Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, me voici de nouveau devant vous, au terme d’un processus long et riche qui permettra de donner corps à la sécurisation de l’emploi.
Si près d’aboutir, je veux faire retour sur ces quelques mois de débat et de négociation afin de mesurer avec vous le chemin parcouru.
Nous n’étions pas nombreux à croire que nous pourrions aboutir rapidement à ce texte de progrès quand nous avons décidé d’en appeler à une grande négociation interprofessionnelle sur tous les sujets du marché du travail – je dis bien tous – en même temps : lutter contre la précarité sur le marché du travail ; progresser dans l’anticipation des évolutions de l’activité et des compétences ; améliorer les dispositifs de maintien de l’emploi face aux aléas de la conjoncture, afin de tourner le dos à cette préférence trop française pour le licenciement ; améliorer les procédures de licenciements collectifs, lorsqu’ils n’ont pu être évités par les actions d’anticipation ou d’activité partielle, en vue de concilier un meilleur accompagnement des salariés et une plus grande sécurité juridique pour les entreprises comme pour les salariés.
Toutes ces questions ont donc été traitées en même temps, avec le souci de rechercher un équilibre global, sans se cantonner aux sujets faciles pour laisser de côté les points plus compliqués.
Au terme du parcours, un constat s’impose : ce texte sur la sécurisation de l’emploi est, me semble-t-il, le plus ambitieux depuis 1968 s’agissant des questions relatives au marché du travail. Et nous avons conjuré l’échec de la négociation interprofessionnelle de 1984. Oui, notre pays a trouvé là la voie du progrès par le dialogue social.
Nous n’étions pas très nombreux à être convaincus qu’un équilibre serait trouvé dans cette négociation sociale, laquelle a connu des tensions et des renversements de situation, des séances ajournées et des impasses. Rappelez-vous, à Noël dernier, le délai imparti à la négociation était écoulé et les options des négociateurs paraissaient encore éloignées. Nous avons choisi d’accorder quinze jours supplémentaires, et les partenaires sociaux sont finalement parvenus à un accord le soir du 11 janvier.
Nous étions déjà plus nombreux, mais pas unanimes, à penser que de cet accord national interprofessionnel pourrait sortir une loi sans ambiguïté. Nous avons réussi, par un dialogue quasi permanent avec les partenaires sociaux, à traduire l’ANI dans le droit, tout en restant loyaux vis-à-vis des signataires et à l’écoute des non-signataires, qui ont continué à être associés au processus. Au cours de ces contacts constants, je me suis dit que le dialogue social à la française était en train de s’affirmer comme méthode, de passer du discours aux faits, à une pratique concrète et spécifique.
Nous étions nombreux à savoir que le projet de loi passerait l’étape du Parlement sans que son délicat équilibre soit dénaturé. Je reconnais que les parlementaires, tant à l'Assemblée nationale qu’au Sénat, ont dû composer avec un projet de loi issu du texte des partenaires sociaux dans lequel chaque mot a été pesé. Mais nous avons montré, vous avez montré que la démocratie politique savait accueillir en son sein la démocratie sociale, lui faire une place et la respecter.
Cependant, jamais le Parlement n’a cédé sa prééminence, jamais la démocratie politique n’a été supplantée. Le travail en commission puis en séance a permis dans les deux assemblées d’étudier minutieusement chaque point du texte et d’y apporter des améliorations, tout en restant fidèle à l’accord. À ceux qui affirmaient que le Parlement ne serait qu’une chambre d’enregistrement vous avez répondu que cela était faux, et vous l’avez prouvé !
Les améliorations parlementaires ont en effet porté sur de nombreux points : la généralisation de la complémentaire santé et le lien avec les contrats responsables et solidaires ; le contenu et la méthode de mise en œuvre du compte personnel de formation ; l’intégration d’informations de nature environnementale au sein de la base de données économiques et sociales, ainsi que la mention des contrats précaires, stages et emplois à temps partiel ; les droits et la protection des représentants des salariés dans les conseils d’administration ; le régime des coupures au sein de la journée de travail dans le cadre du temps partiel ; les accords de mobilité interne et la protection de la vie personnelle et familiale des salariés, notamment par des mesures de limite géographique et d’accompagnement ; les efforts demandés aux dirigeants et aux actionnaires en cas d’accord de maintien de l’emploi, avec la notion de proportionnalité ; la procédure de validation par l’administration des accords valant plan de sauvegarde de l’emploi ; la suspension du délai de prescription postérieurement au licenciement.
Ainsi, le Parlement a joué pleinement son rôle de garant de l’intérêt général. Mais il a surtout fait de l’accord la loi de tous, allant parfois jusqu’à convaincre, apaiser ou satisfaire des opposants initiaux.
Je tiens à remercier particulièrement le rapporteur de la commission des affaires sociales, Claude Jeannerot, pour la qualité de son travail et l’élégance avec laquelle il a assumé ses responsabilités. Je remercie aussi Gaétan Gorce, rapporteur pour avis de la commission des lois, d’avoir mené un minutieux travail, qui a porté ses fruits, tant en commission qu’en séance, notamment avec les améliorations substantielles apportées à l’article 5. Je veux aussi remercier Catherine Génisson, rapporteur pour la délégation aux droits des femmes, pour le travail effectué notamment sur l’article 8, relatif au temps partiel, qui touche presque 4 millions de salariées dans notre pays, ainsi qu’Annie David, présidente de la commission, qui a su piloter l’ensemble de ces travaux sans jamais renier ses convictions, exprimées avec force.
Il y eut des moments difficiles, mais nous n’avons jamais abandonné nos objectifs : sécuriser l’emploi, conforter le dialogue social et respecter les équilibres auxquels acteurs économiques et sociaux étaient eux-mêmes parvenus. La loi en est aujourd’hui plus forte.
Je sais que la sécurisation de l’emploi n’évitera pas tous les licenciements, mais j’ai la conviction, après vous, monsieur le rapporteur, qu’elle offrira des alternatives dans de nombreux cas. La majorité des organisations syndicales ont la même certitude. Faisons confiance aux acteurs, qu’ils soient signataires ou non de l’ANI, qu’ils aient soutenu ce projet de loi ou qu’ils s’y soient opposés. Je suis persuadé que tous sauront s’en saisir.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai la certitude que ce texte deviendra, dans les mois et années qui viennent, quoi que l’on en dise ou que l’on en pense aujourd’hui, un texte d’apaisement et d’équilibre. Les syndicalistes vont utiliser les possibilités nouvelles qu’il offre pour négocier des avancées au bénéfice des salariés, pour éviter des licenciements, pour peser dans la stratégie de l’entreprise.
Je le dis, ce texte représente un acte de confiance et, au premier chef, de confiance envers les syndicats, qui ont davantage à gagner en pratiquant une culture de la négociation, fût-elle dure, combative, plutôt qu’une culture de conflit sans dialogue dont, au fond, plus personne ne veut.
Trop souvent, notre pays a douté de ses syndicats de salariés, certains les jugeant trop conservateurs, tandis que d’autres les trouvaient trop peu légitimes ou trop minoritaires. Ce texte remet les salariés et leurs représentants en position centrale pour faire advenir le progrès, en agissant et en passant des compromis dans un cadre garanti. Avec ce texte, leur légitimité est affirmée : c'est à eux de construire un avenir meilleur pour les salariés et avec les salariés. Ils ont maintenant les instruments et le pouvoir de négocier qui le permettent.
Cette loi, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, apporte cet équilibre, offre ces opportunités et répond aux exigences de l’heure comme aux attentes de demain. Quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, vous y avez largement contribué, et de cela je veux vous remercier ! §