A la recherche, désespérée, des causes de l'inflation normative, les administrations sont parfois suspectées d'avoir mis en place une mécanique à produire du texte. Il est vrai qu'à défaut de pouvoir distribuer des crédits, il reste toujours la possibilité de donner de la norme !
Pour reprendre l'exemple cité par M. Mathus, il est vrai que l'inflation normative a atteint le comble du ridicule avec la fixation des menus des cantines scolaires. Cette règlementation n'en a pas moins une base légale très solide. En vertu de la loi, l'autorité réglementaire a été tenue de fixer les menus des cantines scolaires, des prisons, etc... Il se trouve que les projets de décrets et d'arrêtés sont arrivés au moment de l'installation d'un commissaire à la simplification : nous tenions là notre affaire ! Nous avons engagé un dialogue avec le ministère de l'Agriculture dans la perspective de mesures expérimentales. Cela n'a pas été possible : des lobbys se sont mobilisés, le cabinet puis le ministre de l'Agriculture ont été saisis, et c'est finalement le Premier ministre lui-même qui a tranché. La décision a donc été prise par l'autorité politique au plus haut niveau et, dès la sortie du rapport de MM. Lambert et Goulard, l'on pouvait lire de grands articles sur les vertus de la diététique dans les cantines scolaires !
La sensibilité à l'inflation normative est plus forte aujourd'hui que par le passé : tandis que la situation des finances publiques rend plus attentif aux coûts, la croissance dont nous avons besoin est contrainte par des normes trop précises ou mal maîtrisées, et faisant obstacle à la réalisation de projets économiques. C'est pourquoi la question de la production de la loi et de ses éventuels effets négatifs est devenue politique.
Regardons d'abord le processus de fabrication. La norme ne doit pas être élaborée dans un bureau isolé, détaché de la réalité. Nous voulons nous servir de l'étude d'impact pour déclencher un certain nombre de procédures préalables à la rédaction des textes, afin d'aller voir sur le terrain et de réaliser des crash-tests en sollicitant l'avis des PME et des services déconcentrés sur les nouvelles normes. Nous nous efforçons en outre de sortir des consultations formalistes en développant les consultations publiques.
La conception du produit est plus délicate. La proportionnalité, le manque de souplesse des lois ainsi que leur excessive directivité ont souvent été invoquées. Un consensus existe cependant, non pas sur une totale déréglementation, mais sur la nécessité de rédiger des lois intelligentes, c'est-à-dire adaptées aux situations des individus et des territoires. Les espoirs que pouvaient porter des dispositions transversales se sont révélés vains : le Conseil d'Etat nous l'a dit à plusieurs reprises, pour des motifs constitutionnels et juridiques, il n'est pas possible qu'une disposition générale prévoie que toutes les lois s'appliquent de manière proportionnelle.
Il faut donc travailler loi par loi, l'enjeu étant de savoir quelle marge d'interprétation la loi et le règlement peuvent laisser à l'autorité chargée de leur application. Cela implique, au stade de l'étude d'impact, d'apprécier la possibilité de dérogations, de conditions d'entrée en vigueur différée et de marges d'appréciation accordées à l'autorité de décision, laquelle, pour les décisions personnelles et nominatives, reste le préfet.
Un tel exercice est malaisé juridiquement et culturellement. Juridiquement, d'abord, parce que la jurisprudence du Conseil constitutionnel est assez exigeante sur la nécessité pour le législateur d'épuiser sa compétence. Quand nous avons essayé, en 2011, d'assouplir la législation relative à l'accessibilité pour les handicapés, en prévoyant de mettre en place par décrets des mesures de substitution adaptées aux circonstances locales, cette expérience de « législation équivalente » a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif que le législateur n'avait pas été au bout de ses compétences.
Culturellement, ensuite, car le pouvoir d'appréciation confié aux autorités locales est vite perçu comme discrétionnaire, comme une source potentielle d'arbitraire et d'inégalité devant la loi. Du coup, il est assez rare que les autorités locales demandent à disposer d'un tel pouvoir ! Un pouvoir d'appréciation a tôt fait d'être qualifié de vide juridique, bientôt comblé par une rafale de circulaires. Progresser dans l'adaptabilité de la loi requiert donc l'aménagement et la sécurisation de cette marge d'appréciation, ce qui reposera en aval la question du contrôle du juge. Je ne renonce cependant pas à m'engager dans cette voie. Des initiatives ont été prises en ce sens : une circulaire du Premier ministre invite les services déconcentrés à user de leur pouvoir d'appréciation ; nous favorisons, par des indications sur la réalisation des études d'impact, les retours du terrain ; nous cherchons à canaliser et à régulariser le flux des circulaires.