Intervention de Virginie Klès

Réunion du 4 avril 2013 à 9h00
Protection pénale des forces de sécurité et usage des armes à feu — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès, rapporteur :

Voilà pourquoi je ne pense pas qu’il soit nécessaire de rompre l’équilibre qui existe aujourd'hui entre le droit de tuer en temps de paix, que nous accordons de fait à nos forces de sécurité, et le droit de vivre inscrit dans la Constitution, qui concerne tout le monde. Cet équilibre est conforme à la jurisprudence nationale et internationale. Dans son arrêt Ülüfer c. Turquie, la Cour européenne des droits de l’homme a simplement délivré une mise en garde : les législations nationales ne doivent pas accorder des droits de tuer disproportionnés au regard du droit de vivre inscrit dans les différentes constitutions. La Cour n’a pas invité les délinquants à tuer des policiers, en leur promettant qu’il ne leur arriverait rien ! Je ne peux accepter que l’on fasse cette caricature ; je suppose d'ailleurs que ma voix trahit ma colère.

Je ne crois pas qu’il faille déséquilibrer les choses. Je ne crois pas qu’il faille ouvrir, ou faire semblant d’ouvrir aux policiers un nouveau droit à faire usage de leurs armes. Les policiers ont le droit de faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité, de légitime défense ou de commandement par l’autorité légitime. Ils le font d'ailleurs très bien, avec mesure. Peut-être – je ne sais pas – y a-t-il lieu de revoir le droit à tirer prévu par l’article L. 2338–3 du code de la défense pour les gendarmes dans le cadre de leurs missions civiles. En tout état de cause, il faudrait d'abord un examen très sérieux et très circonspect des conséquences que cette réforme engendrerait. L’idée de « diminuer », si je puis dire, le droit des gendarmes à faire usage de leurs armes a été émise lors des auditions que nous avons réalisées. Cela nécessiterait la révision de l’ensemble du code de la défense, et je ne suis pas du tout certaine que cela soit indispensable en l’état actuel de la jurisprudence, y compris internationale. Je mentionne néanmoins cette idée, car elle a été évoquée en commission.

C’est donc pour de multiples raisons qu’il ne me paraît pas nécessaire d’ « aligner », comme vous dites, le régime des policiers nationaux sur celui des gendarmes. Je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire de renforcer la présomption d’innocence en créant une présomption de légitime défense. Là encore, ma conviction s’appuie sur plusieurs raisons, dont certaines ont déjà été citées. Il y a d'abord une raison très juridique : cela reviendrait à instaurer, en regard de la présomption de légitime défense, une présomption de culpabilité dans un domaine non contraventionnel, alors que, en droit français, il n’existe de présomption de culpabilité que pour les infractions routières et uniquement en matière contraventionnelle. Cela bousculerait l’équilibre de l’ensemble du droit français.

Surtout, la création d’une présomption de légitime défense reposant sur la qualité – on en bénéficierait ès qualités, en l’occurrence ès gendarmes, ès policiers – risquerait d’aboutir à un résultat contraire à celui que recherchent les auteurs de la proposition de loi : les juges pourraient devenir plus circonspects au sujet de la légitime défense des forces de sécurité. Les policiers et les gendarmes sont censés mieux maîtriser les situations de stress, car ils sont censés être mieux formés à l’usage des armes et à l’évaluation des risques ; on pourrait donc penser qu’ils sont formés à moins faire usage de leurs armes. Or aujourd'hui les juges ne raisonnent pas ainsi : lorsqu’ils examinent un cas de légitime défense, ils estiment que les policiers et les gendarmes ont le droit d’avoir exactement les mêmes réflexes qu’un citoyen normal.

Il me semble que nous avons des efforts à faire en matière de formation des forces de sécurité. Tous mes interlocuteurs, aussi bien dans la police municipale que dans la police nationale ou dans d’autres instances des forces armées – seule la gendarmerie fait peut-être exception –, m’ont dit qu’ils étaient formés, puisqu’ils tirent x cartouches par an. Ils sont formés au maniement des armes, mais pas à déterminer s’il faut ou non les utiliser. Nous avons sans doute des efforts à faire dans ce domaine. En attendant, il me semble plus protecteur pour les policiers comme pour les gendarmes que la légitime défense soit jugée d’après les critères applicables à n’importe quel citoyen. Les policiers et les gendarmes sont mis dans des situations dangereuses ; il ne faut pas partir du principe que leur formation devrait les conduire à moins utiliser leur arme. Ce serait d'ailleurs aller à l’encontre de ce que prêchent les auteurs de la proposition de loi.

En conclusion, nous ne pouvons que nous accorder sur la nécessité de protéger les forces de l’ordre et de lutter contre la délinquance ; c’est notre devoir. Mais nous n’y parviendrons pas en opposant les uns aux autres, en créant des relations de méfiance entre les uns et les autres, surtout entre les institutions et les hommes et les femmes qui se dévouent au service de ces institutions. Notre justice et nos forces de sécurité doivent travailler ensemble, la main dans la main. Oui, à gauche, nous partageons – même les femmes… – la volonté d’un retour de l’autorité. Mais, comme je vous l’ai dit tout à l'heure, ce retour ne se fera pas par la force. L’autorité doit être ferme, et parfois même intransigeante, dure, mais elle ne se déclare pas ni ne se déclame à la tribune : elle se construit.

Il y a des efforts à faire, je l’ai souligné dans mon rapport. Cependant, la mission Guyomar, qui a listé tous ces efforts, a clairement exclu, après un long travail, l’ensemble des mesures que comporte votre proposition de loi, mes chers collègues. Des efforts doivent être faits en matière de formation, je l’ai indiqué. Une réflexion pourrait également être menée sur les premières affectations des policiers. J’ai récemment assisté aux assises de la formation de la police nationale. Certains intervenants ont déclaré – cela m’a marqué – que le premier acte administratif des jeunes policiers nationaux était très souvent une demande de mutation, non pas parce qu’ils ne s’investissent pas dans leur mission, mais parce que leurs premiers postes sont des postes difficiles qui ne correspondent pas du tout à ce qu’ils auraient souhaité : ils se sentent sans doute un peu perdus. Nous pourrions peut-être prendre exemple sur la gendarmerie nationale et l’armée, qui prévoient une formation opérationnelle et un tutorat plus poussés.

Il y a également des efforts à faire en matière de communication et de respect des institutions. Peut-être faudrait-il arrêter de stigmatiser les uns ou les autres en fonction des circonstances. J’ai entendu certains membres de l’UMP – pas vous, mes chers collègues – accuser les policiers tantôt de laxisme, tantôt d’agressivité, voire même d’usage inconsidéré de certaines armes, selon la nature des manifestations. Ces variations sont-elles liées à l’identité des manifestants, ou à autre chose ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion