Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le rapport Ballereau de 2008, qui préconisait la réforme de la biologie médicale, celle-ci aura connu bien des vicissitudes ! Le recours aux ordonnances par le précédent gouvernement, que tous les sénateurs de l’opposition de l’époque avaient dénoncé lors de l’examen de la loi HPST, c'est-à-dire « Hôpital, patients, santé, territoires », loin de permettre une application rapide de la réforme, a surtout contribué à une insécurité juridique.
Tentative d’abrogation de l’ordonnance de 2010, censure de la proposition de loi Fourcade par le Conseil constitutionnel ou encore caducité du dernier texte adopté par l’Assemblée nationale, aucun de nos débats n’aura permis de concrétiser ce qui était pourtant attendu par la profession, à savoir la médicalisation de la discipline et le refus de sa financiarisation, ce dernier objectif ayant été exprimé sur de nombreuses travées, notamment par l’opposition de l’époque, à laquelle j’appartenais.
La proposition de loi de notre collègue Jacky Le Menn a pour objet de mettre un terme à ces tribulations par la ratification de l’ordonnance de 2010, tout en introduisant des modifications sur certains points. Son mérite est d’offrir un cadre d’exercice enfin stabilisé aux biologistes médicaux. Est-ce à dire que ce cadre est satisfaisant ? Sur ce point, je crains de rompre le consensus qui semble se dégager, si l’on excepte la position du groupe CRC, concernant le texte issu de la commission mixte paritaire.
Certains points sont positifs, nous le reconnaissons volontiers. Je pense notamment à la dérogation accordée aux laboratoires de l’Établissement français du sang en matière d’implantation géographique. La rédaction retenue par la CMP semble répondre de manière satisfaisante au souci du Sénat de limiter les risques de distorsion de concurrence, tout en tenant compte de la spécificité de l’EFS. Bien entendu, il nous faudra être vigilants concernant l’application concrète de cette dérogation.
Je pense aussi aux conditions de réalisation des examens de biologie médicale. Mon collègue Gilbert Barbier s’était battu pour limiter au seul prélèvement, et non à toute la phase pré-analytique, comme cela a finalement été voté par le Sénat, le champ de l’examen réalisable hors d’un laboratoire. Confier l’intégralité de cette phase à des professionnels qui n’ont pas été formés à cet effet non seulement posait un problème en termes de responsabilité, voire de qualité, mais revenait surtout à ôter aux biologistes une partie fondamentale de leurs fonctions, notamment le recueil des éléments cliniques pertinents et la préparation de l’échantillon. Le texte de la CMP est en phase avec notre volonté de médicaliser la biologie médicale.
Je pense également à l’interdiction des ristournes, dont la réintroduction dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 avait été très mal vécue par la profession. Cela revenait en effet à assimiler les analyses biologiques à de simples prestations de service.
Je pense, enfin, aux mesures qui visent à renforcer l’indépendance professionnelle en rétablissant des règles de majorité au capital et des droits sociaux pour les biologistes exerçants, et en imposant la communication aux ordres de l’ensemble des conventions signées dans le cadre des SEL.
Malgré ces points positifs, nous demeurons très réservés. Chacun mesure la place de plus en plus importante de la biologie médicale dans le parcours de soins. L’évolution des techniques et la multiplication des normes ont contraint les laboratoires à de gros investissements dans l’immobilier, le matériel, la logistique et de nouvelles compétences, au prix d’un regroupement des structures.
La réforme proposée par l’ordonnance a accentué ce phénomène, et nous doutons que les quelques ajustements de cette proposition de loi soient suffisants à le freiner. Le risque, c’est de transformer nos laboratoires de proximité situés en zones rurales, qui sont à l’écoute du patient et des professionnels de la santé, en de simples centres de prélèvements ou boîtes aux lettres. Pis, nous les verrions disparaître, une évolution qui a d’ailleurs commencé dans certaines régions et certains départements.
L’accréditation obligatoire décidée en 2010, qui devra concerner désormais 100 % de l’activité du laboratoire en 2020, a achevé de mettre sous pression la profession, qui a subi par ailleurs une longue série de baisses de tarifs.
Nous sommes évidemment attachés à la sécurité sanitaire et au renforcement de la qualité, mais nous continuons de penser qu’une accréditation à marche forcée, même si j’admets que le texte issu de la CMP accorde des délais et prévoit des paliers, peut renforcer le risque de financiarisation de ce secteur.
Devant le coût qu’elle représente, un grand nombre de petits laboratoires indépendants et de proximité seront en effet dans l’obligation de renoncer à leur activité. D’ailleurs, aujourd’hui, les plus anciens se hâtent de vendre et les plus jeunes hésitent à rejoindre la profession.
C’est du pain béni – le mot est un peu malheureux dans notre République ! – pour les grands groupes financiers, qui sont déjà à la manœuvre pour faire de la biologie médicale, comme malheureusement d’autres secteurs de la santé, un marché juteux et sans risque, puisqu’il est in fine solvabilisé par l’assurance maladie. Nul doute que ces opérateurs arriveront toujours à contourner les quelques dispositions contenues dans cette proposition de loi.
Nous regrettons la suppression de l’article 10 bis, qui encadrait les tarifs du COFRAC, le Comité français d'accréditation, un organisme indépendant. Notre rapporteur, dont je tiens ici à saluer le travail et le sérieux, a suggéré de faire figurer ce sujet parmi les enquêtes sollicitées auprès de la Cour des comptes ; nous soutenons pleinement une telle proposition.
Que dire du sort réservé à nos amendements en faveur des jeunes biologistes ? À notre grande satisfaction, la CMP a réintroduit à l’article 8 le principe d’une participation minimale des jeunes biologistes associés, adopté au Sénat sur l’initiative, notamment, de Gilbert Barbier, puis écarté par l’Assemblée nationale.
Le statut d’associé ultraminoritaire place en effet les jeunes biologistes dans une situation précaire, les rendant licenciables à merci. Sa suppression n’est pas une solution sans inconvénient, car il faudra bien trouver un moyen d’assurer la transmission intergénérationnelle. Or nous n’observons aucun effort de réflexion en ce sens à la lecture de l’amendement déposé par le Gouvernement, bien que nous ayons essayé de l’analyser sous tous les angles.
Enfin, nous déplorons vivement la réintroduction de l’article 6, qui avait été supprimé par le Sénat. Il y a en effet quelque paradoxe à prévoir un diplôme d’études spécialisées de biologie et à considérer que celui-ci n’est pas forcément nécessaire pour obtenir un poste en CHU. Nous persistons à penser qu’il n’y a pas de raison objective à créer une nouvelle voie dérogatoire, alors que l’ordonnance en prévoyait déjà plusieurs.
Madame la ministre, mes chers collègues, nos débats ont été riches et très instructifs, mais ils n’ont pas abouti à un texte totalement satisfaisant. Malgré de bonnes intentions, nous sommes convaincus qu’il n’atteindra pas l’objectif affiché par ses auteurs et n’empêchera pas la disparition des laboratoires indépendants et de proximité. Au contraire, le risque est grand d’une concentration de l’activité des laboratoires sur des plateaux techniques toujours plus éloignés des territoires ruraux. Enfin, je ne suis pas convaincu que son adoption effacera l’amertume de toute une profession devant la fermeture récente de laboratoires sur l’ensemble du territoire.
C’est pourquoi les membres du groupe du RDSE s’opposeront unanimement au texte issu des conclusions de la commission mixte paritaire, tout comme à l’amendement du Gouvernement.