Intervention de Didier Lallement

Commission pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 16 avril 2013 : 1ère réunion
Forum sur l'application des lois

Didier Lallement, préfet, secrétaire général du ministère de l'Intérieur :

Certes, les administrations produisent des normes, mais elles le font avec des stratégies différentes. Certains ministères « faibles » adoptent des politiques de contournement du niveau national et s'adressent au niveau européen. D'autres, comme celui de l'Intérieur, adoptent une stratégie du « fort au fort », mais hormis ses compétences relatives aux collectivités locales, il produit assez peu de textes, même s'il intervient également en matière électorale ou de programmation. Il est manifeste que l'administration s'impose des normes. Avec Serge Lasvignes, nous avions calculé que les préfets recevaient chaque année environ 80 000 pages de circulaires commentant les normes en vigueur et en créant de nouvelles. Nous ne sommes d'ailleurs pas parvenus à établir une hiérarchie dans cette profusion : le système est tel que, depuis les chefs de bureau jusqu'aux directeurs, chacun participe à l'empilement du système normatif et il n'est pas jusqu'aux méls qui ne revêtent parfois une dimension normative.

La raison en est d'abord politique. Souvent, un ministre veut sa loi, mais sa commande n'est pas toujours finalisée. S'il s'adresse à une administration « à doctrine forte », elle produira invariablement le même texte. Autrefois, il en était ainsi à la DGCL. Au contraire, quand l'administration a une « doctrine molle », elle interroge sa clientèle, s'imprègne de ses revendications. C'est ainsi que dans un conflit récent, les taxis ont demandé à l'administration des normes contre une profession concurrente, pour sauvegarder leurs positions. Dans ce genre de situation, les administrations « reroutent » dans leurs textes les demandes des groupes d'affluence.

Au niveau local, les élus viennent voir les préfets, la plupart du temps pour les aider à faire passer leurs demandes de règlements quand des services leur opposent une approche trop rigoriste. Le préfet, en la matière, joue un rôle plutôt interprétatif de ces normes, comme vient de le rappeler une récente circulaire du Premier ministre.

Si l'administration produit ainsi de la norme sans se préoccuper de son application, c'est que notre culture mêle le droit romain et une approche cartésienne. Nous dessinons des jardins à la française parfaits mais impraticables, parce que la puissance de notre pensée dépasse la capacité humaine de sa mise en oeuvre.

Ainsi, après la directive européenne de 2007 sur le permis de conduire sécurisé, la France, contrairement à ses partenaires qui ont travaillé à partir des fichiers existants, a choisi de refondre entièrement et d'actualiser son fichier des permis de conduire, qui comprenait 35 millions d'usagers dont, il faut bien le reconnaître, des doublons et des erreurs. Nous avons donc inventé un système parfait... mais tellement compliqué sur le plan informatique que ça n'a pas marché à la date dite : une fois de plus, nous ne savons pas maîtriser la force de notre pensée !

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