Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a pu être qualifié d’« historique » par certains d’entre nous, M. Desessard notamment. Dans une certaine mesure, c’est vrai, mais ce qui est sûr, c’est que cet accord correspond à notre philosophie, fondée sur la promotion du dialogue social.
Certes, l’ANI aurait pu aller plus loin sur tel ou tel point : par exemple, sanctionner plus sévèrement les contrats précaires, améliorer encore davantage la portabilité des droits à la formation, ou élargir un peu plus les accords de participation. Nous aurons l’occasion d’en reparler et tout cela évoluera dans l’avenir, nous l’espérons.
Il convient d’observer d’emblée que l’ANI consacre un changement d’approche des relations sociales dans notre pays. Il est l’aboutissement d’une évolution que nous appelions de nos vœux, les formations centristes n’ayant cessé, depuis les lendemains de la guerre, de prôner et défendre la démocratie sociale. En effet, nous avons toujours considéré l’entreprise comme une communauté humaine qui, en respectant les différences, crée de la richesse et des emplois, et non comme un lieu d’affrontement et de lutte des classes.
L’ANI est l’expression concrète de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, due au président Gérard Larcher, qui a imposé que toute réforme touchant aux relations du travail, à l’emploi ou à la formation professionnelle fasse l’objet d’une concertation préalable avec les organisations patronales et syndicales.
Cet accord aura donc d’autant plus de force que, fruit d’un compromis social, il sera également la résultante d’un consensus politique. C’est là que nous vous interpellons, monsieur le ministre !
Notre seul regret, c’est que l’accord n’ait pas été signé par toutes les organisations syndicales, mais vous n’y êtes pour rien ; cela nous incite d’autant plus à saluer la position de celles qui, au contraire, ont eu le courage de s’engager dans cette voie nouvelle.
En quoi consiste le changement ?
Primo, nous passons d’une logique défensive à une logique offensive : avec l’accord, il n’est plus seulement question de gérer des situations de crise, mais de les prévenir.
Secundo, et c’est le cœur même de l’ANI, il s’agit de doter enfin notre pays d’un socle de flexibilité et de sécurité, c’est-à-dire de consacrer des droits nouveaux pour les salariés et de donner plus de flexibilité économique aux entreprises, afin de les aider à s’adapter à la conjoncture et à maintenir l’emploi. Une telle approche s’accompagne, en effet, d’un dépassement de l’antagonisme traditionnel entre salariat et patronat.
Cependant, comme nous le faisait remarquer l’un des responsables syndicaux que nous avons auditionnés, la philosophie de l’ANI n’est pas celle du « donnant-donnant », de l’octroi de droits contre davantage de flexibilité. Pourquoi ? Tout simplement parce que les droits en question servent les intérêts de l’employeur et que la flexibilité sert aussi ceux des employés !
Au-delà de la seule flexisécurité, la volonté de dépasser l’antagonisme classique entre le salariat et le patronat est concrétisée par un certain nombre de dispositions bien retranscrites dans le projet de loi, qui visent clairement à apaiser les rapports sociaux et à substituer la logique de la coopération à celle de l’affrontement. C’est notamment le cas de l’article 16, qui favorise la conciliation et réforme les délais de prescription en cas de licenciement, ou bien encore de l’article 17, qui assouplit les règles de mise en place des institutions représentatives du personnel en cas de franchissement des seuils d’effectifs.
Dans cette optique, la disposition à nos yeux la plus emblématique est, à l’article 5, la création de l’obligation de représentation des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des grandes entreprises, qu’accompagne, à l’article 4, les consultations du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Sur le plan de la gouvernance d’entreprise, c’est un changement de paradigme dont nous nous réjouissons !
Il s’agit maintenant de donner valeur législative à l’ANI, mais sans le dénaturer. Nous jugerons donc ce texte à sa capacité à ne pas s’en éloigner à mauvais escient. Finalement, nous adhérons pleinement au credo du Président de la République : « tout l’accord, rien que l’accord ».
Or, monsieur le ministre, on peut recenser trois écarts notables entre l’accord et le texte qui nous parvient de l’Assemblée nationale, trois écarts que notre commission – et je le regrette, cher Claude Jeannerot – n’a pas comblés. Je vais donc me concentrer maintenant sur ces écarts, dont deux sont, à nos yeux, problématiques.
Le premier, à l’article 1er, consiste bien sûr en la possibilité donnée aux branches de désigner leur organisme complémentaire. Je ne m’étendrai pas longuement sur le sujet, qui fera sans doute l’objet de débats substantiels. Notre collègue Hervé Marseille y reviendra lors de la discussion de cet article. Je formulerai néanmoins deux remarques préliminaires et ferai part d’un sentiment général sur la clause de désignation.
Première remarque : cette question ne constitue absolument pas le cœur du texte.