Intervention de Christiane Demontès

Réunion du 17 avril 2013 à 21h45
Sécurisation de l'emploi — Exception d'irrecevabilité

Photo de Christiane DemontèsChristiane Demontès :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’argumentation des membres du groupe CRC pour justifier leur motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité s’appuie sur des textes que nul ne saurait méconnaître sans porter atteinte aux principes qui fondent notre Constitution, notre droit et notre vie en société. C’est évidemment le cas de la Déclaration de 1789. Nous estimons pour notre part que ces principes ne sont pas violés, mais qu’il en est proposé, plus de deux siècles après leur proclamation, une application conforme aux évolutions du temps. Cela ne les prive en aucune façon de toute leur force.

Vous l’imaginez bien, je n’engagerai pas un débat sémantique sur le sens donné au mot « sûreté » en 1789. Simplement, souvenons-nous qu’il s’agissait alors d’assurer la sécurité des citoyens, en lien avec la liberté et l’égalité des droits, contre l’arbitraire d’un pouvoir absolu. Or ce projet de loi se situe bien entendu à l’exact opposé de l’arbitraire. Non seulement il crée des droits nouveaux, mais la quasi-totalité de ses articles sont fondés sur la négociation de branche et d’entreprise ; nous aurons d'ailleurs l’occasion de le rappeler au cours du débat.

Ce projet de loi est le reflet d’une mutation profonde, qui aboutit à ce que la décision unilatérale de l’employeur devienne, en bien des matières, subsidiaire à un accord qui doit être recherché par les parties. Contrairement à ce que certains craignent, c’est donc bien une protection nouvelle, en amont du contrat de travail, qui est instaurée par la voie de la négociation collective.

Le droit du salarié à former un recours contentieux ne disparaît évidemment pas. En matière de licenciement, les procédures d’homologation et de validation des accords collectifs et des décisions de l’employeur ont même parfois été qualifiées de « retour de l’État ». Il est clair qu’il n’y a ni dans l’intention, ni dans la réalisation, la moindre volonté de léser l’une des parties, bien au contraire.

Les éléments du contrat de travail ne disparaissent pas : lorsqu’un ou plusieurs salariés refuseront qu’un accord, portant par exemple sur la mobilité interne, leur soit appliqué, ils bénéficieront des dispositions relatives au licenciement économique : les dispositions pécuniaires mais aussi les dispositions d’accompagnement et de reclassement que prévoira l’accord. Il conviendra bien entendu que ces mesures soient significatives. Ce sera de la responsabilité des négociateurs, mais, je le rappelle, nul ne peut contracter, fût-ce collectivement, en deçà de ses droits fixés par la loi. Ce point est absolument fondamental.

C’est d’ailleurs pour cette raison que le projet de loi n’est pas contraire à la décision du Conseil constitutionnel du 9 décembre 2004, dans laquelle il rappelle « qu’il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d’application des normes qu’il édicte en matière de droit du travail ».

C’est précisément ce dont il s’agit dans ce projet de loi. On ne peut à la fois constater que le contrat de travail individuel est déséquilibré par nature, car il est fondé sur la sujétion du salarié, et refuser que la négociation collective vienne diminuer cette sujétion individuelle. Ou alors cela voudrait dire que l’on ne fait pas confiance aux organisations syndicales, à leur représentativité, à la démocratie sociale que l’on appelle par ailleurs de ses vœux.

Nous vivons l’aboutissement d’une évolution de notre société dans ses profondeurs, évolution que l’on retrouve dans les autres pays européens. C’est l’expression nouvelle des citoyens, dans la cité et dans l’entreprise, qui veulent prendre leur destin en main selon des modalités démocratiques. Ce n’est pas un déni de démocratie ou un abandon de notre rôle, bien au contraire. Il est de notre responsabilité non seulement d’accepter cette évolution, mais d’y participer.

S’agissant de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, on a beaucoup fantasmé ici ou là sur le fait que le Parlement devrait non pas examiner un projet de loi qui en est le reflet, mais transcrire cet accord sans en modifier une virgule. Notre débat et l’ensemble des amendements déjà incorporés au texte, au Sénat ou par nos collègues députés, montrent que ce n’est pas la réalité. Telle n’a jamais été notre intention, comme en témoignent également toutes les auditions et tous les débats qui ont eu lieu ; je n’y reviens pas.

Comme le prévoit l’article 34 de la Constitution, nous fixons les principes, et nous laissons aux partenaires sociaux le soin de préciser les modalités pratiques d’application. Concrètement, mes chers collègues, le dialogue entre la démocratie politique et la démocratie sociale s’est déjà mis en place – cela a été souligné –, d’abord sur l’initiative de Gérard Larcher, dont le protocole a été repris par l’Assemblée nationale, puis avec la loi de modernisation du dialogue social.

À l’évidence, il ne s’agit pas de porter atteinte aux principes constitutionnels existants, mais de les compléter par un approfondissement de notre démocratie. En refuser les conséquences – je viens de les indiquer – ne nous semble pas cohérent. C'est pourquoi il serait tout à fait inopportun en matière de défense de l’emploi, contraire aux intérêts de l’ensemble du monde du travail et injustifié sur le plan constitutionnel de voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. §

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