Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a été saisie le 19 mars dernier par la commission des affaires sociales des dispositions du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.
Ayant toujours donné la priorité à la négociation sociale, je tiens tout d’abord à saluer la méthode qui a consisté à consulter les partenaires sociaux préalablement au dépôt du projet de loi.
L’ANI du 11 janvier 2013 a un objectif ambitieux : prendre à bras-le-corps, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, les principaux enjeux de notre marché du travail pour fonder un nouvel équilibre entre le besoin d’adaptation des entreprises et l’aspiration des salariés à la sécurité. Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis est le résultat de compromis fragiles.
Comme je le soulignais devant la commission des affaires sociales, j’ai la conviction que nous devons apprendre à conjuguer collectivement démocratie sociale et démocratie politique. M. le rapporteur pour avis de la commission des lois l’a également longuement dit.
La délégation aux droits des femmes a travaillé avec le souci de ne pas déséquilibrer la structure générale du texte, en jouant néanmoins pleinement son rôle de législateur.
Les auditions de chercheurs, de juristes, de responsables d’organisations syndicales, signataires et non-signataires de l’accord, et des représentants du patronat ont donc été menées avec le double objectif de recueillir leur avis sur l’ensemble du projet de loi et, surtout, de mesurer l’impact du texte sur la situation des femmes.
Si les femmes constituent à présent 47 % de la population active, on peut, hélas, parler d’une spécificité de l’emploi féminin, dont les principales caractéristiques sont une surreprésentation dans les emplois précaires – plus de 80 % des personnes employées à temps partiel sont des femmes –, la persistance des inégalités professionnelles, en particulier salariales, et la concentration dans un nombre limité de métiers, 45 % des emplois féminins étant regroupés dans dix métiers.
Mes chers collègues, avant de vous présenter ses recommandations sur les articles du texte, la délégation a souhaité rappeler deux principes dont dépendra la bonne application du projet de loi : d’une part, le respect des textes relatifs à l’égalité professionnelle ; d’autre part, l’importance de la mobilisation des syndicats.
En ce qui concerne le premier point, il est temps de passer d’une égalité formelle à une égalité réelle. Les textes sont nombreux et complets, mais les obligations peu respectées. Il faut se donner les moyens de les faire appliquer et, pour cela, lancer un plan interministériel créant un réseau territorial de veille et de soutien à la négociation collective relative à l’égalité professionnelle. Il faut également impliquer les déléguées et les chargées de mission aux droits des femmes dans cette négociation et renforcer les moyens logistiques et budgétaires, afin de concrétiser l’égalité professionnelle sur les lieux de travail.
En ce qui concerne le second point, je me félicite que les négociations aient abouti à privilégier le niveau de la branche professionnelle pour l’adaptation des mesures touchant à l’organisation du travail. Encore faut-il que la parole des négociateurs, en particulier celle des représentants des salariés, soit suffisamment forte. Après la mobilisation syndicale sur l’ANI et la confirmation de la représentativité des principales organisations syndicales à l’issue des élections de mars 2013, il faut appeler les salariés à adhérer à un syndicat. Seuls 7 % à 8 % d’entre eux sont aujourd'hui syndiqués.
J’évoquerai maintenant les articles du projet de loi et leurs incidences sur l’emploi des femmes.
L’article 1er, dont l’objet est la mise en place d’un dispositif généralisé de couverture complémentaire santé, ne fournissait aucune indication sur la nature ou la qualité des prestations prises en charge.
Par ailleurs, en vertu d’une circulaire du 30 janvier 2009, il est admis que les salariés à temps très partiel devant acquitter une cotisation, forfaitaire ou proportionnelle au revenu, au moins égale à 10 % de leur rémunération peuvent choisir de ne pas cotiser, l’employeur prenant alors en charge leur cotisation. La délégation veillera à ce que les prestations incluent effectivement les dépenses liées à la maternité et à ce que le dispositif favorable aux bas salaires soit reconduit.
À l’article 4, qui crée notamment une base de données unique permettant au comité d’entreprise et aux délégués syndicaux d’être informés de la stratégie de l’entreprise, le contenu de la base de données est en deçà de ce qui avait été négocié ! La délégation estime qu’il serait bon d’inclure des informations relatives aux emplois précaires et aux contrats à temps partiel.
L’article 5 prévoit, dans les grandes entreprises, la participation aux conseils d’administration de représentants des salariés, avec voix délibérative.
La délégation a toujours soutenu l’idée d’une représentation équilibrée entre femmes et hommes dans les instances stratégiques des entreprises et a donc souhaité que, lorsque les candidatures seront nominales, le suppléant et le titulaire soient de sexe différent et que, lorsque les candidatures sont présentées par liste, celles-ci présentent une stricte alternance des sexes.
Derrière l’apparente neutralité de l’article 10 se cachent en réalité des modifications majeures de l’organisation des journées de travail, dont on sait qu’elle incombe encore majoritairement aux femmes.
La délégation a pris acte du fait que l’Assemblée nationale a imposé, dans l’application des mesures de mobilité géographique, le respect de la vie personnelle et familiale du salarié, des mesures d’accompagnement comprenant la participation de l’employeur à la compensation des frais de transport, ainsi qu’une concertation préalable. Nous veillerons à ce que le texte soit adopté ainsi modifié.
La délégation a également favorablement accueilli la suppression par les députés de la priorité donnée à la qualité professionnelle parmi les critères d’appréciation des licenciements, à l’article 15.
J’en viens maintenant aux articles 7 et 8.
Pour la délégation aux droits des femmes, l’emploi à temps partiel n’est pas, en soi, un emploi précaire, en particulier lorsqu’il est choisi. Néanmoins, force est de constater que les conditions d’emploi des femmes bénéficiant d’un contrat à temps partiel conduisent souvent, hélas, à des situations de précarité.
C’est pourquoi la délégation a souhaité reprendre, à l’article 7, une proposition que j’avais déjà formulée lors de l’examen de la proposition de loi relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes : à compter du 1er janvier 2013, les entreprises de plus de vingt salariés, dont le nombre de salariés à temps partiel est au moins égal à 20 % de l’effectif, seront soumises à une majoration de 10 % des cotisations employeurs.
L’article 8 prévoit un nouvel encadrement du temps partiel. Son application concernera au premier chef les femmes. Notre délégation ayant récemment appelé à une réforme du temps partiel, estimant que les horaires imposés étaient atypiques, instables et peu prévisibles, elle a favorablement accueilli cet article. Les deux principales modifications attendues sont, d’une part, l’introduction d’une durée minimale de travail du salarié à temps partiel fixée à vingt-quatre heures par semaine et, d’autre part, la modification de la rémunération des heures complémentaires.
On ne peut que se féliciter que l’ensemble des organisations représentatives ait abouti au seuil des vingt-quatre heures fixé pour permettre l’accès des travailleurs à temps partiel à l’ensemble des droits sociaux. À l’heure actuelle, reconnaissons-le, la plupart des conventions collectives prévoient des durées inférieures !
Cependant, le principe de la durée minimale de vingt-quatre heures hebdomadaires est fragilisé par la possible annualisation, en cas d’accord collectif conclu en ce sens sur le fondement de l’article L. 3122-2 du code du travail. La délégation s’est interrogée sur ce principe : l’annualisation, qui peut être une solution pour certaines branches dont l’activité est saisonnière, peut être aussi une façon d’affaiblir l’application de la loi. Je demanderai donc, au nom de la délégation, qu’un rapport sur l’application effective de l’annualisation soit remis au Sénat.
Ensuite, l’employeur peut déroger à la durée des vingt-quatre heures à la demande du salarié, afin de lui permettre soit de faire face à des contraintes personnelles, soit de cumuler plusieurs activités. Quel est le sens d’une telle alternative ? Je proposerai un amendement de clarification sur ce point.
L’article 8 permet par ailleurs d’augmenter temporairement, par avenant, la durée du travail prévue au contrat : il s’agit des « compléments d’heures » prévus par un accord de branche étendu. Ce dernier a fixé à huit le nombre d’avenants autorisés annuellement, aucune limite n’étant prévue lorsqu’il s’agit de remplacer un salarié absent, nommément désigné.
Au fil des auditions, il est apparu que ces compléments d’heures par avenant pouvaient porter atteinte au principe de la fixation d’une durée minimale du travail à temps partiel.
En particulier, le risque de requalification du contrat que pourrait entraîner le recours aux avenants est réel : l’article L. 3123-15 du code du travail prévoit que, lorsque pendant une période de douze semaines consécutives ou pendant douze semaines au cours d’une période de quinze semaines ou sur la période prévue par un accord collectif conclu sur le fondement de l’article L. 3122-2 du code du travail, l’horaire moyen réellement accompli par un salarié a dépassé de deux heures au moins par semaine l’horaire prévu dans son contrat, celui-ci est modifié. Une jurisprudence abondante confirme cette possibilité. Or, en l’absence d’indications sur le nombre d’heures et la durée sur laquelle peuvent être conclus les avenants, le risque de requalification sera réel.
De manière plus générale, ces compléments d’heures ont été examinés à l’aune du principe d’égalité entre les salariés à temps partiel et les salariés à temps plein, ce qui suppose de mettre sur le même plan les heures complémentaires et les heures supplémentaires.
Je rappelle que la jurisprudence de la Cour de cassation interdit de déroger à la majoration des heures complémentaires en augmentant temporairement, par avenant, la durée contractuelle initiale du travail. Cette différence de traitement ne saurait être justifiée par la situation économique des entreprises. La délégation souhaite revenir au principe d’égalité, en prévoyant que toute heure effectuée en complément des heures prévues dans le contrat initial sera considérée comme une heure supplémentaire.
À cet égard, les députés avaient précisé que, au-delà de quatre avenants par an et par salarié, quatre autres avenants pourraient être conclus, à la condition que les heures effectuées dans ce cadre soient majorées d’au moins 25 %. La délégation regrette que, au travers d’une seconde délibération, le Gouvernement ait supprimé ce que nous considérions comme une avancée.
La fixation des modalités d’organisation du temps partiel – nombre et durée des périodes d’interruption d’activité, délai de prévenance préalable à la modification du contrat – est enfin renvoyée à la négociation de branche.
Pour les délais de prévenance, il a semblé à la délégation qu’un seuil plancher de quatre jours, auxquels les accords collectifs ne pourront déroger, devait pouvoir être fixé dans le projet de loi. Si les employeurs du secteur de l’aide à domicile, dans lequel l’organisation du temps de travail est particulièrement difficile, peuvent appliquer un délai de quatre jours, tous les autres devraient pourvoir y parvenir également.
Ce texte majeur va profondément marquer les relations de travail dans les entreprises. Toutes les avancées qu’il permet sont nécessairement soumises à la négociation. La délégation estime donc indispensable l’évaluation de son application concrète. Elle y prêtera un examen attentif.