Intervention de Stéphane Lardy

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 avril 2013 : 1ère réunion
Sécurisation de l'emploi — Audition des partenaires sociaux : organisations syndicales non signataires de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013

Stéphane Lardy, secrétaire confédéral en charge de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'assurance chômage de Force ouvrière (FO) :

Merci de nous accueillir. Nous n'avons pas vocation à dire aux parlementaires ce qu'ils ont à faire : nous ne sommes pas porteurs de l'intérêt général, mais de celui de nos mandants, les travailleurs. Nous n'avons pas à vous dire de transposer cet accord le petit doigt sur la couture du pantalon. Notre organisation signe certains accords, n'en signe pas d'autres. Nous estimons que celui-ci est déséquilibré, que c'est un mauvais accord.

La crise systémique du capitalisme libéral que nous connaissons depuis 2009 est historique. En 1982, 900 000 personnes avaient un CDD en France ; en 2012, 2,6 millions. Quinze millions de CDD, dix-sept millions de missions d'intérim sont signés chaque année ; en 1982, moins d'un million de personnes travaillaient à temps partiel, 4,6 millions actuellement. La précarisation du marché du travail est patente. Il y a plus de personnes sans emploi et de travailleurs pauvres.

Dans ce contexte, nous avions reçu la feuille de route que M. Sapin nous a envoyée. Nous avions écouté attentivement le Premier ministre lorsqu'il a déclaré, en clôture de la conférence sociale de juillet 2012, que les accords compétitivité-emploi étaient derrière nous : ce n'est pas ce que nous avons retrouvé dans le document d'orientation. Comme disait Pierre Dac, on a l'avenir devant soi, sauf quand on fait demi-tour...

Le contexte social et macroéconomique limite les possibilités d'une négociation interprofessionnelle : lorsque l'on signe le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, que l'on s'inscrit dans une politique de baisse drastique des dépenses publiques, que notre croissance est nulle, ce n'est pas un accord national interprofessionnel, aussi bon soit-il, qui remédiera au chômage de masse. Alors celui-ci est-il historique ? A défaut de faire baisser le chômage, ce qui était pourtant son objectif principal, il bouleverse les rapports entre contrat collectif et contrat individuel.

L'accord collectif peut-il réduire les droits individuels des salariés ? C'est la question qui vous est soumise dans le cadre de cette transposition. Oui, certains salariés refuseront une baisse de salaire ou une mobilité forcée : le contrat collectif pourra-t-il les obliger à accepter ce type de modification essentielle du contrat de travail ? Vous devez faire respecter les droits fondamentaux des salariés, qui sont aussi des citoyens.

Nous considérons que cet accord comporte de nombreuses fragilités juridiques, qui mettent à mal les droits individuels. Déjà, le projet de loi diffère de l'accord. Le licenciement pour motif personnel prévu par l'accord de mobilité interne entrait en contradiction avec la convention 158 de l'OIT : suivant l'avis du Conseil d'État, le projet de loi l'a remplacé par un licenciement économique individuel - ce qui ne réduit d'ailleurs pas la fragilité juridique, puisque la directive de 1998 parle de licenciement collectif quand plus de dix salariés refusent une modification européenne de leur contrat de travail. Oui, cet accord a une dimension historique, car il réalise une révolution copernicienne dans les rapports entre contrat collectif et contrat individuel. Nous arrivons au bout d'un système : le salarié doit conserver le droit de refuser des modifications fondamentales de son contrat de travail, j'espère que vous y veillerez.

Un accord est toujours un compromis. Celui-ci ne nous a pas paru équilibré. Le compte personnel de formation, par exemple, semble à première vue être une bonne idée. Nous en appelons néanmoins à la sagesse des parlementaires. Nous avons besoin de renégocier sa mise en oeuvre : la façon dont on prétend l'introduire dans le code du travail nous semble sibylline. Pour l'instant, c'est un droit virtuel. L'accord parle de droits rechargeables à l'assurance chômage : cela légitime ce que nous faisons depuis trente ans sous l'appellation de réadmission et de reprise de droits, merci ! Il faudrait assurer mieux encore des travailleurs ayant des reliquats de droit. Cela ne contribuera pas à rééquilibrer les finances de l'assurance chômage, dont le déficit cumulé sera de quelque 19 milliards d'euros à la fin de l'année. Les droits rechargeables ne sont pas gratuits : d'après nos simulations, la facture s'élèverait à 700 millions d'euros. Le Medef refuse d'augmenter les cotisations : où prendrons-nous cet argent, chez ceux qui ont des droits plus élevés ?

Autre exemple : les contrats courts. Le système proposé revient à chercher à arrêter de l'eau avec une passoire. L'intérim n'est pas taxé non plus que les CDD de remplacement, les contrats saisonniers, ou les CDD qui se transforment en CDI. Il est paradoxal qu'alors que nous avons lutté contre les CDD utilisés comme période d'essai, ceux-ci soient institutionnalisés ! Les entreprises qui embauchent en CDI des jeunes de moins de 26 ans seront exonérées de cotisations sociales, soit 120 millions environ selon l'Unédic. Cette exonération est une première : jamais, depuis 1958, les partenaires sociaux n'ont décidé une exonération totale de cotisations d'assurance chômage. Le montant des nouvelles recettes liées la surcotisation des CDD courts, comparé aux 33 milliards d'euros par an des cotisations d'assurance chômage, montre bien que l'impact de cette mesure sera très faible, sans parler des phénomènes d'éviction. Les documents administratifs seront plus complexes : quatre lignes supplémentaires sur la déclaration à l'Urssaf, et quelque cinquante articles ajoutés au code du travail, alors que le patronat dénonce constamment la trop grande complexité du droit social.

L'Autorité de la concurrence s'intéresse, après vingt ans de sommeil, à la clause de désignation, qui existe depuis 1994. Nous ne réclamons pas un changement de la loi : si certaines branches professionnelles souhaitent recourir à une clause de désignation, elles peuvent déjà le faire aujourd'hui. Il est paradoxal de demander la liberté tout en interdisant... Il s'agit d'une technique de gestion acceptée par la Cour de cassation, et par la Cour de justice de l'Union européenne qui a considéré, dans sa décision du 3 mars 2011, que cette entorse à la libre prestation de service prévue par l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne était acceptable pour mettre en oeuvre le principe d'égalité de traitement et de solidarité entre les travailleurs, cet autre fondement du Traité. Après tout, les partenaires sociaux gèrent les régimes de retraite complémentaire de la même manière : cela ne pose pas de problème. Laissons-les faire, branche par branche, en toute transparence. Les clauses de désignation favorisent des politiques de prévention : comment faire, sans elles, la prévention de l'asthme de la farine dans la boulangerie artisanale ?

Sur le volet compétitivité, emploi, plans sociaux, l'accord réduit les délais en évitant le juge. C'est ce que voulait le Medef. Il est tout de même paradoxal qu'un projet de loi sur la sécurisation de l'emploi comporte treize pages sur les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE)... Pourtant, le plus gros flux d'entrée à Pôle emploi provient des fins de CDD : 130 000 personnes chaque mois ; les licenciements économiques représentent moins de 5 % des inscriptions à Pôle emploi : l'accord rate sa cible ! L'objectif du patronat est d'aller vite, d'éviter le juge, en payant si nécessaire. C'est ce que prévoit le projet de loi : délais préfixes sans dépassement ni suspension, prescription considérablement raccourcie... Le principe fondamental du droit qu'est l'accès effectif au juge s'en trouve fragilisé. Le Medef a réussi son coup.

Nous étions contre la loi de 2008 sur la représentativité, qui remet en cause un certain nombre de valeurs et le pluralisme syndical. Nous ne contestons aucunement la légitimité de l'accord. Simplement, nous considérons qu'il est mauvais.

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