Intervention de André Gattolin

Réunion du 4 avril 2013 à 9h00
Protection pénale des forces de sécurité et usage des armes à feu — Rejet d'une proposition de loi

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a des textes qui semblent pavés de bonnes intentions. Mais pour poser ces pavés, le remblai initial est lui truffé de chausse-trapes mal comblées. C’est pourquoi, et pour continuer à filer la métaphore, je dirais que cette proposition de loi ne tient pas la route, faute d’avoir été suffisamment réfléchie. Si nous la votions, les roues du char de l’État que sont la police et la gendarmerie ne pourraient que s’embourber.

Bien sûr, comment ne pas s’indigner que des policiers soient blessés ou tués ? Ils sont les serviteurs de notre état de droit, garant du respect de nos lois et de la sécurité de nos concitoyens. Ils sont en première ligne des angoisses de notre société, de ses déviances et de ses dérives. Ils ont de lourdes tâches à effectuer et qui ne consistent pas seulement en l’arrestation de délinquants. Ils doivent aussi alerter et assister les proches des victimes, enquêter sur des drames et, évidemment en premier lieu, les prévenir.

Alors oui, protéger ceux qui nous protègent est un devoir fondamental. Aussi et à première vue, cette proposition de loi peut sembler apporter une plus grande sécurité aux policiers par l’alignement de leur régime sur celui des gendarmes en ce qui concerne les possibilités d’utiliser leur arme et de bénéficier d’une présomption de légitime défense.

Dans les faits, ces deux propositions n’apportent qu’une apparence de sécurité.

D’abord parce que ce texte démontre une méconnaissance du comportement des délinquants armés. Aujourd’hui, les délinquants n’ont plus peur des forces de l’ordre et, s’ils en ont encore peur, ils s’arment en conséquence.

Mais surtout, et le plus souvent, un délinquant est persuadé de ne jamais se faire prendre, sinon, il ne serait pas délinquant.

Savoir que les policiers peuvent user dans des conditions moins draconiennes de leur arme ne va certainement pas dissuader les délinquants de tirer.

Si les délinquants ont, par hasard, connaissance de cette nouvelle disposition, ne vont-ils pas, au contraire, être tentés de dégainer encore plus vite pour s’échapper, selon le vieil adage : qui tire le premier a gagné.

Permettre aux policiers de tirer dans les mêmes cas que les gendarmes n’est donc pas protecteur. Cela participe surtout d’une surenchère.

Aujourd’hui, les policiers font déjà un usage de leur arme tout comme les gendarmes : quelque 250 cas par an sur des milliers d’arrestations, pour les deux corps réunis.

S’il y a globalement aussi peu d’utilisation des armes, c’est que les policiers, tout comme les gendarmes, savent que cet usage est le dernier recours quand la vie de leurs concitoyens, de leur collègue ou leur propre vie est en jeu. Les laisser croire qu’ils pourront tirer plus tôt, plus vite, les exposera donc à un risque juridique plus grand, doublé, je viens de le rappeler, d’un risque de riposte plus élevé.

En alignant le régime de l’usage des armes par les policiers sur celui qui s’applique aux gendarmes, nous créerions une égalité de droit factice et surtout précaire. Qu’est-ce qui garantira aux policiers qu’ils sont dans le cadre du droit, qu’ils peuvent faire usage de leur arme, alors même que la jurisprudence de la Cour de cassation reste très stricte pour les gendarmes en la matière ?

Mais surtout, les dispositions de cette proposition de loi ne sont-elles pas, avant même leur éventuelle adoption, déjà « condamnées » par la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation, qui s’appuie sur celle de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’emploi de la force létale ?

Il est assez paradoxal de vouloir étendre aux policiers le cadre juridique d’une loi dont la conventionnalité n’est pas établie. Cette égalité est d’autant plus factice que le texte ne reprend pas l’intégralité de l’article L. 2338-3 du code de la défense. À ce titre, le rapport très précis de notre collègue Virginie Klès pointe clairement les faiblesses et les incohérences de cette proposition de loi et les effets pervers, au détriment des policiers eux-mêmes, que son application pourrait engendrer.

Quant à la présomption de légitime défense, elle ne vaut que ce que valent les présomptions juridiques. Elles sont l’exception à la règle commune. Elles doivent dépendre non pas de la personne qu’elles entendent protéger, mais de la situation et des circonstances dans lesquelles cette personne agit.

Cette règle juridique est d’autant plus nécessaire que le port d’arme ne concerne pas exclusivement les forces de l’ordre. Il concerne aussi notamment les convoyeurs de fond, si souvent pris pour cible, et les gardiens de prison.

Prévoir que seules les forces de l’ordre pourraient agir sous le statut protecteur de la légitime défense est un non-sens juridique.

Si on a le droit de porter une arme, c’est parce qu’on protège des intérêts dignes de protection et qu’on a suivi une formation au droit et au tir. Pourquoi seules deux catégories de porteurs d’arme seraient présumées être toujours en état de légitime défense ?

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