes les mesures pour nous adapter à cette nouvelle situation. Le contrat social vole en éclats à cause d’une infime minorité. Nous sommes indignés par la situation actuelle. Avec mon collègue Pierre Charon et les sénateurs du groupe UMP, nous avons donc décidé de réagir et de déposer cette proposition de loi.
Nous souhaitons, monsieur le ministre, que notre indignation soit partagée sur toutes les travées et que l’appel que nous lançons puisse faire bouger les lignes en faveur des forces de l’ordre, qui n’ont pas à payer un si lourd tribut aux voyous.
Ce malaise parmi les policiers et les gendarmes et que ressent aussi la population est confirmé au quotidien par l’aggravation de la violence meurtrière contre les forces de l’ordre. Tout le monde le reconnaît, y compris notre collègue rapporteur, qui évoque elle-même le « constat, incontestable, de l’augmentation dans notre société de la violence et de l’usage des armes ».
Mieux qu’un long discours, quelques exemples récents illustrent la gravité de la situation que nous entendons combattre.
En juin 2012, deux femmes gendarmes ont été abattues à Collobrières. Le meurtrier a assommé l’une des deux militaires pour lui prendre son arme, avant de l’abattre dans l’appartement qu’il cambriolait. Il a ensuite poursuivi la seconde et l’a tuée en pleine rue, sur la placette du village. Elles étaient armées, et ce sont elles qui sont mortes !
Le 16 août 2012, à Cagnes-sur-Mer, ma ville, un malfaiteur multirécidiviste a lui aussi tenté de s’emparer de l’arme d’une policière nationale qui le tenait en joue alors qu’il venait d’être pris en flagrant délit de cambriolage. Le pire fut évité, de justesse, mais pourra-t-il toujours l’être ?
En octobre 2012, le capitaine Brière a été tué par le chauffeur d’un véhicule qui a foncé sur lui alors qu’il portait son brassard et qu’il était sur le côté de la chaussée. Il avait sorti son arme mais il n’a pas tiré… Nous avons tous deux assisté, monsieur le ministre, aux obsèques de cet homme courageux et vous avez vous-même qualifié sa mort « d’intolérable, d’insupportable, d’inqualifiable ». Vous aviez cent fois raison ; mais il est mort !
La semaine dernière, dans une commune littorale des Alpes-Maritimes, à la suite d’un vol à main armée, les gendarmes se sont retrouvés braqués par les malfaiteurs. Ils n’ont pas tiré, mais que ce serait-il passé si les malfaiteurs avaient ouvert le feu ? Les gendarmes me l’ont dit eux-mêmes au téléphone : si ceux-ci avaient tiré, eux-mêmes ne seraient plus là aujourd’hui !
Voilà la situation. Si nous continuons ainsi, nous aurons sans doute à déplorer de nouvelles victimes.
D’autres affaires, à Chambéry, en Corse, dans le Cher, confirment la violence des malfaiteurs face à des forces de l’ordre qui se retrouvent dans une situation impossible.
Pourquoi impossible ? Parce que le cadre légal actuel est interprété par la jurisprudence de telle façon que les forces de l’ordre, les hommes de terrain qui, même s’ils ne la maîtrisent pas totalement, connaissent l’interprétation jurisprudentielle, n’osent pas utiliser leurs armes, y compris dans une situation de légitime défense où leur vie est pourtant en jeu. C’est un comble, et tout cela en raison des conséquences judiciaires, administratives, voire financières, de l’emploi de leur arme par les policiers et les gendarmes !
Du fait du cadre juridique actuel, les forces de l’ordre de terrain préfèrent, comme plusieurs me l’ont déclaré, ne pas utiliser leur arme. Elles ont le sentiment, comme la population, de ne pas avoir plus, si ce n’est pas moins, de droits que les malfaiteurs qui les agressent. Il s’agit là d’un vrai problème, non pas juridique, non pas judiciaire, non pas administratif, mais moral. Nous nous trouvons dans une situation amorale, où le bon peuple constate que les policiers se font tirer dessus et meurent alors que les malfaiteurs arrivent à s’échapper et restent, eux, en vie.
Cette situation, complètement anormale et, je l’ai dit, amorale, heurte le bon sens. Aussi, avec Pierre Charon, proposons-nous une modification de la législation sur la légitime défense et l’usage des armes afin de mieux protéger les forces de l’ordre.
Il est en effet nécessaire de donner aux policiers et aux gendarmes un cadre légal plus protecteur, ainsi que les moyens d’agir appropriés pour tenir compte de la violence des délinquants d’aujourd’hui, laquelle ne ressemble pas à la violence des délinquants d’hier. Comme nous venons de le voir, l’actualité confirme la dangerosité des malfaiteurs, dont certains n’hésitent plus à ouvrir le feu et donc à tuer. En tant que législateurs nous nous devons, me semble-t-il, de réagir pour protéger ces hommes et ces femmes qui risquent leur vie tous les jours.
Cette crainte conduit à des situations paradoxales : d’un côté, le risque de voir se multiplier le nombre des blessés et des morts dans les rangs des forces de l’ordre ; de l’autre, la diffusion de directives à l’image de celle qui a été adressée par un haut responsable départemental à ses hommes à propos de l’engagement des personnels face aux raids nocturnes contre les magasins de téléphonie et dans laquelle il demande à ceux-ci, premièrement, de s’abstenir de toute poursuite du ou des véhicules utilisés, deuxièmement, d’aborder la scène du crime seulement après s’être assuré du départ effectif des malfaiteurs, troisièmement, de s’abstenir de toute intervention en se tenant sur un point d’observation sans engager d’action !
Une telle attitude peut surprendre, mais elle est en fait conforme à l’état actuel du droit et à la jurisprudence. Ce chef voulait tout simplement protéger ses hommes et sauver leurs vies. Voilà où nous en sommes réduits et voilà pourquoi il est nécessaire, selon nous, de faire évoluer le cadre légal vers un dispositif plus protecteur. Tel est l’objet de notre proposition de loi.
Je le répète, la présente proposition de loi a pour objet, d’une part, de renforcer le régime juridique des policiers pour le rapprocher de celui des gendarmes en instituant au bénéfice des policiers une disposition semblable à la mesure figurant à l’article L. 2338-3 du code de la défense et, d’autre part, de créer deux nouvelles présomptions de légitime défense en faveur des policiers et des gendarmes intervenant dans le cadre du dispositif que nous proposons.
Je ne terminerai pas mon intervention sans évoquer une difficulté particulière de ce dossier que j’ai soulevée précédemment. En effet, l’interprétation du droit, que ce soit par la Cour européenne des droits de l’homme ou, désormais, par la chambre criminelle de la Cour de cassation, pose, me semble-t-il, un vrai problème. Ainsi, l’arrêt Ülüfer c. Turquie rendu au mois de juin 2012 par la première de ces instances puis suivi par la chambre criminelle de la Cour de cassation définit désormais un cadre particulièrement restrictif de l’usage des armes pour nos forces de l’ordre, quelles qu’elles soient, police ou gendarmerie.
La mission Guyomar confirme : « Au-delà des textes, la particularité du domaine de l’usage de la force armée est d’avoir été considérablement modelé, dans un sens restrictif par la jurisprudence. » Ce n’est pas le législateur, ce n’est pas nous, parlementaires, qui avons demandé une telle restriction. Nous, nous avons des comptes à rendre au peuple. Nous, nous sommes élus par le peuple.
Le rapport de la mission précitée poursuit : « Le résultat original en est désormais que les critères jurisprudentiels […] priment finalement sur la question du respect des cas légaux d’ouverture du feu. »
C’est la Cour européenne des droits de l’homme qui pose la condition d’« absolue nécessité », qu’elle apprécie de plus en plus sévèrement.
En bref, quelles que soient les différences du cadre légal national, les agents de la police nationale comme de la gendarmerie se retrouvent jugés de la même manière à l’aune du critère fondamental « de la prééminence du respect de la vie humaine », principe devant lequel nous ne pouvons que nous incliner. La France est un pays de grande culture, mais devons-nous pour autant accepter de voir nos policiers et nos gendarmes sacrifiés ?
Dans le sillage de la Cour européenne, la chambre criminelle de la Cour de cassation exige, à son tour, que le recours à la force meurtrière soit « absolument nécessaire ». Même dans les cas d’usage légal de l’arme, la Cour vérifie que les critères d’existence d’un danger actuel, d’absolue nécessité et de proportionnalité de la riposte sont véritablement remplis. De même, elle fait une appréciation tout autant restrictive des dispositions de l’article L. 2338-3 du code de la défense.
Bref, la jurisprudence a démantelé le cadre légal national existant qui, selon la mission Guyomar, « est désormais largement dépourvu d’efficacité juridique ». La messe est dite !
Ce faisant, cette jurisprudence n’équivaut-elle pas, en pratique, à une présomption de culpabilité à l’encontre du policier ou du gendarme et ne heurte-t-elle pas la présomption d’innocence qui, à ma connaissance, a valeur constitutionnelle ?
Face à ces incertitudes, mes collègues, dont Pierre Charon, et moi-même pensons que le statu quo n’est plus admissible. Le malaise est réel. Voilà bientôt près d’un an, la mission Guyomar a fait vingt-sept propositions, toujours non mises en œuvre à notre connaissance.
Monsieur le ministre, les Français ne comprennent pas cette situation, qui paraît inéquitable et déséquilibrée. Aussi, en attendant que le gouvernement auquel vous appartenez se manifeste, nous, nous avons décidé d’agir ! §