Intervention de Marie-Anne Besançon

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 28 mars 2013 : 1ère réunion
La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux — Audition de Mme Marie-Anne Besançon directeur juridique de total exploration & production et de M. François Tribot-laspiere adjoint au directeur des affaires institutionnelles total

Marie-Anne Besançon, directeur juridique de Total Exploration & Production :

Merci de m'accueillir. J'ai fait mes études à l'IFP et j'ai démarré ma carrière au ministère de l'industrie. Je travaille depuis 25 ans dans le privé.

Pour commencer par des aspects non strictement juridiques, je tiens à rappeler tout d'abord que l'industrie pétrolière rencontre des difficultés spécifiques, liées à la nature géologique de notre activité. Je vous ai apporté deux échantillons de pétrole : vous voyez, ce sont des roches, qui sont difficiles à trouver et à produire.

Les taux d'échec des forages de recherche sont extrêmement importants : sur trois forages, deux sont secs. Les investissements infructueux doivent donc être compensés. Il convient aussi de distinguer trouver et produire. Le taux de récupération pour le pétrole est de l'ordre de 30 % à 35 % par rapport aux réserves estimées et, pour le gaz, il est d'environ 80 % à 90 %. Grâce aux améliorations techniques, ces taux peuvent progresser.

Cette industrie est caractérisée par un cycle long : entre l'attribution du permis de recherche et l'exploitation, il peut s'écouler dix ans.

L'aspect économique est fondamental : même si l'on peut techniquement produire du pétrole, encore faut-il que l'exploitation soit rentable. Si le prix du pétrole baisse, certaines productions ne le sont plus et il faut interrompre la production. Nous avons donc des stocks de réserves non exploités.

Il y a dix ans, en mer du Nord, le coût d'un appareil de forage était de 50 000 dollars par jour. Aujourd'hui, il en coûte dix fois plus !

Les prix de vente doivent également être pris en considération ; or, ils sont très volatiles. En 1998, le baril coûtait 15 dollars et, en 2008, pour le même pétrole, 140 dollars.

Ce marché est fongible, mondial ; ses acteurs sont organisés sous forme de cartel. Ainsi, l'OPEP organise la raréfaction de la ressource pour imposer des prix élevés. La fiscalité pétrolière n'a rien à voir avec la fiscalité de droit commun : les taux sont bien plus élevés.

Toute notre activité d'exploration est financée uniquement sur fonds propres. Aucune banque n'accorde de prêt à une activité qui se solde par deux tiers d'échec. Les dix ans d'investissements nécessaires à l'exploitation d'un puits ne sont donc réalisés qu'avec l'argent de nos actionnaires.

Autre caractéristique extra-juridique de l'activité pétrolière : l'aspect géopolitique. Les ressources pétrolières sont largement répandues dans le monde, mais, en dehors des États-Unis, ce sont les États qui accordent les droits d'exploiter. En outre, le Mexique et le Koweït interdisent d'attribuer des titres d'exploitation à des sociétés étrangères. Depuis une quarantaine d'années, les sociétés publiques étatiques se sont développées. Les grandes sociétés privées ne représentent plus que 15 % de l'exploitation du pétrole. Nous sommes ainsi des nains au côté de sociétés d'État vénézuéliennes, koweitiennes, saoudiennes et iraniennes. Dans bon nombre de pays, la sécurité pose problème et, parfois, des investissements sont réduits à néant pour des raisons sur lesquelles nous n'avons aucune prise.

Une société pétrolière n'investit que si elle a la certitude d'exploiter, si elle a trouvé un gisement, et si la rentabilité est suffisante pour couvrir ses investissements infructueux.

J'en arrive aux deux grands systèmes miniers dans le monde. Le premier est celui de la concession que l'on trouve dans la plupart des pays de l'OCDE et le second est le régime contractuel de partage de production dans les pays dits en développement. Dans les deux cas, hors des États-Unis, c'est l'État qui dispose du droit d'autoriser l'exploration et l'exploitation du sous-sol.

Dans le système de concession minière, l'État concède à une société le droit de valoriser les ressources. Pour les contrats de partage de production, il n'y a pas toujours d'attribution de titres miniers. Dans le premier système, la société est propriétaire du pétrole, dans le second, l'État rémunère la société qui travaille le sous-sol par une quote-part de production.

Fiscalement, on est dans un système de droit commun dans le premier système, où il n'y a ni négociation, ni stabilité fiscale assurée. Dans le deuxième système, la fiscalité est négociée contractuellement : une première tranche est consacrée au remboursement des investissements et une seconde tranche donne lieu à un partage entre l'État et la société. Traditionnellement, il y a une clause de stabilité fiscale, ce qui est très important pour une industrie à cycle long.

Dans le système de la concession, la manne fiscale est différée pour l'État, du fait du report déficitaire. Dans le deuxième système, dès la production du premier baril, l'État bénéficie de sa quote-part du profit oil. C'est pourquoi ce système, inventé par l'Indonésie, a autant de succès dans les pays en développement.

Nous vivons donc avec ces deux systèmes : le second a une fiscalité plus forte, mais il a le gros avantage d'être stable, prévisible, ce que nous apprécions beaucoup.

Il existe un troisième système dont je ne vous ai pas parlé, développé par l'Iran et l'Irak : il s'agit de contrats de services à risques ; la rémunération correspond à un fixe par baril quel que soit le volume produit. La rentabilité est réduite pour les compagnies pétrolières, ce qui explique son faible succès.

De manière générale, il y a toujours deux ou trois phases d'exploration, avant une longue phase de développement, suivie elle-même d'une phase d'exploitation qui peut aussi durer longtemps. Je vous renvoie, pour plus de détails, au tableau qui figure dans le document que je vous ai remis.

Pour nous, il est important de disposer d'un code minier ou de lois spécifiques, pour établir plus de clarté et de prévisibilité, notamment pour ce qui concerne les règles fiscales, mais aussi, pour disposer d'un seul guichet administratif, d'un interlocuteur unique stable dans le temps.

Une compagnie pétrolière ne décidera d'explorer que si elle a la certitude de pouvoir exploiter. Dans ce domaine, toute incertitude a des impacts extrêmement négatifs.

J'en arrive au système minier français. La demande initiale, pour l'attribution d'un titre d'exploration, revient à l'initiative privée. Quand nos géologues estiment que tel ou tel bassin est intéressant, nos juristes demandent à l'État concerné un permis d'exploration. Ce dernier instruit cette demande de titre et informe les divers acteurs intéressés, notamment les collectivités territoriales. Comme dans tous les pays de l'Union européenne, une mise en concurrence est organisée. La demande est publiée. Des demandes concurrentes peuvent alors s'exprimer. Classiquement, le demandeur doit justifier de capacités techniques et financières : l'État ne peut, en effet, se permettre d'attribuer un permis à une société qui, n'ayant pas les moyens d'explorer, gèlerait la zone en question. Le soumissionnaire présente des études environnementales et prend l'engagement financier correspondant aux travaux. Enfin, l'État attribue le titre minier de façon discrétionnaire. Cela est le cas dans la majorité des pays du monde. Une fois attribué, ce titre est exclusif : l'acteur économique n'accepterait pas, en effet, de mener des recherches s'il n'était pas certain d'être seul à les effectuer. La sécurité contractuelle est essentielle. Le titre de recherche est accordé, en général, pour cinq ans, renouvelable une à deux fois.

Depuis la loi du 28 décembre 2012, l'État a mis en place une concertation avec le public après la phase de mise en concurrence européenne et avant de prendre une quelconque décision d'attribution des permis de recherche. Cette modification était nécessaire pour se conformer à la Charte de l'environnement. Pour pouvoir confirmer le titre d'exploitation, l'attribution est désormais soumise à une enquête publique.

Il faut bien distinguer le titre minier des autorisations de travaux. Le titre minier est un droit patrimonial, alors qu'une autorisation de travaux est le titre opérationnel. L'obtention d'un titre minier est donc nécessaire, mais pas suffisant, car il faut une autorisation de la puissance publique pour réaliser les travaux physiques sur le terrain. Notre activité est extrêmement surveillée et réglementée. Depuis le 1er juin 2012, les autorisations de forage de plus de 100 mètres de profondeur sont soumises à une enquête publique.

L'État intervient donc à divers niveaux, notamment pour la délivrance des titres et pour les travaux. En cas d'infraction, il peut retirer les titres donnés, de plus, il assure en permanence la police les mines. De même, lorsqu'il y a inertie ou absence d'exploration, l'État peut retirer les titres accordés.

J'en arrive aux aspects fiscaux de l'activité pétrolière en France, sur lesquels je vous ai remis une note. La fiscalité y est de deux natures : la fiscalité de droit commun, qui est une fiscalité centrale, c'est-à-dire l'impôt sur les sociétés, la TVA, mais aussi les impôts locaux que vous connaissez bien. S'y ajoute de surcroît une fiscalité pétrolière, au bénéfice de l'État ou des collectivités territoriales. Une redevance de 12 % revient ainsi à l'État sur la production. À partir de 2014, pour les zones offshore, cette redevance sera partagée par moitié entre les collectivités et l'État. Peuvent également exister des sur-prélèvements, l'État surtaxant les produits, quand il considère que la rentabilité est trop importante. Enfin, la redevance départementale et communale des mines (RDCM) est fixée par les collectivités locales.

Un point sur les différents types de paiements : il peut exister un premier paiement avant même le premier forage, mais il varie beaucoup en fonction des pays. Quand il y a beaucoup de ressources, ces primes de signature peuvent être conséquentes, par exemple, en Angola. De tels paiements sont inenvisageables dans des pays où l'on trouve peu de pétrole, ils décourageraient les investisseurs.

Les royalties sur la production sont une fiscalité certaine pour les États et les investisseurs prennent évidemment en compte ces coûts dans leurs calculs de rentabilité.

Les redevances superficiaires ou préfoncières sont souvent versées durant la phase d'exploration. Cette taxe a pour effet d'inciter l'opérateur à travailler le plus rapidement possible sur la zone pour éviter de la geler trop longtemps.

Dernier type de taxation qui s'est développé depuis trente ans : celle des surprofits déterminée par les lois de finances. N'intervenant que pour les concessions, ces prélèvements dégradent la rentabilité d'un projet et donc l'attractivité du pays. Les yoyos fiscaux n'incitent pas à l'investissement.

J'en arrive au partage de la fiscalité pétrolière entre l'État et les collectivités territoriales. La plupart du temps, cette fiscalité revient à l'État, ce qui est d'ailleurs source de frictions, voire de tensions avec les collectivités : voyez ce qui se passe au Nigeria.

Un équilibre doit être trouvé : il nous semble qu'un certain retour local est nécessaire, car les collectivités locales financent toutes les infrastructures indispensables à l'exploitation. Les dépenses régaliennes de l'État doivent, bien sûr, être financées. De plus, l'activité pétrolière peut générer des hausses de revenus massives, ce qui peut déstabiliser les collectivités qui en bénéficient et encore plus quand la manne tarit brutalement.

La France, assez pauvre en hydrocarbures, est un pays neuf à cet égard, et elle doit rester attractive pour les investisseurs.

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