Ce n’est pas sérieux. C’est d’autant moins sérieux, monsieur Nègre, que, dans toutes les affaires que vous avez évoquées, les gendarmes et policiers étaient en état de légitime défense. Prétendre, en prenant appui sur une note ou une circulaire, que les forces de l’ordre n’ouvriraient pas le feu par crainte des tracasseries administratives et des poursuites judiciaires n’est pas non plus sérieux.
L’honneur, la fierté, je le répète, des forces de sécurité, c’est de maîtriser des individus, c’est de gérer des situations sans faire feu. Le sang-froid des policiers et des gendarmes, leur discernement ne peuvent pas, comme vous le faites, être ravalés au rang d’impuissance et de faiblesse de nos forces de l’ordre.
En tant que ministre de l’intérieur, j’ai donc le souci permanent de protéger les policiers et les gendarmes – et je ne veux pas oublier les policiers municipaux –, qui, au quotidien, je le sais très bien, font face à une contestation, parfois virulente, de leur autorité, et ce non pas depuis dix mois, mais depuis des années.
Dès ma prise de fonctions, j’ai voulu, à la suite des engagements du Président de la République, renforcer la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes. J’ai donc confié une mission en ce sens à M. Mattias Guyomar, conseiller d’État.
La protection fonctionnelle, c’est la juste garantie qu’accorde l’administration à ses agents lorsqu’ils sont victimes ou mis en cause dans l’exercice de leurs fonctions. C’est, pour l’État, un devoir impérieux de protéger ces hommes et ces femmes qui, chaque jour, risquent leur vie pour nos concitoyens.
Les auteurs de la proposition de loi affirment, dans son exposé des motifs, que « par peur de poursuites administratives ou judiciaires, des policiers ont pu hésiter à se défendre, devant des agresseurs dénués de tout scrupule ». C’est faux : le ministère de l’intérieur n’abandonne pas ses agents ! La protection juridique des policiers et des gendarmes est déjà une réalité : le nombre de mesures de protection prises pour les agents victimes, comme pour les agents mis en cause, en témoigne. Ce nombre n’a cessé d’augmenter depuis cinq ans pour atteindre plus 20 000 mesures de protection en 2012.
Cette protection que l’État doit à ses agents, j’ai souhaité qu’elle soit renforcée en signe de reconnaissance de la nation. J’ai voulu que l’administration exprime clairement sa solidarité envers celles et ceux qui la servent. Les fonctionnaires de police doivent savoir que l’État sera toujours présent pour les soutenir lorsqu’ils remplissent, avec professionnalisme, leur mission de service public.
Le rapport Guyomar, qui m’a été remis le 13 juillet dernier, comporte vingt-sept recommandations dont la plupart ont d’ores et déjà été mises en œuvre. Trois axes ont été privilégiés.
D’abord, la protection juridique accordée aux victimes devait être étendue aux concubins et aux pacsés, qui n’en bénéficiaient pas. Cette injustice a été réparée dans la police nationale ; elle est en train de l’être dans la gendarmerie.
Ensuite, les droits des agents mis en cause doivent être mieux protégés. Les services qui mènent les enquêtes judiciaires et administratives ne peuvent être les mêmes ; ils sont donc séparés. Par ailleurs, le droit à l’assistance juridique est désormais assuré dès la phase d’enquête administrative, ce qui constitue également une avancée importante.
Enfin, protéger les agents, c’est éviter de précariser leur carrière lorsqu’ils sont mis en cause. À cet égard, les policiers avaient une attente forte, notamment à la suite de l’affaire de Noisy-le-Sec qui avait quelque peu enflammé – une nouvelle fois sur ce sujet – la fin de la campagne pour l’élection présidentielle. La suspension « préventive » était devenue la règle. Désormais, en accord avec la garde des sceaux, le maintien en service sera privilégié ; des instructions en ce sens ont déjà été données.
Sécuriser les carrières, protéger les fonctionnaires et leur famille : parce que cet objectif vaut pour l’ensemble de la fonction publique, un certain nombre de mesures générales sont actuellement étudiées dans un cadre interministériel, sous l’égide du ministère de la réforme de l’État.
Mieux protéger nos policiers et nos gendarmes est nécessaire, mais ce n’est pas tout. Il faut aussi se demander comment ils peuvent agir efficacement contre les phénomènes délinquants auxquels ils sont confrontés – comment et avec quels moyens !
La question est donc bien plus complexe que le cadre dans lequel les auteurs de la proposition de loi cherchent à l’enfermer. Ceux qui connaissent la réalité savent qu’il est difficile d’avancer sur ce terrain sans heurter des principes fondamentaux. D’ailleurs, monsieur Nègre, vous n’avez jamais pris une telle initiative sous les gouvernements que vous souteniez. §
Les forces de l’ordre doivent faire face à une montée de la violence, qui n’est pas nouvelle, et à des individus déterminés, de plus en plus jeunes, lesquels utilisent parfois des armes de guerre. Elles sont aussi confrontées à des trafics et à des groupes organisés qui, dans les quartiers, veulent substituer un autre ordre à l’ordre républicain. Enfin, les policiers et les gendarmes doivent lutter contre une délinquance qui change de formes et qui se déplace vers de nouveaux territoires.
Personne ne conteste cette réalité. Je l’assume, quoiqu’elle ne soit pas le bilan du Gouvernement ni le mien. Je pourrais même vous dire qu’elle est le bilan de dix ans de la politique de sécurité menée par la majorité précédente ; c’est en partie vrai, mais c’est réducteur.