Intervention de Pierre Bordier

Réunion du 8 avril 2013 à 22h00
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Article 1er

Photo de Pierre BordierPierre Bordier :

Mesdames les ministres, permettez-moi de rappeler l’un des arguments que vous avez régulièrement avancés. Le mariage, le vrai, a perdu de sa valeur : il n’est plus qu’une forme de vie de couple parmi d’autres, et l’on constate une forte augmentation des divorces, du nombre de familles recomposées et monoparentales. L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe s’inscrit donc dans la politique du moins-disant pour les familles et les enfants.

Si votre constat est juste, en revanche, votre passivité face à lui est contestable.

Alors que vous êtes respectivement garde des sceaux, chargée de la protection des personnes, et ministre chargée de la famille, votre action se résume à constater que le cadre protecteur et sécurisant pour chacun des membres de la famille que met en place le mariage n’a plus lieu d’être.

Ce bilan revient à dire que les enfants s’épanouissent aussi bien dans les familles désunies ou recomposées que dans celles où les parents restent engagés et unis. Il revient à prendre comme prétexte la souffrance des enfants dont les parents se séparent et divorcent pour dévaloriser l’institution du mariage.

Votre devoir, en tant que ministres, n’est-il pas plutôt de vous attaquer aux causes des divorces, qui entraînent tant de souffrances pour les adultes et les enfants ? En la matière, le champ des mesures à mettre en œuvre relève de nombreux domaines, à commencer par celui de l’éducation des jeunes à l’engagement, pour finir par celui de la fiscalité, eu égard aux mesures fiscales appropriées qui doivent être prises.

Est-ce à dire que les fragilisations conséquentes à l’instabilité des familles et aux séparations sont sans effet sur la société dans son ensemble ? Est-ce à dire encore que les jeunes d’aujourd’hui, adultes de demain, n’aspirent plus à cette forme d’engagement profond à laquelle souscrivent les personnes qui optent pour le mariage ? Cela qui revient à mépriser leur souhait de s’engager dans la durée et leur capacité à le faire.

Le cadre protecteur mis en place par l’institution du mariage entre deux personnes de même sexe l’est non seulement pour la famille, mais aussi pour la société tout entière. Il est corrélatif de l’engagement pris par l’homme et la femme unis dans le mariage devant la société. Il s’agit d’un engagement social. En tant que législateurs, nous nous devons donc d’encourager le service social qu’il rend.

Quel en est le sens ? La dimension familiale du mariage inclut la perspective de la transmission de la vie. S’agissant donc de l’enfant, il est acquis pour tous que, pour se construire et se développer harmonieusement, celui-ci a besoin de cette sécurité très étroitement liée à son environnement familial.

À cet égard, il est de la responsabilité d’un gouvernement d’encourager les situations qui garantissent au mieux cette sécurité et suscitent le maximum de stabilité ; nul doute que la structure la plus favorable est bien celle du mariage entre deux personnes de sexe différent, conscientes de l’engagement qu’elles prennent devant les enfants et la société, et l’une vis-à-vis de l’autre.

Mesdames les ministres, nous espérons que, dans le cadre du prochain projet de loi portant sur la famille, vous saurez aller au-delà du constat d’échec et proposer les dispositions propres à redonner un élan à cette institution protectrice.

Ces mesures devront être à la hauteur du service public que rend cette institution, qui articule, dans les domaines personnel et patrimonial, les droits et devoirs des époux, entre eux comme à l’égard des enfants à venir.

Quant au projet de loi dont nous débattons, la vraie question que l’on doit se poser est la suivante : madame la garde des sceaux, comme vous l’avez considéré, la remise en cause du cadre juridique et social qui structure la société et la filiation depuis des siècles constitue-t-elle un progrès de civilisation ? Pourquoi menacer ce cadre, alors qu’il doit être consolidé, comme je l’ai évoqué précédemment ? N’y avait-il pas d’autres voies pour organiser juridiquement les liens entre les personnes de même sexe ?

Par ailleurs, vous êtes-vous vraiment posé toutes les questions quant aux conséquences de son remplacement par un nouveau référent : la volonté contractuelle des individus, quelle que soit leur orientation sexuelle ? Le contrat relevant de la liberté des individus, comment poser les limites à ne pas dépasser dans l’exercice de cette liberté, dans le souci du respect de celle de l’autre ? Notre République ne doit-elle pas veiller à ce qu’un individu ne fasse pas primer son propre intérêt sur celui d’un autre ? Comment définir et aboutir au bien commun ?

Peut-il y avoir une vie en société sans repères partagés ? La source de la transmission de la vie n’en est-elle pas un ?

Le droit de la famille porte-t-il une valeur symbolique ? Ne doit-il pas poser des jalons partagés par tous ?

La course réitérée aux « droits à », qui semblent prendre le pas sur les « droits de », est-elle compatible avec le modèle de notre République « une et indivisible » ? En effet, ne risque-t-elle pas de faire se multiplier les communautarismes, à l’inverse de la recherche du bien commun ?

Pour toutes ces raisons, je demande la suppression de l’article 1er, qui, au lieu de valoriser le mariage comme cadre protecteur de la famille et des enfants, en supprime la condition de l’altérité du couple qui s’unit par ce biais.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion