Intervention de Michel Sapin

Réunion du 17 avril 2013 à 14h30
Sécurisation de l'emploi — Discussion générale

Michel Sapin, ministre :

L'accord et le projet de loi qui vous sont soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, tournent le dos à cette approche de précarisation absolue et, au contraire, renforcent les droits des salariés précaires, tirant à l’avance les leçons que l'Allemagne reçoit de sa propre expérience.

Sécuriser l'emploi passe aussi par des droits nouveaux pour les salariés qui en sont privés, notamment ceux qui occupent des emplois précaires ou les salariés des PME.

Le premier de ces droits, c'est le droit à la santé, via la généralisation de la couverture complémentaire collective et sa portabilité. Quatre millions de salariés n'ont pas accès à une complémentaire collective cofinancée par leur employeur, et plus de 400 000 salariés en sont aujourd'hui totalement privés, faute de pouvoir y souscrire individuellement. Ce n'est pas admissible.

Ces salariés, qui sont-ils ? Pas des cadres, ni des salariés de grandes entreprises : ce sont, là encore, les précaires, les mères célibataires, ceux qui alternent petits boulots et chômage. C'est pour eux que nous agissons, c’est pour eux que la complémentaire obligatoire, qui n'est ni un gadget ni un luxe, a du sens.

La négociation sera privilégiée pour mettre en place cette assurance complémentaire, mais si aucun accord de branche puis d'entreprise n'est trouvé, sa mise en place sera effective, en tout état de cause, au 1er janvier 2016. Elle n'aura donc rien de virtuel, pas plus qu’elle ne constituera une manne pour les assurances privées. En effet, les branches pourront émettre des recommandations sur le choix de l'organisme et désigner – nous débattrons sur ce point – des organismes assurant un régime mutualisé au sein de la branche.

Oui, demain, avec le projet de loi qui vous est proposé, les salariés bénéficieront d’une meilleure protection face à la maladie.

Le compte personnel de formation transférable est une autre avancée importante. Il suivra le salarié tout au long de son parcours, ce dernier fût-il fait de multiples changements. Aujourd'hui, quitter son emploi cause souvent la perte des droits à la formation, alors que c'est justement à ce moment que celle-ci est la plus nécessaire. Voilà une réponse par le haut, en phase avec la nouvelle réalité du travail, à savoir la fin de la carrière à vie, des « quarante ans dans la même boîte ».

Cette approche, nous sommes nombreux à en rêver depuis des années. Objet de colloques innombrables, de revendication de tous les syndicats et de l’attente de nos concitoyens, le transfert des droits à la formation sera demain, si vous adoptez ce texte, une réalité.

La loi pose les principes. Sur ce socle, l'édifice à construire mobilisera de nouveau les partenaires sociaux, l’État et les régions – qui ont une responsabilité très importante dans ce domaine – pour aller vers ce compte personnel universel, pilier central de la « sécurité sociale professionnelle ». Voilà un chantier désormais bien engagé, qui devra se traduire par une nouvelle négociation que le Gouvernement mènera avec les partenaires sociaux au cours de l’été, afin que cette réforme de la formation professionnelle, avec la mise en œuvre de ce compte personnel, puisse voir le jour avant la fin de l’année.

Au-delà de ces progrès évidents, la profonde nouveauté de ce texte est de donner aux acteurs économiques et sociaux la capacité de préserver, ensemble, l’emploi. C’est le point dur du texte. Nous en débattrons, non pas sur des slogans ou des fantasmes, mais sur le contenu réel de la loi.

Aujourd’hui, faute d’anticipation suffisante des évolutions de l’activité et des compétences, faute d’information satisfaisante des salariés, faute de négociations avec les partenaires sociaux dans les entreprises, celles-ci n’anticipent pas assez les crises, ou cachent leur situation jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Aussi, quand elles sont au pied du mur, il n’y a plus qu’une seule solution : licencier. La faiblesse de notre marché du travail tient beaucoup à cet aspect : l’emploi est trop souvent la variable d’ajustement. C’est ce que j’appelais au début de mon intervention la préférence française pour le licenciement.

Le sens de la loi, c’est de changer cette donne qui ne sert personne, ni les entreprises ni les travailleurs. Elle offre des solutions de rechange au licenciement, avec l’accord de maintien de l’emploi, la mobilisation de l’activité partielle, les mobilités encadrées.

Voilà donc jetées les bases du nouveau modèle français, un modèle capable de rechercher plus de compétitivité en combattant l’insécurité juridique et la peur d’embaucher, mais qui le fait non pas en précarisant davantage, mais en anticipant, en sécurisant davantage les parcours professionnels, tout en apportant des garanties collectives nouvelles.

À ceux qui rêvent d’un grand big-bang social ou social-libéral, je dis que la réalité s’est dérobée sous leurs pieds le soir du 11 janvier 2013. Ils croyaient incarner la modernité, ils sont en vérité terriblement archaïques, si loin de ce que le patronat et les syndicats sont capables de construire ensemble. Ils croyaient que notre pays ne pouvait pas se réformer par le dialogue ; ils avaient tort.

Les entreprises ne cherchent pas la flexibilité à tout prix ; elles ont besoin de stabilité juridique. Elles ne cherchent pas tant à licencier facilement qu’à gérer leurs talents et leurs compétences avec des capacités d’adaptation et de mobilité.

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