Intervention de Françoise Férat

Réunion du 21 mai 2013 à 21h45
Refondation de l'école de la république — Discussion générale

Photo de Françoise FératFrançoise Férat :

Monsieur Assouline, nous espérons beaucoup de ce texte !

Aujourd’hui, plus de 150 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans validation de leurs acquis, alors que le niveau d’étude et l’obtention d’un diplôme professionnalisant sont les clés de la réussite. Dans la majeure partie des cas, ces jeunes sont issus des catégories sociales les plus défavorisées de notre pays. D’ailleurs, l’OCDE classe la France au vingt-septième rang sur trente-quatre pays du point de vue de l’équité scolaire : dans notre pays, l’incidence de l’appartenance sociale sur les résultats scolaires est particulièrement forte.

En outre, le taux de scolarisation des 15-19 ans a baissé au cours des quinze dernières années, ce qui est alarmant quand on sait combien l’insertion professionnelle de ces jeunes est difficile : en France, 71 % d’entre eux sont sans emploi ou inactifs, alors que ce taux est de 57 % en moyenne dans les autres pays de l’OCDE.

Mes chers collègues, tous ces chiffres vous paraissent peut-être fastidieux à entendre, mais il m’a semblé nécessaire de les mentionner pour jeter les bases de ce débat. Nous nous accordons tous à reconnaître qu’ils sont inquiétants, de même que nous reconnaissons tous l’impérieuse nécessité de trouver rapidement des solutions pour que nos jeunes puissent s’insérer dans la vie professionnelle. L’école de la République doit donner à tous les mêmes chances !

Notre pays traverse une crise économique sans précédent et ces jeunes sont les plus touchés par le chômage ; les dernières études européennes et internationales en font le triste constat.

Quant au Conseil d’analyse économique, il estime que « si la crise a affecté l’ensemble des pays développés, nombre de nos voisins européens connaissent des taux d’emploi des jeunes nettement supérieurs au nôtre ». C’est donc qu’il existe des solutions ! Le CAE met notamment en évidence deux grandes raisons de la situation française : l’enseignement professionnel par l’alternance entre emploi et études est trop peu développé et les moyens alloués à l’accompagnement vers l’emploi des jeunes les plus en difficulté sont insuffisants.

Le projet de loi a l’ambition de définir « les objectifs de la refondation en matière d’élévation du niveau de connaissances, de compétences et de culture de tous les enfants, de réduction des inégalités sociales et territoriales et de réduction du nombre des sorties du système scolaire sans qualification ». Très bien, mais il reste maintenant à y parvenir ! Or je crains malheureusement que ce texte ne tienne pas ses promesses : les bonnes intentions ne suffiront pas.

Le projet de loi donne la priorité à l’école primaire. Je suis bien évidemment d’accord avec cette orientation : c’est dès le cours préparatoire que tout doit être mis en œuvre pour la réussite de tous. L’école doit donner les mêmes chances à tous les élèves : elle doit être une chance, pas un facteur d’inégalité ! À cet égard, tout se joue dès le primaire. Or les écarts sont encore trop grands aujourd’hui ; pis, ils s’aggravent. Nous constatons malheureusement tous les jours que, d’un territoire à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’une famille à l’autre, les élèves n’ont pas tous les mêmes chances de réussite.

Cette situation n’est pas acceptable. C’est pourquoi je regrette que la mixité sociale et l’éducation prioritaire, en particulier, ne soient pas abordées par le projet de loi, non plus que les difficultés relatives à la carte scolaire. S’agissant de cette dernière question, le rapport de la mission d’information du Sénat sur la carte scolaire préconisait notamment, en juin 2012, de développer une pédagogie de la mixité sociale, de repenser l’offre de formation, ainsi que l’attribution des dotations aux établissements, et de réviser les procédures d’affectation et de dérogation. Or rien ne nous est proposé sur ces points.

Les inégalités ne font d’ailleurs que s’accroître au fur et à mesure du parcours scolaire des élèves. Aujourd’hui, près de 20 % des élèves de 15 ans sont en grande difficulté face à l’écrit et un nombre toujours croissant d’élèves arrivent en sixième avec des problèmes de lecture. Si des élèves ne maîtrisent pas la lecture et l’écriture à l’arrivée au collège, comment espérer que leur scolarité ultérieure se déroule sans problème ? Or aucune mesure concrète n’est proposée pour lutter contre l’illettrisme, pourtant déclaré grande cause nationale de 2013, alors même que le projet de loi vise à redéfinir le socle commun.

En ce qui concerne la formation des enseignants, si l’intention d’engager une réforme de leur formation initiale est louable, qu’en sera-t-il de son application et des moyens qui lui seront alloués, ainsi que de la formation continue ? Je suis sceptique quant à son efficacité réelle.

Rien non plus n’est proposé en matière de statut des enseignants. Le projet de loi comporte malheureusement bien trop de déclarations d’intention, qui seront loin d’être suffisantes pour faire face aux difficultés de notre système éducatif.

C’est pourquoi les sénateurs du groupe UDI-UC ont déposé une série d’amendements visant à mieux défendre les principes fondateurs de l’école et à améliorer son organisation, à renforcer le rôle des collectivités territoriales, à valoriser l’apprentissage et la formation professionnelle et à mieux prendre en compte les élèves en situation de handicap.

Les récents débats sur la réforme des rythmes scolaires ont montré de façon évidente que les communes et les intercommunalités comptent parmi les acteurs principaux de l’éducation de nos enfants ; elles doivent donc y être pleinement associées.

À ce propos, monsieur le ministre, je déplore la méthode employée pour modifier les rythmes scolaires ; cette réforme aurait dû être intégrée dans le présent projet de loi, comme il était prévu à l’origine. Tous, dans nos départements, nous constatons qu’elle sera très difficile à mettre en œuvre et que le manque de moyens alloués au temps périscolaire créera une nouvelle fois de nombreuses inégalités entre les collectivités territoriales. Le financement de ce dispositif n’a pas été évalué, ce qui pose un problème majeur aux municipalités.

Monsieur le ministre, comme je vous l’ai indiqué lors de votre audition par la commission de la culture, je suis, malgré ma réelle bonne volonté, dans l’impossibilité matérielle de mettre en œuvre cette réforme dans de bonnes conditions, les caractéristiques de mon pôle scolaire, situé en zone rurale et tributaire des transports scolaires, ne s’y prêtant pas : en raison des impératifs liés aux transports scolaires, l’amplitude horaire restera la même qu’aujourd’hui, avec une demi-journée supplémentaire qui accroîtra la fatigue des enfants.

La réflexion aurait été préférable à la précipitation. Cette réforme faisait l’unanimité dans l’esprit, mais, parce que l’on n’a pas pris le temps de la concertation avec les acteurs concernés, elle est aujourd’hui rejetée par le plus grand nombre !

Par ailleurs, je m’étonne que l’apprentissage et la formation professionnelle ne soient pas mis en avant, alors qu’ils peuvent être un levier puissant pour permettre à nos jeunes de s’insérer efficacement dans le monde du travail.

C’est ainsi que le projet de loi n’autorise plus les enseignements complémentaires préparant les élèves à des formations professionnelles, qui peuvent être proposés dès la classe de quatrième. Vouloir maintenir à tout prix un élève dans un parcours où il ne s’épanouit pas, c’est prendre le risque qu’il décroche et quitte le milieu scolaire. Au contraire, la formation ou l’apprentissage lui permettrait d’apprendre à connaître le monde de l’entreprise ; l’enseignement agricole est le meilleur des exemples à cet égard.

Mon inquiétude porte sur l’avenir des classes de quatrième de l’enseignement agricole, que l’article 33 du projet de loi met en péril. Si je me réjouis que le Gouvernement ait déposé un amendement visant à les prendre en compte, je regrette un peu de ne pas avoir été entendue sur ce sujet en commission. Cela étant, l’essentiel est que cet amendement existe.

Toujours à propos de l’enseignement agricole, la régionalisation de la formation professionnelle soulève également des questions. Comment s’articulera-t-elle avec le présent projet de loi et les lois à venir sur la décentralisation et sur le monde agricole ? De nombreuses zones d’ombre subsistent.

Le collège unique, au sens strict du terme, n’est pas la solution. Le collège doit être multiple et permettre aux élèves de trouver leur voie. Pour cela, il convient, au-delà du socle, de favoriser les parcours différenciés, parmi lesquels l’apprentissage. Il faut promouvoir la diversité des intelligences !

L’important, c’est que l’orientation des jeunes soit choisie et non subie, ce qui suppose que les enseignants, les parents et les enfants y soient pleinement associés et disposent d’une information complète.

Certains secteurs souffrent d’un véritable déficit d’image, alors qu’ils sont pourvoyeurs d’emplois et forment à des métiers en situation de pénurie de main-d’œuvre. C’est pourquoi je m’inquiète de la suppression du dispositif d’initiation aux métiers en alternance mis en place au bénéfice des jeunes de 15 ans sous statut scolaire par la loi du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée, dite loi Cherpion. Ce dispositif répond à un besoin spécifique des jeunes de moins de 16 ans achevant leur parcours au collège et ayant une idée claire de leur projet professionnel.

L’apprentissage est une voie d’excellence : huit jeunes sur dix qui l’empruntent trouvent un emploi au terme de leur formation. Je pense donc qu’il faut maintenir le dispositif en question, qui est ancré dans la réalité des besoins des élèves. Sa suppression conduirait à des situations incohérentes : à la fin de leur troisième, des jeunes ayant acquis le socle commun de connaissances ne pourraient plus commencer une formation par l’apprentissage avant d’avoir atteint l’âge de 15 ans. Or l’apprentissage et la formation professionnelle préparent à plus de 500 métiers dans l’hôtellerie, l’informatique, le paramédical, l’artisanat et le bâtiment, tous secteurs dans lesquels les employeurs ont beaucoup de mal à recruter.

Cette filière constitue une possibilité supplémentaire offerte aux jeunes, l’emprunter n’est nullement une obligation ; elle ne représente ni un choix de seconde zone ni un choix par défaut. La place qui lui est accordée dans le système éducatif français est injuste au regard de ses performances et discriminatoire envers les jeunes qui ont opté pour ces parcours. Ces derniers se rendent bien compte que leur formation n’est pas toujours mise en avant, quand elle n’est pas dépréciée. Au bout du compte, pourtant, ils font partie de ceux qui trouvent un emploi.

Monsieur le ministre, votre projet de loi comporte bien trop de déclarations d’intention et ne prévoit pas assez de moyens pour les mettre en œuvre. En outre, il souffre de nombreux manques. Quant à la prétendue concertation destinée à le préparer, elle a été menée dans la précipitation, pendant les vacances d’été et alors même que le texte était pour ainsi dire rédigé !

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