Intervention de Jean-Ludovic Silicani

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 24 avril 2013 : 1ère réunion
Téléphonie mobile — Audition de M. Jean-Ludovic Silicani président de l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes arcep

Jean-Ludovic Silicani, président de l'ARCEP :

Si : je revendique le terme d'administration de l'Etat ; nous sommes un « morceau » de l'Etat, comme le Parlement est l'Etat, comme la Justice est l'Etat, comme le Gouvernement est l'Etat : je le revendiquerai la tête sur le billot ! Nous le savons depuis Montesquieu : l'Etat est composé du pouvoir législatif -c'est vous-, du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif ; l'exécutif comprend le Gouvernement (et les administrations qui en dépendent) et des administrations non gouvernementales que sont les autorités indépendantes ; c'est très simple, c'est écrit dans tous les cours de première année de droit administratif.

« Nous sommes une administration de l'Etat » : ce sont les premiers mots que j'ai prononcés lors de mes auditions ; si je m'étais trompé, il ne fallait pas me nommer à ce poste.

Nous sommes soumis au contrôle du Parlement et du juge : nous ne sommes pas des « électrons libres », qui pourraient faire ce qu'ils voudraient. D'où l'intérêt d'échanges fréquents avec l'Assemblée nationale et avec le Sénat, qui nous permettent de mieux comprendre, au-delà de sa lettre, l'esprit de la loi, afin de garantir sa meilleure application.

L'année 2012 a été marquée par l'arrivée d'un quatrième opérateur et de nouvelles évolutions des technologies et des usages dans une situation économique générale atone.

La décision d'octroyer une nouvelle licence a été prise par le précédent gouvernement parce que les prix de la téléphonie mobile étaient en France environ 20% plus élevés que dans les autres pays européens mais aussi parce que s'opérait la convergence de la téléphonie fixe et de la téléphonie mobile : Bouygues Telecom est passé au fixe en 2008-2009, puis, à l'inverse, Free est venu au mobile. J'ai été nommé en mai 2009 ; la quatrième licence a été décidée par le gouvernement en décembre 2008 et mise en oeuvre par l'ARCEP en février 2009, mais j'assume totalement cette décision au nom de la continuité de l'Etat !

En France, le marché de la téléphonie demeure solide : le chiffre d'affaires du secteur est resté stable, autour de 42 milliards d'euros, et ce à l'encontre les prévisions très pessimistes émises en janvier 2012. Les prix ont baissé d'environ 10% selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) : ce sont ainsi près de 4 milliards d'euros qui ont été rendus aux consommateurs. Nous n'avons pas eu besoin de mettre en place des mécanismes complexes de tarifs sociaux, car le marché a créé spontanément des offres à très bas prix : Free et les autres opérateurs proposent des abonnements à moins de 6 ou 7 euros, soit moins que ce que les gouvernements précédents avaient envisagé de mettre en place. Ce sont ainsi trois millions de foyers modestes qui peuvent désormais s'offrir un abonnement. Et cette baisse des prix profite également à la compétitivité des entreprises.

Les volumes ont augmenté d'environ 7 % en 2012, avec près de cinq millions de nouveaux abonnés en téléphonie mobile et de deux millions en haut débit fixe. L'innovation, la dynamique de l'offre et de l'investissement sont bel et bien la source de croissance du marché, ce qui vérifie les enseignements de la théorie économique!

La baisse de la marge des opérateurs, de près d'un milliard d'euros, n'a pas entamé leur capacité d'investissement, qui a atteint un niveau historique, avec 9,5 milliards d'euros investis : 7 milliards dans les investissements physiques et 2,5 milliards d'achat de fréquences dans la 4G. La croissance en volume est venue compenser la baisse des prix et les investissements ont été maintenus pour renforcer la couverture du territoire en 2G et 3G, poursuivre le dégroupage et entretenir les réseaux.

L'emploi chez les opérateurs s'est légèrement accru (0,1 %) en 2012, démentant ainsi des prévisions catastrophiques. Mais cette progression de l'emploi n'est pas uniforme. Alors qu'au coeur de la filière (les opérateurs), il demeure stable, l'emploi chez des équipementiers comme Alcatel-Lucent n'a cessé de décroître au cours de la dernière décennie, du fait d'erreurs stratégiques et d'une compétition exacerbée au plan international qui tire les prix vers le bas ; l'emploi des fournisseurs de service s'est à peu près stabilisé : le chiffre d'affaires des centres d'appel a augmenté de 4 % en 2012 ; en revanche, l'effectif des boutiques a légèrement diminué.

L'aval de la filière, c'est à dire les clients des fournisseurs d'accès à Internet, et les services en ligne, marchands ou publics, croit à une vitesse considérable et crée de nombreux emplois. Au cours des quinze dernières années, la filière numérique dans son ensemble a triplé ses effectifs pour dépasser le million d'emplois.

Dans les autres grands pays d'Europe, alors qu'il n'y a pas eu d'arrivée d'un nouvel opérateur, le chiffre d'affaires des principaux opérateurs a baissé autant voire plus qu'en France. Et aux Etats-Unis, la concentration du secteur a entraîné une baisse de 32 % des emplois en dix ans ; preuve que, sur ce plan, il n'y a pas de modèle américain des télécommunications !

L'octroi d'une licence mobile à l'opérateur Free a été assorti d'obligations en matière de couverture : il devait, début 2012, couvrir 27 % de la population et s'engager à atteindre, début 2015, le seuil de 75 %, puis celui de 90 %, début 2018. En attendant 2015, nous ne restons pas l'arme au pied : la réalisation de cet objectif fait l'objet d'une vérification constante de l'Arcep qui s'assure du juste déploiement des moyens, en termes notamment d'investissements physiques et d'antennes.

Deuxième évènement dans les services mobiles, la demande de Bouygues Telecom d'utiliser la bande de fréquence des 1800 MHz pour émettre en 4G a marqué aussi l'année 2012. Alors que le spectre hertzien, bien rare et cher qui est propriété de l'Etat, a longtemps été sous-exploité, la transposition, intervenue en août 2011, de la directive européenne a obligé les Etats membres à garantir la neutralité des bandes de fréquence d'ici à 2016 et à les ouvrir à de nouveaux usages, ce qui permet d'en optimiser l'utilisation.

Ce « refarming » s'inscrit dans un cadre très strict fixé par la directive : l'Arcep ne peut s'opposer à une telle demande qu'en se fondant sur un des motifs définis par le texte européen ; l'examen des deux principaux a impliqué la réalisation d'une analyse d'impact sur le chiffre d'affaires, l'emploi et la compétitivité des différents opérateurs. C'est à la suite de ce travail que nous avons donné une réponse positive au printemps dernier, mais en la conditionnant à la restitution préalable par Bouygues Telecom d'une partie des bandes de fréquence de 1800 MHz qu'il exploitait. Cette restitution est prévue en trois temps - octobre 2013, 2014-2015 et 2016 - et conduira à une nouvelle répartition de la bande des 1800 MHz entre les quatre opérateurs du marché. Ainsi, les trois opérateurs historiques, qui détenaient chacun 25 MHz du réseau hertzien, devraient voir leur patrimoine hertzien ramené à 20 MHz, ce qui permettrait à Free de recevoir 15 MHz ... s'il les demande et les paie. L'objectif d'égalité entre opérateurs, prévu par le cadre communautaire pourra ainsi être atteint.

Autre événement : l'arrivée de la 4G à la fin de l'année 2012. L'Arcep est l'un des premiers régulateurs en Europe à en avoir défini le cadre d'attribution ; sous le contrôle et la supervision de la Commission parlementaire du dividende numérique, présidée par le sénateur Retailleau et conformément aux priorités fixées par la loi de la lutte contre la fracture numérique de 2009, dite « Loi Pintat », les appels à candidature ont ensuite été effectués à l'automne 2011. L'attribution des fréquences a répondu à trois objectifs : poursuivre l'aménagement numérique du territoire, garantir l'ouverture du marché et assurer des recettes satisfaisantes pour l'Etat. Nous avons réussi : malgré des objectifs très ambitieux pour la couverture du territoire, la vente de ces licences a rapporté 3,6 milliards d'euros à l'Etat, soit 1 milliard d'euros de plus que prévu ! L'émulation entre les opérateurs, qui ont fait preuve de rapidité dans la mise en oeuvre de la 4G et son ouverture à de nouveaux services, augure de réelles perspectives de développement dans ce secteur grâce aux nouveaux usages qui en découlent : objets connectés, cloud... D'ailleurs, le prochain colloque de l'Arcep portera, à l'automne prochain, sur ce thème.

La couverture et la qualité des services mobiles sont deux paramètres nécessaires, différents et complémentaires. La couverture est l'un des critères d'attribution des licences concédées depuis ces quinze dernières années. Je répète à nouveau qu'il ne faut pas confondre la couverture règlementaire fixée dans les licences et la définition retenue par la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar). Pour cette dernière, une commune est réputée couverte si son centre bourg est couvert ; pour l'Arcep, qui analyse la granularité du réseau sur quelques centaines de mètres carrés, une zone est couverte si une communication est établie avec 95 % de chances de réussite pendant au moins une minute pour un usager qui ne se déplace pas dans un véhicule et se trouve à l'extérieur d'un bâtiment. Cette définition est la même dans toute l'Europe ; elle est rigoureuse, mais claire et comparable.

Lors des échéances réglementaires, nous vérifions la couverture assurée par les opérateurs. L'obtention des licences 4G a été assortie de nouvelles obligations de couverture, notamment à l'échelle départementale. Chaque année, nous contrôlons aussi la couverture des opérateurs à partir des cartes qu'ils nous transmettent ; nous opérons par sondage sur des échantillons représentatifs de communes ou de cantons. Si un élu local ou national constate une différence sur le terrain avec les informations transmises par les opérateurs, il peut également saisir l'Arcep qui examinera cette discordance et pourra procéder à un contrôle.

Alors que l'évaluation de la couverture procède d'une logique binaire (la zone est ou n'est pas couverte), l'appréciation de la qualité de service, qui relève d'un continuum, est plus subjective et n'obéit pas à une normalisation, à l'exception des échanges de données dont le débit peut être quantifié. L'Arcep mesure chaque année la qualité des services « voix » et « données » des opérateurs. Nous avons conduit une première évaluation conjointe de la couverture et de la qualité de service qui figure dans le rapport transmis au Parlement en novembre 2012. A la suite de l'enquête publique qui a suivi la publication de ce rapport, nous devrions, d'ici à l'été, rendre publiques plusieurs propositions destinées à améliorer les dispositifs de mesure de la couverture et de la qualité de service.

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