Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je l’ai bien lu, ce projet de loi est un texte de mobilisation pour l’emploi et de lutte contre le chômage. Mobilisation pour l’emploi, soit, mais pas guerre… au chômage !
En effet, à regarder les choses d’un peu plus près, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un projet de facture libérale standard : l’origine essentielle du chômage n’est pas la faiblesse de la demande mais la rigidité du marché du travail. Cela fait trente ans que, de gouvernement en gouvernement, on nous ressert le même plat, avec le succès que l’on sait : un taux de chômage de bientôt 11 %. Mais qu’importe !
Officiellement d’ailleurs, ce n’est pas un plan de relance de l’emploi, mais de « sécurisation » de l’emploi.
Attention toutefois, nous avertit l’exposé des motifs, ce projet de loi n’est pas la énième tentative de « flexisécurisation » - vous me passerez ce néologisme – des relations de travail en France : « Son sens n’est pas un “échange” entre “flexibilité pour les entreprises” et “sécurité pour les salariés” ou, à l’inverse, entre “flexibilité pour les salariés” et “sécurité pour les entreprises”, il est l’affirmation d’un nouvel équilibre où l’un et l’autre des acteurs gagnent en sécurité sans perdre en capacité d’adaptation et de mobilité. »
En un mot, l’accord qu’entend graver dans le marbre de la loi le présent texte est un accord « gagnant-gagnant ». Voyons cela.
Dans la colonne « travailleur gagnant », que trouve-t-on ?
Premièrement, la généralisation de l’assurance complémentaire à tous les travailleurs, sans que soit d’ailleurs défini le contenu exact de la couverture minimale soumise à négociation collective et/ou à un décret, employés et employeurs se partageant son coût. Il est à craindre un alignement sur la CMU-C, ce qui ne représenterait tout de même pas une avancée considérable...
Deuxièmement, l’introduction de « droits rechargeables » dans le cadre du régime d’assurance chômage et d’une aide financière aux bénéficiaires de contrats de sécurisation professionnelle, la définition des modalités de financement des dispositifs étant renvoyée à des négociations ultérieures.
Troisièmement, diverses mesures relatives au travail précaire ou à la sécurisation des parcours professionnels. Citons, en particulier, la possibilité de moduler les cotisations patronales pénalisant les contrats de travail les plus courts. Les cotisations patronales s’en trouveraient augmentées de 110 millions d’euros – ce chiffre relativise l’impact de la mesure ! –, à comparer aux 150 millions d’euros d’aide à l’embauche de jeunes âgés de moins de vingt-six ans en CDI.
Notons aussi l’amélioration de l’information, des capacités d’expertise et des modalités de consultation des instances représentatives du personnel. Dans les très grandes entreprises, leurs conseils seraient ouverts, selon leur taille, à un ou deux représentants du personnel.
Dans la colonne « employeur gagnant », on retrouve évidemment la flexibilité.
Premièrement, accords de maintien dans l’emploi, mais en échange d’une baisse de salaire et/ou d’une augmentation du temps de travail. Le salarié qui refusera pourra être licencié sans contestation possible du licenciement, tenu pour économique. C’est la grande mesure de « modernisation », envisagée d’ailleurs par le précédent Président de la République. C’est peut-être cela, la continuité de l’État…
Deuxièmement, modification des règles du licenciement économique, permettant de déroger, sous certaines conditions, au droit du travail actuel.
Troisièmement, simplification des règles de réorganisation interne sans licenciement... à condition, toutefois, que le salarié accepte ce qui lui est proposé. Dans le cas contraire, il pourra être licencié pour motif personnel.
Quatrièmement, raccourcissement à deux ans des délais de prescription, actuellement de cinq ans, pour les contestations en justice portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail.
Bilan simplifié de ce « gagnant-gagnant » : les salariés bénéficient de la généralisation a minima de l’assurance complémentaire et des dispositions qui, sans remettre en cause le travail précaire, améliorent la condition de ceux qui le subissent. Les employeurs bénéficient du reste !
Certaines mesures, comme l’accompagnement de la mobilité, bénéficient aux deux partenaires, d’autres, comme les possibilités d’« accords de maintien dans l’emploi » à un seul : l’employeur.
Ainsi, dans les accords gagnant-gagnant, tout le monde gagne, mais certains perdent un peu plus que les autres !
En conclusion, ce projet de loi constitue un exercice de flexisécurité à prix cassé : il introduit plus de flexibilité que de sécurité. Je dis « à prix cassé », car la sécurité a un coût. Ainsi, en 2009, les Danois y ont consacré 3, 2 % de leur PIB, alors que le taux de chômage s’élevait à 6 %. La même année, la France accordait à la sécurité 2, 4 % de son PIB, alors que son taux de chômage atteignait 9, 5 %.
Mes chers collègues, d’excellents objectifs ne suffisent pas à faire une bonne loi ! §