En effet, vous reprenez cet amendement dans le texte de votre proposition de loi. Il est regrettable que vous n’ayez pas eu la sagesse de vos collègues députés !
Cette disposition est purement « d’affichage » ; elle résulte de la volonté politique d’envoyer un signal à un électorat qui se reconnaît aujourd’hui dans les discours musclés de l’extrême-droite, mais elle n’apporte rien en termes d’efficacité. §
Le souci principal des sénateurs socialistes est de rendre hommage à toutes nos forces de sécurité : la police nationale, la gendarmerie, les polices municipales, qui agissent au quotidien, parfois au péril de leur vie, cela a été dit. Nous souhaitons les aider et les protéger.
Tout cela mérite bien mieux qu’une proposition de loi démagogique. Nous voulons avant tout être efficaces.
Votre proposition de loi, messieurs les sénateurs, souhaite donc de nouveau introduire une exception de légitime défense.
L’instauration de présomptions de légitime défense fondée sur la seule qualité de membres des forces de l’ordre ne saurait être présentée comme une sécurisation de l’action desdites forces.
En effet, comme Virginie Klès l’a rappelé dans son excellent rapport, celle-ci aboutirait au contraire à l’effet inverse en venant bouleverser l’ordonnancement actuel du principe de la légitime défense.
Ce texte s’inscrit en porte-à-faux avec les jurisprudences successives en matière d’encadrement de l’usage des armes à feu entre policiers et gendarmes.
Ces jurisprudences concluent à des exigences de nécessité absolue et de proportionnalité équivalente, voire identique, pour l’ensemble des forces de sécurité.
L’alignement que vous envisagez fait donc fi de cette importante jurisprudence, tant nationale qu’européenne, puisque, vous le savez, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu des décisions qui s’imposent à nous.
Aussi, il ne semble pas concevable d’envisager une réflexion sur la base légale encadrant l’usage des armes à feu pour les gendarmes en dehors de son cadre jurisprudentiel.
Ma conviction est que nous serons sûrement amenés un jour à débattre d’un tel alignement, mais je ne suis pas certain qu’il se fasse dans le sens que vous souhaitez. Il serait peut-être plus intéressant de réfléchir à un alignement dans l’autre sens, même si j’ai entendu M. le ministre rappeler que, pour le moment, il n’y était pas favorable.
Enfin, le présent texte se trouve en complet décalage avec les conclusions de la mission de réflexion sur la « protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes » présidée par le conseiller d’État M. Guyomar. Vous l’avez abondamment citée, mais à vous entendre, j’avais l’impression de ne pas avoir lu le même rapport.
En effet, cette mission préconise dans son rapport rendu au mois de juillet dernier le statu quo en matière d’usage des armes. Elle écarte clairement l’option consistant à créer un nouveau cas de présomption de légitime défense.
En revanche, la mission propose d’engager une réflexion sur l’usage des moyens de forces intermédiaires – les armes « non létales » –, le cadre légal de l’usage des armes actuelles n’étant pas nécessairement adapté à l’hétérogénéité des armes appartenant à cette catégorie et à la diversité des finalités auxquelles elles répondent.
Elle écarte aussi l’idée d’une modification du cadre légal d’usage des armes à feu.
Mais elle propose de codifier, par une disposition réglementaire, les conditions jurisprudentielles d’un usage légal des armes à feu, à savoir les exigences d’actualité de la menace, d’absolue nécessité et de proportionnalité.
La mission Guyomar a clairement conclu que l’alignement d’un régime civil sur un régime militaire n’était pas la bonne méthode.
Les préconisations de la mission Guyomar ont notamment porté sur le renforcement de la protection fonctionnelle et, M. le ministre l’a rappelé, le Gouvernement s’y emploie activement.
Ce sujet essentiel de la protection fonctionnelle accordée aux représentants de la force publique, et porté avec exigence par les organisations professionnelles, a été pris en compte, qu’il s’agisse de la notion d’ayant droit pour les concubins et les partenaires du PACS ou de l’extension du bénéfice de la protection fonctionnelle aux agents victimes d’infractions volontaires donnant lieu à des poursuites pénales.
On le voit sur ce sujet, le Gouvernement a pris le dossier en main, et cela répond à une demande forte des policiers et des gendarmes.
En conclusion, je souhaite relever que notre collègue Pierre Charon, coauteur de cette proposition de loi n’a pas toujours tenu un discours aussi bienveillant qu’aujourd’hui en direction des forces de police.