Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de débuter mon intervention par une anecdote récente – qui ne connaît le goût particulier de nombre d’entre vous pour ce genre de récit, mes chers collègues ?
À la fin de la semaine dernière, je participais à des rencontres dans mon département des Pyrénées-Atlantiques. Au détour d’une réunion, j’ai entamé une discussion conviviale avec quelques personnes. Très vite, nous avons été amenés à parler du vaste sujet de la criminalité. Entre deux phrases, une réflexion m’a marquée, et c’est une des raisons pour lesquelles je suis heureuse d’intervenir devant vous ce matin. Je cite mon interlocuteur : « De toute façon, en taule, on ne les fait pas assez souffrir ! » Telle est la phrase que j’ai eu l’horreur d’entendre. Et ce propos, aussi caricatural soit-il, est bien révélateur d’une réalité.
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, comment avons-nous pu en arriver là ? Comment se fait-il que, dans notre société, une partie de la population estime que la prison doit être un lieu de sévices et, plus grave encore, comment se fait-il qu’elle le soit dans les faits ? Il me semble que nous touchons ici le fond du problème et que nous pouvons mesurer l’importance du défi qu’il convient de relever dans le cadre de ce débat : aujourd’hui, certains ont intégré et – ce qui est peut-être plus grave – accepté que la cellule devienne un lieu de maltraitance. Nous voilà presque renvoyés à l’époque où la privation de liberté s’accompagnait forcément de violence psychologique, voire physique.
Dès lors, permettez-moi de vous dire ce que représentent pour moi la prison et la politique pénitentiaire dans son ensemble, dans une société moderne comme la nôtre.
Tout d’abord, ce sont ces milliers de surveillants, ainsi que de personnels médicaux et administratifs, qui œuvrent au jour le jour pour assurer la mission que la société leur a confiée, à savoir la surveillance et l’accompagnement de personnes jugées dangereuses pour le bon fonctionnement de la société. Et comme nombre d’entre vous, je tiens à leur témoigner toute mon admiration et mon respect, notamment en raison des conditions dans lesquelles ils exercent leur métier, qui n’ont cessé de se dégrader ces dix dernières années.
La prison et la politique pénitentiaire, ce sont aussi ces dizaines de milliers de femmes et d’hommes qui, pour des raisons diverses – conduite en état d’ivresse, coups et blessures, injures, meurtre, agression, viol ou, plus simplement, l’attente d’un jugement – se retrouvent privés de liberté. Toutefois, nous en conviendrons tous, cette privation de liberté intervient le plus souvent dans des conditions que nous ne pouvons cautionner et qui portent atteinte au respect impérieux de la dignité humaine.
Certains de mes prédécesseurs ont évoqué cette réalité mieux que moi, mais je souhaiterais la rappeler : dans des cellules d’une dizaine de mètres carrés cohabitent parfois quatre, cinq, voire six personnes ; elles sont soumises à des fouilles corporelles qui représentent une humiliation et un choc ; elles subissent une violence banalisée, ainsi que la perte de leur vie privée, voire de toute intimité.
Que dire de la politique de réinsertion ? Alors que l’article 1er de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose que « le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions », il faut reconnaître que la politique de réinsertion connaît de grandes lacunes, conduisant un nombre trop important d’anciens détenus à entrer dans la spirale de la récidive. De nouvelles solutions doivent être expérimentées, comme le disait Jean-Marie Bockel.
Que dire aussi de ces personnes, trop nombreuses aujourd’hui, souffrant de pathologies mentales et placées en prison faute de places en établissement spécialisé ?
La précédente majorité a tenté, en novembre 2009, de réagir et de répondre à ces dérives et ces limites en adoptant une nouvelle loi pénitentiaire. Pour autant, à la lumière d’une évaluation menée en juillet 2012 par nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat et Jean-René Lecerf, nous ne pouvons que constater que les améliorations n’ont été que très limitées en milieu carcéral.
Madame la garde des sceaux, après avoir œuvré avec courage et détermination pour l’égalité de tous devant le mariage, il vous revient maintenant de relever un autre défi. Vous contribuerez ainsi, j’en suis convaincue, à rapprocher les citoyens de l’institution judiciaire et à mettre un terme définitif à l’une des pires hontes de notre République : la vétusté de nos prisons, la surpopulation qui y règne trop souvent et les atteintes aux droits des prisonniers.
Il nous revient, à nous, de rappeler que la dignité humaine reste inaliénable, même à l’ombre des murs de nos prisons, et que la politique carcérale n’exprime nullement une volonté de briser des femmes et des hommes, mais a pour ambition de permettre à chacun de saisir sa chance de s’intégrer pleinement dans la société. Or peu de détenus y parviennent aujourd’hui.
Enfin, avant de conclure, comme je le rappelais au début de mon intervention, je représente dans cet hémicycle une partie du territoire national qui a connu et connaît encore des revendications culturelles et identitaires. Si les actions non violentes sont aujourd’hui privilégiées, cela n’a pas toujours été le cas par le passé, ce qui a conduit la justice de notre pays à réagir.
J’évoque ce sujet ici sans nulle volonté de provoquer. Pour autant, alors que ces pages difficiles semblent définitivement tournées sur ce territoire, il reste aujourd’hui encore une question à traiter : celle du statut des prisonniers basques et de leur transfert dans des établissements pénitentiaires à proximité de leurs familles et de leurs proches.
Madame la garde des sceaux, je sais que vous avez été sollicitée sur cette question, qui est aujourd’hui source de tension, notamment après le décès, voilà quelques semaines, de l’un de ces détenus dans une prison parisienne. Sa résolution conditionne aussi l’évolution définitive vers une solution pacifique sur ce territoire.
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre pays a connu et connaît encore, en plusieurs endroits de métropole et d’outre-mer, des phénomènes similaires, qu’il faut parvenir à résoudre de façon pacifique, dans le respect des principes fondamentaux de la République et de nos valeurs humanistes.