Aborder la question de l’usage de l’arme implique d’avoir une juste représentation de ce qu’est le métier de policier. Pour l’essentiel, c’est justement de ne pas utiliser son arme, qui ne doit rester qu’un ultime recours. Pour toutes celles et tous ceux qui agissent sur le terrain, qui font face à la délinquance, au crime organisé, une intervention réussie, c’est maîtriser la situation, interpeller, neutraliser sans devoir faire feu.
Cette proposition de loi, en tendant à mettre l’arme au centre de la réflexion, en en faisant le seul sujet, fait fausse route.
Policiers et gendarmes sont tous dépositaires de l’autorité publique ; tous portent une arme, sauf circonstances exceptionnelles.
Les auteurs de ce texte, en partant d’une analyse simpliste, caricaturale du droit en vigueur, veulent voir une différence majeure entre les deux forces en matière d’usage de cette arme. Or, dans les faits, comme l’a dit Mme Virginie Klès, la situation est beaucoup plus nuancée.
Le Gouvernement, par la voix de mon collègue Alain Vidalies, a déjà pu s’expliquer sur ce point, voilà quelques mois, à l’Assemblée nationale, lors des débats relatifs à la proposition de loi présentée par le député Guillaume Larrivé et plusieurs de ses collègues, à laquelle M. Nègre a fait allusion. Je le fais, à nouveau, aujourd’hui, devant vous.
Le principe de la légitime défense est régi par l’article 122–5 du code pénal. L’usage des armes par les forces de sécurité intérieure relève de ce principe général : l’auteur de violences ou d’un homicide volontaire est pénalement irresponsable lorsqu’il répond à une agression injuste, par une riposte immédiate, nécessaire et proportionnée. Ainsi, il ne peut être imputé aux policiers et aux gendarmes un usage illégal de la force dès lors qu’ils ont agi en état de légitime défense ou sous l’empire de l’état de nécessité.
Il faut, en outre, ajouter un cas spécifique d’usage légitime des armes à feu par les forces de l’ordre lorsqu’il s’agit de dissiper un attroupement. C’est ce que prévoit l’article 431–3 du code pénal.
Toutefois, à ce tronc commun s’ajoutent, pour la gendarmerie nationale, des dispositions spécifiques issues du code de la défense. Ce texte permet aux gendarmes d’utiliser leurs armes non seulement pour se défendre, mais aussi pour empêcher la fuite d’une personne ou d’un véhicule, après sommations faites à voix haute et s’il n’existe pas d’autres moyens.
Cependant, la jurisprudence a largement tempéré cette différence apparente sur laquelle les auteurs de cette proposition de loi fondent l’ensemble de leur raisonnement. Qu’il s’agisse des juges de la Cour européenne des droits de l’homme ou de ceux de la chambre criminelle de la Cour de cassation, tous exigent, au-delà même des textes, pour légitimer l’usage des armes, l’existence d’une absolue nécessité, c’est-à-dire le respect du principe fondamental de proportionnalité.
Ainsi, l’unification à laquelle tend cette proposition de loi a déjà eu lieu dans les faits. Il s’agit de tenir compte de trois évolutions : la réunion au sein du ministère de l’intérieur des deux corps de la police nationale et de la gendarmerie nationale, l’harmonisation des terrains d’intervention en raison de l’urbanisation croissante des territoires, et, enfin, la proximité des missions de sécurité intérieure entre la police et la gendarmerie.
J’observe également que l’article 1er de la proposition de loi, qui a pour objet d’unifier les deux régimes juridiques, manque précisément son objectif. En effet, il ajoute aux violences et voies de fait, les tentatives d’agressions et la nécessité d’une sommation, qui ne figurent pas dans le texte applicable à la gendarmerie. Les policiers auraient donc, sur ce point, un usage des armes plus large que celui qui est accordé aux gendarmes.
En outre, il circonscrit l’usage des armes pour empêcher la fuite d’un suspect à la commission de crimes ou de délits graves. Les policiers auraient alors, sur cet autre point, un usage des armes plus restreint que les gendarmes.
Je veux donc le redire : cette demande d’harmonisation des régimes relatifs à l’usage de la force armée n’est pas utile.
Elle n’est pas non plus opportune, car la différence de régime demeure justifiée, autant par le statut militaire des gendarmes que par la porosité, dans certaines zones, entre missions de maintien de l’ordre et missions militaires. Je pense notamment à la Guyane.
Cette proposition de loi tend également, en créant une présomption de légitime défense qui leur serait spécifique, à aller plus loin dans les conditions d’usage des armes à feu par les policiers et les gendarmes. Je le dis de la manière la plus claire : c’est une très mauvaise idée ! Ce droit obtenu par un renversement de la charge de la preuve est un piège vers lequel je refuse de conduire les policiers et les gendarmes dont j’ai la responsabilité. D’ailleurs, je vous rappelle que mon prédécesseur, Claude Guéant, avait lui-même rejeté une telle option le 27 avril 2012, …