Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 27 mai 2013 à 15h00
Adaptations dans le domaine de la justice en application du droit de l'union européenne — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Aujourd’hui, Mmes les ministres nous demandent au nom du Gouvernement d’inscrire dans notre droit positif toute une série de dispositions pénales issues notamment de directives européennes, de conventions des Nations unies et d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Ce projet de loi va évidemment dans le bon sens. Du reste, je vous rappelle que l’Union européenne elle-même va signer la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales – les négociations à cet égard vont vraisemblablement aboutir –, se soumettant ainsi à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Par ailleurs, en ce qui concerne la traite des êtres humains et la torture, l’amorce d’une juridiction pénale internationale existe sous la forme d’une compétence internationale. C’est au nom de celle-ci qu’un juge espagnol a récemment inculpé, certes en son absence, un général irakien convaincu de torture et d’assassinat dans le camp d’Achraf, où se trouvent des réfugiés iraniens en Irak.

Nous progressons donc – il n’y a pas que des points négatifs –, d’autant qu’avec les traités d’Amsterdam et de Lisbonne le droit pénal et la procédure pénale ont commencé à être harmonisés dans les vingt-sept pays de l’Union européenne.

Sur ce texte, le rapporteur Alain Richard a fait un travail très intéressant. Au demeurant, nos collègues qui se sont exprimés avant moi ont dit ce qu’il y avait à dire. Je souhaite simplement commenter les trois points qui ont provoqué des discussions au sein de la commission des lois.

Concernant les articles 1 et 2, je retiens que les associations œuvrant contre la traite des êtres humains et l’esclavage auront désormais la possibilité de se constituer partie civile. Tel n’était pas le cas jusqu’à maintenant. En de telles matières, les victimes ne portent pas plainte. Il faut qu’elles aient derrière elles des associations qui les soutiennent pour aller devant les tribunaux et faire reconnaître leurs droits.

Sur l’article 2 bis, la commission a choisi de ne pas suivre la position adoptée par l’Assemblée nationale, ce qui me paraît sage. Les termes retenus soulevaient en effet certaines difficultés. Les incriminations étaient-elles vraiment clairement définies par rapport à ce qui existe déjà dans notre droit pénal ? Je n’en suis pas persuadé.

Le fait de transformer ces infractions en crimes était une erreur. Lorsque les juridictions européennes ou le Conseil de l’Europe se prononcent en faveur de la criminalisation d’un acte, cela ne veut pas dire qu’il faut en faire un crime au sens de notre droit procédural, mais qu’il convient simplement de le pénaliser. Selon moi, une telle disposition aurait été totalement contre-productive, parce que la procédure criminelle est très lourde et très longue à aboutir. En outre, je m’interroge sur la réaction des jurés lors de tels procès. Laissons donc ce genre d’infractions aux magistrats professionnels, qui, bien que souvent décriés, sont tout de même plus à même de se prononcer.

Nous approuvons également la proposition du rapporteur de limiter les pouvoirs du procureur national chargé d’Eurojust. On a dit beaucoup de bien et beaucoup de mal de cette institution. À mon avis, les progrès qu’elle permet sont encore à démontrer par rapport aux dépenses budgétaires qu’elle provoque. Quoi qu’il en soit, les magistrats appartenant à cet aréopage ne font en aucun cas partie de notre parquet. Pour le moment, celui-ci est organisé, même si le Sénat et l’Assemblée nationale examineront bientôt certaines procédures que vous vous apprêtez à nous soumettre, madame la garde des sceaux, et qui le désorganiseront peut-être, ce que je ne souhaite pas. Il convient donc de limiter, comme l’a fait le rapporteur, la portée des requêtes formulées par Eurojust aux parquets de France en matière de renseignement. Ce que fait Eurojust est très bien, mais prévoir que cette institution puisse donner des injonctions ou même ouvrir des informations judiciaires me paraît totalement aberrant.

Pour ce qui concerne le délit d’offense au chef de l’État, on a entendu tout et son contraire sur le sujet. À titre personnel, je rejoins l’opinion de mon collègue Hugues Portelli : il faut distinguer la personne et la fonction. La personne du chef de l’État peut être normale, anormale, ordinaire, extraordinaire ou intelligente, peu importe ! La fonction, c’est autre chose. Avec la Ve République, la France connaît un régime semi-présidentiel : le président de la République est élu au suffrage universel direct, il a des pouvoirs propres, il est l’élu de la nation et le socle de tout notre système institutionnel, sans lequel il n’y a rien. Nous l’avons bien vu lors des différentes réformes constitutionnelles destinées, paraît-il, à accroître les libertés du Parlement. Tant qu’il y aura un fait majoritaire et un président de la République élu au suffrage universel, ces réformes n’auront pas de sens, nous le savons bien.

Par conséquent, la fonction présidentielle doit être protégée en tant que telle. Certes, il faut que le titulaire de cette fonction n’en fasse pas un usage immodéré, comme cela a été peut-être le cas dans des années récentes, mais notre droit doit continuer de prévoir une protection du chef de l’État. Maintenir la disposition en question revient donc à lancer un appel : le Parlement doit se saisir calmement, presque unanimement, de la question relative au statut juridique du président de la République, que ce soit en matière pénale, civile ou administrative. La solution qui prévaut actuellement, on le voit bien, n’est guère satisfaisante. Pourtant, une proposition de loi déposée par MM. Badinter et Patriat avait été examinée par le Sénat. Dans le même temps, le gouvernement déposait à l’Assemblée nationale un projet de loi présentant certaines plages de convergence. Depuis, tout a été abandonné…

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