Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 25 avril 2013 à 9h30
Débat sur la loi pénitentiaire

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

Non, telle n’était pas mon intention, d’autant que M. Arpaillange était quelqu’un de bien.

Madame la garde des sceaux, à mon sens, deux éléments importants ont changé profondément la situation des prisons.

En premier lieu, la loi pénitentiaire a permis d’apporter d’importants changements, consensuels de surcroît. À cet égard, le Sénat a été plus offensif et plus courageux que ne pouvait l’être le garde des sceaux de l’époque.

Certes, il est primordial de penser d’abord aux victimes – on nous le rappelle tous les jours –, mais il nous a paru aussi important de penser à ce que deviendront les détenus, sans faire preuve de trop d’angélisme car, ne nous voilons pas la face, il y a des individus qui commettent des actes particulièrement répréhensibles et parfois extrêmement graves. Il en est aussi pour qui la prison n’est pas forcément adaptée.

À ce sujet, je voudrais évoquer le problème des malades mentaux en prison, car il est toujours d’actualité. Lors de la réforme du code pénal, nous avions réfléchi à la modification de l’article 64 de l’ancien code pénal sur l’aliénation mentale. Nous étions très contents de ce changement, pensant qu’il allait contribuer à atténuer les peines. En fait, tel n’a pas été le cas. Nous nous sommes aperçus qu’il avait plutôt eu pour effet d’aggraver les peines. Or la prison n’est pas la solution ! Toutes les enquêtes que nous avons menées dans des pays étrangers sur ce sujet ont montré que la plupart des pays recourent à d’autres dispositifs. Force est de constater qu’il y a aussi un problème lié à la psychiatrie en France. Celle-ci, pour diverses raisons, a tendance à errer, nous proposant des solutions divergentes. Toujours est-il que, comme il y a très peu de places en établissements fermés, les malades sont gardés en prison. À mon sens, il s’agit d’un problème majeur.

En second lieu, il faut mentionner la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans laquelle le Sénat s’est aussi beaucoup impliqué.

Avant que nous ne nous précipitions pour décider de sa fusion avec une autre institution, je n’ai pas peur de dire qu’il a encore beaucoup de travail à accomplir. Les préconisations qu’il formule au travers de ses rapports sont extrêmement précieuses, et je tiens à saluer la qualité du travail du Contrôleur général et de son équipe de collaborateurs.

Nous avons la même conception de sa mission que M. Delarue lui-même : il s’agit non pas de condamner telle ou telle pratique, mais d’essayer de faire en sorte que les choses s’améliorent progressivement, au travers d’un dialogue avec les établissements et les services pénitentiaires, à l’instar de ce que pratiquent avec succès nos amis britanniques.

Madame la garde des sceaux, sachez que je partage les conclusions du riche rapport de nos collègues Jean-René Lecerf et Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour avoir beaucoup fréquenté des établissements pénitentiaires depuis 2000, et même avant, je connais bien le sujet, mais je me contenterai de parler des aménagements de peines. Je pense en effet qu’il s’agit d’une question fondamentale.

Certes, d’autres problèmes se posent. Par exemple, on peut se demander combien d’heures de travail de surveillants seraient gagnées si l’on installait partout des portiques dans les plus grands établissements. Ne vaudrait-il pas la peine de réaliser un tel investissement ?

Après tout, dans les aéroports, notamment, mais aussi ailleurs, c’est ainsi que cela se passe. À mes yeux, cette question devrait être une priorité, pour permettre de libérer les surveillants de tâches qui ne sont pas forcément faciles pour eux. En même temps, je pense que cela donnerait satisfaction aux détenus, parce qu’il y aurait moins de fouilles à corps. Une telle modernisation devrait faire l’objet d’une évaluation sur une base simple : si l’on installe tant de portiques de plus, combien d’heures travaillées seront économisées ? Je suis convaincu que ce calcul serait bénéficiaire.

J’en viens aux aménagements de peine. Vous le savez, certains en arrivent toujours à la conclusion suivante : il y a trop de gens en prison, donc il ne faut plus condamner.

Votre circulaire du 19 septembre 2012 aux procureurs généraux ne disait pas autre chose, même s’il faut tenir compte du contexte. En effet, vous leur recommandiez de « s’assurer que les modalités d’exécution des peines d’emprisonnement tiennent compte de l’état de surpeuplement des établissements pénitentiaires. » Cela me gêne toujours d’entendre cela. Toutefois, ce n’est pas tout, heureusement, puisque vous préconisiez ensuite une politique dynamique d’aménagement de peines. Là, je suis d'accord, et l’on est en plein dans le sujet !

Selon moi, ce qui importe n’est pas tant le nombre des places, même s’il faut en avoir assez, que l’individualisation des peines.

À cet égard, je rappelle tout de même à ceux qui réclament des changements en la matière que la loi pénitentiaire avait été offensive, puisque les aménagements de peine étaient obligatoirement envisagés jusqu’à deux ans. Durant la discussion, le gouvernement de l’époque avait tenté de revenir à un an, mais nous avions tenu bon.

Quel est le sens de cette durée de deux ans ? Celle-ci part surtout du constat, partagé par beaucoup d’entre nous, que les très courtes peines ont une utilité extrêmement faible, voire, peut-être, plus d’inconvénients que d’avantages, car elles mettent en contact de grands délinquants avec des gens qui vont apprendre d’eux un certain nombre de choses. On le sait tous, certains mineurs deviennent des héros lorsqu’ils sortent de détention ; ils gagnent une respectabilité dans leur quartier. Or je ne pense pas que tel est l’objectif que nous visons.

Les aménagements de peine nous paraissent donc extrêmement importants. À ce sujet, le rapport de nos collègues est tout de même éloquent, puisqu’il tend à constater qu’il n’y a pratiquement plus de semi-liberté. C’est tout de même incroyable ! Certes, des justifications sont avancées, mais elles ne doivent pas nous empêcher de réfléchir à des solutions.

Le placement à l’extérieur est extrêmement réduit. En revanche, je dois reconnaître que la surveillance électronique marche bien. Tout à l’heure, M. Mézard rappelait que notre excellent collègue Cabanel avait dû se battre pour le bracelet électronique, car l’administration n’en voulait pas. Deux lois ont été nécessaires pour finir par l’imposer ! Certes, ce n’est pas la panacée ; du reste, il n’y a pas de solution idéale en la matière.

Par ailleurs, cela a été dit, les procédures simplifiées d’aménagement des peines font l’objet d’une utilisation très prudente. Enfin, et surtout, se pose le problème de la libération conditionnelle.

Sur toutes ces questions, nous pensons, et la loi tendait justement à l’affirmer, que ces aménagements ne doivent pas être systématiques. Mais il est tout de même triste que ce soient les conditions matérielles qui empêchent de mettre en œuvre ces procédures.

Monsieur Assouline, vous avez raison de souligner qu’il est important d’évaluer la récidive par établissement. Certes, il y a des obstacles, éventuellement d’ordre psychologique, car la population des établissements n’est pas toujours homogène. Or, nous le savons bien, les risques de récidive sont plus importants pour certains délits que pour d’autres.

Néanmoins, selon une étude de l’administration pénitentiaire qui date de 2012, me semble-t-il, les risques de récidive des libérés n’ayant bénéficié d’aucun aménagement de peine restent 1, 6 fois plus élevés que ceux des bénéficiaires d’une libération conditionnelle. Il faut donc faciliter ce type d’aménagement pour préparer la sortie des prisonniers. Or il y a encore trop de sorties sèches de détention, ce qui constitue l’un des graves problèmes de notre système.

Madame la garde des sceaux, la crise a rendu plus difficiles un certain nombre de pratiques, que nous souhaitions justement développer. Je pense au travail en prison, qui souffre en outre de la concurrence avec l’activité des entreprises. Il y a donc moins de donneurs d’ordres.

Il en est de même en ce qui concerne la formation et l’éducation. Comment convaincre les régions, qui sont chargées de la formation professionnelle, de s’impliquer davantage – quelques-unes d’entre elles le font, mais pas toutes – dans les établissements pénitentiaires ?

Enfin, si l’on veut des aménagements de peines, il faut des personnels dans les SPIP, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, tout simplement. Comme le rappelait Jean-René Lecerf tout à l’heure, alors que l’on estimait à 1 000 le nombre des agents nécessaires pour aboutir à un taux d’encadrement suffisant, on en a recruté seulement 250 !

S’il y a une priorité, elle est bien dans les SPIP. Et, bien entendu, il faut aussi des juges d’application des peines, car les juridictions de jugement prennent peu de décisions d’aménagement de peines, ce qui est dommage, d’ailleurs. Si les juges d’application des peines ne sont pas en nombre suffisant, s’ils sont surchargés – il faut savoir qu’ils exercent parfois cette fonction à temps partiel et qu’ils ont donc d’autres tâches –, nous ne progresserons pas dans la voie des mesures alternatives à l’incarcération.

Madame la garde des sceaux, je tiens à remercier mes collègues. Il y a bien sûr d’autres sujets sur lesquels j’aurais pu développer quelques arguments, mais je tiens à dire que le Sénat dans son intégralité, me semble-t-il, sera toujours très attentif à l’application de la loi pénitentiaire. Ceux qui ont participé à son élaboration, comme ceux qui ont travaillé au sein des commissions d’enquête ont eu à cœur, en fin de compte, de placer la protection de la société au centre du système.

Certes, si des gens sont en prison, ce n’est pas sans raison. Toutefois, on sait très bien qu’ils en sortiront un jour. Seront-ils alors meilleurs ou pires ? Pour notre part, nous souhaitons qu’ils soient meilleurs.

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