Intervention de Agnès Le Bot

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 avril 2013 : 1ère réunion
Sécurisation de l'emploi — Audition des partenaires sociaux : organisations syndicales non signataires de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013

Agnès Le Bot, responsable nationale de la Confédération générale du travail (CGT) :

Je vous remercie de nous entendre. Nous avons beaucoup à dire sur ce projet de loi, car il touche concrètement à la vie des salariés. Lors de la conférence sociale de juillet 2012, le Premier ministre a proposé une nouvelle démarche pour la sécurisation de l'emploi, en invitant à une négociation nationale interprofessionnelle, sur la base d'un document d'orientation dont les objectifs couvraient quatre domaines : lutter contre la précarité sur le marché du travail, progresser dans l'anticipation des évolutions de l'activité, de l'emploi et des compétences, améliorer les dispositifs de maintien de l'emploi dans les entreprises confrontées à des difficultés, et améliorer les procédures de licenciement collectif par des actions d'anticipation ou d'activité partielle.

Nous nous sommes engagés dans cette négociation, considérant qu'il y avait matière à discuter à partir des attentes exprimées par les salariés lors du récent processus électoral. Il faut pourtant constater que le Medef, détournant le sens et la finalité de cette négociation, a fait passer la sécurisation de l'emploi après l'assouplissement du marché du travail. Aucune discussion, aucun débat de fond n'a été possible, en dépit des propositions des organisations syndicales. Nous voulions discuter d'un droit de veto suspensif des représentants du personnel sur les plans de licenciement ou de restructuration, et souhaitions une loi sur les licenciements boursiers et la reprise des sites rentables. Nous n'avons pas pu aborder au fond une véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences pour toutes les entreprises et pour tous les salariés, non plus que la création de nouveaux droits individuels et collectifs pour les salariés, effectifs, attachés à la personne, transférables et opposables à l'employeur, ou une taxation de tous les CDD ou contrats d'intérim à la hauteur de ce qu'ils coûtent à l'assurance chômage. En fait, la négociation n'a été ni loyale, ni apaisée, ni transparente ; l'accord qui en a résulté ne pouvait être équilibré.

Loin de répondre à la feuille de route du Gouvernement, l'accord bouleverse le droit du travail, ce qui est très grave pour les salariés. On prétend qu'il leur ouvre des droits nouveaux, ils sont en réalité conditionnels, différés, virtuels. Le Gouvernement, pour satisfaire les signataires, entend, quitte à violer le droit international, retranscrire fidèlement cet accord, y compris ses dispositions les plus régressives, les plus nocives. Les accords de maintien dans l'emploi, autorisant de licencier les salariés qui refuseraient que leur salaire ou leur temps de travail diminue, sont directement inspirés des accords compétitivité-emploi pourtant fortement critiqués par la gauche lorsque M. Sarkozy avait cherché à les mettre en oeuvre.

Avec les accords de mobilité interne, l'employeur pourrait licencier le salarié qui refuserait d'aller travailler à l'autre bout du pays. Nous avons noté les efforts pour tenter de mettre cette disposition en conformité avec le droit international : le salarié ne serait plus licencié pour motif personnel. Quelle grande avancée sociale ! Il est pour le moins curieux qu'une transcription dans la loi française d'un accord interprofessionnel salué par le gouvernement pose d'emblée des questions de conformité avec les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Cet article 10 représente un formidable levier patronal en matière de réduction des effectifs. Nous sommes loin d'une gestion sérieuse des emplois et des compétences, comportant une véritable reconnaissance des qualifications et organisant une mobilité choisie par le salarié.

Les dispositions bouleversant la procédure de licenciement économique collectif rendent accessoires les questions du motif économique et des alternatives au licenciement : rien n'est fait pour éviter les licenciements boursiers. L'information et l'intervention des représentants des salariés sont enfermées dans des délais si courts que leur efficacité est menacée. Certes, ces délais ne pourront être inférieurs à quinze jours, mais le comité d'entreprise ne pourra exercer utilement sa compétence ; d'ailleurs, à l'expiration du délai, il sera réputé avoir été consulté.

Le projet réduit la possibilité de réparation des préjudices subis par les salariés : les juges du travail pourraient désormais les inciter à accepter des transactions injustes et inéquitables. Les délais de prescription des infractions patronales sont raccourcis : c'est comme une prime à la délinquance patronale. Tous les trois ans, les compteurs se remettent à zéro pour l'employeur...

Le projet impose aux salariés de certaines entreprises un CDI intermittent, une sorte de temps partiel annualisé, sur la base d'un accord direct entre le salarié et son employeur, dans des petites entreprises où l'implantation syndicale est très faible.

Les incertitudes sur la création de nouveaux droits pour les salariés subsistent : le financement des droits rechargeables à l'assurance chômage n'est nullement assuré, le gouvernement se contentant de renvoyer à de futures négociations, sans aucune garantie ; l'accès à une complémentaire santé pour tous n'est pas assuré, et certains salariés risquent de passer à travers les mailles du filet ; nous souhaitons que vous puissiez résister à la pression intense du patronat de l'assurance et du Medef pour que la désignation d'un seul organisme par branche, qui permet la mutualisation entre petites et grandes entreprises, reste possible.

Ce gouvernement, qui se dit attaché au dialogue social, serait bien inspiré de mesurer la légitimité de cet accord. Certes, il respecte les règles de représentativité, mais les non-signataires représentent 48,85%. La responsabilité des parlementaires, en charge de l'intérêt général, est engagée sur ce texte. Leurs prérogatives restent pleines et entières, y compris lorsqu'il s'agit de la transposition d'un accord national dans la loi. Il leur appartient de modifier le texte dans le sens de l'intérêt général : les lois ne doivent pas être subordonnées aux accords. Nous ne pouvons souscrire aux propos que le président de la République a tenus la semaine dernière : que pour être recevable, un amendement doive recevoir l'accord des organisations signataires revient à donner un droit de veto à la partie patronale.

Le projet de loi initie un nouveau modèle économique et social, détruit les garanties collectives nationales pour favoriser des accords d'entreprise, voire de gré à gré, oubliant l'inégalité que crée le lien de subordination entre le salarié et son employeur. Le contrat de travail n'est plus une garantie, puisqu'il peut être suspendu par un accord d'entreprise. Les moyens de recours au juge sont réduits pour les salariés. Et le sale boulot reviendra aux syndicats qui seront chargés de faire accepter la régression sociale. Ce projet dit « pour la sécurisation de l'emploi » laisse de côté les chômeurs, l'action que pourraient avoir les territoires pour sauvegarder l'emploi, et le développement d'une formation professionnelle aidant les salariés les plus fragiles à rebondir.

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