Merci pour votre accueil. Le C3D est une association que j'ai créée en 2007 avec quelques collègues. Elle rassemble à présent une centaine de directeurs du développement durable, qui travaillent dans des entreprises de toutes les tailles et de secteurs très différents, ce qui offre une palette représentative de l'économie française : en tout, nous représentons des organismes qui emploient deux millions de salariés.
La fonction de direction du développement durable est encore assez neuve, et semble parfois mystérieuse. Apparue à la faveur de la loi NRE de 2001 - même si elle existait déjà dans quelques entreprises auparavant - elle lui est étroitement liée. Elle a été généralement confiée à d'anciennes directions de la qualité ou de l'environnement, ou bien à des directions de la communication, qui avaient senti dans la société un mouvement auquel elles ont cherché à adapter leurs stratégies : cette seconde origine nous a nui, en nous associant à l'idée de lavage de cerveau ; nous en sommes à présent complètement détachés. Les directions du développement durable se sont constituées et organisées dans les années 2000, alors qu'émergeait un débat public sur la protection de l'environnement et le réchauffement climatique. Elles sont, dans 51 % des cas, rattachées aux directions générales, et sont généralement composées d'équipes assez étoffées, allant de cinq à trente personnes.
Elles ont quatre missions principales. Elles veillent à ce que l'entreprise se donne à lire autrement que par son seul reporting financier, en tenant une comptabilité de l'extra-financier. Elles assurent l'animation, à l'intérieur des entreprises, des politiques environnementales. Les entreprises, comme les collectivités locales, ont à mettre en oeuvre des plans d'action visant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ce qui les conduit à créer des emplois. Nous avons parfois du mal à les sensibiliser, surtout qu'à cette problématique énergétique s'ajoute celle, complexe, de la protection de la biodiversité, ordinaire ou remarquable. Sur ce thème, nous avons d'abord été chahutés dans les entreprises, mais à présent celles-ci prennent conscience que la biodiversité est un ensemble d'écosystèmes dont la fonction peut être économique, alimentaire, touristique même. Nous menons des travaux autour de la notion de compensation écologique.
Les directions du développement durable ont aussi pour fonction, relativement nouvelle, de porter, en lien avec les directions des ressources humaines, des politiques sociales et sociétales qui ont deux objectifs : favoriser l'accès à l'emploi des personnes en difficulté, en lien avec les acteurs de l'intermédiation sociale (missions locales, associations d'insertion...) et selon des formes d'action qui évoluent, dans des entreprises qui incarnent de plus en plus leur responsabilité sociale et solidaire sur un territoire ; développer la diversité au sein de l'entreprise, en remédiant vigoureusement aux différences de traitement entre hommes et femmes, ou en accroissant l'intégration des publics en difficulté ou en situation de handicap. Elles s'attachent enfin à faire évoluer la gouvernance : les entreprises, qui ont souvent vécu crispées sur leur savoir-faire, non sans une certaine arrogance parfois, s'ouvrent depuis quelques années à d'autres publics, par des partenariats, des échanges avec des acteurs politiques, universitaires, associatifs. C'est ainsi qu'apparaissent des conseils - ou, dans l'esprit du Grenelle, des panels - de parties prenantes, qui sont autant de miroirs pour les décisions. À la Lyonnaise des eaux, nous avons lancé la démarche « idées neuves sur l'eau » pour échanger avec ces publics. Ce développement de la perméabilité de l'entreprise est une tendance forte.
Les directeurs du développement durable sont donc des transformateurs, des aiguillons d'un changement difficile : il faut quitter un modèle traditionnel, connu, pour un nouveau modèle, respectueux des ressources naturelles et plus inclusif. Notre rôle est de militer depuis l'intérieur de l'entreprise pour l'amener à évoluer dans ces directions. Notre action a déjà porté quelques fruits : les métiers se transforment sous l'effet de l'intégration de la préoccupation environnementale dans les processus, la gouvernance évolue, le modèle économique également, puisqu'il ne s'agit plus seulement de mesurer des volumes de production mais aussi d'évaluer la valeur, en intégrant l'impact sur l'environnement ; on ne raisonne plus simplement en termes de propriété mais aussi en fonction du critère de l'usage - autant de déplacements du regard.
Le rôle de l'entreprise dans la société évolue, en effet : sa finalité n'est plus simplement le profit, mais aussi la manière dont celui-ci est réalisé. La prise de conscience de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) de l'entreprise sur un territoire se développe, malgré l'ironie que ce concept suscite parfois, ce qui amènera peut-être à redéfinir les limites de la sphère publique et de la sphère privée, dans une logique de partenariat. La Californie, par exemple, expérimente la mention, dans la définition de la raison sociale de l'entreprise, de sa contribution à l'intérêt général.
Le C3D réunit une centaine de directeurs du développement durable. L'objectif est d'échanger les bonnes pratiques dans cette fonction encore nouvelle, et de faire connaître notre action et ses résultats au grand public. Par exemple, nous avons beaucoup travaillé sur le reporting, prescrit par l'article 225 de la loi Grenelle 2, des divers aspects de la RSE, afin qu'il soit généralisé, qu'il soit un outil de pilotage du changement - une entreprise incitée à mesurer sa consommation d'eau doit chercher à la réduire - et qu'il se voie accorder la même importance que les indicateurs financiers. L'an passé, la moitié des entreprises du CAC 40 a donné à lire les résultats de ce reporting, lors des assemblées générales, dans des tableaux de même facture que ceux des indicateurs financiers. Si l'on prolonge la réflexion, cette lecture différente des résultats de l'entreprise pose la question d'une nouvelle définition du PIB.
Nous réfléchissons aussi à l'évolution des modèles économiques. Par exemple, chez Sodexo, la restauration est de plus en plus envisagée sous l'angle du bien-être qu'elle peut produire dans une entreprise, ce qui l'amène à développer des services complémentaires, et l'a conduit à indexer le système de rémunération non seulement sur le volume de restauration collective vendue, mais aussi sur des indicateurs mesurant ce bien-être. GRDF développe l'utilisation de la capacité calorifique des déchets par des filières de méthanisation et de biogaz, et donc une économie différente - circulaire - de l'énergie. De même, à la Lyonnaise des Eaux, nous avons pris la mesure de la capacité calorifique des eaux usées, qu'il n'est pas si compliqué d'exploiter. Nexity développe la prise en compte de l'usage : Sabine Desnault vous en parlera.
La politique des achats durable est un levier d'action capital pour faire évoluer en cascade les sous-traitants et les fournisseurs. Le C3D élabore des matrices de critères pour structurer un dialogue entre les directions des achats et les directions du développement durable qui soit de nature à avoir un tel impact - avec des résultats remarquables. Nous travaillons aussi beaucoup sur la politique de l'entreprenariat social, sous la direction de Frédéric Laupretre.
Comme le temps politique, le temps de l'entreprise est limité, et structuré par les assemblées générales annuelles. Comment introduire la prise en compte du long terme dans la conduite du changement ? Il faut être à l'avant-garde. En partenariat avec HEC, nous étudions les comportements des jeunes générations, en termes d'habitat, de mobilité, de relations à la famille... Les premiers résultats montrent que, si les concepts de développement durable ou d'économie sociale et solidaire ne font pas partie de leurs grilles d'analyse, ils structurent déjà leurs modes de vie, et leur attitude face au politique ou à l'entreprise, d'une autre manière, sous le signe de la spontanéité et du moment présent et non plus du long terme.
Notre campus annuel, qui a généralement lieu en juillet, est le temps fort des activités de nos groupes de travail. Nous parlerons cette année, le 2 juillet, de la transition énergétique et comportementale et de la révolution des modèles économiques. Il y a trois principaux moteurs de ces changements : la conviction des dirigeants ; l'évolution de l'opinion publique, qui n'est pas exclusivement focalisée sur l'emploi et le pouvoir d'achat - j'imagine que vous sentez cette anxiété dans vos départements - mais prend conscience de la nécessité d'intégrer à tous les échelons les préoccupations environnementales, dont le lien avec les questions économiques est de mieux en mieux senti - c'est peut-être ce qui nous fera sortir de la crise - ; les décisions politiques, car la régulation a une grande importance : elle fixe un cadre commun et rassurant. Au C3D, nous ne défendons pas nos intérêts sectoriels, mais incarnons un état d'esprit qui dépasse chacun de nos secteurs. Nous sommes à votre disposition pour toute collaboration que vous jugeriez utile.