Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 16 mai 2013 à 22h10
Réforme de la biologie médicale — Adoption des conclusions modifiées d'une commission mixte paritaire

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la réforme de la biologie médicale n’aura pas été un long fleuve tranquille ; d’ailleurs, elle connaît ce soir un nouveau rebondissement.

La proposition de loi vise à concilier deux impératifs complémentaires : assurer un haut niveau de sécurité dans les opérations de biologie médicale et éviter que, part après part, laboratoire après laboratoire, le secteur ne soit accaparé par des groupes financiers dont les seuls intérêts sont spéculatifs.

S’agissant d’abord de la sécurité, le Gouvernement a fait le choix de rendre progressivement obligatoire une certification totale que nous ne contestons pas dans son principe. Toutefois, nous regrettons qu’il ait privilégié une structure qui, par le passé, y compris récemment, s’est fait connaître davantage par ses défaillances que par ses qualités. Quant à nous, nous aurions préféré que cette mission essentielle soit assurée par une agence publique.

En ce qui concerne la financiarisation de la biologie médicale, nous sommes contraints de constater que les mesures prévues par la proposition de loi ne parviendront ni à la freiner, comme le souhaitait notre collègue Jacky Le Menn, ni à y mettre un terme, comme le groupe CRC l’espérait.

En effet, l’article 8, dans sa rédaction issue des travaux des deux assemblées et de la commission mixte paritaire, continue d’entretenir une confusion entre les biologistes exerçants et les biologistes en exercice. Seuls ces derniers peuvent détenir plus de la moitié des parts sociales d’une société d’exercice libéral, une SEL, de biologie médicale.

Or la loi française, l’article 8 de la proposition de loi et les règles européennes prévoient que les personnes morales peuvent être considérées comme des biologistes en exercice, même si elles sont à 100 % des groupes financiers. Mes chers collègues, ce n’est pas là un fantasme du groupe CRC ; c’est une réalité !

Une holding financière détenue par des fonds de pension possède déjà la totalité des parts sociales de 130 laboratoires de biologie médicale en France. Cette situation est rendue possible par la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, dite « loi MURCEF », qui régit les sociétés d’exercice de toutes les professions libérales, dont la biologie, et n’opère pas de distinction entre les personnes physiques et morales.

Pour notre part, nous avions déposé un amendement aux termes duquel le capital des sociétés d’expertise libéral devait être détenu à 51 % au moins par un biologiste personne physique, ce qui aurait permis de prévenir ce risque ; hélas, il n’a pas été adopté. Dans sa rédaction actuelle, l’article 8 de la proposition de loi n’empêchera pas les groupes financiers, les fonds d’investissement ou les fonds de pension de détenir demain 100 % des parts d’une société d’exercice libéral de biologie médicale.

En plus d’être très peu efficace, l’article 8 ne sera applicable qu’aux laboratoires constitués après l’adoption de la proposition de loi. Autrement dit, les groupes financiers peuvent, sans aucune entrave, s’approprier les 4 000 laboratoires existant à ce jour.

On nous objecte que les laboratoires de biologie médicale doivent obéir aux règles imposées à toutes les sociétés d’exercice libéral. C’est vrai, à ceci près que les laboratoires de biologie médicale, compte tenu des missions qui sont les leurs, ne peuvent pas être assimilés à des entreprises marchandes comme les autres !

Afin de mettre un terme à cette marchandisation de la santé, il aurait fallu profiter de cette réforme pour créer un nouveau statut juridique, plus protecteur pour les patients et les biologistes et qui interdise enfin aux sociétés financières de vampiriser la biologie médicale.

Enfin, permettez-moi de vous expliquer pourquoi l’amendement du Gouvernement ne nous paraît pas pertinent.

L’objet de cet amendement précise que le seuil prévu par les alinéas 7 à 9 de l’article 8 « ferait également peser une menace sur le devenir des sociétés dans lesquelles les biologistes exerçants ne détenant pas la fraction minimale requise ne seraient pas en capacité d’acquérir des participations supplémentaires ».

Or la rédaction de l’article 8, telle qu’elle est issue de la commission mixte paritaire, prévoit que c’est à titre « prioritaire », et non « exclusif » – les mots ont leur importance –, que les parts sociales sont proposées aux jeunes biologistes. Si ces derniers ne peuvent pas les acquérir, d’autres que les biologistes exerçants pourront s’en porter acquéreurs. Il n’y a dès lors rien de scandaleux à prévoir une sanction en cas de non-respect d’une procédure qui donne la priorité à des personnes physiques sur des groupes financiers.

Il est également précisé que certains biologistes pourraient ne pas disposer des ressources leur permettant d’acquérir les parts sociales. C’est effectivement vrai. Toutefois, plutôt que de supprimer la disposition en question, qui est la seule de nature à protéger les jeunes biologistes du statut d’associé ultraminoritaire, pourquoi ne pas proposer un mécanisme leur permettant d’acquérir ces parts ? Cela s’est déjà fait, je pense notamment aux assistantes maternelles pour ce qui concerne leur installation.

Si l’on refuse que la santé soit une marchandise, si l’on veut faire obstacle à la financiarisation, si l’on veut que les laboratoires de biologie médicale puissent rester des acteurs de santé de proximité, qui jouent un rôle majeur dans le maillage territorial, c’est une telle mesure qu’il aurait fallu prendre.

Enfin, il est précisé dans l’objet de cet amendement que « le dispositif est de nature à créer des entraves à ces libertés [d’établissement] qui ne peuvent être directement justifiées par des objectifs de santé publique, seuls susceptibles d’être invoqués auprès des instances communautaires ». Nous ne partageons pas, madame la ministre, votre excès de prudence !

Vous affirmez que ces deux alinéas ne sont pas conformes au droit communautaire, après avoir précisé qu’ils sont de toute façon inutiles, puisque les alinéas 1 à 6 de l’article 8 permettent de créer la même situation que les dispositions que vous proposez de supprimer. Ils garantiraient en effet que la majorité du capital est détenue par des biologistes en exercice, autrement dit, selon vous, par des personnes physiques.

Néanmoins, si l’article 8, dépourvu des alinéas que vous proposez de supprimer, permet de parvenir à cette situation, c’est donc qu’il est contraire au droit européen ! Il ne s’agit pas seulement des alinéas 7 à 9. Il y a là une véritable contradiction.

Pour conclure, madame la ministre, si l’Europe sanctionne, au titre de la libre circulation des capitaux, c’est-à-dire de la libre concurrence et de la loi des marchés, les pays qui tentent, à raison, de protéger certains acteurs des appétits et des dangers de la finance, c’est qu’il y a urgence à changer d’Europe, plutôt que de s’y soumettre.

Pour toutes ces raisons et au regard des évolutions récemment intervenues, le groupe CRC votera contre ce texte.

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