Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais reprendre le thème de la déclaration des droits de l’enfant qu’a évoqué brillamment, mais très rapidement, notre collègue Bruno Retailleau. Adoptée par l'assemblée générale de l'ONU le 20 novembre 1959, elle proclame notamment que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être la considération déterminante de la construction de la famille.
Selon le principe n° 6 de cette déclaration, « l'enfant en bas âge ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, être séparé de sa mère ». En d'autres termes, si l'on permet qu'un enfant ait deux pères, on contrevient au principe n° 6 de la déclaration des droits de l'enfant de novembre 1959.
Toujours sur le plan juridique, j'ajoute que la Cour européenne des droits de l'homme, dans son arrêt Fretté contre France – relatif au rejet d'une demande d'agrément préalable à l'adoption d'un enfant par une personne homosexuelle –, a estimé que les autorités nationales avaient légitimement et raisonnablement pu considérer que le droit d'adopter trouve sa limite dans l'intérêt de l'enfant, nonobstant les aspirations légitimes du requérant, sans que soient remis en cause ses choix et sans violation des articles 14 et 18 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, c'est-à-dire des dispositions relatives à la discrimination.
Ces éléments juridiques complètent les arguments qui vous sont fournis, mes chers collègues. La convention internationale des droits de l'enfant de 1989, notamment son article 3, nous conduit à poser la question suivante : ce projet de loi ne viole-t-il pas le droit international ?
Vous le savez, la Constitution assure la supériorité du droit international sur la loi ; cela a été rappelé tout à l’heure, lors des échanges avec Mme la garde des sceaux. Par conséquent, tout citoyen pourra attaquer cette loi au motif qu'elle ne respecte pas le droit international. La seule possibilité pour y échapper serait de modifier la Constitution, mais, pour cela, il faudrait naturellement un référendum.
De même, la connaissance des origines ressortit aux droits et à la dignité de la personne humaine. C’est pourquoi nous proposons que les enfants qui naîtront aient le droit, à l'âge de trente ans, de savoir d'où ils viennent, non seulement parce qu'ils auront besoin de se construire en tant qu'individus responsables, mais aussi, et surtout, en raison d’éventuels problèmes génétiques. Voilà qui touche au cœur de l'ensemble de nos discussions.
Ainsi, on peut regretter que vous ne répondiez pas aux questions que nous avons posées, en partant du principe que l'enfant est un sujet de droit, avec tout ce que cela implique.
Malheureusement, nous sentons que, avec ce texte, l'enfant peut devenir un objet de droit avant d'être un sujet de droit. Or il est une personne humaine. Il est protégé par le principe de dignité de la personne humaine, selon lequel un enfant doit pouvoir être élevé par son père et sa mère.
D'ailleurs, comme le relevait le psychanalyste Jean-Pierre Winter, votre projet crée « une mutation anthropologique majeure ». D’après lui, « on généralise l'exceptionnel, on coupe sciemment et légalement un enfant de ses origines ».
Par ailleurs, « l’enfant se pose en permanence des questions sans réponse, ce qui lui crée de graves difficultés lorsqu'il veut fonder sa propre famille ». Jean-Pierre Winter explique encore : « Tous les bricolages généalogiques sont sources de perturbation et l'enfant devra démêler une question difficile : celle d'être le produit du désir de deux personnes qui ne peuvent pas engendrer. Dans cette situation, comment arrivera-t-il à définir qui il est? ». Enfin, d’après lui, « l'homoparenté est un déni de la nature, un déni du réel qui inscrit l'enfant dans une illusion biographique ».
Pourquoi tant de questions, aux conséquences bioéthiques fondamentales, sont-elles ignorées ? Ces enjeux auraient nécessité un grand débat. C'est d'ailleurs ce que préconisait l'Académie des sciences morales et politiques dans son avis en date du 21 janvier 2013.
Par ailleurs, j'ai conscience que nos concitoyens sont préoccupés par d'autres problèmes, relatifs au chômage grandissant, à la crise qui touche leur pouvoir d'achat, à la fragilisation de notre modèle social, entre autres. Je considère donc que vous ne les écoutez pas.
Certes, il est difficile de revenir sur une telle réforme sociétale, car ses conséquences ne se feront pas sentir avant plusieurs décennies. Vous évoquez notre appréciation du PACS par rapport au moment où il a été voté. Certes, cette appréciation a changé, mais il s’agissait, me semble-t-il, d’un dispositif d’une nature différente, dans lequel il n’est pas question de filiation.
Dans l’histoire de l’humanité, des moments semblables à celui que nous connaissons aujourd'hui se sont déjà produits, et je pense, malgré tout, que nous reviendrons à des usages plus conformes à la nature des choses.
Il n'est pas question, ici, d'évaluer ce qui est bien ou mal, ce qui est moral ou ce qui ne l'est pas, ce qui est normal ou ce qui ne l'est pas. Il s'agit de prendre de la hauteur et de constater que, un jour ou l'autre, l'œuvre humaine est rattrapée par la nature.
Or malgré toute notre bonne volonté, malgré notre désir d’égalité – qui ne supprime pas les différences –, malgré la conscience mélancolique dans laquelle la réalité plonge certains, il est des privilèges et des responsabilités que nous ne pourrons pas abolir, parmi lesquels figure celui de donner la vie.