La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à l’élection des sénateurs, déposé sur le bureau du Sénat le 20 février 2013.
J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel, qui se fonde sur l’article 22 de notre règlement, a trait à la compétence des commissions permanentes.
Cet article leur attribue plus spécialement « le contrôle de l’action du Gouvernement » et « le suivi de l’application des lois », autant de missions qui participent à notre information, laquelle est la ressource principale de notre fonction parlementaire.
Membre de la commission des finances, j’ai appris, comme vous, je le pense, mes chers collègues, que le M. le président de cette commission s’était rendu – il en avait parfaitement le droit – le 11 avril dernier, avec le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, dans les locaux du ministère de l’économie et des finances à Bercy, pour vérifier des informations parues dans un hebdomadaire et concernant ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Cahuzac ».
Ce même 11 avril 2013, dans cet hémicycle, notre collègue Philippe Marini a interrogé M. le ministre de l’économie.
Le président de notre commission des finances s’est entretenu avec la presse. Une dépêche rapporte qu’il a souhaité la démission de M. Moscovici, un ministre pour qui j’ai, à titre personnel, comme beaucoup d’autres ici, une grande sympathie, et qui a bien évidemment l’assurance de ma solidarité politique. M. Marini a assorti son expression – si j’ai bien lu la dépêche – d’une précaution très ambiguë, eu égard au contexte qui ne trompe personne : il souhaite la démission du ministre parce que celui-ci « manque d’autorité dans la conduite de la politique économique et financière ».
Notre collègue Philippe Marini a un double statut. Il est tout d’abord membre de son groupe parlementaire et, à ce titre, je n’ai aucune question à lui poser ; ensuite, il est président de la commission des finances, du fait d’un vote et d’un assentiment très pluraliste.
À ce titre, monsieur le président, mes chers collègues, il a des devoirs à l’égard de notre commission, dont le premier est un devoir simple d’information. C’est une affaire peut-être de statut, mais surtout, plus ordinairement, de bonne pratique républicaine et sénatoriale, me semble-t-il.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.
L’ordre du jour appelle l’examen de cinq projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces cinq projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
Est autorisée l'approbation du protocole commun relatif à l'application de la convention de Vienne et de la convention de Paris fait à Vienne, le 21 septembre 1988, signé par la France, le 21 juin 1989, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation du protocole commun relatif à l’application de la convention de Vienne et de la convention de Paris (projet n° 485 [2011-2012], texte de la commission n° 469, rapport n° 468).
Le projet de loi est adopté.
Est autorisée l'approbation de l'accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l'Uruguay, signé à Montevideo le 6 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République orientale de l’Uruguay (projet n° 709 [2011-2012], texte de la commission n° 457, rapport n° 456).
Le projet de loi est adopté.
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l'Inde relatif à la répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire, signé à New Delhi, le 6 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde relatif à la répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire (projet n° 354 [2011-2012], texte de la commission n° 467, rapport n° 466).
Le projet de loi est adopté définitivement.
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République socialiste du Vietnam relatif aux centres culturels, signé à Hanoï le 12 novembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République socialiste du Vietnam relatif aux centres culturels (projet n° 166 [2011-2012], texte de la commission n° 473, rapport n° 472).
Le projet de loi est adopté.
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République socialiste du Vietnam relatif aux centres culturels, signé à Hanoï le 12 novembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de la convention postale universelle (projet n° 701 [2009-2010], texte de la commission n° 465, rapport n° 464).
Le projet de loi est adopté.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention a trait à l’organisation de nos travaux et, plus généralement, au respect des droits du Parlement.
L’article III de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen constitue l’un des principaux piliers de la République : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
Ce principe essentiel n’est pas respecté dans le cadre du débat qui va s’ouvrir, puisque, comme l’a exigé le Président de la République, François Hollande, le 28 mai dernier lors d’une émission télévisée : « Toute correction devra être approuvée par les signataires. »
Il faut noter d’emblée que cette position est très proche de celle de Mme Laurence Parisot, qui affirmait sur une autre chaîne d’information qu’aucune modification ne devait intervenir sans l’accord des destinataires.
M. le ministre du travail a confirmé cette orientation en demandant aux députés de faire confiance aux partenaires sociaux. Vous avez même cru bon d’ajouter, monsieur le ministre, et nous en étions alors au débat à l’Assemblée nationale, qu’aucun des amendements adoptés en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale ne pose problème au regard de l’équilibre de l’accord.
Faut-il rappeler que la première et la troisième organisation syndicale n’ont pas signé cet accord ? Il y a un débat dans le pays ; il doit se poursuivre au Parlement.
Cette évolution est dangereuse pour la démocratie. Les parlementaires sont sommés de renoncer au droit d’amendement, sous peine de mettre en péril un accord jugé « historique ».
Les sénateurs du groupe CRC interpellent solennellement leurs collègues : ne renoncez pas à vos droits constitutionnels !
Je me tourne tout particulièrement vers les travées de la gauche, cette gauche qui, en 2008, a défendu pied à pied le droit d’amendement face au projet de Nicolas Sarkozy qui voulait mettre au pas les assemblées. La démocratie pâtit lourdement du renoncement des nouveaux gouvernants à leurs principes d’opposants.
Monsieur le président, plus généralement, nous constatons depuis plusieurs années un abaissement du rôle du Parlement, dans un contexte européen et économique étouffant. Trop de choses se décident en dehors du lieu d’exercice de la souveraineté populaire. Trop de choses se décident dans l’opacité de la commission de Bruxelles. Trop de choses se décident dans les salles des marchés.
À l’heure où beaucoup se désolent du discrédit des hommes et des femmes politiques et du fossé qui se creuse entre le peuple et ses représentants, les sénateurs du groupe CRC l’affirment avec force : il faut redonner le pouvoir au peuple. Le peuple doit reprendre le pouvoir.
M. André Reichardt s’exclame.
Or le renforcement de la démocratie parlementaire est une clef pour ouvrir la porte du renouveau démocratique, si nécessaire dans notre pays, qui n’en peut plus du chômage et de la précarité, qui n’en peut plus des promesses non tenues de changement.
Le débat qui va s’ouvrir sur le projet de loi dit « de sécurisation de l’emploi » devrait être le débat phare du moment.
Nous regrettons beaucoup que le Gouvernement brusque l’Assemblée nationale en précipitant de manière tout à fait excessive le débat relatif au mariage des couples de personnes de même sexe, alors qu’un tel texte aurait pu être adopté avec notre accord dès le mois de juillet dernier, si l’on avait voulu éviter les dérapages auxquels nous assistons aujourd’hui. Aucun argument de circonstance ne peut justifier l’abaissement du Parlement.
Le débat qui s’ouvre aujourd'hui est celui de l’emploi. C’est la première préoccupation des Françaises et des Français.
Or le Gouvernement entend y consacrer au Sénat trois ou quatre jours, en imposant d’emblée une discussion le week-end.
Nous n’acceptons pas que ce débat, essentiel, qui touche aux droits de millions de salariés, qui s’inscrit dans le choix libéral de la réduction du coût du travail par la flexibilisation à outrance, soit ainsi évacué par la petite porte du débat parlementaire, masqué par la grande mise en scène du débat de l’Assemblée nationale.
Monsieur le président, une telle adoption en catimini n’est pas acceptable pour une démocratie qui se respecte. Nous souhaitons donc l’interruption du débat sur ce projet de loi, demande que nous confirmerons ce soir lors de la conférence des présidents.
Pour l’heure et pour marquer l’inquiétude du Sénat face aux méthodes employées par le Gouvernement, je demande, au nom du groupe CRC, une suspension de séance.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Je vous donne acte de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
Nous allons donc interrompre nos travaux pour cinq minutes.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à quatorze heures quarante-cinq, est reprise à quatorze heures cinquante.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l’article 36 du règlement de notre assemblée.
Vous le savez, il y a quelques semaines, le Premier ministre affirmait que le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui permettrait de « renforcer la sécurité des parcours professionnels pour les salariés ». Toutefois, pendant ce temps, les sites ferment, et les promesses tombent à l’eau !
Monsieur le ministre, les salariés de Pétroplus, qui ont été laissés pendant des mois dans l’incertitude sur leur avenir, leurs familles et les sous-traitants ont reçu brutalement la décision du tribunal de commerce leur annonçant que tout est fini. Je le rappelle, ces salariés ont tout de même été capables de remettre en état la raffinerie et de la faire tourner, et ce sans patron !
Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a déclaré aujourd’hui que l’État allait chercher un repreneur, et qui soit crédible. Nous avons assez perdu de temps. Il n’est pas nécessaire d’aller loin : l’État doit réinvestir ces sites industriels stratégiques pour l’économie de notre pays.
À nos yeux, il est parfaitement inacceptable d’avoir laissé un groupe de spéculateurs financiers prendre le contrôle des raffineries en Europe, groupe qui, maintenant, ne peut même plus faire face à sa responsabilité industrielle et sociale.
Faites aujourd’hui ce que vous auriez déjà dû faire pour Florange : nationalisez ! Le tabou doit tomber. Face au danger du chômage massif, la collectivité doit reprendre en main son destin.
Après Éliane Assassi, la présidente de notre groupe, je m’adresse à mon tour aux élus de gauche, au groupe socialiste. Souvenez-vous que le Président de la République, avant l’élection présidentielle, s’était rendu à l’usine Pétroplus et s’était engagé à y retourner chaque fois qu’il le faudrait. Il n’est jamais revenu !
Le Président de la République a aussi demandé à ses ministres d’aller sur le terrain. Après avoir consulté les représentants des salariés de Pétroplus, j’ai moi-même écrit au Premier ministre et au ministre du redressement productif pour évoquer avec eux les moyens de faire redémarrer l’entreprise. Je n’ai reçu aucune réponse de leur part.
Pour reprendre le cas de Florange, qui est un exemple supplémentaire de la façon dont on traite aujourd'hui les salariés, je rappelle que, après leur avoir fait croire qu’une nationalisation était possible, le Gouvernement a abandonné les salariés de ce site à Mittal et a son projet mort-né, ULCOS. Les salariés s’interrogeaient sur la viabilité du projet avec l’abandon de la filière chaude : ils avaient raison de douter.
Dans le cadre de la commission de suivi de l’accord entre le Gouvernement et Mittal, et après l’annonce du groupe d’abandonner le projet ULCOS sous cette forme, les organisations syndicales sont invitées à la présentation d’un nouveau projet appelé LIS, qui reposera notamment sur la valorisation du CO2.
Le programme devrait démarrer cet automne et s’étalerait sur trois ans. Pour autant, sommes-nous sûrs qu’il pourra aboutir ? Pour notre part, nous avions rappelé en séance publique nos craintes sur les engagements de Mittal et sur le projet ULCOS.
Le Gouvernement veut rétablir la confiance entre les salariés et les ouvriers. Qu’il fasse un geste pour nous montrer qu’il donne la priorité au redémarrage des hauts fourneaux P3 et P6.
(M. André Reichardt s’exclame.) Cher collègue, vous réagissez à mes propos, mais les salariés sont bel et bien sacrifiés ! J’ai évoqué Pétroplus : Nicolas Sarkozy s’y était aussi rendu avant l’élection présidentielle, et il n’avait rien fait.
Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.
Monsieur le ministre, la casse industrielle continue, les salariés sont sacrifiés. §
J’ai rappelé le sacrifice des salariés. Dans ce contexte, nous allons débattre aujourd’hui d’un projet de loi au service du patronat qui cautionne l’idée selon laquelle le coût du travail serait responsable des destructions d’emploi et que seules la flexibilité et la précarité pourraient venir à bout du chômage. Or, vous le savez, c’est faux !
Il est temps de changer de cap et de contenu. Il faut prendre des mesures fortes pour mettre en œuvre une politique industrielle au service de l’emploi et du développement humain, au lieu de se contenter d’un accord qui accompagne le patronat et qui tend encore à fragiliser les travailleurs.
Ce qu’attendent les salariés, c'est non pas qu’on contraigne leurs droits, mais qu’on leur donne du travail ! §
Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour un rappel au règlement.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 38, alinéa 3, de notre règlement et porte sur le déroulement de nos travaux.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est extrêmement important.
En deux semaines, la Haute Assemblée aura été appelée à travailler consécutivement sur deux textes majeurs : l’un créant des droits nouveaux – le projet de loi relatif au mariage pour tous –, l’autre visant à supprimer des droits actuels, des protections individuelles et des garanties collectives que le patronat veut mettre à mal depuis des années.
Les députés n’ont pas été dupes, et pas seulement ceux du groupe GDR, dont nous saluons la mobilisation. Au final, un texte aussi emblématique que celui-ci, que vous présentez, monsieur le ministre, comme « historique », a été adopté par moins de voix pour que d’abstentions !
La déception, le mécontentement et l’opposition sont grands, jusque dans vos rangs, puisqu’il aura manqué à la majorité de gauche 51 voix, dont le vote contre des 10 députés du Front de gauche.
À ce stade de la discussion, et avant que le débat ne s’engage, je voudrais que vous puissiez nous indiquer le cadre dans lequel vous entendez que le Sénat travaille.
Si je vous interroge ainsi, c’est que j’ai été particulièrement déçue de voir le Gouvernement, en votre personne, monsieur le ministre, venir au secours du patronat et du MEDEF en demandant aux députés qu’ils procèdent à une seconde délibération sur l’article 8.
Pour mémoire, permettez-moi de rappeler succinctement les débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale.
L’article 8 tend à autoriser les employeurs à proposer des avenants aux salariés à temps partiel, qui sont pour l’immense majorité d’entre eux des femmes.
Ces avenants, qui peuvent aller jusqu’à huit, sans que la loi fixe aucune durée maximum d’application, ont un double effet : d'une part, augmenter la durée de temps de travail du salarié concerné, ou plutôt de la salariée concernée, ce qui est positif ; d'autre part, et surtout, repousser la majoration de salaire due pour les heures complémentaires au temps de travail réalisées après avenant.
Les avenants tendent non pas à organiser la rémunération complémentaire des heures réalisées dans ce cadre, mais à permettre en fait aux employeurs de parvenir à faire travailler plus leurs salariées – j’insiste ici sur le féminin – sans les rémunérer davantage. En effet, la majoration ne courra qu’à partir des heures réalisées après la durée de travail prévue dans l’avenant.
Le député Jérôme Guedj, persuadé que cette disposition constituait un recul important pour les droits des femmes, a proposé un amendement visant à ce que les heures complémentaires réalisées après le quatrième avenant soient toutes majorées de 25 %. Il a toutefois retiré cet amendement, sous l’amicale pression du Gouvernement et du rapporteur.
C’était sans compter sur l’engagement du groupe de la gauche démocrate et républicaine qui, après avoir repris cet amendement, est parvenu à le faire adopter.
Insatisfait de l’adoption de cette mesure, qui apportait un peu plus de droits aux femmes que ne le faisait la version initiale du projet de loi, vous avez, monsieur le ministre, demandé une seconde délibération, destinée à revenir à la rédaction du Gouvernement, arguant du fait que les partenaires sociaux s’étaient adressés à vous pour supprimer cette disposition.
Je vous le dis avec un peu de solennité : ce procédé nous étonne et nous choque. Le Parlement est le lieu du débat public où s’élabore la loi ; les parlementaires sont, par essence, par fonction et par définition, les législateurs. Il ne suffit pas d’invoquer la volonté des partenaires sociaux ! Si ces derniers constituent un maillon important dans le processus démocratique, ils ne peuvent contraindre une de nos chambres à se dédire. Les parlementaires sont souverains !
Cet épisode a été particulièrement mal vécu, jusque dans vos rangs. Nos collègues de l’Assemblée nationale en ont été choqués, ce qui explique sans doute pourquoi trente-six députés socialistes ont fait le choix de l’abstention.
Monsieur le ministre, au moment où les sénatrices et les sénateurs s’apprêtent à commencer l’examen du projet de loi, pourriez-vous d’ores et déjà nous faire savoir si vous entendez nous laisser jouer pleinement notre rôle ou si, comme à l’Assemblée nationale, vous entendez revenir sur chacune des avancées et des mesures positives nées de nos débats et de nos échanges ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRC.
Je vous donne acte de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à M. Francis Delattre, pour un rappel au règlement.
Mon rappel au règlement porte sur les conditions dans lesquelles nous travaillons cet après-midi.
En ce moment même, une manifestation parfaitement légitime, réunissant une cinquantaine de personnes, a lieu devant l’entrée principale du Sénat, au haut de la rue de Tournon.
Or, la semaine dernière, d’autres manifestants, pourtant vingt ou trente fois plus nombreux, …
M. Francis Delattre. … ont été traités de manière totalement différente : ils n’ont pas obtenu l’autorisation de manifester devant l’entrée principale.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
On peut même dire qu’ils ont été relégués aux alentours du jardin du Luxembourg.
M. Francis Delattre. Monsieur le président, ma question est simple, et je compte sur vous pour la transmettre au président du Sénat : sur quels éléments se fonde une telle discrimination entre les manifestants d’aujourd'hui et ceux de la semaine dernière, tous parfaitement légitimes ?
Applaudissements sur les travées de l'UMP . – Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, qui est issu, chacun le sait, de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et que je considère comme un grand texte de progrès – le débat nous permettra de nous en expliquer.
C’est un texte de progrès, car, sur bien des points et sur bien des aspects, il changera de manière positive la vie de millions de salariés et de milliers d’entreprises. En effet, il comporte des avancées réelles pour les salariés.
C’est un texte de progrès, car il rompt avec une forme de folie française qui consiste à préférer le licenciement à d’autres formes d’adaptation des entreprises.
C’est un texte de progrès, car il donne la possibilité de protéger, ensemble, l’emploi et l’activité, dans le respect des intérêts de chacun.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est bien de progrès qu’il s’agit ! Et c’est pour cela que je vous présente ce texte avec confiance, conscient que le progrès, comme le disait une voix qui nous est chère, n’est pas « une illumination soudaine et totale », mais seulement « une lente série d’aurores incertaines ».
J’aurai l’occasion de discuter avec chacun d’entre vous du contenu des différents articles, ce dont je suis très heureux. Cette discussion permettra, je l’espère, de dissiper les malentendus ou de récuser des interprétations erronées du texte.
Néanmoins, si nous pouvons être des techniciens, nous sommes d’abord et avant tout des politiques. Je veux donc commencer par vous parler du sens politique de ce texte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez dans les mains un de ces textes qui laissent leur empreinte dans une mandature.
Je ne sais si l’accord qui inspire cette loi est historique. De ce point de vue, mieux vaut rester modestes, mais il est de ces grands accords qui ne se produisent que trois ou quatre fois par siècle. Pour preuve, le dernier au périmètre aussi vaste remonte, en vérité, à 1968. L’accord du 11 janvier 2013 fera donc date, lui aussi, dans son histoire propre : celle d’une conjoncture difficile, par-dessus laquelle les partenaires sociaux ont su s’élever.
Souvenons-nous de la dernière grande tentative de réforme du marché du travail, en 1984 : ce fut un cuisant échec, plongeant la négociation dans une longue phase de glaciation, qui nous a rendus incapables de traiter de nouveau, ensemble, tous les enjeux de l’emploi et nous a contraints à avancer seulement par petits pas.
L’accord national du 11 janvier dernier montre que notre pays n’a pas eu peur de prendre à bras-le-corps les principaux enjeux de notre marché de l’emploi : la lutte contre la précarité du travail, la déshérence du CDI, les droits individuels et collectifs, l’anticipation des mutations économiques, la recherche de solutions collectives pour sauvegarder l’emploi dans une conjoncture difficile, la refonte des procédures de licenciements collectifs.
Nous pourrons ainsi fonder un équilibre neuf, dans lequel le gain des uns ne correspond pas à une perte pour les autres, ouvrant un nouveau champ de possibles et, enfin, apportant une réponse pour concilier le besoin d’adaptation des entreprises et l’aspiration des salariés à la sécurité de leur emploi.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, la France est capable de se réformer et de le faire par le dialogue. En effet, derrière l’accord, derrière le projet de loi, il y a une méthode : le dialogue social à la française – j’insiste sur cette expression.
Le dialogue social, c’est donner la parole à ceux qui sont les mieux à même de savoir ce qu’ils veulent, ce qu’ils sont prêts à concéder et ce sur quoi ils ne céderont jamais.
Telle était déjà l’inspiration des lois Auroux, dont nous avons fêté il y a peu les trente ans. Jeune député au moment du vote de ces textes, j’ai fait partie de ceux qui ont vécu ce moment historique où nous avons ouvert des droits collectifs nouveaux dans les entreprises, en particulier le droit de négocier, pour que les travailleurs pèsent sur leur destin, par leur capacité non seulement à résister, mais aussi à construire. Aujourd’hui, il s’agit d’affermir ce pouvoir.
Trente ans après les lois Auroux, je suis heureux et fier de porter devant vous ce texte né du dialogue social, pour des nouveaux droits des salariés et pour un pouvoir renforcé des salariés dans l’entreprise.
Il y a trente ans, quand beaucoup de dirigeants d’entreprise s’effrayaient, les plus éclairés d’entre eux avaient déjà perçu la modernité de ces avancées pour la performance de l’entreprise. La signature des organisations patronales en bas de l’accord du 11 janvier dernier montre le chemin parcouru vers la reconnaissance de la négociation d’entreprise comme un levier du changement, plus sûr que le conflit, plus juste que l’exercice solitaire du pouvoir patronal.
Je sais que, dans le monde patronal, syndical, mais aussi politique – nous le verrons –, tous ne partagent pas cette vision. Tous ne croient pas au dialogue social, à sa force, à sa légitimité.
Parmi ceux qui contestent aux syndicats, même majoritaires, cette capacité et cette légitimité, il y a, d’une part, ceux qui les voient comme des idéologues irresponsables et archaïques ; ceux-là combattront cette loi et appelleront au big-bang libéral, à l’absolutisme patronal érigé en modèle et à la flexibilité jusqu’à l’overdose. D’autre part, et symétriquement, il y a ceux qui les voient comme des faibles, peut-être même comme des marionnettes aux mains des patrons, de petites choses incapables d’affirmer un rapport de force. Eux qui ne jurent que par la contrainte et la norme ou par le juge et le contentieux combattront aussi ce projet de loi, qui fait la part belle à la négociation encadrée.
Du reste, ce sont les mêmes qui, il y a trente ans, pour une raison ou pour une autre, combattaient les lois Auroux ! Si nous les suivons, la notion même d’accord est caduque ; les salariés n’ont plus qu’à tout attendre de la loi, ou les patrons exercer librement leur force.
Cette vision, qui laisse le choix entre la dure main invisible du marché et la froide rigueur étatique, n’est pas la nôtre. Nous croyons qu’un troisième acteur doit entrer en jeu : la société, les acteurs eux-mêmes devant façonner leur destin dans un espace de droits garantis.
Soyons clairs, pour reprendre le terme utilisé, avec le sourire, par Bernard Thibault – qu’il soit assuré de toute mon estime, même si, sur ce texte, nous sommes en désaccord –, je ne suis pas un bisounours !
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Je comprends que certains aient des craintes, car des forces contraires s’exercent dans l’entreprise. Je sais que nous avons besoin d’un « ordre public social » et d’une hiérarchie des normes. Ces principes ne sont d'ailleurs en rien remis en cause. Je n’ai jamais cédé à l’illusion naïve de l’égalité des forces dans l’entreprise. Au contraire, c’est parce que des intérêts différents existent que l’on doit chercher et trouver des compromis.
La négociation n’est pas l’effacement des divergences ; elle en est le dépassement ! Et je prétends que l’accord du 11 janvier dernier et le présent projet de loi aideront à ce dépassement.
C’est cela, le « dialogue social à la française » : un dialogue social qui ne nie pas la différence des forces et dont j’espère qu’il sera, demain, consacré par la Constitution, sous le titre « Du dialogue social préalable à la loi ».
Une telle avancée permettra de reconnaître pleinement le rôle des acteurs qui concourent à la souveraineté de la loi dans le champ du social et fera de la démocratie sociale la sœur cadette de la démocratie politique, l’une et l’autre unies par le sang d’une même filiation : la République.
MM. Jean-Claude Lenoir et Gérard Longuet s’exclament.
Nous sommes aujourd’hui à l’avant-garde de cette reconnaissance constitutionnelle. Mesdames, messieurs les sénateurs, la démocratie sociale frappe à notre porte ;…
… elle demande la confiance des représentants de la Nation.
Cependant, donner toute sa place à la démocratie sociale n’est pas renoncer à la démocratie politique. Nous ne sommes pas dans un pays scandinave. Dans notre France, c’est d’abord une impulsion politique qui a donné l’élan au dialogue social. Je veux parler ici de la grande conférence sociale de juillet dernier, qui a rassemblé tous les acteurs sociaux pour fixer une feuille de route commune, dont le sens a été donné par le Président de la République : « Mobiliser les forces vives de notre pays vers des solutions nouvelles pour l’emploi ».
Une volonté politique s’est ensuite exprimée, sous la forme d’un document d’orientation préparé par le Gouvernement dans la perspective de cette négociation. Cet acte politique engageait les partenaires sociaux à rechercher un accord « gagnant-gagnant », dans un cahier des charges ambitieux ; il engageait aussi l’État à mettre en œuvre des changements réglementaires qui découleraient d’un accord. Ce double engagement fonde l’articulation de la démocratie politique et de la démocratie sociale, ce pacte de confiance entre les deux champs de la démocratie.
Après le document d’orientation est venu le temps du dialogue social : quatre mois de négociation intense, pour parvenir à l’accord du 11 janvier dernier.
La balle est ensuite revenue dans notre camp, celui du politique. Il nous revient désormais d’assumer l’une de nos plus belles missions : celle d’écrire la loi. Et comme je l’ai dit hier aux députés, le devoir politique du Gouvernement comme du Parlement est double, et cela vaut quelles que soient nos sensibilités.
Premièrement, nous avons un devoir de loyauté vis-à-vis des signataires de l’accord, qui se sont engagés en apposant leur signature sur un compromis âprement négocié. Cet équilibre doit être respecté, même si chacun peut penser que telle ou telle disposition va ou trop ou pas assez loin, exactement comme le MEDEF, la CFDT, la CGPME, la CFE-CGC, l’UPA ou la CFTC ont chacun pu regretter, dans la négociation, que la totalité de leur cahier revendicatif n’ait pas été reprise dans l’accord.
C’est cela, le compromis social.
Cet équilibre doit être respecté, sous peine, évidemment, de tuer toute démarche fondée sur le dialogue social. Si l’accord ne vaut rien, à quoi bon négocier et signer ? De ce point de vue, votre responsabilité est importante.
Notre second devoir est l’écoute et la transparence vis-à-vis de ceux qui n’ont pas signé l’accord. Je parle en particulier de la CGT et de FO, qui ont participé à la négociation et apporté leur contribution, même s’ils n’adhèrent pas, au bout du compte, à l’équilibre final.
Que les non-signataires soient minoritaires au regard des règles de représentativité fondées sur les mesures d’audience ne change rien à cette écoute.
En termes de représentativité, la CGT et FO sont respectivement première et troisième !
Toutefois, pardon de le dire, le fait d’être minoritaires ne confère pas à ces organisations une légitimité supérieure…
… à celle des organisations majoritaires qui ont pris le risque du compromis, en considérant qu’il faisait avancer les droits des salariés et l’emploi.
Nous savons dans cette enceinte ce que veut dire le respect des minorités, mais aussi ce que signifie la légitimité de la majorité à imprimer ses choix.
C'est ce principe de loyauté et d'écoute qui a guidé le passage de l'accord à la loi. Comment aurais-je pu, en tant que ministre du dialogue social, me présenter devant le Parlement avec un projet défaisant un accord valablement conclu ?
Pour avoir été parlementaire durant de longues années, je sais la difficulté de faire la loi. Certains se demandent peut-être – j’en ai entendu l’écho – à quoi sert un accord quand nous pouvons faire, seuls, la loi. Pour ma part, je suis intimement convaincu que le dialogue social donne une force différente, mais considérable, à la loi issue de ce processus.
En effet, l'accord est le plus à même de trouver le bon point d'équilibre, parce qu’il fait des parties prenantes, non pas les exécutants d'une loi, mais les acteurs d'un changement décidé par eux-mêmes – un changement qui entrera ainsi plus vite dans les faits –, parce que, enfin, les compromis issus de l'accord sont évidemment beaucoup plus durables.
L'accord du 11 janvier dernier n'était cependant pas parfait, ce qui est normal compte tenu de son ampleur, de la complexité des sujets traités dans des délais courts et de certaines ambiguïtés conservées à dessein pour en permettre la signature.
Là où l'accord laissait subsister ces ambiguïtés ou des incertitudes, là où il était silencieux, des choix clairs ont donc été opérés par le Gouvernement, le Conseil d'État garantissant la validité juridique de la quasi-totalité des dispositions du projet.
Un certain nombre de précisions ont donc été apportées dans le projet de loi adopté en conseil des ministres. Elles concernent la complémentaire santé – nous aurons à en reparler –, les modalités de désignation des salariés dans les conseils d'administration – nous en reparlerons également, sous le contrôle de la commission des lois – et sur accords de mobilité. Ces précisions ont été introduites en toute transparence et en cherchant l'option la plus conforme à l'intérêt général.
Les députés, au terme d’un important travail en commission et de longues heures d’un débat fructueux en séance, ont aussi apporté leur pierre à l'édifice, apportant au texte du Gouvernement des améliorations décisives, soigneusement pesées à l'aune des deux principes, que j'ai déjà évoqués, de loyauté et de transparence.
Ainsi, en respectant l'équilibre de l'accord, des compléments ou des précisions utiles ont été introduites sur la généralisation de la complémentaire santé et sur le lien avec les contrats responsables et solidaires, sur le contenu et la méthode de mise en œuvre du compte personnel de formation – comptabilisation en heures, transférabilité intégrale des droits, possibilité d'articulation avec les autres dispositifs de formation –, sur l'intégration d'informations de nature environnementale au sein de la base de données économiques et sociales, outre la mention des contrats précaires, stages et emplois à temps partiel.
Compléments ou précisions ont également été apportés sur les droits et la protection des représentants des salariés dans les conseils d'administration, sur le régime des coupures au sein de la journée de travail dans le cadre du temps partiel, sur la prise en compte des contrats précaires ou des stages et emplois à temps partiel dans la consultation sur les orientations stratégiques et dans la négociation sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences – la GPEC –, sur les accords de mobilité interne et la protection de la vie personnelle et familiale des salariés – avec, notamment, des mesures de limite géographique et d'accompagnement –, sur les efforts demandés aux dirigeants et aux actionnaires en cas d'accord de maintien de l'emploi – avec la notion de proportionnalité d’effort – et sur la procédure de validation par l'administration des accords valant plan de sauvegarde de l'emploi. À cet égard, l'accord majoritaire ne pourra pas déroger aux principes généraux de consultation du comité d'entreprise et la priorité sera donnée à la négociation, afin de sécuriser un dialogue anticipé avec les syndicats en évitant le délit d'entrave.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes désormais saisis du projet de loi et c’est maintenant, par votre intermédiaire, que la souveraineté nationale va s'exprimer dans sa plénitude ! Elle ne sera pas réduite par la contribution du dialogue social à l’œuvre législative ; au contraire, elle en ressortira enrichie. Elle sera non pas contrainte, mais guidée par cette démarche de loyauté et d'écoute. Elle sera non pas amputée de son pouvoir, mais au contraire dotée d'un pouvoir de changement de la société qui sera plus fort, parce qu'il s’appuiera sur les forces mêmes de la société.
Avant d'aller au fond des choses, je tiens évidemment à rendre hommage au rapporteur de la commission des affaires sociales, Claude Jeannerot, pour la qualité de son travail et la gentillesse qui l'accompagne toujours.
Je salue Gaëtan Gorce, rapporteur pour avis de la commission des lois, qui, sur l'article 5, relatif à la présence des salariés dans les conseils d’administration, a apporté certaines précisions avec l’intelligence que chacun lui connaît. J’adresse aussi mes remerciements à Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes, qui a notamment examiné l'article 8 sur le temps partiel – à juste titre puisque celui-ci touche 3, 7 millions de Françaises, soit un tiers des femmes au travail –, …
… ainsi, naturellement, qu’à Annie David, présidente de la commission des affaires sociales, pour la manière dont elle a piloté les travaux de cette instance.
J'en viens maintenant au contenu même du projet de loi. Comment sécuriser l'emploi ? Voilà la question qui est posée. Le projet apporte trois types de réponses, avec des dispositions destinées à faire reculer la précarité, à créer des droits nouveaux – individuels et collectifs – pour les salariés et à développer des outils de préservation de l'emploi dans un contexte économique difficile.
Aujourd'hui, mesdames, messieurs les sénateurs, huit embauches sur dix se font avec un contrat précaire. Jamais cette proportion n'a été aussi élevée.
Le nombre de CDD très courts, de moins d'un mois, a doublé depuis dix ans. Le CDI a cessé d'être la norme. Un véritable dualisme s'est installé dans notre marché du travail, dont les premières victimes sont les jeunes et les femmes.
C'est la première des insécurités de l'emploi, et c’est donc le premier défi d'un projet de loi pour la sécurisation de l'emploi.
Agir contre la précarité, c'est d'abord encourager le recours au CDI en modulant les cotisations d'assurance chômage. C’est une veille proposition, un vieux projet, porté, y compris au Sénat, par un certain nombre de forces politiques. Cette modulation se traduira dès le 1er juillet prochain par une augmentation de ces cotisations au titre des CDD – en particulier les CDD courts –, et par leur diminution pour les embauches de jeunes en CDI. Les partenaires sociaux, au sein de l'UNEDIC, fixeront, dans les jours qui viennent, les taux de cette modulation, qui pourra évoluer à l'usage.
Oui, demain, embaucher dans le cadre d’un CDD très court reviendra plus cher qu'embaucher un jeune en CDI – je mets au défi quiconque de le contester.
Agir contre la précarité, c'est également instaurer des droits rechargeables à l'assurance chômage, qui seront mis en place dans la prochaine convention d'assurance chômage. Pour les salariés aux parcours heurtés – ceux qui passent trop souvent par la « case chômage » –, c'est une amélioration substantielle.
Prenons un exemple. Aujourd'hui, après dix ans passés au sein de la même entreprise, un salarié licencié se voit ouvrir un droit à indemnisation de deux ans. Après un an et demi de recherche d’emploi, il décroche un CDD de six mois, moins bien payé. Que faire ? L'accepter ? Mais s'il n'est pas reconduit, les six derniers mois d'indemnisation ouverts par son premier emploi risquent d'être perdus... Demain, ces droits seront conservés.
Agir contre la précarité, c'est prendre des mesures relatives au temps partiel, beaucoup trop souvent subi. Le projet de loi est un pas en avant, puisqu'il fixe une durée minimale hebdomadaire de vingt-quatre heures, limite les horaires dispersés et crée une majoration salariale dès la première heure complémentaire effectuée.
Le revenu des personnes concernées s'en trouvera amélioré, de même que leur accès aux droits sociaux – c’est une autre question importante –, dont l’octroi est conditionné par le franchissement de seuils : indemnités journalières en cas de maladie, couverture chômage, formation professionnelle, validation au titre de la retraite.
Désormais, le « petit » temps partiel ne sera possible qu'à titre extrêmement dérogatoire, soit à la demande du salarié, dont le consentement sera vérifié, soit par accord de branche, mais à condition que l’organisation du travail soit revue pour éviter les horaires dispersés. Comme je l’ai dit, ce progrès profitera particulièrement aux femmes, les premières à être touchées par le temps partiel subi.
Bien sûr, un tel changement ne sera pas simple dans les secteurs d'activité qui, par nature, reposent sur le recours au temps partiel ; nous aurons certainement à en débattre. Toutefois, les partenaires sociaux se sont montrés ambitieux. Suivons-les !
Au passage, je tiens à souligner les points communs de notre réforme, mais aussi ses différences, avec la réforme du marché du travail en Allemagne, que d'aucuns citent en exemple. À côté d'actions remarquables de sauvegarde de l'emploi dont nous pouvons – et devons – nous inspirer, nos amis allemands ont développé une stratégie de petits boulots précaires, sans droits, qui a créé une dualité insupportable, sur laquelle ils s'efforcent d'ailleurs de revenir, tous partis politiques confondus.
L'accord et le projet de loi qui vous sont soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, tournent le dos à cette approche de précarisation absolue et, au contraire, renforcent les droits des salariés précaires, tirant à l’avance les leçons que l'Allemagne reçoit de sa propre expérience.
Sécuriser l'emploi passe aussi par des droits nouveaux pour les salariés qui en sont privés, notamment ceux qui occupent des emplois précaires ou les salariés des PME.
Le premier de ces droits, c'est le droit à la santé, via la généralisation de la couverture complémentaire collective et sa portabilité. Quatre millions de salariés n'ont pas accès à une complémentaire collective cofinancée par leur employeur, et plus de 400 000 salariés en sont aujourd'hui totalement privés, faute de pouvoir y souscrire individuellement. Ce n'est pas admissible.
Ces salariés, qui sont-ils ? Pas des cadres, ni des salariés de grandes entreprises : ce sont, là encore, les précaires, les mères célibataires, ceux qui alternent petits boulots et chômage. C'est pour eux que nous agissons, c’est pour eux que la complémentaire obligatoire, qui n'est ni un gadget ni un luxe, a du sens.
La négociation sera privilégiée pour mettre en place cette assurance complémentaire, mais si aucun accord de branche puis d'entreprise n'est trouvé, sa mise en place sera effective, en tout état de cause, au 1er janvier 2016. Elle n'aura donc rien de virtuel, pas plus qu’elle ne constituera une manne pour les assurances privées. En effet, les branches pourront émettre des recommandations sur le choix de l'organisme et désigner – nous débattrons sur ce point – des organismes assurant un régime mutualisé au sein de la branche.
Oui, demain, avec le projet de loi qui vous est proposé, les salariés bénéficieront d’une meilleure protection face à la maladie.
Le compte personnel de formation transférable est une autre avancée importante. Il suivra le salarié tout au long de son parcours, ce dernier fût-il fait de multiples changements. Aujourd'hui, quitter son emploi cause souvent la perte des droits à la formation, alors que c'est justement à ce moment que celle-ci est la plus nécessaire. Voilà une réponse par le haut, en phase avec la nouvelle réalité du travail, à savoir la fin de la carrière à vie, des « quarante ans dans la même boîte ».
Cette approche, nous sommes nombreux à en rêver depuis des années. Objet de colloques innombrables, de revendication de tous les syndicats et de l’attente de nos concitoyens, le transfert des droits à la formation sera demain, si vous adoptez ce texte, une réalité.
La loi pose les principes. Sur ce socle, l'édifice à construire mobilisera de nouveau les partenaires sociaux, l’État et les régions – qui ont une responsabilité très importante dans ce domaine – pour aller vers ce compte personnel universel, pilier central de la « sécurité sociale professionnelle ». Voilà un chantier désormais bien engagé, qui devra se traduire par une nouvelle négociation que le Gouvernement mènera avec les partenaires sociaux au cours de l’été, afin que cette réforme de la formation professionnelle, avec la mise en œuvre de ce compte personnel, puisse voir le jour avant la fin de l’année.
Au-delà de ces progrès évidents, la profonde nouveauté de ce texte est de donner aux acteurs économiques et sociaux la capacité de préserver, ensemble, l’emploi. C’est le point dur du texte. Nous en débattrons, non pas sur des slogans ou des fantasmes, mais sur le contenu réel de la loi.
Aujourd’hui, faute d’anticipation suffisante des évolutions de l’activité et des compétences, faute d’information satisfaisante des salariés, faute de négociations avec les partenaires sociaux dans les entreprises, celles-ci n’anticipent pas assez les crises, ou cachent leur situation jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Aussi, quand elles sont au pied du mur, il n’y a plus qu’une seule solution : licencier. La faiblesse de notre marché du travail tient beaucoup à cet aspect : l’emploi est trop souvent la variable d’ajustement. C’est ce que j’appelais au début de mon intervention la préférence française pour le licenciement.
Le sens de la loi, c’est de changer cette donne qui ne sert personne, ni les entreprises ni les travailleurs. Elle offre des solutions de rechange au licenciement, avec l’accord de maintien de l’emploi, la mobilisation de l’activité partielle, les mobilités encadrées.
Voilà donc jetées les bases du nouveau modèle français, un modèle capable de rechercher plus de compétitivité en combattant l’insécurité juridique et la peur d’embaucher, mais qui le fait non pas en précarisant davantage, mais en anticipant, en sécurisant davantage les parcours professionnels, tout en apportant des garanties collectives nouvelles.
À ceux qui rêvent d’un grand big-bang social ou social-libéral, je dis que la réalité s’est dérobée sous leurs pieds le soir du 11 janvier 2013. Ils croyaient incarner la modernité, ils sont en vérité terriblement archaïques, si loin de ce que le patronat et les syndicats sont capables de construire ensemble. Ils croyaient que notre pays ne pouvait pas se réformer par le dialogue ; ils avaient tort.
Les entreprises ne cherchent pas la flexibilité à tout prix ; elles ont besoin de stabilité juridique. Elles ne cherchent pas tant à licencier facilement qu’à gérer leurs talents et leurs compétences avec des capacités d’adaptation et de mobilité.
M. Francis Delattre s’exclame.
Elles ne cherchent pas une main-d’œuvre corvéable à merci, mais comprennent l’intérêt d’avoir des salariés mieux formés et mieux protégés. C’est tout cela que nous dit, aussi, l’accord du 11 janvier dernier.
La France est un pays qui a patiemment construit son modèle social. C’est une part importante de notre identité. On ne raye pas d’un trait de plume un siècle et demi de combats sociaux pour le dernier terme à la mode. Non, la France doit tracer sa route, affirmer son modèle, un modèle social que je qualifierai de « made in France », dont la caractéristique est d’être négocié.
J’en viens naturellement aux pouvoirs de négociation qui seront donnés demain aux acteurs, grâce au texte qui vous est proposé, pour anticiper et accompagner les mutations économiques et, in fine, sauver et développer les emplois.
Je le dis à tous : prenez ce pouvoir de négocier ! Prenez ce pouvoir d’éviter, par la négociation, que des emplois ne soient détruits. Les accords de maintien de l’emploi permettront, demain, de trouver une solution de rechange au licenciement, tout en apportant des garanties solides aux salariés.
Première garantie, la difficulté conjoncturelle de l’entreprise doit être avérée, appuyée sur un diagnostic dressé avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise.
Deuxième garantie, l’accord devra être signé par des syndicats représentant la majorité des salariés. Cela signifie que si le chef d’entreprise veut un accord, il devra convaincre la majorité de s’engager. C’est une garantie particulièrement forte.
Troisième garantie, ces accords auront une durée ne dépassant pas deux ans et, dans ce temps imparti, l’entreprise n’aura évidemment pas le droit de licencier.
Quatrième garantie, les plus bas salaires, ceux qui se situent en deçà de 1, 2 SMIC, ne pourront pas, même temporairement, être concernés et aucun salaire ne pourra être diminué en dessous de 1, 2 SMIC.
Cinquième garantie, à laquelle je tiens particulièrement, s’ils demandent des efforts aux salariés, les dirigeants et les actionnaires devront en faire eux aussi, notamment en termes de rémunération.
Enfin, sixième garantie, tout salarié qui refuserait de se voir appliquer personnellement un tel accord collectif ne pourra être considéré comme démissionnaire ou licencié pour motif personnel. Il s’agira d’un licenciement économique avec accès aux mesures de reclassement, comme le contrat de sécurisation professionnelle.
Voilà qui tranche évidemment avec feu les accords compétitivité-emploi !
Outre les accords de maintien de l’emploi, l’activité partielle – ou chômage partiel – sera simplifiée et fondue dans un dispositif unique et lisible. Nous avons besoin d’utiliser davantage ce type de dispositif pour passer les moments difficiles sans sacrifier les compétences accumulées. D’autres pays ont su le faire beaucoup mieux que nous, en particulier l’Allemagne ; à notre tour, nous pouvons évidemment faire mieux qu’aujourd'hui.
Autre grande innovation de ce texte : la capacité d’anticipation renforcée dans les institutions représentatives du personnel et à l’égard des représentants du personnel. Les salariés seront désormais mieux informés et consultés, en disposant d’une base de données qui rassemble et actualise toutes les informations utiles. Ils débattront des orientations stratégiques de l’entreprise. Si chacun joue le jeu et se saisit loyalement de ces nouvelles dispositions, la nature du dialogue social interne à l’entreprise en sera profondément changée.
Enfin, des représentants des salariés feront leur entrée dans les conseils d’administration des grandes entreprises – soit 5000 salariés en France et 10 000 dans le monde – et participeront pleinement comme administrateurs, à égalité de droits et de devoirs, à la gouvernance de l’entreprise. Environ un salarié sur quatre est concerné par cette disposition.
Je sais les craintes que génère cette révolution pour les conseils d’administration ou de surveillance d’entreprises cotées, avec parfois des actionnaires étrangers au conseil, mais je certifie que, dans quelques années, chacun trouvera cette présence naturelle. Je sais aussi l’impatience d’une partie d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui souhaiteraient aller encore plus loin. Mesurez d’ores et déjà l’avancée majeure que représente cette entrée des salariés dans les conseils d’administration : ce n’est pas un modeste premier pas, c’est une percée décisive !
Après la lutte contre la précarité, les droits nouveaux, la mobilité, les outils de maintien de l’emploi, l’anticipation et la gouvernance, j’en viens à la façon de gérer les restructurations lorsque, hélas, il n’est plus possible d’éviter des suppressions d’emploi.
Le projet de loi refonde radicalement la procédure du licenciement collectif. Demain, pour mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi, ou PSE, deux options – et deux seulement – s’ouvriront : soit un accord majoritaire vaudra PSE, ce qui signifie que l’entreprise aura mis les moyens pour convaincre les organisations représentant plus de 50 % des salariés de s’engager sur le plan négocié ; soit l’État homologuera le PSE proposé par l’entreprise, s’assurant alors que l’entreprise consacre les moyens nécessaires, proportionnés à sa situation, au plan social, et respecte ses obligations.
D’un côté, on privilégie la logique du dialogue social, avec la garantie renforcée de l’accord majoritaire, en échange, bien sûr, d’une plus grande simplicité, rapidité et sécurité du plan. De l’autre, on observe le retour de l’État, près de trente ans après la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, mais un État garant, qui va s’assurer que l’entreprise agit pour minimiser les impacts du PSE pour les salariés.
L’État ira vite pour rendre sa décision. Dans ce type de situation, ce qui compte, ce n’est pas de gagner du temps, de retarder le plus possible les décisions, c’est de peser sur celles-ci pour qu’elles prennent mieux en compte le reclassement, l’accompagnement, la réindustrialisation. C’est cela qu’attendent les salariés, non des victoires hypothétiques devant un juge trois ans après, quand l’usine a disparu ; c’est cela qu’attendent les entreprises, qui préfèrent un effort supplémentaire contractualisé à une incertitude totale.
Il est faux de prétendre que les licenciements seront plus faciles. Tout comme l’accord majoritaire, l’homologation administrative est une avancée pour les salariés. L’État ne pouvait jusqu’alors que donner un avis. Demain, sans sa décision d’homologation, rien ne pourra se faire. Pour les entreprises, les procédures seront cadrées juridiquement et dans le temps. C’est la condition pour trouver des terrains d’entente.
Je récuse par ailleurs le terme que j’entends parfois de « déjudiciarisation » employé à propos de ce texte, car il est trompeur s’il est assimilé à la suppression de la possibilité de faire appel au juge pour faire valoir ses droits. Évidemment, c’est non pas de cela qu’il s’agit ici, mais d’un encouragement à trouver, par le dialogue social, une autre voie, plus sûre et plus équilibrée, qui rende aussi inutile que possible le recours au juge.
Bien entendu, le recours au juge restera un droit pour chaque personne qui voudra contester l’accord, l’homologation ou le refus d’homologation, comme pour chaque salarié, à l’issue d’un licenciement, s’il veut en contester le motif. Dans notre société démocratique chacun a, à l’évidence, droit à un juge.
Voilà pourquoi les nouveaux pouvoirs de négocier ont du sens, à la condition ultime que l’État, d’une part, et notre système judiciaire, d’autre part, restent au final les garants du respect de l’ordre public social et de la faculté de chacun de faire valoir ses droits devant un juge.
J’entends parfois mettre en doute la capacité de mon administration, les DIRECCTE – ou directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi –, à remplir cette nouvelle mission.
Je veux, si certains d’entre vous sont sincèrement inquiets, vous rassurer sur ce point et rendre justice au professionnalisme des hommes et des femmes de ces services. Ils suivront la nouvelle procédure dès son démarrage, et non à la fin ; ils seront prêts, formés et organisés ; ils seront exigeants à l’égard des projets de PSE qui leur seront soumis. Il n’y aura pas d’homologation tacite pour non-réponse au bout de vingt et un jours. Chaque demande sera instruite et fera l’objet d’une décision motivée et explicite, en référence à des orientations que je donnerai par voie de circulaire aux DIRECCTE.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous comprenez maintenant ma détermination à vous demander d’adopter un texte qui porte la sève nouvelle de la démocratie sociale en entreprise, un grand texte de progrès social, qui apporte des réponses concrètes et équilibrées à l’urgence de l’heure : sécuriser l’emploi, pour éviter les licenciements, pour anticiper le drame des mutations, pour être prêts à saisir demain la croissance qui repartira.
Je m’autorise un dernier mot.
Je crois que notre société est fatiguée de la défiance et que cette loi ouvre un cycle de confiance. Je crois que les acteurs ne sont pas des enfants, mais au contraire des gens remarquables et capables d’être responsables, pour peu qu’ils aient des responsabilités. Pourquoi faudrait-il toujours se situer dans l’univers de la suspicion, de la dérive, du vice, du travers ou de la régression, pour craindre et craindre encore ?
Je préfère, mesdames, messieurs les sénateurs, vous proposer de trouver des solutions, les voies de la liberté, qui permettent à chacun de surmonter les difficultés et de tracer les chemins d’un monde meilleur.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui constituera sans nul doute l’un des textes importants du quinquennat et, pour le moins, marquera en profondeur le dialogue social dans notre pays, tant par l’ampleur des sujets abordés que par la méthode de travail retenue.
Ce texte repose sur une conviction forte. Ce n’est qu’en mobilisant toutes les forces vives, les salariés comme les employeurs, que l’on pourra faire reculer le chômage et gagner la bataille pour l’emploi. Ce faisant, je suis sûr d’exprimer une conviction largement partagée dans cet hémicycle.
Ce texte transcrit fidèlement, comme s’y était engagé le Gouvernement, l’essentiel des stipulations de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier, l’ANI, signé par trois des cinq organisations syndicales représentatives de salariés – la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC – et par l’ensemble des organisations représentatives des employeurs – le MEDEF, la CGPME et l’UPA.
Certains ont voulu intenter à cet accord un double procès en légitimité : légitimité des signataires envers les non-signataires ; légitimité des partenaires sociaux envers les responsables politiques.
Je crois que le débat sur la légitimité des organisations signataires, vous l’avez entendu, n’a plus lieu d’être. Il est derrière nous. L’ANI du 11 janvier 2013 est un accord légitime, aussi bien dans le cadre des règles de représentativité actuelles qu’à la lumière des nouveaux chiffres d’audience, donnés le 29 mars dernier par le ministère du travail. Cela ne veut pas dire, bien évidemment, que les observations des syndicats non-signataires ne doivent pas être entendues. Nous les avons d’ailleurs reçus et auditionnés à plusieurs reprises. Nous aurons l’occasion, au cours des débats, de revenir sur cette question et de dissiper certaines de leurs inquiétudes.
Le second procès en légitimité me semble plus fondamental, car il touche à l’articulation entre démocratie sociale et démocratie parlementaire. Il semble d’ailleurs nous atteindre ici dans notre légitimité. Permettez-moi de m’attarder un peu sur cette question.
Je voudrais, en particulier, faire écho aux réflexions de nos collègues communistes : j’ai entendu craindre, tout à l'heure, que le renforcement du dialogue social ne se fasse au détriment des prérogatives du Gouvernement et du législateur. Ce débat est ancien et mérite quelques explications. En effet, il faut parfois convoquer l’histoire pour éclairer le présent. La Révolution française s’est initialement construite par opposition aux corps intermédiaires : la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 a interdit les corporations pour n’autoriser qu’un face-à-face entre l’intérêt particulier et l’intérêt général.
Cette conception abstraite de la vie politique a vite montré ses limites, et les corps intermédiaires ont peu à peu été réhabilités. Ici même, il me plaît de le rappeler, Henri Tolain, rapporteur du Sénat sur la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884 autorisant les syndicats, déclarait : « Nous avons la conviction profonde que c’est dans les syndicats professionnels que se trouveront bientôt les plus puissants éléments [...] de progrès industriel et d’ordre social. » Cette conviction, mes chers collègues, je la fais mienne et je l’élargis bien évidemment à tous les partenaires sociaux.
Un demi-siècle plus tard, Léon Blum, méditant sur l’expérience du Front populaire, allait plus loin encore en constatant : « La démocratie politique ne sera pas viable si elle ne s’épanouit pas en démocratie sociale ; la démocratie sociale ne serait ni réelle, ni stable, si elle ne se fondait pas sur une démocratie politique. »
Mes chers collègues, plus que jamais, me semble-t-il, nous devons poursuivre cette évolution historique : démocratie parlementaire et démocratie sociale non seulement peuvent coexister, mais ont vocation à se renforcer mutuellement. Apprenons donc à les conjuguer sans crainte ! Notre pays souffre-t-il d’un excès ou d’un manque de dialogue social ? N’est-il pas nécessaire de rassembler toutes les énergies pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés ? Cette ambition de redresser notre pays, cette volonté de ne plus opposer nos concitoyens et de les rassembler pour défendre l’emploi, je sais que tous, ici, nous les partageons, quelles que soient nos sensibilités politiques.
Si l’on regarde maintenant la généalogie de l’ANI du 11 janvier dernier, on constatera que les institutions politiques ont conservé l’intégralité de leurs missions.
Qui, mes chers collègues, a donné l’impulsion nécessaire au dialogue social, sinon le Président de la République, quand il a réuni, dès juillet dernier, les partenaires sociaux lors d’une grande conférence sociale, point de départ de cet accord ? Qui a fixé le cap à la négociation et sa feuille de route, sinon le Gouvernement à travers son document d’orientation de septembre ? Qui a ensuite transcrit le texte en projet de loi et rendu les arbitrages nécessaires, sinon vous, monsieur le ministre ? Qui, enfin, examinera, amendera et votera cette loi, sinon le législateur que nous sommes ? La loi est et restera la norme suprême : elle seule peut déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, conformément à l’article 34 de la Constitution.
Vous le voyez, il s’agit d’une méthode moderne de légiférer, qui donne toute sa place au dialogue social en l’intégrant dans la logique de nos institutions politiques.
Notre collègue, le président Gérard Larcher, avait œuvré en 2007 pour inscrire dans le code du travail l’obligation de concertation préalable avec les partenaires sociaux avant tout projet de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail. Il s’agissait évidemment d’une juste intuition.
Nous la prolongeons aujourd’hui en lui donnant une véritable ampleur concrète. Le Gouvernement, fort du succès de la négociation de l’ANI du 11 janvier 2013, a donc déposé, le 13 mars dernier, un projet de loi constitutionnelle afin d’inscrire le dialogue social préalable dans le corps même de la Constitution. Les partenaires sociaux devront être en mesure de négocier, s’ils le souhaitent, sur tout projet de réforme relatif aux relations de travail, à l’emploi et à la formation professionnelle.
Mes chers collègues, arrêtons-nous un instant, si vous le voulez bien, sur l’intitulé de l’accord. Cet intitulé est intéressant, parce qu’il témoigne de l’ambition des signataires. Il s’agit désormais de poser les fondements d’un « nouveau modèle économique et social », qui n’oppose plus compétitivité des entreprises et sécurisation des parcours professionnels. La nouveauté consiste justement à placer l’emploi au-dessus de tout, car cet objectif transcende les intérêts des employeurs et des salariés.
J’en viens au contenu du projet de loi initial, qui est organisé autour de trois axes principaux : créer des droits individuels et collectifs pour les salariés ; lutter contre la précarité au travail ; anticiper et accompagner les mutations économiques.
Le premier axe consiste à créer de nouveaux droits pour les salariés, aussi bien individuels que collectifs.
Il en va ainsi de la généralisation dans toutes les entreprises, à compter du 1er janvier 2016 au plus tard, de la couverture complémentaire santé collective obligatoire. D’autres droits individuels sont autant de mesures structurelles pour lutter contre le chômage.
Je pense également à la création, attendue depuis des années, du compte personnel de formation, ou encore de l’instauration du conseil en évolution professionnelle.
L’employabilité des salariés pourra également être renforcée grâce à la mobilité externe sécurisée dans les entreprises de plus de 300 salariés.
De nouveaux droits sont accordés aux demandeurs d’emploi : leurs droits à l’assurance chômage seront rechargeables, tandis que leurs contrats complémentaires santé et prévoyance pourront être maintenus pendant un an maximum.
Les droits collectifs des salariés n’ont pas été oubliés, puisque, je le rappelle, deux nouvelles consultations annuelles obligatoires du comité d’entreprise sont créées.
La première porte sur les orientations stratégiques de l’entreprise et s’inscrira dans le cadre d’un dialogue avec le conseil d’administration ou de surveillance. Passée relativement inaperçue, cette consultation sur les orientations stratégiques est, à mes yeux, une mesure fondamentale. Elle renforce l’implication des salariés dans la vie de l’entreprise et constitue probablement le prélude à un nouveau mode de relation entre partenaires sociaux.
La seconde concerne l’utilisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, qui pourra faire l’objet d’un droit d’alerte du comité d’entreprise.
Par ailleurs, il est prévu de créer, dans chaque entreprise, à partir de 2014 ou 2015 selon la taille de cette dernière, une base de données économiques et sociales, pour mieux informer les institutions représentatives du personnel.
Enfin, la participation de représentants de salariés aux conseils d’administration ou de surveillance devient obligatoire dans les entreprises dont les effectifs dépassent 5 000 salariés en France ou 10 000 dans le monde.
Le deuxième axe concerne la lutte contre la précarité des salariés.
Cela a été dit, seules deux embauches sur dix se font aujourd’hui dans le cadre d’un CDI ; 90 % des jeunes de moins de 26 ans sont embauchés en entreprise sur la base d’un CDD. Cette situation n’est pas acceptable. Le CDI doit redevenir la norme lors des embauches. Derrière les chiffres et les statistiques, il y a l’instabilité ainsi créée chez les plus faibles et les plus exposés des salariés, des femmes le plus souvent.
Pour cette raison, le texte prévoit de majorer les taux de cotisation à la charge des employeurs auprès de l’UNEDIC pour les CDD de moins de trois mois. Cette mesure a fait débat, nous l’avons vu en commission, et a bien failli faire capoter l’ensemble des négociations sur la sécurisation de l’emploi.
Certains estiment qu’elle ne permettra pas de freiner de manière suffisamment efficace l’explosion des CDD courts. Je considère pour ma part qu’elle n’est pas qu’un simple signal envoyé aux employeurs : symétriquement, et n’oublions pas cet aspect des choses, ces derniers seront exonérés de toute cotisation d’assurance chômage pendant trois à quatre mois s’ils recrutent en CDI un jeune de moins de vingt-six ans et le maintiennent en emploi au-delà de sa période d’essai.
Lutter contre la précarité, c’est également modifier en profondeur les règles du travail à temps partiel.
Au niveau de la branche, une négociation sera obligatoire lorsque plus du tiers des effectifs travaille à temps partiel.
Dans l’entreprise, la durée minimale hebdomadaire sera portée à vingt-quatre heures, tandis que le régime de rémunération des heures complémentaires sera modifié et que des compléments d’heures pourront être réalisés par avenant au contrat de travail.
Le troisième axe du projet de loi a pour but d’améliorer l’anticipation et l’accompagnement des mutations économiques, afin – il s’agit toujours la même finalité – de préserver l’emploi.
Le texte précise l’articulation entre la négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la GPEC, obligatoire et triennale dans les entreprises de plus de 300 salariés, et les autres négociations dans l’entreprise.
Alors que les clauses de mobilité s’appliquent aujourd’hui principalement de gré à gré entre l’employeur et le salarié, le projet de loi pose un cadre juridique protecteur pour la négociation relative à la mobilité interne dans l’entreprise.
Cela a été dit par le ministre, l’accord portera notamment sur les mesures d’accompagnement des salariés, les limites imposées à cette mobilité au-delà de la zone géographique d’emploi du salarié, qui sera elle-même définie dans l’accord, et les mesures visant à concilier vie professionnelle et vie personnelle. Il devra être conclu par des syndicats représentant 30 % des suffrages exprimés, selon la procédure de droit commun, et être porté à la connaissance de chacun des salariés concernés.
Le niveau de rémunération et la classification personnelle ne pourront évidemment pas être revus à la baisse. Si un salarié refuse l’application de l’accord de mobilité, il pourra être licencié, mais son licenciement prendra la forme d’un licenciement individuel pour motif économique, ouvrant droit, dès lors, à des mesures d’accompagnement.
Afin de mettre un terme à ce qui a été appelé la « préférence française pour le licenciement » et de favoriser les ajustements internes sur les ajustements externes, le projet de loi imagine deux dispositifs de maintien de l’emploi : la réforme du chômage partiel et les accords de maintien de l’emploi.
La création d’une allocation d’activité partielle unique, financée par l’État et l’UNEDIC, est actée, afin de rendre le dispositif plus attractif et efficace. Une convention financière entre l’État et l’UNEDIC sera prochainement conclue pour mettre en œuvre ce nouveau dispositif. Il est d’ores et déjà prévu de majorer le taux de l’allocation. Pour rendre cette période productive, les salariés seront incités à suivre des actions de formation.
Le projet de loi encadre également le contenu des accords de maintien de l’emploi. La situation actuelle, vous le savez, mes chers collègues, est loin d’être satisfaisante. En effet, en l’absence de cadre juridique homogène et protecteur, les salariés craignent de ne pas pouvoir défendre leurs intérêts. Avec les nouveaux accords, en cas de graves difficultés économiques conjoncturelles, le temps de travail et la rémunération des salariés pourront être modifiés, en contrepartie de l’engagement de l’employeur de maintenir les emplois pendant la durée de validité de l’accord.
Des garanties sont apportées aux salariés.
Des garanties formelles, tout d’abord, comme l’obligation pour les syndicats signataires d’avoir réuni au moins 50 % des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles.
Des garanties de fond, ensuite, comme l’interdiction de baisser la rémunération des salariés touchant moins de 1, 2 SMIC par mois.
Des garanties d’équité et de justice, aussi, puisque l’accord doit comprendre une « clause pénale », qui sanctionnera le non-respect des engagements de l’employeur devant le tribunal de grande instance.
Enfin, le projet de loi réforme en profondeur les règles de la procédure applicable aux plans de sauvegarde de l’emploi sur quatre points, que je me contenterai d’évoquer.
Tout d’abord, il introduit la possibilité de conclure un accord d’entreprise « majoritaire » pour définir le contenu du plan, qui doit être signé par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés.
Il simplifie, ensuite, les règles en matière de consultation du comité d’entreprise et de délais d’expertise. Le délai de consultation s’ouvrira avec la première réunion du comité et prendra fin deux, trois ou quatre mois plus tard, selon l’ampleur du licenciement envisagé.
En outre, le projet de loi renforce très considérablement les pouvoirs de l’administration du travail. Mes chers collègues, je veux insister sur ce point : c’est le retour de l’État garant du dialogue social. Aucun licenciement collectif comportant un plan de sauvegarde de l’emploi ne pourra se faire sans la validation ou l’homologation de l’administration.
Il reviendra au juge administratif, d’ailleurs, de contrôler les décisions de l’administration. Ce choix découle directement du renforcement des pouvoirs de l’administration. Toutes les décisions de cette dernière seront susceptibles d’être contrôlées par le juge administratif, sur le fond comme en référé, tandis que, évidemment, la compétence du juge prud’homal est maintenue à l’identique.
Enfin, le projet de loi oblige un employeur qui envisage un projet de licenciement collectif entraînant la fermeture d’un établissement à rechercher un repreneur et à en informer le comité d’entreprise.
Au-delà de ces trois axes, le dernier chapitre du projet de loi reprend diverses mesures de l’ANI, comme la création d’un barème indicatif en phase de conciliation prud’homale, l’aménagement des règles de prescription, ou encore l’expérimentation du CDI intermittent dans certains secteurs d’activité.
Compte tenu du temps qui m’est imparti et de la durée des débats qui sont devant nous, je ne pourrai pas présenter l’ensemble des modifications apportées au texte par l’Assemblée nationale. J’aurai largement l’occasion d’y revenir pendant l’examen des amendements.
Je dirai simplement que nos collègues députés, et plus particulièrement le rapporteur Jean-Marc Germain, auquel je tiens ici à rendre hommage, ont tenu à améliorer et préciser de nombreuses dispositions du projet de loi, sans en dénaturer, j’insiste sur ce point, l’équilibre général.
C’est dans ce même état d’esprit que la commission des affaires sociales du Sénat a examiné le texte, jeudi dernier. C’est avec la même exigence que j’ai orienté ses travaux, dans l’examen des différents amendements qui lui sont parvenus.
À cet égard, je souhaiterais saluer le travail de nos collègues Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et Gaëtan Gorce, rapporteur pour avis de la commission des lois, qui a considérablement amélioré les dispositions relatives à la représentation des salariés dans les organes de gouvernance des grandes entreprises.
J’en arrive à ma conclusion. Mes chers collègues, l’économie générale de l’accord national a été préservée, aussi bien dans le projet de loi initial que dans le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale.
Il nous appartient, désormais, de poursuivre sur cette voie. Nous avons, me semble-t-il, une belle responsabilité, celle d’inscrire dans la loi une volonté de mouvement impulsée par les partenaires sociaux, au service de l’emploi.
Chaque fois que notre assemblée s’attache à renforcer les conditions nécessaires au développement de l’emploi, nous pouvons avoir la certitude, que je sais partagée sur toutes les travées de cet hémicycle, qu’elle répond à l’attente prioritaire de nos concitoyens.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
M. Jean-Pierre Raffarin remplace M. Jean-Claude Carle au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, la commission des lois n’a été saisie pour avis que sur quatre articles du projet de loi qui nous est présenté : les articles 5, 13, 14 et 16.
Sans avoir à exprimer de désaccord significatif, elle s’est, pour l’essentiel, efforcée d’améliorer la rédaction du texte, toujours en restant dans la logique de l’ANI, qui lui a servi d’inspiration.
L’article 5 a été évoqué par M. le ministre, ainsi que par M. le rapporteur Claude Jeannerot, dans le sillage duquel il est agréable de se placer. Cette disposition introduit une représentation des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises de plus de 5 000 salariés, ou de 10 000 salariés si l’on prend en compte les filiales étrangères. C’est une innovation significative, sur laquelle nous n’avons peut-être pas suffisamment insisté, au regard du changement que ce dispositif, qui avait suscité de nombreuses revendications au cours des décennies écoulées, peut représenter.
Cette représentation est de nature à amorcer une évolution dans la nature des relations sociales dans l’entreprise, à laquelle il faut, me semble-t-il, prêter attention. Certes, ce changement pourra rester limité. Peut-être même ne produira-t-il pas les effets auxquels je fais allusion. On peut aussi espérer – pour autant, naturellement, que l’on veuille bien se saisir de l’outil qu’il crée – qu’il introduise une façon d’envisager l’entreprise comme l’avenir commun des employeurs et salariés, rompant ainsi avec la logique exclusivement conflictuelle que l’on a pu le connaître par le passé.
Il ne fait aucun doute que la situation économique et sociale dans laquelle nous nous trouvons appelle à la négociation, à la concertation et d’une certaine façon à la cogestion, qui montre que les salariés comme les employeurs sont unis autour d’objectifs communs : préserver l’emploi, faire progresser nos entreprises, gagner, dans la mesure du possible, des parts de marché, mais surtout bâtir une forme de cohésion sociale, dont on voit bien qu’elle fait défaut, aujourd’hui.
Ce que la commission a pu apporter sur cet article porte sur des points que je qualifierai non pas de mineurs, mais de techniques, qui pourront, peut-être, faire l’objet de quelques précisions dans le cours des débats.
En particulier, nous avons souhaité supprimer l’une des conditions posées par le projet de loi pour mettre en place ce dispositif de représentation des salariés ; ce n’est pas la position de la commission des affaires sociales, et nous aurons un débat sur ce sujet. Le présent projet de loi introduit, en effet, l’obligation d’avoir un comité d’entreprise pour que ce dispositif de représentation puisse fonctionner, une disposition qui ne figurait pas dans l’ANI. Nous aurons besoin, sur ce point, des explications du Gouvernement, pour comprendre ce qui motive cette modification.
M. le ministre acquiesce.
De la même manière, la commission des lois a souhaité préciser les procédures et les délais nécessaires à la mise en place de cette nouvelle obligation. Je crois que ce point ne crée pas de difficultés. Elle a également ouvert des discussions sur certaines modifications apportées par l’Assemblée nationale, mais toujours à la marge.
Ce qui est certain, c’est que le dispositif de l’article 5 permettra d’amplifier un phénomène qui restait, jusqu’à présent, extrêmement limité. Dans le rapport pour avis, je rappelle que la représentation des salariés dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises est aujourd’hui extrêmement modeste. Elle repose sur des lois de 1983, 1986 et 1993, qui font que, pour l’essentiel, les entreprises la pratiquant sont soit des sociétés nationales, soit d’anciennes sociétés nationales qui ont été privatisées.
Le secteur privé, de façon générale, n’a pas développé ces pratiques de lui-même, à l’exception, peut-être, des administrateurs salariés, désignés dès lors que les salariés contrôlent 3 % du capital social. Toutefois, aujourd’hui, nous ne disposons pas des informations permettant d’apprécier réellement l’influence de ce dispositif. On le voit, il y a un progrès à accomplir, et ce texte devrait permettre de le réaliser.
J’en viens aux autres articles sur lesquels la commission des lois a été saisie.
L’article 13 a un impact sur les procédures de redressement et de liquidation judiciaires, au travers de la modification des procédures de licenciement collectif. Nous avons de petits problèmes d’ajustement concernant l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l’AGS, et la garantie des salaires. Je pense que nous pourrons clarifier cet aspect des choses pendant le débat.
L’article 14, qui concerne l’information des salariés du comité d’entreprise en cas de recherche d’un repreneur et qui fait allusion à un texte débattu dans cet hémicycle avant l’élection présidentielle de 2012, n’a pas appelé d’observation.
L’article 16, en revanche, qui modifie les délais de prescription, donc les règles de principe fixées par le code civil, a suscité des interrogations au sein de notre commission.
Cet article, en effet, touche à des règles sur lesquelles le Parlement s’était mis d’accord il n’y a pas si longtemps, et qui portent, notamment, sur le délai de prescription extinctive de droit commun de cinq ans. Le ramener à deux ou trois ans, selon les types de contentieux, pose question. Nous n’avons pas jugé utile de déposer des amendements, mais nous souhaiterons, évidemment, avoir quelques explications sur ce sujet.
Je dirai un dernier mot, mes chers collègues, sur le contexte dans lequel nous entamons ce débat.
On pourrait, évidemment, s’interroger sur l’opportunité d’ouvrir ce type de discussion dans le contexte que nous connaissons. On peut aussi penser que ce dernier doit nous inciter à nous appuyer sur la négociation sociale pour tenter de trouver des réponses aux grandes préoccupations exprimées sur toutes les travées de cette assemblée, et notamment à gauche.
Je veux entendre, avec l’ensemble, je crois, des membres du groupe socialiste, le malaise exprimé par certains de nos collègues comme la transposition dans cet hémicycle des difficultés auxquelles sont confrontés beaucoup de nos concitoyens et de salariés, qui attendent que des réponses leur soient rapidement apportées.
Nous faisons le pari que la négociation sociale, sur laquelle nous fondons notre démarche, est de nature à le faire, à la condition, naturellement – j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur ce point – qu’elle soit bien le point de départ d’un processus, et non simplement un moment isolé à partir duquel nous enregistrerions le résultat d’un travail collectif. La négociation sociale doit être ce moment à partir duquel nous pourrons, s’agissant de la réforme de la formation professionnelle ou de l’assurance chômage, par exemple, faire en sorte qu’émergent les dispositifs adaptés à la situation exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons.
Je pense que le message que nous devons faire passer aux partenaires sociaux est double. Nous devons, naturellement, respecter l’engagement qu’ils ont pris, dans la mesure où il constitue un réel effort de coopération. Toutefois, nous devons aussi leur dire que, compte tenu des nécessités actuelles, nous attendons d’eux qu’ils accélèrent leurs travaux sur les sujets que je viens d’évoquer, et sur lesquels nous sommes prêts à coopérer.
Vous verrez alors, mes chers collègues, que le résultat obtenu par cette négociation, bien loin d’être un sujet de controverse, aura été le point à partir duquel d’autres progrès nécessaires auront pu être enregistrés. Cette négociation permettrait, en tout cas, de prendre des mesures concrètes pour placer nos concitoyens frappés par la crise dans une situation moins défavorable que celle qu’ils connaissent aujourd’hui.
Certes, on parle souvent de démocratie sociale dans notre pays, mais celle-ci y est toujours restée relativement modeste, et souvent orpheline. La démocratie sociale ne fait pas partie de notre tradition politique, ni même de notre tradition syndicale.
Ceux qui se souviennent de la charte d’Amiens – j’imagine que nous sommes nombreux sur ces travées, au moins à gauche, mais aussi à droite, j’en suis persuadé, à l’avoir en tête et à pouvoir y faire référence – savent qu’elle n’a pas été adoptée pour affirmer l’autonomie du mouvement syndical en termes de capacité à négocier sans l’influence des partis. Elle a été adoptée pour répondre à l’unification du parti socialiste de l’époque et montrer que deux voies étaient possibles pour construire une société différente : une voie syndicale et une voie politique.
On le voit bien, notre syndicalisme a toujours été animé à la fois par l’idée d’une société différente et par une approche de la société et de l’entreprise marquée par la conflictualité et l’idée du changement.
Ce mouvement ne peut se faire que très progressivement. Il s’est amorcé au cours des dernières décennies. Encore faut-il que nous lui fassions confiance. Il s’agit non pas de perdre le goût de l’utopie, mais d’avoir, chaque fois que nous serons confrontés à des difficultés, la volonté de traiter les réalités.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a été saisie le 19 mars dernier par la commission des affaires sociales des dispositions du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.
Ayant toujours donné la priorité à la négociation sociale, je tiens tout d’abord à saluer la méthode qui a consisté à consulter les partenaires sociaux préalablement au dépôt du projet de loi.
L’ANI du 11 janvier 2013 a un objectif ambitieux : prendre à bras-le-corps, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, les principaux enjeux de notre marché du travail pour fonder un nouvel équilibre entre le besoin d’adaptation des entreprises et l’aspiration des salariés à la sécurité. Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis est le résultat de compromis fragiles.
Comme je le soulignais devant la commission des affaires sociales, j’ai la conviction que nous devons apprendre à conjuguer collectivement démocratie sociale et démocratie politique. M. le rapporteur pour avis de la commission des lois l’a également longuement dit.
La délégation aux droits des femmes a travaillé avec le souci de ne pas déséquilibrer la structure générale du texte, en jouant néanmoins pleinement son rôle de législateur.
Les auditions de chercheurs, de juristes, de responsables d’organisations syndicales, signataires et non-signataires de l’accord, et des représentants du patronat ont donc été menées avec le double objectif de recueillir leur avis sur l’ensemble du projet de loi et, surtout, de mesurer l’impact du texte sur la situation des femmes.
Si les femmes constituent à présent 47 % de la population active, on peut, hélas, parler d’une spécificité de l’emploi féminin, dont les principales caractéristiques sont une surreprésentation dans les emplois précaires – plus de 80 % des personnes employées à temps partiel sont des femmes –, la persistance des inégalités professionnelles, en particulier salariales, et la concentration dans un nombre limité de métiers, 45 % des emplois féminins étant regroupés dans dix métiers.
Mes chers collègues, avant de vous présenter ses recommandations sur les articles du texte, la délégation a souhaité rappeler deux principes dont dépendra la bonne application du projet de loi : d’une part, le respect des textes relatifs à l’égalité professionnelle ; d’autre part, l’importance de la mobilisation des syndicats.
En ce qui concerne le premier point, il est temps de passer d’une égalité formelle à une égalité réelle. Les textes sont nombreux et complets, mais les obligations peu respectées. Il faut se donner les moyens de les faire appliquer et, pour cela, lancer un plan interministériel créant un réseau territorial de veille et de soutien à la négociation collective relative à l’égalité professionnelle. Il faut également impliquer les déléguées et les chargées de mission aux droits des femmes dans cette négociation et renforcer les moyens logistiques et budgétaires, afin de concrétiser l’égalité professionnelle sur les lieux de travail.
En ce qui concerne le second point, je me félicite que les négociations aient abouti à privilégier le niveau de la branche professionnelle pour l’adaptation des mesures touchant à l’organisation du travail. Encore faut-il que la parole des négociateurs, en particulier celle des représentants des salariés, soit suffisamment forte. Après la mobilisation syndicale sur l’ANI et la confirmation de la représentativité des principales organisations syndicales à l’issue des élections de mars 2013, il faut appeler les salariés à adhérer à un syndicat. Seuls 7 % à 8 % d’entre eux sont aujourd'hui syndiqués.
J’évoquerai maintenant les articles du projet de loi et leurs incidences sur l’emploi des femmes.
L’article 1er, dont l’objet est la mise en place d’un dispositif généralisé de couverture complémentaire santé, ne fournissait aucune indication sur la nature ou la qualité des prestations prises en charge.
Par ailleurs, en vertu d’une circulaire du 30 janvier 2009, il est admis que les salariés à temps très partiel devant acquitter une cotisation, forfaitaire ou proportionnelle au revenu, au moins égale à 10 % de leur rémunération peuvent choisir de ne pas cotiser, l’employeur prenant alors en charge leur cotisation. La délégation veillera à ce que les prestations incluent effectivement les dépenses liées à la maternité et à ce que le dispositif favorable aux bas salaires soit reconduit.
À l’article 4, qui crée notamment une base de données unique permettant au comité d’entreprise et aux délégués syndicaux d’être informés de la stratégie de l’entreprise, le contenu de la base de données est en deçà de ce qui avait été négocié ! La délégation estime qu’il serait bon d’inclure des informations relatives aux emplois précaires et aux contrats à temps partiel.
L’article 5 prévoit, dans les grandes entreprises, la participation aux conseils d’administration de représentants des salariés, avec voix délibérative.
La délégation a toujours soutenu l’idée d’une représentation équilibrée entre femmes et hommes dans les instances stratégiques des entreprises et a donc souhaité que, lorsque les candidatures seront nominales, le suppléant et le titulaire soient de sexe différent et que, lorsque les candidatures sont présentées par liste, celles-ci présentent une stricte alternance des sexes.
Derrière l’apparente neutralité de l’article 10 se cachent en réalité des modifications majeures de l’organisation des journées de travail, dont on sait qu’elle incombe encore majoritairement aux femmes.
La délégation a pris acte du fait que l’Assemblée nationale a imposé, dans l’application des mesures de mobilité géographique, le respect de la vie personnelle et familiale du salarié, des mesures d’accompagnement comprenant la participation de l’employeur à la compensation des frais de transport, ainsi qu’une concertation préalable. Nous veillerons à ce que le texte soit adopté ainsi modifié.
La délégation a également favorablement accueilli la suppression par les députés de la priorité donnée à la qualité professionnelle parmi les critères d’appréciation des licenciements, à l’article 15.
J’en viens maintenant aux articles 7 et 8.
Pour la délégation aux droits des femmes, l’emploi à temps partiel n’est pas, en soi, un emploi précaire, en particulier lorsqu’il est choisi. Néanmoins, force est de constater que les conditions d’emploi des femmes bénéficiant d’un contrat à temps partiel conduisent souvent, hélas, à des situations de précarité.
C’est pourquoi la délégation a souhaité reprendre, à l’article 7, une proposition que j’avais déjà formulée lors de l’examen de la proposition de loi relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes : à compter du 1er janvier 2013, les entreprises de plus de vingt salariés, dont le nombre de salariés à temps partiel est au moins égal à 20 % de l’effectif, seront soumises à une majoration de 10 % des cotisations employeurs.
L’article 8 prévoit un nouvel encadrement du temps partiel. Son application concernera au premier chef les femmes. Notre délégation ayant récemment appelé à une réforme du temps partiel, estimant que les horaires imposés étaient atypiques, instables et peu prévisibles, elle a favorablement accueilli cet article. Les deux principales modifications attendues sont, d’une part, l’introduction d’une durée minimale de travail du salarié à temps partiel fixée à vingt-quatre heures par semaine et, d’autre part, la modification de la rémunération des heures complémentaires.
On ne peut que se féliciter que l’ensemble des organisations représentatives ait abouti au seuil des vingt-quatre heures fixé pour permettre l’accès des travailleurs à temps partiel à l’ensemble des droits sociaux. À l’heure actuelle, reconnaissons-le, la plupart des conventions collectives prévoient des durées inférieures !
Cependant, le principe de la durée minimale de vingt-quatre heures hebdomadaires est fragilisé par la possible annualisation, en cas d’accord collectif conclu en ce sens sur le fondement de l’article L. 3122-2 du code du travail. La délégation s’est interrogée sur ce principe : l’annualisation, qui peut être une solution pour certaines branches dont l’activité est saisonnière, peut être aussi une façon d’affaiblir l’application de la loi. Je demanderai donc, au nom de la délégation, qu’un rapport sur l’application effective de l’annualisation soit remis au Sénat.
Ensuite, l’employeur peut déroger à la durée des vingt-quatre heures à la demande du salarié, afin de lui permettre soit de faire face à des contraintes personnelles, soit de cumuler plusieurs activités. Quel est le sens d’une telle alternative ? Je proposerai un amendement de clarification sur ce point.
L’article 8 permet par ailleurs d’augmenter temporairement, par avenant, la durée du travail prévue au contrat : il s’agit des « compléments d’heures » prévus par un accord de branche étendu. Ce dernier a fixé à huit le nombre d’avenants autorisés annuellement, aucune limite n’étant prévue lorsqu’il s’agit de remplacer un salarié absent, nommément désigné.
Au fil des auditions, il est apparu que ces compléments d’heures par avenant pouvaient porter atteinte au principe de la fixation d’une durée minimale du travail à temps partiel.
En particulier, le risque de requalification du contrat que pourrait entraîner le recours aux avenants est réel : l’article L. 3123-15 du code du travail prévoit que, lorsque pendant une période de douze semaines consécutives ou pendant douze semaines au cours d’une période de quinze semaines ou sur la période prévue par un accord collectif conclu sur le fondement de l’article L. 3122-2 du code du travail, l’horaire moyen réellement accompli par un salarié a dépassé de deux heures au moins par semaine l’horaire prévu dans son contrat, celui-ci est modifié. Une jurisprudence abondante confirme cette possibilité. Or, en l’absence d’indications sur le nombre d’heures et la durée sur laquelle peuvent être conclus les avenants, le risque de requalification sera réel.
De manière plus générale, ces compléments d’heures ont été examinés à l’aune du principe d’égalité entre les salariés à temps partiel et les salariés à temps plein, ce qui suppose de mettre sur le même plan les heures complémentaires et les heures supplémentaires.
Je rappelle que la jurisprudence de la Cour de cassation interdit de déroger à la majoration des heures complémentaires en augmentant temporairement, par avenant, la durée contractuelle initiale du travail. Cette différence de traitement ne saurait être justifiée par la situation économique des entreprises. La délégation souhaite revenir au principe d’égalité, en prévoyant que toute heure effectuée en complément des heures prévues dans le contrat initial sera considérée comme une heure supplémentaire.
À cet égard, les députés avaient précisé que, au-delà de quatre avenants par an et par salarié, quatre autres avenants pourraient être conclus, à la condition que les heures effectuées dans ce cadre soient majorées d’au moins 25 %. La délégation regrette que, au travers d’une seconde délibération, le Gouvernement ait supprimé ce que nous considérions comme une avancée.
La fixation des modalités d’organisation du temps partiel – nombre et durée des périodes d’interruption d’activité, délai de prévenance préalable à la modification du contrat – est enfin renvoyée à la négociation de branche.
Pour les délais de prévenance, il a semblé à la délégation qu’un seuil plancher de quatre jours, auxquels les accords collectifs ne pourront déroger, devait pouvoir être fixé dans le projet de loi. Si les employeurs du secteur de l’aide à domicile, dans lequel l’organisation du temps de travail est particulièrement difficile, peuvent appliquer un délai de quatre jours, tous les autres devraient pourvoir y parvenir également.
Ce texte majeur va profondément marquer les relations de travail dans les entreprises. Toutes les avancées qu’il permet sont nécessairement soumises à la négociation. La délégation estime donc indispensable l’évaluation de son application concrète. Elle y prêtera un examen attentif.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE . – M. Pierre Laurent applaudit également.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si j’ai souhaité m’exprimer aujourd’hui, c’est parce que jamais, depuis que j’exerce la présidence de la commission des affaires sociales, la situation économique et sociale de notre pays n’a été aussi difficile.
Jamais notre commission n’a vu remonter jusqu’à elle autant de souffrances, autant de plaintes venant de celles et ceux qui, dans ce pays, ont ardemment espéré le changement, et l’espèrent encore. Leur impatience, nous la mesurerons au nombre de sollicitations qui nous parviennent.
Le nombre d’emplois industriels continue de décroître. Le chômage touche désormais plus de 10 % de la population active et la spirale infernale n’est pas près de s’arrêter : chaque jour apporte son lot de nouvelles fermetures d’entreprises – Thierry Foucaud a cité tout à l'heure le cas de Petroplus, mais ce n’est malheureusement pas le seul ! –, faisant monter l’angoisse de celles et ceux qui, ne vivant que de leur travail, craignent pour leur avenir et celui de leurs enfants.
Alors oui, monsieur le ministre, vous avez raison : il y a urgence à agir, comme vous nous l’avez dit avec force devant la commission des affaires sociales et l’avez répété aujourd'hui.
Dans tous les départements, le nombre d’allocataires du RSA ne fait qu’augmenter : de plus de 5 % en moyenne, selon l’Association des départements de France, de 8, 5 % dans mon département de l’Isère. Le nombre de familles pauvres – y compris des familles qui ne sont pas frappées par le chômage – atteint des sommets. Le nombre d’enfants pauvres explose également, et vous comme moi avons entendu le cri d’alerte des associations caritatives. L’épuisement des bénévoles, le prix des denrées alimentaires, la baisse des dons et les menaces sur le budget européen sont pour elles autant de sources de vive inquiétude.
Oui, il y a urgence. Oui, nous traversons une crise, mais cette crise a de multiples origines, dont l’une prime sur toutes les autres : la volonté irrépressible d’accumulation des richesses du capitalisme financier, au profit d’un nombre très restreint de nos concitoyennes et concitoyens !
Cette soif de profit, ces marges qui sont devenues un dogme, les seules variables d’ajustement étant les salaires et l’emploi : voilà ce qui gangrène non seulement le système mais aussi toute notre société.
Aussi, depuis 2008 et l’explosion de ce système qui nous a conduits dans cette crise, les remèdes proposés donnent les mêmes résultats : effondrement économique, augmentation du chômage, baisse des salaires et des rentrées fiscales. Telle est la situation dramatique de la zone euro, pourtant longtemps présentée comme un îlot de stabilité et de prospérité dans un monde en plein bouleversement.
Je l’aurais dit beaucoup moins bien que ne l’a écrit Stéphane Hessel dans son opuscule Indignez-vous ! : « Mais comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales de la Résistance, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? Sinon parce que le pouvoir de l’argent, tellement combattu par la Résistance, n’a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l’État. Les banques désormais privatisées se montrent d’abord soucieuses de leurs dividendes et des très hauts salaires de leurs dirigeants, pas de l’intérêt général. »
En contrepoint, je voudrais vous citer à votre tour, monsieur le ministre ; en 1992, membre du gouvernement de Pierre Bérégovoy, vous nous disiez : « Pour la France, la monnaie unique, c’est la voie royale pour lutter contre le chômage. »
Malheureusement, ni la monnaie unique ni les différents traités – Maastricht, Lisbonne ou d’autres, plus récents – n’ont apporté ce mieux-être qui nous est promis depuis plus de cinquante ans !
Face à cette accélération d’une dérégulation mondiale qui touche de plein fouet le marché de l’emploi en France et en Europe, quels pouvaient être aujourd’hui les choix du Gouvernement ? Choix stratégiques, choix économiques, choix politiques, choix sociaux : la marge de manœuvre est étroite, je le conçois aisément.
Les premiers signes que vous avez donnés, par l’organisation de la conférence sociale de juillet dernier et la mise en route de plusieurs chantiers de négociations avec les organisations syndicales, tant salariales que patronales, étaient de bon augure et laissaient poindre une méthode intéressante, Claude Jeannerot l’a d’ailleurs rappelé. La commission des affaires sociales vous a félicité pour cette initiative, même si les parlementaires auraient préféré être associés d’une manière ou d’une autre en amont de ces négociations. Vous n’avez pas fait ce choix, mais il fallait – et, là encore, je peux aisément le comprendre – que se renouent les fils de la confiance entre les syndicats et le Gouvernement, fils bien distendus sous le gouvernement de François Fillon.
Mettre le dialogue social au cœur des politiques de gauche est une bonne chose. En envisager la constitutionnalisation, comme l’a proposé le Président de la République, est également une bonne chose, même si cela appelle quelques précisions quant aux modalités de ce dialogue, à la valeur juridique des accords éventuellement obtenus et au rôle de chacun dans le fonctionnement de nos institutions.
En effet, je tiens à le dire ici, le travail parlementaire est l’une des garanties de la démocratie dans notre pays, et les conditions de ce travail doivent permettre aux élus que nous sommes, quelle que soit notre appréciation des accords obtenus, de faire respecter cette démocratie. Particulièrement en matière de principes fondamentaux du droit du travail, le Parlement est libre d’élaborer la loi et il nous appartient donc, en tant que parlementaires, d’exercer nos compétences. Qui plus est, nous devons respecter les engagements internationaux et européens de la France. Aussi, lors de l’élaboration des textes législatifs, nous devons nous assurer que les droits fondamentaux prévus dans le cadre de ces engagements seront effectifs.
Je me dois donc, monsieur le ministre, au nom de la commission des affaires sociales, de faire état une nouvelle fois des conditions particulièrement difficiles dans lesquelles nous avons été contraints de travailler. Bien sûr, je l’ai dit, il y a urgence, et personne ici ne le conteste. Mais étions-nous à huit jours près ? Laissez-nous le temps nécessaire à un bon travail parlementaire : la loi n’en sera que mieux écrite !
Je souhaite revenir un instant sur le dialogue social, qui est pour moi, comme pour vous, je le sais, monsieur le ministre, et pour vous toutes et vous tous, mes chers collègues, un moment important de la démocratie sociale.
Toutes les organisations syndicales, qu’elles soient ou non signataires de l’accord, nous ont confirmé qu’elles avaient répondu en confiance et avec conviction à l’invitation du président Hollande à la conférence sociale de juillet, puis qu’elles avaient pris part dans un esprit constructif, avec un grand souci de sécurisation de l’emploi, aux négociations que vous avez ouvertes. Mais force est de constater que la lecture de l’accord n’est pas la même pour toutes : pour certaines, il s’agit d’un accord « gagnant-gagnant » quand, pour d’autres, il s’agit d’un recul social sans précédent !
Je crois pouvoir dire, tout comme vous-même, monsieur le ministre, que ce texte « fera date ». Oui, il fera date parce qu’il constitue, pour le moins, un bouleversement durable des droits individuels et collectifs des salarié(e)s et des conditions de règlement des litiges.
Je tiens à remercier à mon tour le rapporteur de notre commission, Claude Jeannerot, et l’équipe de collaborateurs qui l’a épaulé. Je salue l’importance et la qualité du travail accompli pendant le temps un peu trop court dont nous avons disposé.
J’ai souhaité, au nom de la commission, compléter les nombreuses auditions menées par le rapporteur par quelques-unes qui étaient ouvertes à l’ensemble des sénatrices et sénateurs : les auditions des organisations syndicales signataires et non signataires. Ainsi, chacune et chacun a pu se faire une opinion. J’ai la mienne, et mon ami Pierre Laurent l’exprimera au nom de mon groupe dans un instant.
La majorité des membres de notre commission s’est exprimée en faveur du texte, suivant en cela l’avis du rapporteur, pendant qu’un grand nombre s’abstenait et que d’autres, dont je fais partie, votaient contre.
Au final, il n’aura été adopté que par une majorité relative de parlementaires. Cela confirme, monsieur le ministre, les interrogations qui saisissent certains des membres de votre majorité, pour qui ce texte est loin de l’ambition affichée lors de la conférence sociale, car, au lieu de répondre à l’impérative nécessité de sécuriser l’emploi, il prive au contraire les salariés de protections collectives.
Nous allons en débattre dans les jours qui viennent et j’ose espérer que la presse se fera, au moins autant que la semaine dernière, l’écho des travaux de notre assemblée, sachant que des centaines de milliers de salarié(e)s nous écoutent et attendent nos décisions. Même si beaucoup d’entre eux sont empêtrés dans leurs soucis quotidiens et n’ont pas pris la mesure des changements que va apporter ce texte dans leur vie au sein de l’entreprise, il n’en reste pas moins que ces femmes et ces hommes souhaitent avant tout plus de protection et de sécurité face à cette crise qui déstabilise leur vie.
Je conclurai en citant Henri Lacordaire, et en souhaitant qu’il nous inspire une nouvelle fois : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère. » §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de sa 9e réunion régionale européenne, il y a dix jours, à Oslo, l’Organisation internationale du travail a de nouveau tiré le signal d’alarme. Elle s’est insurgée contre la dégradation du marché du travail en Europe, appelant à une mobilisation pour inverser la tendance. En effet, le chômage touche désormais plus de 26 millions d’Européens.
En France, la situation de l’emploi – fortement dégradée depuis le début de la crise économique – est particulièrement préoccupante et les chiffres du chômage enregistrés le mois dernier sont dramatiques : près de 3, 2 millions de Français sont à la recherche d’un travail, 1, 9 million sont au chômage depuis plus d’un an, dont près de 500 000 depuis plus de trois ans.
Ce n’est évidemment pas acceptable ! Mais que devons-nous faire ? Attendre que les effets de la crise se dissipent en nous répétant que nous n’y pouvons rien ? Ou se saisir du problème à bras-le-corps et actionner tous les leviers de la croissance économique ?
Le Gouvernement, avec notre soutien, a choisi la deuxième solution : depuis qu’il est constitué, il a fait du combat pour l’emploi sa priorité.
Vous avez surtout, monsieur le ministre, largement anticipé les recommandations de l’Organisation internationale du travail, qui préconisait, la semaine dernière, la mise en place de dispositifs de garantie d’emploi pour les jeunes et l’instauration d’un dialogue social entre employeurs, travailleurs et gouvernements. Vous n’avez pas attendu que l’OIT tape du poing sur la table pour agir ; cela méritait d’être souligné.
En l’espace de quelques mois, vous vous êtes attaqué au problème du chômage des jeunes, notamment les moins qualifiés, avec les emplois d’avenir, ainsi que des seniors, avec les contrats de génération.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est donc la troisième étape de la politique volontariste que le Gouvernement entend mener en matière d’emploi.
Nous ne pouvons que nous en réjouir, mais nous devons également saluer la volonté du Président de la République d’associer les partenaires sociaux et de restaurer le dialogue social. II en avait exprimé le vœu pendant la campagne présidentielle.
Si nous voulons que la France surmonte cette crise à la fois sociale et économique, devenue insupportable pour bon nombre de nos compatriotes, nous devons nous engager dans la voie d’un dialogue apaisé et faire confiance aux partenaires sociaux.
Lors de ses vœux aux forces vives de la nation, François Hollande avait d’ailleurs déclaré : « Le temps de la négociation n’est pas un temps perdu. C’est un temps gagné sur les malentendus, sur l’immobilisme, sur les conflits. »
Aussi suis-je quelque peu étonnée d’entendre certains expliquer que l’adoption de ce projet de loi, du fait de la méthode qui a présidé à son élaboration, menacerait le pouvoir législatif et remettrait en cause l’utilité des parlementaires. Il s’en faut de beaucoup, et c’est pourquoi nous avons, comme nous le devions, utilisé notre droit d’amendement.
La représentation nationale est dans son rôle en venant compléter et amender le texte des partenaires sociaux, car ce projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi est bien la transposition d’un accord national interprofessionnel, signé par la plupart des syndicats et le patronat le 11 janvier 2013.
Il réconcilie ainsi démocratie sociale et démocratie parlementaire. Il n’y a évidemment là, de ma part, aucun mépris pour le travail fourni pendant plusieurs mois par les partenaires sociaux. Nous avons suffisamment condamné cette attitude sous le précédent quinquennat !
Je rappellerai que ce projet de loi est le fruit d’un processus entamé lors de la grande conférence sociale de juillet dernier. Celle-ci a permis l’élaboration d’une feuille de route sociale, à la suite de laquelle, monsieur le ministre, vous avez incité les partenaires sociaux à trouver un accord sur la sécurisation de l’emploi et leur avez indiqué les grandes orientations, faisant ainsi écho à quelques-uns des engagements du candidat commun du parti socialiste et du parti radical de gauche.
Le texte que vous nous présentez n’est nullement la remise en cause du travail du législateur. Vous l’avez rappelé devant les députés : « Nous ne sommes pas des greffiers, nous sommes des garants. » Les améliorations apportées à l’Assemblée nationale peuvent d’ailleurs en témoigner. Au Sénat, dans les jours qui viennent, de poursuivre et parachever le travail.
De notre point de vue, c’est un texte équilibré, qui s’inscrit dans une stratégie globale pour l’emploi et la compétitivité. Il garantit de nouveaux droits aux salariés et donne aux entreprises les outils pour une plus grande réactivité aux évolutions conjoncturelles.
Il est vrai, cependant, que l’ANI du 11 janvier dernier n’a pas été signé par l’ensemble des partenaires sociaux : deux syndicats s’y sont refusés parce qu’ils y voyaient un risque de mutation du droit du travail, une atteinte aux droits des salariés.
Je sais que leurs inquiétudes sont partagées par certains de nos collègues. Je pense pourtant que c’est une erreur d’affirmer que cet accord fait la part belle aux entreprises. Il va surtout leur permettre de reprendre le chemin de la création d’activités et d’emplois, et faciliter la reprise de la croissance. Le marché du travail français étant souvent perçu comme trop rigide pour les employeurs et bien peu protecteur pour les salariés, nous devrions tous nous rassembler autour de cet objectif.
Le projet de loi va permettre aux entreprises de s’adapter aux mutations économiques et de trouver des alternatives aux plans sociaux, sans, je l’espère, sacrifier d’emplois. Les entreprises pourront notamment recourir à la mobilité interne, au chômage partiel et aux accords de maintien dans l’emploi.
D’autres dispositions, comme l’homologation des plans de sauvegarde de l’emploi ou la réduction des délais de prescription, sont plus difficiles à accepter. Je comprends que ces dispositions puissent heurter les organisations syndicales. Cependant, elles n’ont été accordées aux entreprises qu’en contrepartie de droits nouveaux pour les salariés. Quels sont-ils ?
Il s’agit essentiellement des droits rechargeables à l’assurance chômage, de la taxation des contrats courts, de l’ouverture des conseils d’administration aux salariés, de la mise en place du compte personnel de formation ou encore de la généralisation de la couverture complémentaire santé à l’ensemble des salariés.
Sur ce dernier point, j’estime toutefois que le dispositif mériterait d’être amélioré. L’article 1er constitue une avancée pour l’ensemble des salariés qui n’ont pas les moyens d’accéder à une complémentaire santé, mais on peut s’interroger sur la pertinence de ce dispositif pour les très petites entreprises, qui comptent moins de dix salariés. Pour elles, le contrat collectif n’est peut-être pas la meilleure solution.
Avant de conclure, je souhaite évoquer l’impact de ce projet de loi sur l’emploi des femmes, sujet important.
Je ne reviendrai pas sur les recommandations adoptées par la délégation aux droits des femmes, que Mme Génisson a largement développées tout à l’heure. Je tiens surtout à souligner que la situation des femmes sur le marché du travail n’est pas satisfaisante : les femmes occupent toujours 80 % des emplois à temps partiel et il s’agit encore trop souvent d’un temps partiel subi ; leur taux de chômage reste supérieur à celui des hommes, et un plus grand pourcentage d’entre elles occupent un emploi précaire ; enfin, leur rémunération est, en moyenne, inférieure de 27 % à celle des hommes.
Je regrette donc que le thème de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ait été absent des négociations entre les partenaires sociaux, contrairement à ce que prévoyait la feuille de route publiée à l’issue de la conférence sociale.
Pour autant, certaines dispositions vont dans le bon sens. Je pense, par exemple, à l’obligation pour l’employeur de prendre en compte les contraintes personnelles et familiales des salariés concernés par une mesure de mobilité interne, à l’application du principe de parité pour le choix des représentants des salariés au conseil d’administration, ainsi qu’à l’encadrement du temps partiel.
Toutefois, s’agissant de ce dernier point, je regrette, monsieur le ministre, que vous ayez obtenu, à l’Assemblée nationale, dans le cadre d’une seconde délibération, la suppression d’une disposition introduite par amendement, qui visait à décourager le recours aux avenants tout en préservant la majoration des heures complémentaires.
Monsieur le ministre, le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi établit un juste équilibre entre les attentes des entreprises, qui souhaitent améliorer leur compétitivité, et celles des représentants syndicaux, qui veulent sauvegarder les droits des salariés et assurer une plus grande continuité des parcours professionnels. Parce qu’il constitue l’occasion de refonder notre modèle économique et social, les sénateurs radicaux de gauche apporteront leur soutien à ce texte. J’ajoute même qu’aucun membre du RDSE ne devrait s’y opposer. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je traiterai ce projet de loi sous trois angles : celui de la démocratie sociale, celui des droits nouveaux et celui de la sécurisation de l’emploi.
Si l’on peut se réjouir que, à l’issue d’une grande conférence sociale, la négociation entre les partenaires sociaux ait abouti à la conclusion d’un accord national interprofessionnel, il importe de replacer celui-ci dans son contexte social et économique.
Pour plusieurs raisons, la représentation nationale ne peut souscrire de façon automatique à la retranscription législative de cet accord. En effet, qui détermine l’environnement législatif de la vie économique, qui est en charge des mesures fiscales, sinon le Gouvernement et le Parlement ?
Cette question nous ramène à l’analyse de la crise. Est-ce simplement une question de coût du travail en France ? Est-ce une crise de surproduction à l’échelle internationale ? Est-ce une crise financière ? Une crise écologique ? Ou encore une conjonction de l’ensemble de ces crises ? Vous comprenez bien, mes chers collègues, que de l’analyse qui est faite sur la nature de la crise dépendent les solutions à apporter pour en sortir.
Selon certains, il suffit de travailler toujours plus et d’abaisser le coût du travail, c'est-à-dire le salaire direct et les cotisations et droits sociaux, pour le rendre compétitif. Selon d’autres, les enjeux sont l’amélioration de la gestion des ressources, le partage du travail, la coopération européenne et internationale, le maintien d’une politique sociale et fiscale de solidarité.
À propos de solidarité, qui est le garant de la place accordée à l’indemnisation du chômage, à la prise en compte des personnes placées hors du champ productif et à l’organisation des temps partiels ?
Et l’état actuel de l’économie, qui entretient l’inquiétude des salariés, peut-on dire que le contexte est favorable à ces derniers lors des négociations paritaires ?
Monsieur le ministre, vous avez parlé d’un accord historique. Il convient donc de mesurer la portée des droits nouveaux.
S'agissant du droit à la mutuelle complémentaire, le projet de loi prévoit son extension aux salariés des TPE, ce qui est bien entendu souhaitable. Mais ce droit à la santé pour toutes et tous n’est pas nouveau : ce qui est nouveau, c’est que la sécurité sociale ne soit plus en mesure de le garantir !
S'agissant des droits rechargeables à l’assurance chômage, c’est une question de bon sens qui aurait du être réglée depuis longtemps, dans le cadre de l’UNEDIC. En outre, rien ne dit que la question soit réglée financièrement, sinon au détriment d’autres catégories de demandeurs d’emploi.
S'agissant du droit individuel à la formation, il reste à en définir les modalités concrètes et précises, afin qu’il ne demeure pas un droit virtuel. La nécessité de revenir sur ce sujet montre en effet que l’organisation actuelle de la formation professionnelle est inapte à assurer le droit à la formation et qu’il est urgent de remédier à cette situation.
S'agissant des dispositions relatives à la mobilité externe, elles représentent une adaptation plutôt intelligente du congé sabbatique.
S'agissant de la participation de représentants de salariés au conseil d’administration de l’entreprise, nous sommes encore loin d’un processus de codécision avec droit de veto des organisations de salariés, comme en Allemagne.
S’il y a un droit nouveau dans le projet de loi, c’est l’évolution qui nous mène d’un droit collectif des salariés fixé par le code du travail vers un droit individuel, encore sous le contrôle des organisations syndicales, certes, mais pour combien de temps ? En outre, dans certains cas, le projet de loi transgresse les règles du contrat individuel, au nom d’intérêts collectifs supérieurs. Où est la logique ?
Quelle est la nature de la sécurisation de l’emploi ? Si l’on peut comprendre que les entreprises mettent en place des plans sociaux pour réagir à temps en situation de crise, ce qui les conduit à demander un effort à tous, il convient de limiter ces dérogations au droit du travail aux situations d’urgence.
Or quelles sont les garanties prévues pour s’assurer que seules les situations de crise permettront de mettre éventuellement en place un plan social ? L’employeur pourra toujours affirmer que, pour sauvegarder l’entreprise à long terme, il faut anticiper les mutations économiques et que, pour faire face à la concurrence, il faut baisser le coût du travail en diminuant soit les salaires, soit les effectifs. Il se produira alors un effet boule de neige, car l’employeur concurrent, lui aussi, cherchera à anticiper et voudra donc baisser ses coûts !
Cette course à la rentabilité maximale fait-elle partie de nos objectifs de progrès social ?
Par ailleurs, ce projet de loi ne sécurise pas le contrat de travail ni les procédures visant à le faire respecter. Comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, dans le texte, on ne trouve pas le mot « flexibilité ». Et pourtant, cette flexibilité, elle y est bien présente !
Si, dans certains secteurs, l’organisation du travail doit être suffisamment souple pour s’adapter au caractère saisonnier ou à la périodicité hebdomadaire, voire journalière des activités, cette souplesse doit absolument être compensée par une sécurisation du revenu et des garanties en matière de conditions de travail.
À cet égard, si l’on peut se réjouir de l’encadrement des activités à temps partiel, il faut en revanche s’inquiéter que les multiples dérogations soient peu encadrées.
M. Jean Desessard. Si vous le permettez, je vais me lancer une allégorie.
Ah ! sur diverses travées.
Vous nous proposez, monsieur le ministre, de rejoindre des rivages lointains et prometteurs de bien-vivre, de bonheur.
Pour cela, il nous faut traverser l’océan, alors que les éléments sont déchaînés.
Il s’agit d’atteindre l’idéal en passant par le réel !
M. Jean Desessard. Il y a un risque de naufrage : on prépare donc des bateaux de survie. Bien sûr, on ne nous propose pas le radeau de La Méduse
Rires.
, mais nous embarquons dans le canot de sauvetage, avec des rations de survie ! Les droits nouveaux, c’est pour demain, après toutes les épreuves, lorsque nous aurons rejoint les rivages lointains de la croissance revenue !
Nouveaux rires.
La question est posée : sommes-nous tous en situation de survie, de naufrage ? Devons-nous adapter tous les contrats de travail à cette situation de détresse ?
Nombre d’entreprises sont sans doute en difficulté, mais combien de fonds de pension créent la tempête pour couler les fiers et beaux voiliers et en piller les épaves ? §
S’il est nécessaire d’adopter des mesures pour répondre à des circonstances exceptionnelles, il est à craindre qu’elles ne s’étendent à l’ensemble des relations sociales et ne deviennent la norme.
C’est pourquoi deux organisations syndicales, qui ne nient pas que les accords d’entreprise soient nécessaires pour sauver des situations industrielles délicates, s’opposent à ce que tous les rapports sociaux soient traités à l’aune de ces situations de crise.
Conscientes de la nécessité d’une réorganisation, d’une adaptation, d’autres organisations syndicales affirment, quant à elles, qu’il faut lancer dès maintenant la dynamique pour répondre à la crise.
En réalité, il est dommage que le dialogue social ne soit pas allé plus avant, n’ait pas davantage défini ce qui relève des situations d’urgence et ce qui relèverait des nouveaux droits sociaux, avec leurs modalités concrètes de mise en œuvre.
Ce projet de loi laisse donc la porte ouverte aux interrogations, aux doutes, …
… au risque de la régression sociale, comme à la possibilité d’instaurer de nouveaux droits, je vous l’accorde.
C’est ce qui a conduit le groupe écologiste de l’Assemblée nationale à s’abstenir. Quant à son homologue du Sénat, il a déposé des amendements pour clarifier les positions.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, oui, la crise est là, oui, la crise est grave, oui, il faut réagir ! Mais non, ce ne doit pas être l’occasion pour en demander toujours plus aux salariés.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, pour commencer, de faire une remarque de forme : je veux exprimer mon regret que nous ayons dû examiner ce texte dans un délai aussi contraint, peu propice, convenons-en, à un travail législatif approfondi.
Certes, l’amélioration du fonctionnement du marché du travail au service de l’emploi ne peut attendre, car il s’agit de renforcer la compétitivité de notre pays, objectif qui est au centre de nos préoccupations. Mais il eût été souhaitable de nous accorder le temps nécessaire, un délai raisonnable, pour pouvoir traiter avec toute l’acuité et parfois la finesse de rédaction qu’ils méritent les nombreux sujets abordés par le projet de loi, afin de fournir le travail de qualité habituellement reconnu à notre assemblée.
Ce texte est le fruit de négociations longues, laborieuses, âpres, mais fructueuses, entre les partenaires sociaux, représentants des fédérations professionnelles et des organisations syndicales, qu’elles fussent patronales ou de salariés.
Il s’agit là, en effet, d’un succès de la démocratie sociale, que je tiens, comme d’autres avant moi, à saluer. Dans une France qui a bien du mal à se réformer, les corps intermédiaires montrent, s’il en était besoin, leur savoir-faire et leur utilité pour accompagner des évolutions nécessaires tant pour nos entreprises que pour leur personnel.
Sur le fond, ce projet de loi vient répondre à deux impératifs : la nécessité d’apporter aux salariés une sécurité complémentaire dans l’emploi ; la meilleure prise en compte des contraintes du monde du travail, qui a aussi, dans le même temps, besoin de flexibilité, d’adaptabilité et de souplesse, en contrepartie, bien sûr, des nouveaux droits individuels ou collectifs accordés aux salariés.
Le Président de la République lui-même, lors de la signature de l’accord national interprofessionnel de janvier dernier, a salué le succès du dialogue social, appelant son gouvernement à « transcrire fidèlement les dispositions d’ordre législatif prévues dans l’accord ».
Cela ne signifie pas que le Parlement se contente de donner un blanc-seing. La Haute Assemblée, en particulier, a une capacité d’écoute et d’analyse qu’il convient d’exploiter, afin d’enrichir ce texte au service des entreprises comme des salariés. Mais ce travail doit être accompli dans le respect non seulement de l’économie générale et de l’esprit de cet accord, mais aussi dans le respect de sa lettre, de toute sa lettre.
À cet égard, je déplore que le Gouvernement ait déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale un projet de loi sensiblement différent de l’accord sur certains points.
Il en est ainsi de la clause de désignation, prévue à l’article 1er, qui remet en cause et l’esprit et la lettre de l’ANI, lequel accordait une totale confiance aux entreprises pour choisir le prestataire le mieux adapté à leurs besoins. Elle pose, de surcroît, un problème juridique au regard du droit de la concurrence, consacré par le Conseil constitutionnel.
Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de la discussion des articles.
Concernant la mobilité interne dans l’entreprise, l’ANI prévoyait un dispositif très souple, que l’Assemblée nationale a rigidifié.
Il en va de même pour les accords de maintien dans l’emploi : l’ANI avait prévu des modalités pourtant très protectrices des salariés, que l’Assemblée nationale a, là encore, parfois rigidifiées. Or, pour que l’entreprise puisse conserver ses salariés dans l’emploi, notamment lorsque les vents sont défavorables, il est vital qu’elle dispose d’une certaine marge de manœuvre.
De manière générale, le projet de loi a tendance à alourdir les dispositions prévues par l’ANI, qui était pourtant un compromis subtil, équilibré et mesuré entre flexibilité et sécurité de l’emploi.
Avant de conclure, je tiens à interroger le Gouvernement sur deux points.
Tout d’abord, je souhaite savoir, monsieur le ministre, comment vous comptez financer cette réforme, dont le coût estimé oscille entre 2 milliards et 3 milliards d’euros ? En cette période, convenez qu’il ne saurait être question de faire porter cette dépense nouvelle sur le contribuable. Alors, quel budget sera mobilisé ? À moins que le Gouvernement n’ait décidé – mais qu’il nous le dise alors clairement – de réaliser des économies. Dans ce cas, à quelles dépenses a-t-il choisi de renoncer ? Il s’agit d’une question de nécessaire transparence à l’égard tant des entreprises que des salariés, en fait à l’égard de tous nos concitoyens.
Ensuite, quiconque prend un peu de hauteur par rapport au projet de loi ne peut être dupe : l’article 1er, qui généralise la couverture complémentaire santé, coûtera quelques dizaines de milliers d’emplois à notre pays. Cela va totalement à l’encontre de la vitalité économique de nos territoires, des dynamiques de développement territorial et même de l’économie sociale et solidaire, devenue, semble-t-il, un des fétiches gouvernementaux censés nous remettre sur la voie du redressement, qu’il fût productif ou non…
Je suivrai donc les débats avec la plus grande attention et m’y impliquerai. L’appréciation que je porterai sur la pertinence des réponses que vous apporterez à nos questions et aux craintes exprimées me guidera dans mon choix au moment du vote sur l’ensemble de ce projet de loi. Je jugerai si la prise en compte de la démocratie sociale par la démocratie représentative qui s’exprime dans cette enceinte est réellement féconde et bénéfique pour la France et ses forces vives. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après avoir entendu les orateurs précédents, je me demande comment qualifier cet accord.
M. le ministre nous a parlé d’un texte comme on n’en voit que quatre fois par siècle.
M. Desessard, quant à lui, a évoqué un « accord historique ». M. le rapporteur de la commission des affaires sociales, de manière finalement plus raisonnable, a dit que c’était le « texte du quinquennat ».
Manifestement, ce projet de loi suscite beaucoup d’éloges !
Pour ma part, me gardant de tomber dans l’excès, je dirai simplement qu’il s’agit d’un texte important, qui traduit une nouvelle méthode de dialogue social dans notre pays puisqu’il est la transcription d’un accord national interprofessionnel négocié entre partenaires sociaux, avec, d’un côté, l’ensemble des représentations syndicales patronales et, de l’autre, une majorité de syndicats de salariés.
C’est bien là une nouveauté qu’il convient de souligner. Je tiens donc à remercier et à féliciter les partenaires sociaux qui sont à l’origine de cet accord. Ils ont fait preuve, en l’occurrence, de beaucoup de courage et de constance face aux critiques qu’ils ont essuyées.
J’ai aussi entendu à plusieurs reprises qu’il s’agissait du résultat de la dernière conférence sociale lancée par le Président de la République. Certes, mais je veux rappeler qu’il s’est tout de même passé quelque chose avant le 6 mai 2012, ce qui me donne l’occasion de rendre hommage à notre collègue Gérard Larcher, puisque c’est lui qui, en tant que ministre en charge du travail, fit voter la loi du 31 janvier 2007, texte fondateur sans laquelle cette récente négociation entre partenaires sociaux n’aurait pas été possible.
Du reste, M. Jeannerot l’a lui-même souligné tout à l’heure, et je tiens à l’en remercier.
Cela étant dit, je voudrais avant tout faire trois observations de fond.
Tout d’abord, à nos yeux, il s’agit d’un texte non pas offensif, mais défensif. Il suffit de regarder son titre : « Sécurisation de l’emploi ». Si l’on sécurise quelque chose, cela signifie bien qu’on veut le conserver. Certes, dans les circonstances économiques que nous connaissons, l’enjeu est de taille, mais il aurait été possible d’aller plus loin. J’aurais préféré que cette loi s’intitule, par exemple : « loi de dynamisation de l’emploi ».
En l’occurrence, on instaure un nouveau mode de relations sociales et de nouvelles procédures, mais essentiellement pour les cas où les entreprises commencent à voir poindre des difficultés à l’horizon. On n’envisage pas du tout une modification des relations entre employeurs et employés dans les cas où les entreprises ont des projets de développement et veulent améliorer leur compétitivité.
Les sénateurs du groupe UMP auraient donc souhaité aller encore plus loin, avec une refonte radicale du code du travail, introduisant plus de flexibilité, prévoyant l’annualisation des horaires, supprimant les 35 heures, de manière à créer un choc de compétitivité, ce que le Gouvernement proclame vouloir faire – il ne cesse d’en parler ! –, malheureusement sans aller jamais au bout de sa démarche.
Par conséquent, il est à craindre qu’il ne s’agisse, encore une fois, d’un rendez-vous manqué.
Néanmoins, malgré ce manque d’audace, le texte va, selon nous, dans la bonne direction, car il prend en compte la nouvelle donne du marché du travail, confronté à la crise et à la globalisation à l’échelle mondiale.
Il sous-entend – M. le ministre a effleuré ce sujet tout à l’heure – qu’en ce début de XXIe siècle un salarié ne pourra qu’exceptionnellement accomplir une carrière de quarante années dans la même entreprise. En conséquence, la mobilité qu’il devra accepter sera assortie de droits individuels le suivant dans toutes les entreprises employeuses.
À l’appui de mon propos, je ne retiendrai que quelques éléments du projet de loi : la mobilité externe sécurisée dans les entreprises de plus de 300 salariés, le compte personnel de formation, auquel il a largement été fait allusion tout à l’heure, le conseil en évolution professionnelle – lorsque l’on accepte la mobilité et que l’on change d’entreprise, il faut être encadré –, les droits au chômage rechargeables.
Toutes ces mesures créent des droits attachés individuellement à des salariés, qui le suivront dans l’ensemble de son parcours professionnel. C’est donc une petite révolution et la reconnaissance d’une adaptation obligatoire aux nouvelles donnes du marché de l’emploi.
Dans le même sens, il faut retenir un certain nombre d’éléments tels que l’amélioration des conditions de travail précaire, avec la modulation des cotisations d’assurance chômage en fonction de la durée des contrats, CDD ou CDI moins de 26 ans, l’encadrement des contrats de travail à temps partiel et, enfin, une mesure phare : la généralisation des complémentaires santé, avec une portabilité d’un an après le départ de l’entreprise.
Par ailleurs, un des objectifs du texte est de permettre aux entreprises de réagir au plus vite et mieux en cas d’apparition de difficultés, comme je l’ai dit précédemment, à travers trois mesures essentielles : la mobilité interne, les accords de maintien dans l’emploi, la réforme des procédures de licenciement économique. Sur ce dernier point, il faut signaler deux dispositions un peu controversées, car on ne sait pas ce qui en résultera : d’une part, le passage, s’agissant du contrôle de ce licenciement, d’une compétence judiciaire à une compétence administrative ; d’autre part, un raccourcissement des délais, lequel nous paraît au demeurant tout à fait souhaitable.
Toutes ces réformes vont donc dans le bon sens, et c’est pourquoi, malgré le manque d’audace dont j’ai parlé, le groupe UMP voit plutôt d’un œil favorable ce projet de loi retranscrivant l’ANI de janvier 2013.
Demeurent néanmoins des problèmes de fond sur quelques dispositions du texte, qui, précisément, ne retranscrivent pas en totalité l’ANI.
Les partenaires sociaux et le Président de la République lui-même avaient clairement énoncé le principe : l’ANI, tout l’ANI, mais rien que l’ANI ! Cette position n’avait pas été sans susciter quelques remous chez les parlementaires. Malheureusement, à mes yeux, le compte n’y est pas tout à fait !
Voilà pourquoi nous souhaitons, même si quelques adaptations mineures peuvent être maintenues, revenir à un texte aussi proche que possible de l’ANI, ce qui ne devrait pas être très difficile puisque c’était le souhait des partenaires sociaux et la volonté du Président de la République.
Les adaptations que nous vous proposerons néanmoins par des amendements vont dans le sens d’une plus grande ouverture, en quelque sorte, de cet accord et, surtout, dans celui d’une préservation des emplois que certaines dispositions pourraient menacer.
En cet instant, j’insisterai sur quatre points.
Le premier est cette clause de désignation, dont on dit qu’elle ne figure pas dans le texte. §Or il y est fait référence à l’article L. 911-1 du code de la sécurité sociale, qui, en lui-même, prévoit la clause de désignation, laquelle n’était pas incluse dans l’ANI.
Si la clause n’est pas prévue, pourquoi de si nombreuses personnes ont fait le forcing auprès de nous pour que nous la supprimions ?
On ne peut pas supprimer quelque chose qui n’existe pas !
Cette clause de désignation, chacun le sait, a fait l’objet d’un avis assez sévère de l’Autorité de la concurrence : même si celle-ci ne la rejette pas totalement, elle émet de sérieuses réserves. On comprend bien que l’Autorité de la concurrence ait été très embarrassée, mais elle a tout de même montré toute sa réticence à l’égard de cette clause qui pourrait s’avérer anticonstitutionnelle et être à l’origine de conflits d’intérêts ; ce n’est vraiment pas le moment !
On nous dit que cette clause de désignation pourrait permettre des mutualisations importantes, mais ce n’est pas tout à fait exact. En effet, trois catégories d’organismes sont concernées : les assurances, les mutuelles et les institutions de prévoyance. Quand on sait que les produits de couverture santé ne dégagent que des marges très faibles et que les principaux critères de détermination des tarifs sont l’âge et la santé des bénéficiaires, il devrait en résulter une concurrence plus active, ce que ne permettrait pas la clause de désignation. Celle-ci pourrait s’avérer plus favorable de prime abord, mais la situation dégénérera ensuite, nous le savons bien !
Il ne faut pas oublier non plus que cette clause de désignation risque d’entraîner la suppression de 30 000 emplois dans les mutuelles : ce n’est pas rien par les temps qui courent !
J’ajoute un autre argument : l’extension de la complémentaire santé devrait représenter 3, 5 milliards d’euros de prestations supplémentaires à l’échelon national et une perte de 2 milliards d’euros de recettes fiscales pour le budget de l’État. Compte tenu des montants en jeu, le refus de mettre totalement en concurrence ces organismes ne me paraît pas judicieux dans la période actuelle.
Enfin, je souscris aux propos de Mme Laborde, qui a évoqué la situation des très petites entreprises : dans cette généralisation des mutuelles, il faudrait effectivement trouver un régime spécifique pour alléger les charges des TPE, celles-ci ayant été marginalisées dans la négociation d’ensemble de l’accord.
Le deuxième point que nous souhaitons aborder est l’encadrement du temps partiel pour certaines entreprises appartenant à des secteurs très spécifiques, comme les services à la personne, le secteur médico-social et hospitalier, l’agriculture ou le portage de journaux. Toutes les structures concernées sont très inquiètes et il faut trouver des adaptations pour leur permettre de continuer à travailler comme auparavant. Même si, dans le climat de précarisation du travail que nous connaissons aujourd’hui, le développement du temps partiel n’est pas souhaitable, il vaut mieux avoir un « petit boulot » que pas de boulot du tout !
Mme Catherine Procaccia applaudit.
Le troisième point à trait à la consultation des délégués du personnel ou du comité d’entreprise sur l’utilisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Cette disposition ne figurait pas dans l’ANI : elle a été ajoutée par l’Assemblée nationale.
Le CICE est déjà bien compliqué et certaines sociétés rechignent à y recourir parce qu’elles n’y comprennent pas grand-chose. Si l’on y ajoute une consultation des délégués du personnel et du comité d’entreprise, alors que l’administration fiscale est censée en contrôler l’utilisation, c’est encore une couche supplémentaire de formalités administratives bien inopportune au moment où l’on annonce un « choc de simplification ». Nous souhaiterions donc que cette disposition soit supprimée.
Enfin, un dernier point ne figurait pas non plus dans l’ANI : lorsqu’un salarié refuse les clauses de mobilité et le plan de maintien dans l’emploi, le licenciement pour motif personnel devient un licenciement individuel pour motif économique. Nous constatons simplement que le licenciement pour motif personnel, tel qu’il était prévu dans l’accord, était directement inspiré de la loi Aubry du 19 janvier 2000 sur la réduction du temps de travail, qui prévoyait le licenciement du salarié refusant les adaptations de son contrat de travail.
Si l’on n’en revient pas au licenciement pour motif personnel que mentionnait l’ANI, nous risquons d’observer une judiciarisation accrue des litiges du travail, parce qu’il suffit que neuf salariés refusent les mesures de reclassement. Quoi qu’on en dise, avec un licenciement économique, les juridictions judiciaires seront à nouveau compétentes, avec un risque important pour les entreprises, compte tenu des délais de jugement : une telle insécurité juridique et financière n’est pas favorable à leur développement.
Tels sont les quatre points sur lesquels nous formulerons des propositions, monsieur le ministre. Nous espérons que le projet de loi pourra évoluer dans le sens que nous appelons de nos vœux. Ces propositions nous semblent raisonnables, car elles sont avant tout dictées par la volonté de revenir au texte originel de l’accord national interprofessionnel.
Sans faire de mauvais esprit, je me permettrai de relever que, si l’on compare notre pratique avec celle d’autres collègues, notre groupe n’a déposé que quinze amendements très ciblés sur les points que je viens de signaler, étant précisé que certains de ses membres en ont aussi déposé à titre personnel et que nous les soutiendrons. Nous avons en effet estimé que, l’accord allant dans le bon sens, nous devions être précis et constructifs.
Évidemment, il ne faudrait pas que le Sénat procède à de nouveaux « grignotages », selon le mot que certains partenaires sociaux ont employé à propos du travail de l’Assemblée nationale ; c’est du moins ce que nous espérons, puisque nous voulons respecter l’ANI.
Si, donc, nos propositions sont totalement ou partiellement entendues et s’il n’y a pas de nouveau « grignotage », nous pourrons envisager un vote favorable. Si nos propositions ne sont pas du tout entendues – et les débats en commission me laissent plutôt pessimiste à cet égard ! –, …
… notre groupe sera peut-être conduit à s’abstenir. Et si, malheureusement, non seulement nous n’obtenions rien, mais le projet de loi s’écartait davantage encore de l’ANI, notre vote pourrait être négatif.
Je ne suis donc pas en mesure de vous indiquer, à cet instant, le sens de notre vote : je ne sais évidemment pas ce qui ressortira du débat ! Quoi qu'il en soit, nous y participerons activement et, en fonction de ce que vous nous direz, monsieur le ministre, nous arrêterons notre position définitive.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a pu être qualifié d’« historique » par certains d’entre nous, M. Desessard notamment. Dans une certaine mesure, c’est vrai, mais ce qui est sûr, c’est que cet accord correspond à notre philosophie, fondée sur la promotion du dialogue social.
Certes, l’ANI aurait pu aller plus loin sur tel ou tel point : par exemple, sanctionner plus sévèrement les contrats précaires, améliorer encore davantage la portabilité des droits à la formation, ou élargir un peu plus les accords de participation. Nous aurons l’occasion d’en reparler et tout cela évoluera dans l’avenir, nous l’espérons.
Il convient d’observer d’emblée que l’ANI consacre un changement d’approche des relations sociales dans notre pays. Il est l’aboutissement d’une évolution que nous appelions de nos vœux, les formations centristes n’ayant cessé, depuis les lendemains de la guerre, de prôner et défendre la démocratie sociale. En effet, nous avons toujours considéré l’entreprise comme une communauté humaine qui, en respectant les différences, crée de la richesse et des emplois, et non comme un lieu d’affrontement et de lutte des classes.
L’ANI est l’expression concrète de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, due au président Gérard Larcher, qui a imposé que toute réforme touchant aux relations du travail, à l’emploi ou à la formation professionnelle fasse l’objet d’une concertation préalable avec les organisations patronales et syndicales.
Cet accord aura donc d’autant plus de force que, fruit d’un compromis social, il sera également la résultante d’un consensus politique. C’est là que nous vous interpellons, monsieur le ministre !
Notre seul regret, c’est que l’accord n’ait pas été signé par toutes les organisations syndicales, mais vous n’y êtes pour rien ; cela nous incite d’autant plus à saluer la position de celles qui, au contraire, ont eu le courage de s’engager dans cette voie nouvelle.
En quoi consiste le changement ?
Primo, nous passons d’une logique défensive à une logique offensive : avec l’accord, il n’est plus seulement question de gérer des situations de crise, mais de les prévenir.
Secundo, et c’est le cœur même de l’ANI, il s’agit de doter enfin notre pays d’un socle de flexibilité et de sécurité, c’est-à-dire de consacrer des droits nouveaux pour les salariés et de donner plus de flexibilité économique aux entreprises, afin de les aider à s’adapter à la conjoncture et à maintenir l’emploi. Une telle approche s’accompagne, en effet, d’un dépassement de l’antagonisme traditionnel entre salariat et patronat.
Cependant, comme nous le faisait remarquer l’un des responsables syndicaux que nous avons auditionnés, la philosophie de l’ANI n’est pas celle du « donnant-donnant », de l’octroi de droits contre davantage de flexibilité. Pourquoi ? Tout simplement parce que les droits en question servent les intérêts de l’employeur et que la flexibilité sert aussi ceux des employés !
Au-delà de la seule flexisécurité, la volonté de dépasser l’antagonisme classique entre le salariat et le patronat est concrétisée par un certain nombre de dispositions bien retranscrites dans le projet de loi, qui visent clairement à apaiser les rapports sociaux et à substituer la logique de la coopération à celle de l’affrontement. C’est notamment le cas de l’article 16, qui favorise la conciliation et réforme les délais de prescription en cas de licenciement, ou bien encore de l’article 17, qui assouplit les règles de mise en place des institutions représentatives du personnel en cas de franchissement des seuils d’effectifs.
Dans cette optique, la disposition à nos yeux la plus emblématique est, à l’article 5, la création de l’obligation de représentation des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des grandes entreprises, qu’accompagne, à l’article 4, les consultations du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Sur le plan de la gouvernance d’entreprise, c’est un changement de paradigme dont nous nous réjouissons !
Il s’agit maintenant de donner valeur législative à l’ANI, mais sans le dénaturer. Nous jugerons donc ce texte à sa capacité à ne pas s’en éloigner à mauvais escient. Finalement, nous adhérons pleinement au credo du Président de la République : « tout l’accord, rien que l’accord ».
Or, monsieur le ministre, on peut recenser trois écarts notables entre l’accord et le texte qui nous parvient de l’Assemblée nationale, trois écarts que notre commission – et je le regrette, cher Claude Jeannerot – n’a pas comblés. Je vais donc me concentrer maintenant sur ces écarts, dont deux sont, à nos yeux, problématiques.
Le premier, à l’article 1er, consiste bien sûr en la possibilité donnée aux branches de désigner leur organisme complémentaire. Je ne m’étendrai pas longuement sur le sujet, qui fera sans doute l’objet de débats substantiels. Notre collègue Hervé Marseille y reviendra lors de la discussion de cet article. Je formulerai néanmoins deux remarques préliminaires et ferai part d’un sentiment général sur la clause de désignation.
Première remarque : cette question ne constitue absolument pas le cœur du texte.
La fédération des assurances ne partage pas forcément ce point de vue…
Sans doute ! La mutualité non plus, du reste !
Quoi qu'il en soit, il ne faudrait pas que le débat fondamental sur la flexisécurité soit trop pollué par le problème de la clause de désignation. Et cela dépend un peu de vous, monsieur le ministre !
Seconde remarque : l’arbre de la clause de désignation ne doit pas non plus cacher la forêt de la généralisation de la complémentaire santé. Autrement dit, il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur le fait que la généralisation de la complémentaire santé en entreprise représente une avancée majeure.
Mais notre sentiment général sur la question de la clause de désignation est évidemment négatif, d’autant que la lettre de l’ANI me semble écarter le recours à cette clause…
… alors que, encore une fois, nous pensons qu’il faut s’en tenir à l’accord.
Au surplus, la généralisation de la clause de désignation pourrait aboutir à une reconfiguration brutale de l’offre en matière de complémentaire santé en France.
Il ne s’agit pas de défendre tel ou tel opérateur, mais de garantir la transparence. Or la clause de désignation ne pourra qu’offrir un terreau favorable aux conflits d’intérêts qui pourraient se faire jour dans telle ou telle branche, surtout dans le contexte actuel, et contre lesquels je me permets de vous mettre en garde. Ce n’est ni aux mutuelles ni aux compagnies d’assurance de financer les professions et les syndicats !
Les deux autres écarts notables du projet de loi par rapport à l’ANI concernent l’article 10, relatif à la mobilité interne.
Le premier est tout à fait justifié. Il s’agit de la requalification par le Conseil d’État du licenciement pour refus de mobilité interne en un licenciement individuel pour motif économique, et non personnel. Je suis d’ailleurs persuadé que, si la loi n’opérait pas elle-même cette modification, le juge se prononcerait dans le sens d’une telle requalification.
Par ailleurs, le texte désamorce les craintes des représentants patronaux puisque, au terme du compromis trouvé, ces licenciements ne pourront donner lieu à des plans sociaux. Il nous faudra obtenir des assurances complètes sur ce point.
En revanche, l’Assemblée nationale a rendu facultative la négociation portant sur les conditions de la mobilité professionnelle interne. Comme je l’ai indiqué ce matin en commission, là réside le troisième écart notable, et selon nous problématique, du projet de loi par rapport à l’ANI. Nous aurions en effet souhaité qu’il s’agisse non d’une possibilité, mais d’une négociation systématique et obligatoire au sein de l’entreprise, et nous défendrons un amendement en ce sens.
J’en arrive maintenant au cœur du texte, qui est incontestablement l’article 12, portant création des accords de maintien dans l’emploi, le plus important dispositif de flexisécurité.
Il s’agit de pouvoir moduler ponctuellement un certain nombre de leviers – la durée du travail, son organisation, ainsi que les rémunérations – pour éviter les plans sociaux en cas de difficultés économiques. L’usage du dispositif est temporaire puisque la durée de l’accord ne peut excéder deux ans. De plus, il est assorti d’une clause de retour à meilleure fortune puisque, en cas d’échec, le plan social est établi en fonction des durées du travail et des rémunérations antérieures à l’accord.
Dans le cadre du plan social, le salarié n’aura donc en rien perdu le bénéfice du dispositif, ce qui est un point essentiel. Au pire, il s’agit d’un sursis et, au mieux, d’un moyen efficace de faire face collectivement à un creux de vague.
Le dispositif est d’autant plus défendable que, il convient de le préciser, des dispositions analogues existaient dans le droit en vigueur. En effet, une entreprise, en difficulté ou non, peut d’ores et déjà conclure un accord d’aménagement du temps de travail qui permet, en réduisant ce dernier, d’ajuster les salaires à la baisse.
De plus, les entreprises peuvent recourir au chômage partiel, dès lors qu’elles ont connaissance de ce dispositif, ou aux plans de départs volontaires.
L’apport principal de l’accord de maintien dans l’emploi est donc de compléter les aides existantes en matière d’adaptation des salariés aux évolutions de l’emploi et des compétences, de chômage partiel, ainsi que de reclassement et de conversion professionnelle. Il crée un cadre à la fois plus global et alternatif à des outils ciblés et disparates, ce qui permet de mieux sécuriser et garantir l’emploi.
Hormis l’accord de maintien dans l’emploi, l’ANI comporte d’autres avancées notables, que nous saluons.
Ainsi en est-il de la création du compte personnel de formation, le CPF, dont le financement doit, certes, faire encore l’objet d’une concertation entre partenaires sociaux, État et régions, mais qui constitue un progrès réel. Il s’agit d’un compte universel et individuel, donc indépendant du statut de son bénéficiaire, et ouvert autant aux demandeurs d’emploi qu’aux salariés. Enfin, il est intégralement transférable.
Nous n’avions pas connu une avancée aussi essentielle pour la formation professionnelle – pourvu qu’on l’utilise bien – depuis les lois Delors, votées voilà quarante ans.
M. Gérard Larcher acquiesce.
Le CPF, dont bénéficieront les salariés, améliorera la portabilité du DIF puisque, aujourd’hui, dans l’immense majorité des cas, les démissions interdisent le maintien des droits.
Surtout, ce contrat est susceptible d’améliorer substantiellement l’accès à la formation des publics qui en ont le plus besoin, à savoir, bien sûr, les demandeurs d’emploi, mais aussi les publics les moins qualifiés, à condition que ceux-ci apprennent à l’utiliser. Il est en effet conçu comme un outil de stimulation de la formation dont pourra se saisir le salarié. Il ne régira pas les formations organisées sur l’initiative de l’employeur, mais pourra être abondé par ce dernier ou par les pouvoirs publics.
Ainsi, et c’est déterminant, le CPF pourra favoriser un accès différé à la formation initiale et à des formations qualifiantes en bénéficiant des divers dispositifs régionaux qui pourront être proposés.
C’est une étape importante vers l’urgente et inévitable réforme de la formation professionnelle, réforme qui constitue selon nous, avec le choc de compétitivité tant attendu, le levier clé de la bataille de l’emploi.
Je conclurai par une question très importante à nos yeux : l’encadrement du temps partiel, qui fait l’objet de l’article 8.
Je le disais au début de mon intervention, si notre rôle principal de législateur est de veiller à ne pas dénaturer l’ANI, il nous revient aussi de l’adapter en cas de nécessité. Nous devons donc adapter l’article 8 afin de tenir compte de la réalité professionnelle de certaines branches.
Cet article pose en effet un socle de garanties tout à fait intéressantes visant à limiter l’usage du temps partiel : en particulier, les fameuses 24 heures hebdomadaires minimales et l’interdiction du temps fractionné. Cependant, ces règles sont incompatibles avec l’exercice normal de certaines activités. C’est le cas pour le secteur social et médico-social, les services à la personne ou le portage de presse, ainsi que l’a rappelé notre ami Jean-Noël Cardoux. Or les dérogations actuellement prévues par le texte sont par trop restrictives pour que les branches disposent des moyens législatifs de s’y adapter.
Cela pose un véritable problème et suscite, monsieur le ministre, une vive inquiétude dans les secteurs concernés qui, parce qu’ils recèlent des gisements d’emplois et de croissance, mériteraient au contraire d’être portés à bout de bras par la puissance publique.
Vous l’aurez compris, il s’agit là pour nous d’une question centrale. Nous vous proposerons donc d’amender le texte sur ce point.
En résumé, tenons-nous en globalement à l’ANI, mais adaptons la loi sur quelques points. Ainsi aurons-nous fait œuvre utile.
Il me reste à féliciter la commission des affaires sociales, sa présidente, ainsi que notre rapporteur, Claude Jeannerot, pour l’excellence de son travail, fruit de nombreuses et fructueuses auditions, pour son écoute et sa courtoisie. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, la crise économique que nous traversons est très grave, avec pour conséquence la destruction d’emplois et, en corollaire, la hausse du chômage.
Nos concitoyens vivent des situations difficiles, parfois dramatiques. Souvenons-nous qu’en termes d’emploi le bilan de la précédente mandature s’établit autour du million supplémentaire de chômeurs…
L’année dernière, les effectifs de l’emploi salarié marchand se sont réduits de 16, 2 %, pour passer sous la barre des 16 millions. Ce sont 34 200 postes qui ont été supprimés dans le secteur manufacturier, dont 29 400 dans l’industrie.
Le premier trimestre de 2013 n’a malheureusement pas vu s’inverser la tendance. Le nombre de chômeurs a progressé pour le vingt-deuxième mois consécutif. Nous comptons 62 300 chômeurs supplémentaires en janvier et février pour la catégorie A, laquelle regroupe les personnes qui n’occupent aucun emploi. Le taux de chômage atteint donc 10, 6 %, ce qui représente 3, 7 millions de demandeurs d’emploi. Si nous y intégrons les catégories B et C, c’est près d’un actif sur six qui est concerné par la demande d’emploi.
Dans le même temps, la part des chômeurs « de longue durée » a progressé de 14, 7 % et ceux-ci représentent près de 40 % de l’ensemble des demandeurs d’emploi.
Cette dégradation de l’emploi affecte prioritairement les jeunes de moins de 26 ans, dont le taux de chômage atteint en moyenne 26, 4 % ; il est même du double dans certains de nos territoires. Ce sont donc près de 800 000 jeunes qui sont actuellement à la recherche d’un emploi !
Face à cette situation, qui peut être dramatique, le Président de la République et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault ont décidé d’agir avec détermination et cohérence, en mettant en place une stratégie de redressement indispensable à notre pays et à nos concitoyens.
Le Gouvernement, dès le mois de juin 2012, s’est emparé spécifiquement de la question prioritaire de l’emploi. Il l’a fait d’abord avec les emplois d’avenir, créés par la loi du 26 octobre 2012, à destination des jeunes privés d’emploi peu ou pas qualifiés.
Rappelons que ce dispositif s’articule autour de trois idées fortes : une action orientée prioritairement vers les jeunes sans diplôme ou peu diplômés ; une logique de parcours, de formation et un accompagnement renforcé ; un engagement financier de l’État important, correspondant à la programmation de 150 000 emplois d’avenir à l’horizon 2014, dont 100 000 d’ici à la fin 2013.
Il l’a fait aussi avec les contrats de génération, dispositif qui est la traduction d’un accord national interprofessionnel signé le 19 octobre 2012 par l’ensemble des partenaires sociaux, qui déclaraient : « Le contrat de génération répond au triple objectif d’améliorer l’accès des jeunes à un emploi en contrat à durée indéterminée, de maintenir l’emploi des seniors salariés et d’assurer la transmission des savoirs, des compétences et de l’expérience. »
Traduit dans la loi du 1er mars 2013 portant création du contrat de génération, ce dispositif devrait permettre à terme la conclusion de 500 000 contrats de génération.
Cette stratégie s’appuie sur un triple impératif de cohérence, de complémentarité et d’efficience, mais aussi sur une méthode. Celle-ci tourne résolument le dos à celle du précédent gouvernement, aux déclarations sans lendemain, aux promesses non tenues et à la précipitation législative que guidait je ne sais quel impératif médiatique ou électoraliste du moment. §
Cette méthode est au cœur du texte qui nous est présenté. Elle a pour socle premier le respect des engagements pris. Le Président de la République l’avait dit : « Je mettrai en place, en concertation avec les partenaires sociaux, la sécurisation des parcours professionnels pour que chaque salarié puisse se maintenir dans l’entreprise ou l’emploi et accéder à la formation professionnelle. »
Ainsi, à l’issue de la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet dernier, le Gouvernement proposait aux partenaires sociaux d’entreprendre une négociation globale sur les conditions d’une meilleure sécurisation de l’emploi. En application de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, présentée sur l’initiative du président Gérard Larcher, il en a fixé le cadre et le calendrier.
Le 11 janvier dernier, après quatre mois de négociations auxquelles tous les partenaires sociaux ont contribué, un accord national interprofessionnel a été signé par les trois organisations représentatives des employeurs et trois des cinq organisations syndicales représentatives des salariés : la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC. Au regard des résultats de représentativité du 29 mars 2013, on constate que ces trois formations représentent 51, 15 % des suffrages recueillis par les organisations habilitées à négocier au plan interprofessionnel.
Il ne s’agit donc ni d’un accord MEDEF ni d’un accord reposant sur le soutien d’organisations minoritaires.
Je souligne aussi que les organisations non-signataires, même si elles ne se reconnaissent pas dans le texte de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, ont apporté leur contribution à la négociation ; elles nous l’ont d’ailleurs explicitement indiqué.
Le Gouvernement a, en outre, associé toutes les organisations à la préparation du projet de loi qui faite suite à cet accord national interprofessionnel, dans un esprit de transparence et de loyauté.
C’est cette même exigence qui a guidé les travaux des commissions des affaires sociales de l'Assemblée nationale et du Sénat, lesquelles ont prolongé et amplifié cette mutualisation d’analyses et de propositions en organisant de très nombreuses auditions.
J’en profite pour remercier la présidente de la commission des affaires sociales d’avoir organisé des rencontres avec l’ensemble des organisations, signataires ou non signataires, et le rapporteur de la commission des affaires sociales, Claude Jeannerot, qui a conduit un grand nombre d’auditions, non seulement de représentants des organisations syndicales, mais aussi d’économistes et de responsables des ressources humaines.
Cet esprit de responsabilité a permis de nombreuses avancées et c’est toujours l’option la plus juste et la plus efficace qui a été retenue.
Le présent projet de loi s’articule autour de trois axes essentiels.
Le premier axe concerne le renforcement des droits et la création de droits nouveaux pour les salariés.
Ainsi, l'article 1er prévoit la généralisation, avant le 1er janvier 2016 au plus tard, de la couverture complémentaire santé collective obligatoire. Il s’agit d’une avancée majeure pour les salariés comme pour les entreprises.
L’article 2, qui a trait à la formation, est tout aussi important. Chacun le sait, et nous aurons l’occasion d’en reparler puisque M. le ministre nous a annoncé un projet de loi sur ce sujet, la formation est un facteur décisif pour élargir les compétences et la qualification nécessaires aux salariés, en particulier dans un contexte de reconversion mais aussi d’évolution du parcours professionnel. À cette fin sont créés un compte personnel de formation et un conseil en évolution professionnelle. Sur ce sujet capital, il faudra veiller à ce que les choses avancent effectivement.
La recherche d’une plus grande employabilité caractérise aussi l’article 3, qui instaure une période de mobilité volontaire externe sécurisée pour tout salarié dans les entreprises et groupes de 300 salariés et plus.
Les articles 6 à 8 prévoient des dispositions visant à faciliter l’accès à l’emploi et à lutter contre la précarité des salariés. Je pense notamment à l’instauration du principe de droits rechargeables à l’assurance chômage, qui permettra l’utilisation, en tout ou partie, des droits acquis et non épuisés, notamment lors d’une nouvelle période de chômage.
L’article 7 fixe les bases de la modulation des cotisations au régime d’assurance chômage pour lutter contre la précarité et favoriser l’embauche en CDI. En effet, les partenaires sociaux ont prévu de renchérir les contributions des employeurs pour les CDD de courte durée, conclus pour accroissement temporaire d’activité.
Enfin, l’article 8 modifie en profondeur la réglementation du travail à temps partiel. Il crée une durée minimale hebdomadaire de 24 heures, laquelle peut être mensualisée. Il instaure aussi une obligation de négocier dans les branches professionnelles qui recourent structurellement au temps partiel, afin de renforcer le rôle des partenaires sociaux dans l’organisation des modalités d’exercice du temps partiel.
Catherine Génisson, rapporteur de la délégation aux droits des femmes, a évoqué ce sujet. Nous le savons tous, ce sont surtout les femmes qui travaillent à temps partiel. Or elles le font rarement par choix : il s’agit généralement d’un temps partiel contraint.
Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.
Mme Christiane Demontès. En outre, elles travaillent souvent dans des secteurs qui sont eux-mêmes gros pourvoyeurs de temps partiel – je pense en particulier aux services à la personne.
Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes acquiesce.
Il nous faut veiller à ne pas multiplier les dérogations à ce dispositif qui prévoit que le temps partiel ne pourra être inférieur à 24 heures hebdomadaires.
Les partenaires sociaux devront engager, au niveau des branches, une réflexion à cette fin. Je pense que les femmes qui travaillent nous en seront reconnaissantes.
Le deuxième axe est un renforcement du dialogue social.
L'article 4 prévoit deux nouvelles consultations annuelles obligatoires du comité d’entreprise : l’une portera sur les orientations stratégiques de l’entreprise, l’autre sera dédiée à l’utilisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Dans la même logique est prévue la création d’une base de données économiques et sociales, voire environnementales, dans chaque entreprise, à partir de 2014 ou 2015, pour mieux informer les institutions représentatives du personnel.
Enfin, l’article 5 instaure la participation obligatoire de représentants de salariés aux conseils d’administration ou de surveillance. À ce titre, je remercie le rapporteur de commission des lois, qui a beaucoup travaillé sur cette disposition.
Le troisième axe consiste à mieux encadrer la procédure de licenciement et à accompagner, voire à anticiper les mutations économiques afin de préserver l’emploi.
Ainsi, l’article 10 fait de la mobilité interne dans l’entreprise un instrument négocié et articulé avec la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, pour mettre en place des mesures collectives d’organisation du travail, sans projet de réduction d’effectifs.
L’article 11 pose les bases d’un nouveau régime d’activité partielle, fusionnant et simplifiant les régimes antérieurs de chômage partiel, jusqu’à présent peu utilisés, ce qui est d’ailleurs une particularité de notre pays.
L’article 12 a trait à l’accord de maintien dans l’emploi prévu à l’article 18 de l’accord national interprofessionnel. Il crée et encadre une nouvelle catégorie d’accords d’entreprise. Ceux-ci permettront, dans des entreprises en difficulté, aux partenaires sociaux de conclure un accord d’aménagement temporaire – dans le respect de l’ordre public social, vous l’avez souligné, monsieur le ministre – de la durée du travail, de ses modalités d’organisation et de répartition, ainsi que de la rémunération des salariés. En contrepartie, l’employeur s’engage à ne pas procéder à des licenciements économiques pendant la validité de l’accord.
L’article 13 opère une profonde réforme des procédures de licenciement collectif. Désormais, dans une entreprise de plus de 50 salariés, plus aucune procédure de ce type ne pourra aboutir si elle n’a pas donné lieu à un accord collectif majoritaire ou, en cas d’échec, à un plan unilatéral de l’employeur qui devra être homologué par l’administration.
Dans la même logique de préservation de l’emploi et de gestion prévisionnelle, l’article 14 crée une obligation, pour l’entreprise qui envisage la fermeture de l’un de ses établissements, de rechercher un repreneur, en lien avec son obligation de revitalisation.
Mes chers collègues, voilà rapidement exposés les principaux éléments de ce projet de loi. Ce texte s’appuie sur une méthode : le dialogue social. Quoi de plus naturel qu’une loi sociale soit précédée d’une négociation entre partenaires sociaux ? Fondé sur le respect de l’ensemble des acteurs, sur l’écoute, le dialogue, la loyauté et la recherche d’un compromis, ce projet de loi allie démocratie sociale et démocratie politique dans un seul et même objectif : le service de l’intérêt général et celui de la République.
Bien sûr, ce projet de loi n’est pas parfait, ...
... mais c’est le cas de tous les textes, et nous allons tenter de l’améliorer. Il ouvre une étape nouvelle dans les relations au sein de l’entreprise, dans le dialogue social et dans le travail avec les partenaires sociaux.
Sans anticiper sur les débats qui se dérouleront dans cet hémicycle, je tiens à préciser d’emblée, monsieur le ministre, mes chers collègues, que le groupe socialiste votera ce projet de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste . – Mme Françoise Laborde applaudit également.
À l’évidence, le texte que nous examinons est important, mais ce n’est malheureusement pas le grand texte de progrès annoncé par M. le ministre. À nos yeux, c’est même exactement le contraire.
Personne, dans cet hémicycle, ne peut nier la gravité de la situation : nous la constatons tous dans nos départements, nos villes, nos familles. Le chômage atteint un pic historique. La France compte 3, 2 millions de chômeurs de catégorie A, plus de 5 millions si l’on prend en compte toutes les statistiques. Chaque jour, ce sont des centaines de travailleurs supplémentaires qui allongent la liste déjà insupportable des chômeurs. Autant de personnes dont la vie bascule dans la précarité, l’incertitude et la peur du lendemain, autant de femmes et d’hommes qui se trouvent privés d’un droit constitutionnel : le droit au travail.
En effet, que reste-t-il aujourd'hui de l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux termes duquel « toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage » ? Oui, qu’en reste-t-il quand le taux de chômage atteint 12 % dans la zone euro, quand, en France, le nombre d’allocataires du RSA dépasse les 2 millions et 22, 5 % des jeunes vivent sous le seuil de pauvreté ?
Ce constat implacable est celui de la faillite d’un système et des politiques qui le servent depuis des années.
C’est contre cette machine de destruction sociale incarnée pendant cinq ans par le président Sarkozy §que le peuple français s’est exprimé le 5 mai dernier. Le besoin de changement et de rupture avec les politiques libérales a été le terreau de la victoire du candidat François Hollande.
C’est par l’engagement à mener la lutte contre la finance que la victoire s’est construite. Rappelez-vous le discours du Bourget où, reprenant une fameuse formule shakespearienne – « Ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas commencé par le rêve » –, François Hollande dressait le tableau de son projet pour la France, celui de « l’achèvement de la promesse républicaine autour de l’école, de la laïcité, de la dignité humaine, de l’intérêt général ».
La voilà, la seule feuille de route pour laquelle les Français se sont majoritairement exprimés. La voilà, l’exigence qui a été portée par le vote républicain au plus haut sommet de l’État. Cette exigence devrait aujourd'hui avoir un nom, celui du nouveau contrat social que la gauche se doit d’établir avec les Français. Soyons clairs, avec la crise politique qui s’amplifie, le droit à l’erreur est impossible : la crise est trop profonde et le malaise va grandissant. Ne creusons pas davantage encore le fossé avec les attentes sociales du pays !
C’est malheureusement le risque que vous prenez avec ce projet de loi.
Où sont l’intérêt général et l’aspiration à la justice sociale dans ce projet de loi dit de « sécurisation de l’emploi » ? L’intitulé même de ce texte, qui résume l’intention initiale de la conférence sociale, est aujourd'hui une manipulation grossière, à l’instar de ces publicités qui vantent les mérites de la crème fraîche à 0 % de matière grasse ou des 4 X 4 écologiques...
Rien dans ce texte n’apporte aux salariés une sécurité supplémentaire. Tout n’y est que précarisation !
J’ai écouté les défenseurs de ce texte : j’ai trop souvent entendu un plaidoyer sans rapport avec la réalité de notre pays et la brutalité sociale qui y a cours.
Ce projet de loi est, en vérité, un formidable cadeau au grand patronat et aux intérêts financiers. §Encore un, après les dix années de bons et loyaux services de la droite ! Le vote à l’Assemblée nationale, obtenu avec une majorité relative à gauche et l’abstention bienveillante des députés UMP, en a été la démonstration.
Monsieur le ministre, je vous ai entendu à cette tribune vous inventer des ennemis à droite. Malheureusement, je peux vous rassurer : vous n’en aurez pas dans ce débat et, comme à l'Assemblée nationale, vous pourrez compter ici sur la clémence des sénateurs de droite – ils viennent d’ailleurs de le confirmer –, ...
Venant des communistes, c’est un peu fort ! Vous, il n’y a pas si longtemps, vous défendiez le « bilan globalement positif » de l’URSS !
Bien sûr, les défenseurs du texte mettent en avant les maigres concessions octroyées dans l’accord. Un examen plus attentif montre toutefois que ces prétendues avancées relèvent davantage de l’hypothèse, voire de l’enfumage, que d’une quelconque sécurisation.
La création d’une complémentaire santé est présentée comme une révolution majeure. Certes, elle ouvrira des droits, quoique réduits pour les salariés – les prestations seront inférieures à celles qu’offre la CMU complémentaire ! –, mais elle contribuera surtout à l’enrichissement massif des assurances privées au détriment de la couverture garantie par la sécurité sociale. Et je constate que nos collègues de droite vont s’attacher à aggraver encore les choses à cet égard.
Que dire des propositions relatives à la représentation des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises ? Elles ne modifieront en rien les équilibres démocratiques, l’exercice du pouvoir, la participation des salariés à la décision ou aux choix stratégiques. Alors même que ce texte est censé faire le choix du « dialogue social » et de la négociation, l’intervention des salariés est en réalité réduite à la portion congrue.
Quant à la « taxe sur les contrats courts », que M. le ministre aime à brandir, cette prétendue « concession majeure » du patronat ne figure même pas dans le texte. L’article 7 mentionne seulement une éventuelle « modulation », qui ne coûtera pas un centime supplémentaire aux entreprises.
Enfin, les fameux « droits rechargeables à l’assurance chômage » n’existeront que sous réserve d’une négociation future et à la condition qu’ils ne coûtent rien à l’UNEDIC. Ils ne rapporteront donc pas un centime supplémentaire aux chômeurs et pourraient même être compensés par la baisse des prestations pour une partie d’entre eux, comme l’a demandé Mme Parisot !
Loin de protéger l’emploi, ce projet fait sauter toutes les digues du droit du travail. C’est grave pour tous les salariés ! C’est catastrophique pour tous ceux qui sont sous la pression des chantages à l’emploi ou à la fermeture de site.
Ce projet de loi, tout comme l’ANI dont il est issu, multiplie les possibilités de licencier, accélère et simplifie les plans sociaux, restreint la capacité des salariés de saisir la justice prud’homale, limite les indemnités de licenciement et diminue les délais de prescription pour les employeurs qui licencient frauduleusement.
Il est à l’exact opposé de tous les marqueurs de la gauche. Je demande donc à mes collègues sénateurs de gauche…
… de bien réfléchir aux conséquences de leur vote, au message politique qu’ils envoient et à l’orientation générale qu’ils dessinent.
Sont-ils prêts à entériner la réduction des délais de prescription pour les licenciements abusifs ? Cette mesure revient à instaurer une amnistie patronale tous les trois ans, alors que nos collègues de droite dénonçaient si vigoureusement l’amnistie sociale voilà quelques jours.
Comment accepter de voter le dispositif relatif aux comités d’hygiène et de sécurité, qui réduit encore les prérogatives de cet organe ?
Comment, lorsqu’on est de gauche, admettre l’accélération des plans sociaux, qui seront facilités par le contournement des juges ?
Quant à la prétendue « autorisation administrative » nécessaire à la validation de ces plans sociaux exprès, elle ne sera pas protectrice. Il ne s’agira que d’un visa de la DIRECCTE – direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi –, destiné à sécuriser juridiquement les décisions de l’employeur, exactement comme dans le cas des ruptures conventionnelles. En l’occurrence, le visa administratif a autorisé – et non empêché – un million de suppressions d’emplois depuis 2008…
Comment prétendre que ce projet de loi est équilibré quand il instaure les contrats intermittents « super-précaires » ? C’est une catastrophe, singulièrement pour les femmes, qui constituent 80 % des signataires de ces contrats. En plus d’instituer un faux plancher de 24 heures à travers lequel passeront la grande majorité des contrats, ce projet autorise huit avenants permettant à l’employeur de modifier le nombre d’heures travaillées. Le salaire sera lissé et les délais de prévenance renégociés, ce qui promet des conditions de travail désastreuses et une précarisation largement accrue…
Enfin, comment ne pas bondir face aux plans de mobilité forcée qui seront mis en place dans les entreprises tous les trois ans, sans aucune restriction géographique ? L’employeur pourra ainsi exiger de ses salariés qu’ils partent à l’autre bout du pays sous peine de licenciement automatique. La vie des familles s’en trouvera bouleversée !
En réalité, il faut le dire, ce projet de loi entérine les accords de compétitivité-emploi qui figuraient dans le programme de Nicolas Sarkozy, le candidat battu, mais pas dans celui de François Hollande, le candidat élu.
Ces accords permettront, partout où règnent la pression patronale et les chantages à l’emploi, de baisser les salaires, de modifier le temps et les conditions de travail.
Pour les employeurs, il s’agit de réaliser un rêve qu’ils caressaient de longue date ! Les salariés qui refuseront ces mesures dramatiques seront immédiatement licenciés.
Alors, mes chers collègues, à l’heure où vous vous apprêtez à voter ce projet de loi, …
… remémorez-vous ces mots de Léon Blum. Selon lui, l’on est socialiste à partir du moment où l’on a cessé de dire : « c’est dans l’ordre des choses et nous n’y changerons rien », à partir du moment où l’on a senti que ce prétendu ordre des choses était en « contradiction flagrante avec la volonté de justice, d’égalité, de solidarité ».
C’est pour cela que nous voulons changer l’ordre des choses !
M. Pierre Laurent. Non, ce projet de loi n’est pas digne de la gauche et n’est pas à la hauteur des enjeux !
Protestations sur les travées du groupe socialiste . – Plusieurs sénateurs de l’UMP s’en amusent.
M. Pierre Laurent. Comme dans le cas du pacte de compétitivité, vous offrez, sans contrepartie, de somptueux cadeaux au patronat.
Mêmes mouvements.
Les multiples possibilités de flexibilisation que les entreprises vont s’empresser d’utiliser contre les salariés sont un drame supplémentaire. Les suppressions de poste vont se multiplier, pour que les groupes confortent leurs marges et que les actionnaires maintiennent leurs dividendes. Je vous donne rendez-vous dans quelques mois !
Rien ne démontre mieux le caractère contre-productif de ce texte que l’exemple de toutes ces dernières années : partout en Europe, malgré les énormes gains de flexibilisation consentis aux employeurs, le chômage ne cesse d’augmenter et l’économie ne retrouve nulle part, dans aucun pays, un rythme soutenu, susceptible de créer des emplois durables. L’entêtement à utiliser des recettes qui ne marchent pas est une erreur politique et économique, un grave contresens !
Comme le soulignent de nombreux juristes et économistes, ce projet n’est rien d’autre que la version française de la lame de fond européenne de remise en cause des droits sociaux dénoncée par la Confédération européenne des syndicats elle-même.
Ainsi, selon l’économiste Frédéric Lordon, « L’ANI ajoute [...] l’inefficacité économique à la démission politique. Les entreprises ne manquent pas de flexibilité, elles manquent de demande ! Et toutes les flexibilisations du monde n’y pourront rien. [...] Les entreprises n’étendent leurs capacités de production qu’à la condition d’anticiper une demande suffisante. […] On peut les laisser empiler du profit autant qu’elles le veulent : pas de demande, pas d’investissement. »
Partout, des voix s’élèvent contre cette loi écrite à l’encre du MEDEF. Ce midi encore, des salariés nous le disaient devant le Sénat, en réclamant le retrait de ce projet et une vraie sécurisation de l’emploi, qui reste à construire. Ils nous demandaient ce changement de cap que le peuple de gauche attend.
Mes chers collègues, ne vous laissez pas prendre au piège qui se met en place autour de l’ANI. Pour les salariés de notre pays, pour les électeurs qui ont voté en faveur du changement, et même par respect pour notre assemblée, ne ratifiez pas cet accord !
Par notre vote, nous avons le pouvoir de faire taire Mme Parisot, qui, avec l’arrogance dont elle est coutumière, voudrait faire du Parlement une simple chambre d’enregistrement de ses desiderata.
Car non seulement on nous présente un projet de loi aux effets extrêmement graves, mais il nous est en plus demandé de ne pas le modifier autrement qu’à la marge, et ce en procédure accélérée ! Mme Parisot a d’ores et déjà fait connaître ses exigences en ces termes : « On ne peut pas à la fois soutenir un choc de simplification et en même temps laisser les parlementaires rendre tout encore plus compliqué. »
Comment peut-on adresser une telle injonction aux représentants du peuple ? Je rappelle que l’article 27 de la Constitution dispose que « tout mandat impératif est nul ».
Ne laissons pas notre pouvoir législatif se réduire encore, après qu’il a déjà été si largement mis en cause ces dernières années. Notre rôle est d’écrire la loi, et celle que nous devrions écrire est bien différente de celle qui nous est proposée.
Vous nous dites qu’il faut respecter la démocratie sociale. Nous en sommes bien convaincus, et nous pensons que la gauche aurait dû, dès son arrivée, inscrire dans la loi de nouveaux droits pour les salariés. En vérité, il ne s’agit pas, à travers ce texte, de respecter la démocratie sociale, mais de nous soumettre à une sorte de droit de veto du patronat. Mais si toute mesure sociale doit dorénavant recueillir l’aval du MEDEF, plus aucune conquête sociale ne sera possible ! La droite elle-même s’est réjouie de cette situation, en affirmant crânement – et à juste titre – que ce principe, s’il avait été en vigueur à l’époque, aurait tout simplement empêché la retraite à soixante ans, les 35 heures et même, bien avant, les 39 heures, les 40 heures et, plus généralement, l’application des lois Auroux, que vous avez évoquées, monsieur le ministre.
Nous ne pouvons accepter un tel ligotage institutionnel des droits du Parlement et de l’action d’une majorité politique de gauche.
Je sais bien que M. Cahuzac…
… estimait, voilà quelques semaines, que la lutte des classes n’existait pas. Je ne pense pas que cette idée puisse être aujourd’hui sérieusement défendue à gauche. Elle est malheureusement une réalité bien vivante, et c’est donc un devoir pour la gauche, a fortiori dans la situation actuelle, d’accorder à des millions de salariés des lois sociales protectrices et des droits nouveaux dans les entreprises.
Nous nous opposons à ce texte et à ce ligotage. À l’instar des députés du Front de gauche, qui ont bataillé longuement à l’Assemblée nationale…
… en faveur d’une réelle sécurisation de l’emploi, les sénateurs du groupe CRC sont déterminés à dénoncer, point par point, la nocivité de ce projet.
Tout au long du débat, et des centaines d’amendements que nous avons déposés, …
… nous démontrerons qu’une autre politique est possible. Elle passe par de nouveaux droits économiques pour les salariés dans l’entreprise, par un droit de veto des représentants des salariés, par l’élargissement des pouvoirs des comités d’entreprise et des instances représentatives, par la limitation réelle, dans la loi, de la part de contrats précaires, par le droit de reprise des sites par les salariés sous forme de SCOP, par l’interdiction des licenciements boursiers… Elle passe, au fond, …
… par la mise en place d’une véritable sécurité sociale de l’emploi et de la formation.
Mes chers collègues, l’heure est bien au choix, ce qu’il se passe jour après jour le démontre. Le pays attend un tournant. L’heure est à un choix qui soit la marque de fabrique d’une politique et d’un quinquennat.
Pour notre part, c’est dans la fidélité à nos engagements de gauche, de défense des salariés et de leurs conditions de vie, que nous abordons ce débat. En repoussant ce projet de régression, en faisant de très nombreuses propositions alternatives pour en changer la nature et le sens, nous voulons ouvrir des brèches avec tous ceux qui souhaitent rebattre les cartes à gauche et donner vraiment le coup d’envoi du changement.
Nous sommes en cela fidèles à l’avis de très nombreux syndicalistes de notre pays. Puisque vous les avez qualifiés de minoritaires, monsieur le ministre, …
M. Pierre Laurent. …, je rappelle simplement qu’il s’agit de deux des trois plus grandes organisations syndicales françaises, notamment de la première d’entre elles. On peut toujours les qualifier de minoritaires. Nous, nous considérons que leur voix doit être écoutée dans cet hémicycle, et nous la porterons !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC . – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jean-Vincent Placé applaudissent également.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je l’ai bien lu, ce projet de loi est un texte de mobilisation pour l’emploi et de lutte contre le chômage. Mobilisation pour l’emploi, soit, mais pas guerre… au chômage !
En effet, à regarder les choses d’un peu plus près, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un projet de facture libérale standard : l’origine essentielle du chômage n’est pas la faiblesse de la demande mais la rigidité du marché du travail. Cela fait trente ans que, de gouvernement en gouvernement, on nous ressert le même plat, avec le succès que l’on sait : un taux de chômage de bientôt 11 %. Mais qu’importe !
Officiellement d’ailleurs, ce n’est pas un plan de relance de l’emploi, mais de « sécurisation » de l’emploi.
Attention toutefois, nous avertit l’exposé des motifs, ce projet de loi n’est pas la énième tentative de « flexisécurisation » - vous me passerez ce néologisme – des relations de travail en France : « Son sens n’est pas un “échange” entre “flexibilité pour les entreprises” et “sécurité pour les salariés” ou, à l’inverse, entre “flexibilité pour les salariés” et “sécurité pour les entreprises”, il est l’affirmation d’un nouvel équilibre où l’un et l’autre des acteurs gagnent en sécurité sans perdre en capacité d’adaptation et de mobilité. »
En un mot, l’accord qu’entend graver dans le marbre de la loi le présent texte est un accord « gagnant-gagnant ». Voyons cela.
Dans la colonne « travailleur gagnant », que trouve-t-on ?
Premièrement, la généralisation de l’assurance complémentaire à tous les travailleurs, sans que soit d’ailleurs défini le contenu exact de la couverture minimale soumise à négociation collective et/ou à un décret, employés et employeurs se partageant son coût. Il est à craindre un alignement sur la CMU-C, ce qui ne représenterait tout de même pas une avancée considérable...
Deuxièmement, l’introduction de « droits rechargeables » dans le cadre du régime d’assurance chômage et d’une aide financière aux bénéficiaires de contrats de sécurisation professionnelle, la définition des modalités de financement des dispositifs étant renvoyée à des négociations ultérieures.
Troisièmement, diverses mesures relatives au travail précaire ou à la sécurisation des parcours professionnels. Citons, en particulier, la possibilité de moduler les cotisations patronales pénalisant les contrats de travail les plus courts. Les cotisations patronales s’en trouveraient augmentées de 110 millions d’euros – ce chiffre relativise l’impact de la mesure ! –, à comparer aux 150 millions d’euros d’aide à l’embauche de jeunes âgés de moins de vingt-six ans en CDI.
Notons aussi l’amélioration de l’information, des capacités d’expertise et des modalités de consultation des instances représentatives du personnel. Dans les très grandes entreprises, leurs conseils seraient ouverts, selon leur taille, à un ou deux représentants du personnel.
Dans la colonne « employeur gagnant », on retrouve évidemment la flexibilité.
Premièrement, accords de maintien dans l’emploi, mais en échange d’une baisse de salaire et/ou d’une augmentation du temps de travail. Le salarié qui refusera pourra être licencié sans contestation possible du licenciement, tenu pour économique. C’est la grande mesure de « modernisation », envisagée d’ailleurs par le précédent Président de la République. C’est peut-être cela, la continuité de l’État…
Deuxièmement, modification des règles du licenciement économique, permettant de déroger, sous certaines conditions, au droit du travail actuel.
Troisièmement, simplification des règles de réorganisation interne sans licenciement... à condition, toutefois, que le salarié accepte ce qui lui est proposé. Dans le cas contraire, il pourra être licencié pour motif personnel.
Quatrièmement, raccourcissement à deux ans des délais de prescription, actuellement de cinq ans, pour les contestations en justice portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail.
Bilan simplifié de ce « gagnant-gagnant » : les salariés bénéficient de la généralisation a minima de l’assurance complémentaire et des dispositions qui, sans remettre en cause le travail précaire, améliorent la condition de ceux qui le subissent. Les employeurs bénéficient du reste !
Certaines mesures, comme l’accompagnement de la mobilité, bénéficient aux deux partenaires, d’autres, comme les possibilités d’« accords de maintien dans l’emploi » à un seul : l’employeur.
Ainsi, dans les accords gagnant-gagnant, tout le monde gagne, mais certains perdent un peu plus que les autres !
En conclusion, ce projet de loi constitue un exercice de flexisécurité à prix cassé : il introduit plus de flexibilité que de sécurité. Je dis « à prix cassé », car la sécurité a un coût. Ainsi, en 2009, les Danois y ont consacré 3, 2 % de leur PIB, alors que le taux de chômage s’élevait à 6 %. La même année, la France accordait à la sécurité 2, 4 % de son PIB, alors que son taux de chômage atteignait 9, 5 %.
Mes chers collègues, d’excellents objectifs ne suffisent pas à faire une bonne loi ! §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est présenté porte un titre ambitieux : la sécurisation de l’emploi. Si nous nous arrêtions là, nous pourrions le voter de façon unanime. En effet, qui pourrait être opposé à la sécurisation de l’emploi ?
Cependant, je crains que, derrière cet objectif louable, les mesures censées permettre de l’atteindre ne soient pas à la hauteur des enjeux.
Le présent projet de loi aura des conséquences sur notre conception de l’emploi, la formation, l’accès à la santé. La complexité et la technicité de ce texte ne nous font pas oublier les valeurs fortes qu’il remet en cause.
Je parle de « projet de loi », mais peut-être serait-il plus juste d’employer le mot « accord ». Les parlementaires ne sont-ils pas censés ratifier « tout l’accord, rien que l’accord », pour paraphraser une haute voix politique de notre pays ?
Comme l’a très bien indiqué mon collègue Jean Desessard, qui s’est beaucoup investi sur ce texte – il m’est d’ailleurs bien difficile d’intervenir après lui, tant il a su capter l’attention de l’hémicycle ! –, les syndicats doivent prendre une plus grande place dans la gouvernance du monde du travail. Pour autant, le Sénat ne devrait pas être la chambre d’enregistrement des décisions prises par les partenaires sociaux, leur opinion à propos d’un texte fût-elle majoritaire.
Avant d’aborder le détail du présent projet de loi, je souhaiterais que l’on se demande quelle vision stratégique il reflète.
S’il s’agit d’accroître la flexibilité, bien que le mot ne figure pas dans le texte, pour pouvoir user des travailleurs afin de dégager de supposés gains de compétitivité, s’il s’agit d’individualiser le rapport du salarié avec son entreprise, s’il s’agit de remplacer peu à peu la sécurité sociale par des assurances privées, autant vous le dire : le groupe écologiste ne cautionne nullement ces objectifs.
J’en conviens, monsieur le ministre, telle n’est pas votre intention, mais nous sommes là pour débattre et le débat permet à chacun de clarifier ses positions.
L’économie est au service de l’emploi, et non l’inverse. Certes, il existe un problème en matière d’emploi en France, personne ne peut le nier : le chômage atteint le pic record de 10, 6 % et concerne 25, 7 % des jeunes âgés de quinze à vingt-cinq ans. Mais qui peut croire que c’est en précarisant le marché du travail, en le rendant plus flexible, c’est-à-dire en rendant le licenciement plus facile et moins coûteux, que nous allons créer un seul emploi supplémentaire ?
Quelle philosophie peut conduire à le penser ? Qui peut m’affirmer qu’un salarié seul face à son employeur sera gagnant lors de la négociation de ses droits ?
Il a fallu beaucoup de temps aux syndicats pour obtenir des acquis sociaux protecteurs. Aujourd’hui, nous sommes en train de détricoter ces avancées une à une, et je le regrette profondément.
Je crois que, pour relancer l’emploi, il serait plus judicieux de développer les filières d’avenir dans le secteur du développement durable, …
… d’adapter l’offre de formation, de simplifier les démarches administratives lors de la création d’une entreprise, de faire confiance aux jeunes et aux formes alternatives d’économie, telle que l’économie circulaire, au lieu de renier les droits des salariés.
Le dogme de la flexibilité à tout prix : très peu pour nous !
Mes chers collègues, ne vous méprenez pas : les membres du groupe écologiste ne rejettent pas abruptement le projet de loi en bloc. Certaines mesures visant à améliorer la situation des salariés peuvent aller dans le bon sens, à condition, bien sûr, qu’elles soient opérationnelles.
À cet égard, je citerai la lutte contre le temps partiel subi et l’éclatement des horaires au cours de la semaine, la taxation des CDD et l’incitation à la conclusion de CDI pour les jeunes âgés de moins de vingt-six ans, les droits rechargeables à l’assurance chômage, même si cette mesure semble fragile, par manque de financement, ainsi que les acteurs patronaux le reconnaissent eux-mêmes.
Je pense aussi à la complémentaire santé pour tous, prise en charge à 50 % au minimum par l’employeur. Toutefois, sur ce point, comme l’a rappelé Jean Desessard, les écologistes seront très vigilants, car nous ne souhaitons pas voir le modèle de la sécurité sociale se désagréger au profit d’un système privé de la santé.
Je sais, monsieur le ministre, que telle n’est pas l’intention du Gouvernement.
Globalement, j’observe un déséquilibre entre les avancées et les reculs. C’est d’ailleurs pour cela que les écologistes ont qualifié le présent texte de « déséquilibré ».
Je vois des reculs dans la mobilité contrainte, dans les licenciements facilités, dans la réduction des délais de prescription des actions en justice – ce point est loin d’être secondaire –, dans le changement des clauses du contrat imposé au salarié, dans la diminution des marges de manœuvre des comités d’entreprise, avec des délais plus contraignants et des coûts supplémentaires... C’est une réalité soulignée par l’ensemble des cabinets d’experts, même si nous ne sommes pas spécialement à l’écoute de ce lobby. En tout cas, il est important que les salariés puissent faire part de leur sentiment à l’égard des différents plans que leur présente le patronat.
Même si je sais que cela ne vous fait plaisir, monsieur le ministre, je veux rappeler ceci : le fait que M. Borloo et les centristes, comme le MEDEF, qui fait en sorte que l’approbation du texte qui nous est soumis se déroule dans les meilleures conditions possible, se soient autant réjouis des termes de l’accord, le qualifiant d’ailleurs non pas de « bon » mais de « très bon », voilà qui donne tout de même une certaine connotation à ce projet de loi !
En l’état actuel de sa rédaction, ce texte ne nous semble pas du tout satisfaisant ; il nous paraît même inquiétant. C’est pourquoi nous avons tenu à déposer des amendements, dans une démarche que nous voulons constructive. Puisque nous siégeons au Parlement, notre fonction est bien de légiférer.
Tout d’abord, il nous a semblé essentiel de sécuriser les droits individuels des salariés. À cet égard, nous souhaitons améliorer l’accès à la prévoyance dans le cas de CDD successifs, supprimer le licenciement économique individuel, supprimer ou mieux encadrer les avenants aux contrats de travail à temps partiel, qui plongent le salarié dans une réelle insécurité juridique. Nous voulons également prendre en compte la situation des stagiaires quant à la complémentaire santé.
Il importe aussi de conforter les institutions représentatives du personnel. Nous proposons donc de revoir les délais imposés aux comités d’entreprise et de supprimer la discrimination entre les grands et les petits comités d’entreprise, qui disposent de peu de moyens. Nous proposons en outre de créer, pour le comité d’entreprise, un droit de veto suspensif en ce qui concerne les modalités d’accompagnement dans le cadre des licenciements collectifs.
Par ailleurs, nous souhaitons mieux informer les sous-traitants dans le cadre des accords de gestion prévisionnelle de l’emploi et de compétences – GPEC, dans le jargon –, promouvoir le dialogue territorial entre les partenaires sociaux et intégrer la dimension environnementale dans l’entreprise, via la base de données prévue à l’article 4, relatif aux nouveaux droits collectifs en faveur de la participation des salariés. Vous ne serez pas étonnés, mes chers collègues, que ce dernier point fasse partie des préoccupations des écologistes !
Je ne détaillerai pas en cet instant les mesures que comportent nos soixante amendements. Jean Desessard et moi-même aurons l’occasion de le faire lors de l’examen des articles. Mais, vous l’aurez compris, nous souhaitons que le projet de loi soit rééquilibré en faveur du salarié, faute de quoi les écologistes ne pourront pas le voter.
Les salariés ne sont pas la variable d’ajustement de la compétitivité des entreprises. Derrière le mot « salariés » se trouvent des femmes et des hommes qui ont une vie, des contraintes et des droits inaliénables. Il est avant tout de notre responsabilité, à nous élus de gauche, dans ces moments difficiles que traverse notre pays, de les respecter et de les protéger. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi dit de « sécurisation de l’emploi », loin de diminuer le chômage, va l’augmenter considérablement. Loin de renforcer les conditions nécessaires au développement de l’emploi, il va paralyser les entreprises, qui délocaliseront.
D’ailleurs, depuis le début du débat, je n’ai jamais entendu prononcer le mot « entreprise ». Pour vous, l’entreprise n’existe pas ! Or c’est bien elle qui embauche !
C’est elle qui décide de recruter ou de licencier en fonction de la charge de travail. Ou alors elle est conduite à la faillite !
L’entreprise est confrontée en permanence à des problèmes d’embauche pour honorer les commandes, mais aussi de licenciement quand il n’y a plus de demande.
Si vous multipliez les contraintes en matière de licenciement et si vous obligez les entreprises à conserver du personnel surabondant à la demande des syndicats, elles n’embaucheront plus, s’expatrieront, et le chômage croîtra ! Jamais elles ne pourront garder du personnel surabondant sans recettes, sauf à jouer leur survie.
En d’autres termes, la sécurisation de l’emploi est impossible à réaliser, hormis dans l’administration.
Or de nombreuses entreprises, surtout les petites, pourraient embaucher immédiatement, car elles ont des commandes, mais l’incertitude de l’avenir, si ces commandes ne se renouvellent pas, les dissuadent d’embaucher en CDI. À en demander partout, on aboutira à ce qu’il n’y est plus ni CDI ni embauches !
En revanche, ces entreprises pourront embaucher en CDD renouvelables, en fonction des éventuelles commandes futures, ou sous forme de contrats de projet – je vous proposerai un amendement sur ce point – liés à l’exécution d’un contrat de travail. Une fois le travail terminé, ou la commande se renouvelle et le contrat se poursuit, ou elle ne se renouvelle pas et le contrat est arrêté.
Monsieur le ministre, je sais que le Gouvernement est opposé à la précarité. Mais ne vaut-il pas mieux occuper un emploi précaire, qui peut se renouveler, que rester au chômage ? Si vous refusez à l’admettre, vous serez responsable d’une augmentation considérable du chômage.
Aux États-Unis et dans de nombreux autres pays, la flexibilité est de règle, et le taux de chômage moins élevé. La sécurisation de l’emploi est appliquée avec beaucoup de flexibilité et non imposée par la contrainte, comme vous entendez le faire.
De toute façon, ce sont les entreprises qui décideront. Mais elles ne pourront embaucher que si elles proposent des produits compétitifs en termes de prix et de qualité ; c’est un autre problème dont vous ne parlez pas. Or, les prix de nos fabrications étant trop élevés par rapport à ceux qu’affichent nos concurrents européens et mondiaux, elles ont du mal à exporter.
Il faudra abaisser les coûts de production, les charges sur salaire et surtout, mes chers amis, travailler plus, …
… c’est-à-dire supprimer les 35 heures, et revenir à 39 heures, comme avant Mme Aubry.
Il est à noter que la remise en place des 39 heures permettrait de supprimer immédiatement 21 milliards d'euros d’allégement de charges payés par l’État à la sécurité sociale à la place des entreprises, ce qui ferait certainement très plaisir à notre ministre des finances.
Je voudrais aussi signaler que les difficultés d’embauche proviennent de l’absence de formation professionnelle de nos jeunes et des difficultés rencontrées par nos entreprises pour trouver le personnel dont elles ont besoin Il y a actuellement des emplois disponibles mais personne pour les occuper !
Chaque année, depuis plus de quinze ans, l’éducation nationale nous gratifie de 150 000 jeunes qui deviennent chômeurs parce qu’ils ne sont pas formés. On a oublié la formation professionnelle, dont aucun ministre de l’éducation nationale ne s’est préoccupé.
C’est pourquoi une formation professionnelle à partir de quatorze ans…
À quatorze ans, ils ont déjà trop d’esprit critique ! N’est-ce pas un peu tard pour entrer dans le monde de l’emploi ?...
… et poursuivie obligatoirement jusqu’à dix-huit ans est de plus en plus indispensable pour tous les enfants qui ne souhaitent pas faire des études supérieures. On veut que les enfants suivent les mêmes enseignements mais, si certains sont disposés à apprendre, d’autres ne le sont pas. Actuellement, les études obligatoires se terminent à seize ans, et personne ne s’occupe de ceux qui n’ont intégré aucun emploi.
Permettez-moi de vous rappeler que j’ai assumé des présidences de société industrielles pendant plus de trente ans. J’y ai été maintes fois confronté à des problèmes de sous- charge de travail conduisant à des obligations de licenciements. J’ai pu les résoudre par des négociations avec les syndicats et, surtout, par une large concertation avec l’ensemble du personnel.
Il ne faut pas oublier en effet que le dialogue social dont vous parlez, qui est important, ne doit pas être uniquement engagé avec les syndicats ; il doit l’être aussi avec les salariés, qui sont les plus directement intéressés puisqu’il s’agit de leur emploi. Rappelons que grâce à la formation économique sur la gestion des entreprises les salariés comprennent mieux les problèmes.
Voilà, monsieur le ministre, chers collègues, les moyens efficaces de réduire le chômage que je voulais vous proposer. Nous sommes tous solidaires, nous voulons tous que le chômage recule, que les activités en France se développent. Mais n’oubliez jamais que tous les problèmes de l’emploi dépendent des entreprises et non du dialogue social : vous pouvez toujours tenter de les empêcher de licencier, mais vous ne les obligerez jamais à embaucher.
Je ne reviendrai pas, monsieur le ministre, sur les mesures que vous proposez dans ce projet de loi : certaines pourraient être efficaces, mais d’autres sont tout à fait contraires à l’objectif de réduction du chômage que vous vous êtes fixé. Vous allez – et je le déplore – considérablement augmenter le chômage.
Je voterai donc contre ce projet de loi, sur lequel j’ai toutefois déposé plusieurs amendements. §
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte, que nous examinons cet après-midi, est l’aboutissement d’une méthode.
La conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012 proposait aux partenaires sociaux une grande négociation portant sur l’amélioration de la sécurisation de l’emploi.
Après plusieurs mois de discussion ou, si j’en crois Jean Desessard, de « navigation », un accord majoritaire est intervenu le 11 janvier 2013.
Ce projet de loi vise à le transposer dans la loi.
Il traduit la complémentarité souhaitée par le Président de la République entre la démocratie sociale et la démocratie politique. Cette méthode doit être saluée et encouragée, car elle est exemplaire et porteuse d’avenir ! J’oserai dire qu’avec cet accord elle est devenue une exigence. Comme l’a souligné Catherine Génisson dans son intervention, elle doit être aussi, me semble-t-il, un facteur pour encourager la syndicalisation.
Désormais, il existe une autre voie entre le « tout État » et le « tout marché ». L’objectif était bien de trouver un équilibre entre la sécurité nécessaire pour les salariés et les possibilités d’adaptation indispensables aux entreprises pour maintenir l’activité et l’emploi.
Cet accord s’inscrit dans un contexte difficile, avec 5 millions de chômeurs et autant de précaires, plus de 17 % des salariés à temps partiel et 9 % en contrat court, ainsi que Christiane Demontès l’a démontré dans son propos.
C’est en priorité à cette réalité que les partenaires sociaux ont voulu s’attaquer lors de la négociation ; je dirai même que c’était leur boussole.
L’urgence qui s’attache à ce projet de loi est évidente, et personne dans cet hémicycle ne peut contester qu’il s’agisse d’une priorité. Dès son adoption, il sera, je le souhaite, un outil clé de notre bataille pour l’emploi.
Je tiens à saluer le travail réalisé par notre rapporteur Claude Jeannerot, qui a su mobiliser pleinement les membres de la commission des affaires sociales, animée par sa présidente, Annie David.
Le Gouvernement a déclaré l’urgence sur ce texte, et je partage sa volonté d’agir vite, mais il nous faut aussi prendre le temps d’apporter les améliorations et les précisions nécessaires tout en répondant aux inquiétudes exprimées par les organisations non signataires.
Ces dernières ont dénoncé un texte de « précarisation de l’emploi ». Les débats et l’étude attentive du texte démontreront, j’en suis convaincu, que tel n’est pas le cas.
L’Accord national interprofessionnel, l’ANI, ouvre très concrètement des droits qui n’existent pas sous cette forme aujourd’hui ; je pense en particulier aux droits rechargeables à l’assurance, à la généralisation de la couverture complémentaire santé, qui profitera à plusieurs millions de salariés, notamment ceux des petites entreprises, qui en sont dépourvus aujourd’hui, ou encore au droit personnel à formation.
Ces mesures font entrer la protection des salariés dans une logique de droits attachés à la personne. Je salue, pour ma part, cette portabilité des droits qui permet que ces derniers soient conservés malgré les aléas professionnels tels que la perte d’emploi ou le changement d’entreprise.
Beaucoup des dispositions contenues dans ce texte concernent le cœur même du fonctionnement de nos entreprises. Il est donc fondamental pour la représentation nationale de prendre en compte ce que proposent ceux qui en sont les premiers acteurs, à savoir les représentants des salariés et des employeurs.
Comme le dit souvent mon collègue Jean-Jacques Mirassou, avancer, c’est comprendre et respecter : respecter les signataires dans leur choix de signer cet accord ; respecter les non-signataires dans leur choix de ne pas le faire.
L’intelligence doit être collective !
L’enjeu est de construire des mécanismes d’anticipation, d’adaptation et de formation tout au long de la vie pour mieux gérer les transitions professionnelles et les mutations des territoires.
Mais il s’agit aussi d’encadrer le recours au temps partiel et d’enrayer l’explosion des CDD de courte durée.
Dans un contexte de multiplication de ces contrats depuis dix ans, synonyme de grande précarité des salariés en CDD, dont 90 % sont de moins d’un mois, l’objectif premier de la majoration de cotisation est de responsabiliser les employeurs dans leur politique de recrutement.
Le texte qui nous est proposé – bon nombre des intervenants précédents l’ont parfaitement montré – répond à plusieurs défis, notamment celui de la sécurisation, terme qui ne me pose aucun problème.
Pour la complémentaire santé, l’ouverture des négociations de branche est fixée au 1er juin 2013 pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2016.
En ce qui concerne l’assurance chômage, la négociation nationale qui aura lieu à la fin de 2013 intégrera le principe des droits rechargeables.
Mes chers collègues, le principe du « tout, tout de suite » a peu à voir avec les avancées sociales, qui nécessitent toujours un temps de construction.
Condamner des avancées au motif qu’elles ne sont pas immédiates, cela revient à conserver l’existant, à savoir pas ou peu de droits.
Lors des rencontres avec les organisations non signataires que j’ai pu faire dans mon département, la crainte d’une mobilité forcée dans l’entreprise, sans aucune garantie pour le salarié, a été souvent exprimée.
Il me semble que cette crainte est infondée.
En effet, là où, aujourd’hui, la mobilité d’un salarié peut être décidée unilatéralement par l’employeur, un accord viendra au contraire l’encadrer.
Alors que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la GPEC, n’était soumise qu’à une négociation facultative, l’ANI impose qu’elle soit désormais négociée dans le cadre de mesures collectives sans projet de licenciement.
En outre, trois nouveaux articles du code du travail viendront l’encadrer en termes de formation, de mobilité géographique, de conciliation entre vie professionnelle et vie privée.
Ainsi, aucune modification de classification et de niveau de rémunération ne sera possible pour le salarié dont la qualification professionnelle devra, à défaut d’amélioration, être maintenue.
Autre crainte exprimée par mes interlocuteurs, l’ANI précariserait encore plus les femmes qui travaillent à temps partiel.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
Le travail à temps partiel, et plus précisément à temps partiel contraint, est principalement féminin. Il alimente considérablement la situation de précarité vécue par plus de 3 millions de femmes.
Loin de l’aggraver, me semble-t-il, l’ANI organise un encadrement plus strict du travail à temps partiel imposé. Les branches qui le désirent ou celles dont au moins un tiers des salariés est employé à temps partiel devront ouvrir des négociations dans les trois mois.
Ces accords devront prévoir une durée minimale de travail hebdomadaire de 24 heures et, au-delà, une majoration des heures complémentaires, un délai de prévenance en cas de modification et une meilleure organisation du temps partiel pour permettre aux salariés de travailler chez plusieurs employeurs.
Cela vaut également pour le secteur des services à la personne, auquel nous sommes très attachés, car nous savons que c’est un secteur à forts besoins et qui recèle d’importantes potentialités d’emplois. Les organismes sociaux et médico-sociaux sont les plus importants en matière de création d’emplois.
Plusieurs outils ont été mis en place par le plan de développement des services à la personne qui visent à structurer l’offre et à permettre le développement des organismes prestataires. Je pense à l’Agence nationale des services à la personne, au mécanisme de l’agrément simple, au chèque emploi service universel, aux « enseignes », qui constituent un nouvel acteur des services à la personne.
Aussi, la professionnalisation du service à la personne doit passer par le dialogue social, la formation et la mise en place de la poly-activité.
Cela aboutit à un double enrichissement : d’abord, pour le salarié, qui va bénéficier d’un temps et d’un cadre de travail plus stable ; ensuite, pour la personne bénéficiant des services, la formation du salarié étant une véritable garantie.
Toutes ces recommandations peuvent être résumées en trois points : évolution de la structuration du secteur ; amélioration de la qualité de l’emploi dans le secteur des services à la personne ; développement de la formation et définition de réels parcours professionnels.
La sécurisation est également assurée par le retour de l’État dans les plans sociaux ; deux voies cohabiteront désormais pour qu’un plan de sauvegarde de l’emploi soit approuvé. Il devra soit être validé par un accord signé entre la direction et des représentants du personnel majoritaires, après une négociation de deux à quatre mois au maximum, soit être homologué par l’administration.
Je me réjouis personnellement de ce retour de l’État dans les plans sociaux. Ce point est la traduction concrète du trente-cinquième engagement de François Hollande.
Les grandes entreprises dotées d’un conseil d’administration d’au moins douze membres devront compter au moins deux représentants des salariés. La parité homme-femme devra être respectée.
Grâce à une participation accrue des salariés aux stratégies d’entreprise, l’engagement n° 55 est respecté !
Cet accord répond aussi à un autre défi, celui de la mobilité.
La mobilité interne devra faire l’objet d’un accord au sein de l’entreprise permettant la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle du salarié.
L’intérêt est que les salariés puissent conserver leurs emplois et l’entreprise leurs compétences.
Je me permets d’attirer votre attention sur le compte personnel de formation ; celui-ci est le réceptacle des droits détenus par les salariés au titre du droit individuel de formation, le DIF, qui, à ce jour, n’a pas été utilisé autant que nous aurions pu l’espérer.
Nous nous devons de rétablir une situation qui favorise le dialogue et motive les entreprises, en démontrant que ce droit à la formation est une véritable chance de développer leur capital humain. C’est également un excellent levier pour montrer qu’elles ont confiance en leurs salariés.
Il restera sans doute à négocier une hausse des financements pour que cette avancée ne se traduise par une augmentation du nombre de candidats sans accroissement du nombre de CIF attribués.
Je tiens à saluer l’annonce que vous avez faite, monsieur le ministre, confirmant qu’une réforme de la formation professionnelle serait prête pour la fin de l’année. L’objectif de cette réforme est d’instituer un « compte personnel de formation » pour chaque salarié et de mieux former les demandeurs d’emploi, ce qui est essentiel. Il sera bon, en effet, de recentrer une partie de la formation sur les jeunes et les chômeurs.
Plusieurs raisons peuvent être invoquées concernant le manque d’efficacité du DIF, notamment sa lente diffusion au sein des entreprises. Selon un rapport du Centre d’études et de recherches sur les qualifications, seule une entreprise sur dix met tout en œuvre pour favoriser l’accès à la formation. Ce droit est pourtant une chance pour le salarié comme pour l’entreprise !
Avant de conclure, permettez-moi, mes chers collègues, à partir de situations concrètes observées chez moi, en Bretagne, de vous démontrer l’importance des outils prévus par l’accord.
Je prendrai trois exemples.
À la compagnie Brittany Ferries, les limites de l’accord d’entreprise, conclu par une organisation syndicale, montrent la nécessité d’encadrer strictement les accords de maintien dans l’emploi de façon à répartir équitablement les efforts entre salariés et entreprise mais aussi à éviter le chantage à l’emploi.
Ensuite, deuxième exemple, la situation économique très difficile du secteur agroalimentaire traduit les conséquences dramatiques du manque d’anticipation et met en évidence la nécessité de développer le dialogue social. C'est ce que permet l’ANI en renforçant les droits des élus et des représentants des salariés en matière de consultation et de participation aux organes de direction avec voix délibérative.
Enfin, dernier exemple, la Bretagne se caractérise par un tissu économique constitué essentiellement de PME et de TPE. Nombre de salariés bretons travaillent à temps partiel, trop n’ont pas de complémentaire santé. L’ANI va permettre de réduire la précarité de leur emploi et d’améliorer leur protection sociale.
On le voit, le texte que vous nous proposez, monsieur le ministre, n’est pas forcément idéal, …
… mais il part, effectivement, de la réalité vécue par les salariés et s’appuie sur la responsabilité des organisations syndicales pour changer la vie de ces derniers.
Il tend à limiter et à encadrer la flexibilité, à la fois sauvage et omniprésente, à l’œuvre aujourd’hui dans les entreprises.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, le groupe socialiste vous apportera, comme l’a indiqué Christiane Demontès, son entier soutien et votera ce projet de loi, enrichi par nos collègues députés et par nous-mêmes. §
La parole est à M. Christian Poncelet, dernier orateur de l’après-midi.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est soumis à notre approbation contient un aspect important, peut-être quelque peu passé sous silence, mais vital à mes yeux pour notre économie, particulièrement aujourd'hui : la représentation obligatoire des salariés, avec voix délibérative, au sein du conseil d’administration ou de surveillance de leur entreprise, dès lors que celle-ci comprend un certain effectif.
Cette disposition figure à l’article 5 du projet de loi.
Autrement dit, ce texte renoue avec une belle et noble idée que je n’ai cessé de défendre en tant que ministre ou parlementaire : la participation, qui, voilà longtemps déjà, fut proposée par – vous ne serez pas surpris – le général de Gaulle.
Oui, en tant que gaulliste social, je me reconnais dans le dispositif de l’article 5 qui tend à prévoir cette représentation obligatoire des salariés dans les organes de direction. Cette association capital-travail, selon les termes employés par le général de Gaulle, que traduit en fin de compte la participation, ne peut laisser insensibles certaines familles de pensée réunies dans cet hémicycle. Le souhait de dépasser les antagonismes a aussi bien inspiré un certain socialisme que la démocratie-chrétienne ou le gaullisme social. §
Je n’ai cessé de me battre pour la participation des salariés dans les organes de décision de leur entreprise. Alors secrétaire d’État auprès du ministre du travail, dans le gouvernement dirigé par Pierre Messmer, sous la présidence de Georges Pompidou, je défendais, il y a quarante ans, en novembre 1973, un projet visant à encourager la participation des salariés au travers de modalités telles que l’actionnariat salarié, qui a connu quelques petits succès.
Nous voulions évidemment aller plus loin pour répondre aux vœux du général de Gaulle, qui souhaitait que la « participation directe du personnel aux résultats, au capital et aux responsabilités devienne l’une des données de base de l’économie française ».
Nous nous heurtions pourtant, à l’époque, à l’opposition concomitante du patronat et des syndicats.
Le patronat ne voulait pas se départir d’un certain paternalisme, mais son opposition arrangeait paradoxalement certains syndicats qui ne voulaient pas perdre leur audience. Cette drôle d’alliance correspond, hélas ! à un phénomène bien français, que je regrette : l’union sacrée pour que rien ne change, tout cela au détriment de l’intérêt général. §
Ce refus des uns et des autres s’est avéré mortel, car, entre-temps, des restructurations ont eu lieu, des usines ont fermé : le capital a changé de mains, le patron n’est plus français, ni même européen, mais peut-être indien ou chinois. Les facteurs de ces bouleversements sont certes complexes, mais reconnaissons que l’intégration des salariés dans les organes de direction destinés à adopter les décisions stratégiques aurait pu prévenir ce phénomène. Il aurait permis aux dirigeants et salariés d’être liés par des intérêts communs.
Comment reprocher à un patron de ne pas prendre en compte des acteurs avec lesquels il n’a jamais été habitué à prendre de décisions ou qu’il n’a jamais réellement vus ? Les Allemands l’ont fait par la cogestion, qui n’est d’ailleurs pas sans défauts sur plusieurs points, mais dont certains, à droite comme à gauche, reconnaissent qu’elle a permis la préservation de l’économie allemande par l’association intelligente des uns et des autres.
Je ne peux que savourer ces propos du rapporteur Claude Jeannerot : « Cet article représente donc une avancée majeure de nature à atténuer la conflictualité que peuvent susciter les choix stratégiques de l’entreprise. La présence de salariés lors de leur élaboration permettra de faire partager leur expérience et, pour les autres administrateurs ou membres du conseil de surveillance, de mieux mesurer les conséquences concrètes de leurs décisions. » §
C’est précisément l’objectif de la participation. Pour associer salariés et patrons dans la stratégie de leur entreprise, il faut quitter la culture stérile de l’opposition et atteindre celle de la complémentarité. Cette altérité, dont il a été question dans un autre débat sur lequel je ne reviendrai pas, je crois aussi que nous pouvons, nous devons même, la découvrir dans l’entreprise.
Permettez-moi une confidence : ce projet de loi, et particulièrement son article 5, me rajeunit. Il a fallu quarante années de réflexion pour que l’on comprenne l’intérêt d’un tel dispositif ; je m’en félicite, mais, quarante ans, n’est-ce pas un peu long, mes chers collègues ?
Nous avons les uns et les autres, quelle que soit notre sensibilité politique, une part de responsabilité dans cette situation, ne l’oublions pas ! Dans un contexte économique comme le nôtre, une telle lenteur a été préjudiciable aux intérêts de l’économie française et des salariés. Cela a déjà été dit mais je le répète, il faut savoir agir et même anticiper.
Quelles que soient les divergences qui apparaîtront sur certains points de ce projet de loi, je ne puis que saluer l’avancée importante apportée par l’article 5. C'est une étape qui permet de remettre l’homme au sein de l’entreprise, de l’activité économique, de nos préoccupations, en évitant les solutions caricaturales ou cyniques. Face aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés, c'est ce que le pays attend de nos sages délibérations !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, puisque vous avez annoncé que M. Poncelet était le dernier orateur de l’après-midi, c’est que vous vous apprêtez à suspendre la séance, et je sais qu’une conférence des présidents est prévue à dix-neuf heures. Comme la durée de suspension est habituellement de deux heures, je suggère que nous reprenions nos travaux à vingt et une heures, au lieu de vingt et une heure trente.
M. le président. Ma chère collègue, en raison de l’ordre du jour chargé de la conférence des présidents, qui doit être suivie d’une réunion, conviviale bien sûr, avec le ministre chargé des relations avec le Parlement
Sourires.
M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 17 avril 2013, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant, d’une part, sur le 8° de l’article L. 231 du code électoral (conditions d’éligibilité et inéligibilités des conseillers municipaux) (2013-326 QPC) et, d’autre part, sur l’article 39 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 portant loi de finances rectificative pour 2012 (taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) (2013-327 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de ces communications.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt-et-une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Didier Guillaume.