La commission procède ensuite à l'audition de Mme Hélène Valade, présidente du Collège des Directeurs du Développement Durable.
Nous sommes heureux de recevoir Mme Hélène Valade, présidente du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), qui est directrice du développement durable de la Lyonnaise des Eaux, ainsi que Mme Sabine Desnault, directrice du développement durable de Nexity, et M. Frédéric Laupretre, directeur du développement durable de la compagnie financière Edmond de Rothschild Banque.
Vous êtes à l'initiative, Madame, de la réunion d'un Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D) qui rassemble une centaine de membres. Comment le développement durable est-il mis en oeuvre dans l'entreprise ? Comment ce que nous décidons y est-il perçu ? Comment est-ce appliqué ? Allez-vous parfois plus loin que ce qui est prescrit par le décideur politique ? Quelle sont les conséquences économiques de ces décisions ? Le développement durable suscite l'espoir d'une économie, à terme, différente. Comment la France se situe-t-elle dans ce domaine ?
Merci pour votre accueil. Le C3D est une association que j'ai créée en 2007 avec quelques collègues. Elle rassemble à présent une centaine de directeurs du développement durable, qui travaillent dans des entreprises de toutes les tailles et de secteurs très différents, ce qui offre une palette représentative de l'économie française : en tout, nous représentons des organismes qui emploient deux millions de salariés.
La fonction de direction du développement durable est encore assez neuve, et semble parfois mystérieuse. Apparue à la faveur de la loi NRE de 2001 - même si elle existait déjà dans quelques entreprises auparavant - elle lui est étroitement liée. Elle a été généralement confiée à d'anciennes directions de la qualité ou de l'environnement, ou bien à des directions de la communication, qui avaient senti dans la société un mouvement auquel elles ont cherché à adapter leurs stratégies : cette seconde origine nous a nui, en nous associant à l'idée de lavage de cerveau ; nous en sommes à présent complètement détachés. Les directions du développement durable se sont constituées et organisées dans les années 2000, alors qu'émergeait un débat public sur la protection de l'environnement et le réchauffement climatique. Elles sont, dans 51 % des cas, rattachées aux directions générales, et sont généralement composées d'équipes assez étoffées, allant de cinq à trente personnes.
Elles ont quatre missions principales. Elles veillent à ce que l'entreprise se donne à lire autrement que par son seul reporting financier, en tenant une comptabilité de l'extra-financier. Elles assurent l'animation, à l'intérieur des entreprises, des politiques environnementales. Les entreprises, comme les collectivités locales, ont à mettre en oeuvre des plans d'action visant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, ce qui les conduit à créer des emplois. Nous avons parfois du mal à les sensibiliser, surtout qu'à cette problématique énergétique s'ajoute celle, complexe, de la protection de la biodiversité, ordinaire ou remarquable. Sur ce thème, nous avons d'abord été chahutés dans les entreprises, mais à présent celles-ci prennent conscience que la biodiversité est un ensemble d'écosystèmes dont la fonction peut être économique, alimentaire, touristique même. Nous menons des travaux autour de la notion de compensation écologique.
Les directions du développement durable ont aussi pour fonction, relativement nouvelle, de porter, en lien avec les directions des ressources humaines, des politiques sociales et sociétales qui ont deux objectifs : favoriser l'accès à l'emploi des personnes en difficulté, en lien avec les acteurs de l'intermédiation sociale (missions locales, associations d'insertion...) et selon des formes d'action qui évoluent, dans des entreprises qui incarnent de plus en plus leur responsabilité sociale et solidaire sur un territoire ; développer la diversité au sein de l'entreprise, en remédiant vigoureusement aux différences de traitement entre hommes et femmes, ou en accroissant l'intégration des publics en difficulté ou en situation de handicap. Elles s'attachent enfin à faire évoluer la gouvernance : les entreprises, qui ont souvent vécu crispées sur leur savoir-faire, non sans une certaine arrogance parfois, s'ouvrent depuis quelques années à d'autres publics, par des partenariats, des échanges avec des acteurs politiques, universitaires, associatifs. C'est ainsi qu'apparaissent des conseils - ou, dans l'esprit du Grenelle, des panels - de parties prenantes, qui sont autant de miroirs pour les décisions. À la Lyonnaise des eaux, nous avons lancé la démarche « idées neuves sur l'eau » pour échanger avec ces publics. Ce développement de la perméabilité de l'entreprise est une tendance forte.
Les directeurs du développement durable sont donc des transformateurs, des aiguillons d'un changement difficile : il faut quitter un modèle traditionnel, connu, pour un nouveau modèle, respectueux des ressources naturelles et plus inclusif. Notre rôle est de militer depuis l'intérieur de l'entreprise pour l'amener à évoluer dans ces directions. Notre action a déjà porté quelques fruits : les métiers se transforment sous l'effet de l'intégration de la préoccupation environnementale dans les processus, la gouvernance évolue, le modèle économique également, puisqu'il ne s'agit plus seulement de mesurer des volumes de production mais aussi d'évaluer la valeur, en intégrant l'impact sur l'environnement ; on ne raisonne plus simplement en termes de propriété mais aussi en fonction du critère de l'usage - autant de déplacements du regard.
Le rôle de l'entreprise dans la société évolue, en effet : sa finalité n'est plus simplement le profit, mais aussi la manière dont celui-ci est réalisé. La prise de conscience de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) de l'entreprise sur un territoire se développe, malgré l'ironie que ce concept suscite parfois, ce qui amènera peut-être à redéfinir les limites de la sphère publique et de la sphère privée, dans une logique de partenariat. La Californie, par exemple, expérimente la mention, dans la définition de la raison sociale de l'entreprise, de sa contribution à l'intérêt général.
Le C3D réunit une centaine de directeurs du développement durable. L'objectif est d'échanger les bonnes pratiques dans cette fonction encore nouvelle, et de faire connaître notre action et ses résultats au grand public. Par exemple, nous avons beaucoup travaillé sur le reporting, prescrit par l'article 225 de la loi Grenelle 2, des divers aspects de la RSE, afin qu'il soit généralisé, qu'il soit un outil de pilotage du changement - une entreprise incitée à mesurer sa consommation d'eau doit chercher à la réduire - et qu'il se voie accorder la même importance que les indicateurs financiers. L'an passé, la moitié des entreprises du CAC 40 a donné à lire les résultats de ce reporting, lors des assemblées générales, dans des tableaux de même facture que ceux des indicateurs financiers. Si l'on prolonge la réflexion, cette lecture différente des résultats de l'entreprise pose la question d'une nouvelle définition du PIB.
Nous réfléchissons aussi à l'évolution des modèles économiques. Par exemple, chez Sodexo, la restauration est de plus en plus envisagée sous l'angle du bien-être qu'elle peut produire dans une entreprise, ce qui l'amène à développer des services complémentaires, et l'a conduit à indexer le système de rémunération non seulement sur le volume de restauration collective vendue, mais aussi sur des indicateurs mesurant ce bien-être. GRDF développe l'utilisation de la capacité calorifique des déchets par des filières de méthanisation et de biogaz, et donc une économie différente - circulaire - de l'énergie. De même, à la Lyonnaise des Eaux, nous avons pris la mesure de la capacité calorifique des eaux usées, qu'il n'est pas si compliqué d'exploiter. Nexity développe la prise en compte de l'usage : Sabine Desnault vous en parlera.
La politique des achats durable est un levier d'action capital pour faire évoluer en cascade les sous-traitants et les fournisseurs. Le C3D élabore des matrices de critères pour structurer un dialogue entre les directions des achats et les directions du développement durable qui soit de nature à avoir un tel impact - avec des résultats remarquables. Nous travaillons aussi beaucoup sur la politique de l'entreprenariat social, sous la direction de Frédéric Laupretre.
Comme le temps politique, le temps de l'entreprise est limité, et structuré par les assemblées générales annuelles. Comment introduire la prise en compte du long terme dans la conduite du changement ? Il faut être à l'avant-garde. En partenariat avec HEC, nous étudions les comportements des jeunes générations, en termes d'habitat, de mobilité, de relations à la famille... Les premiers résultats montrent que, si les concepts de développement durable ou d'économie sociale et solidaire ne font pas partie de leurs grilles d'analyse, ils structurent déjà leurs modes de vie, et leur attitude face au politique ou à l'entreprise, d'une autre manière, sous le signe de la spontanéité et du moment présent et non plus du long terme.
Notre campus annuel, qui a généralement lieu en juillet, est le temps fort des activités de nos groupes de travail. Nous parlerons cette année, le 2 juillet, de la transition énergétique et comportementale et de la révolution des modèles économiques. Il y a trois principaux moteurs de ces changements : la conviction des dirigeants ; l'évolution de l'opinion publique, qui n'est pas exclusivement focalisée sur l'emploi et le pouvoir d'achat - j'imagine que vous sentez cette anxiété dans vos départements - mais prend conscience de la nécessité d'intégrer à tous les échelons les préoccupations environnementales, dont le lien avec les questions économiques est de mieux en mieux senti - c'est peut-être ce qui nous fera sortir de la crise - ; les décisions politiques, car la régulation a une grande importance : elle fixe un cadre commun et rassurant. Au C3D, nous ne défendons pas nos intérêts sectoriels, mais incarnons un état d'esprit qui dépasse chacun de nos secteurs. Nous sommes à votre disposition pour toute collaboration que vous jugeriez utile.
Je serai volontairement provocant. Vos statuts mentionnent que la participation au C3D est ouverte aux directeurs du développement durable des collectivités locales. Pourtant, très peu en sont membres. Est-ce un choix, madame la Présidente ? Avez-vous la volonté d'associer à vos travaux les acteurs locaux, publics comme privés ? La dimension sociale du développement durable fait-elle partie des missions des directeurs du développement durable ? Comment les améliorations de la qualité de vie au travail sont-elles évaluées ? Vous avez parlé de liens avec les directions des ressources humaines. Êtes-vous bien associés à leurs décisions, ainsi qu'à celles des directions générales, ou la mise en place de directions du développement durable est-elle un moyen pour les entreprises de se donner bonne conscience ? L'optimisation des processus de production, depuis cinquante ans, a diminué fortement les coûts ainsi que la consommation d'énergie et de matières premières. Mais les entreprises ont tendance à inciter à la consommation par la publicité, et elles ont considérablement développé l'obsolescence programmée des produits. Le développement durable dans l'entreprise, n'est-ce pas un immense paradoxe ?
Les entreprises qui développent cette pratique ne le font pas par philanthropie, mais par intérêt bien compris : elles s'adaptent aux préoccupations de leurs clients... Avec Esther Sittler, nous menons une mission d'information sur l'utilité des responsabilités élargies du producteur (REP) du point de vue de l'éco-conception : peuvent-elles influencer la conception de la fin de vie de l'objet ? Les directions du développement durable se sont affirmées, sans doute. Mais comment le font-elles ? Parviennent-elles à peser dans la prise de décision, où est-ce comme au Gouvernement où Bercy a le dernier mot ? Vous inspirez-vous des travaux de l'ONU sur l'économie sociale et solidaire ? Vous avez évoqué l'utilisation de la chaleur des eaux usées ; je connais un secteur en montagne où c'est l'énergie cinétique de leur chute qui est récupérée pour produire de l'hydroélectricité. L'obsolescence due aux nouvelles technologies est justifiée, mais je serai obligée de changer mon téléphone bien avant que je ne l'utilise à pleine capacité : tout est fait pour que ce produit de haute technologie soit consommable ; en fait, il est devenu jetable.
J'ai fait il y a quelques temps une intervention dans l'hémicycle sur l'obsolescence programmée. Quand elle est frauduleuse, c'est un scandale, et le législateur est là pour sévir. Mais l'obsolescence esthétique me paraît inévitable : c'est la conséquence du progrès. Ainsi, l'embout du chargeur de mon nouveau téléphone est mieux adapté que le précédent. L'important est que les matériaux utilisés soient, en prévision de cette obsolescence, biodégradables ou recyclables, et que des filières de recyclage fonctionnent. Nous ne voulons pas freiner le progrès : par exemple, nos cuisines ne ressemblent plus à celles que nous montrent les films des années 1960 !
Je fréquente plusieurs personnes qui travaillent et entreprennent à l'étranger, entre autres le paysagiste Jean Mus, qui m'a prise à partie en apprenant que j'appartenais à cette commission...
Sa violence verbale m'a impressionnée : la France, m'a-t-il dit, se perd par ce genre de réflexions, dont ne s'encombrent ni la Chine ni la Russie ! Les taxes sur l'emploi, les divagations sur ces sujets nous font perdre des emplois et des parts de marchés ! Je pense, en vous entendant, qu'il manque d'information, et qu'au lieu de se faire le porte-parole de votre discours il n'y voit que contraintes supplémentaires. Il y a donc un long chemin à parcourir...
Qu'est-ce que le C3D ? Tant de structures se créent sans qu'on le sache...
Cela a été expliqué au début de l'audition, mais sera précisé de nouveau dans les réponses.
Je suis un passionné des objectifs du millénaire, et de l'agenda 21 local.
J'ai relevé trois objectifs du millénaire dans votre propos : l'objectif 3, - promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomie des femmes - l'objectif 7 - préserver l'environnement - et l'objectif 8 - mettre en place un partenariat pour le développement. Liez-vous votre action à ces objectifs ? L'environnement, l'économie, le social, sont autant d'axes de l'agenda 21. Vous y référez-vous ?
Le C3D est une association loi 1901 créée en 2007, qui rassemble une centaine de directeurs du développement durable. Notre notoriété n'est pas immense, mais notre volonté et notre enthousiasme le sont. Nous portons nos réflexions dans le débat public, et faisons progresser l'action des directeurs du développement durable dans les entreprises. Merci d'avoir soulevé la question de l'ouverture du C3D aux directeurs du développement durable des collectivités locales. Nos statuts la prévoient, et nous avons des problèmes communs, notamment celui de la transversalité : le développement durable se heurte dans les collectivités à des logiques de silo, et dans les entreprises à des organisations saucissonnées. Nous avons embauché un stagiaire pour prospecter le secteur. La difficulté rencontrée est qu'un directeur territorial ne peut travailler avec nous sans l'aval du maire. Mais nous sommes demandeurs : le dialogue entre collectivités locales et entreprises est capital ! En juin dernier, nous avons entendu à Rio des exposés impressionnants sur l'action de collectivités territoriales : ce sont des acteurs méconnus du changement en ce domaine.
L'enjeu, en matière de politiques sociales à l'intérieur de l'entreprise, est de créer la transversalité entre directions : ressources humaines, développement durable... Le principal levier est l'article 225, qui demande la publication d'informations sur les thématiques de RSE, nécessitant le travail en commun. Si une entreprise ne facilite pas l'accès des personnes en difficulté à l'emploi, cela finit par nuire à son image. Les formations qualifiantes que nous avons créées en partenariat avec des Universités ou des grandes écoles correspondent à cette préoccupation.
Il y a en effet un paradoxe à installer au sein même de l'entreprise des fonctions ayant pour but de la faire fonctionner différemment. C'est compliqué, les résistances au changement sont fortes. Il ne s'agit pas simplement de conviction, mais aussi de rapport au changement : beaucoup de paramètres doivent évoluer simultanément. Nous sommes là pour accompagner ces mutations, par exemple en mettant en place des programmes de formation pour les salariés. Soyons clairs : ce n'est pas facile. Mais nous progressons, notamment grâce à la mécanique mise en place par le Grenelle de l'environnement, qui a enclenché des évolutions irréversibles. Nous sommes, de surcroît, en période de crise, ce qui n'est guère propice à notre action. Mais l'avance de la France sur ces sujets, grâce à la plateforme RSE qui est en construction, grâce à notre participation aux sommets sur le réchauffement climatique - nous hébergerons celui de 2015 -, peut être une voie de différenciation assez forte, si nous nous abstenons de faire preuve d'ethnocentrisme. Nos entreprises qui travaillent en Chine y vendent déjà du développement durable dans leurs processus : l'opinion publique chinoise évolue rapidement, et est de plus en plus sensible aux questions environnementales.
S'agissant de la capacité des entreprises françaises à porter ces sujets sur le long terme, je suis très optimiste. Certains de nos groupes peuvent tout à fait prétendre devenir des fers de lance du développement durable.
Un mot sur le lien entre le développement durable tel que nous le pratiquons dans nos entreprises et les objectifs du millénaire pour le développement élaborés par les Nations unies. Les entreprises traditionnelles sont conduites à s'interroger sur leur rôle et leur façon d'aborder la lutte contre la pauvreté, par le développement de l'économie sociale et solidaire et la demande faite à chacun, de la part de l'opinion publique, de servir l'intérêt général. Jusqu'à une période récente, l'entreprise se contentait de chercher les moyens de réduire l'impact négatif de son activité sur son environnement. De nouveaux modèles économiques ont enrichi cette approche des choses.
Notre rôle est essentiellement pédagogique : nous promouvons l'entreprenariat social au sein des entreprises, au sens large du terme puisque, selon nous, toutes les initiatives privées conduites dans une logique entrepreneuriale, respectueuse de l'intérêt général et d'un partage équilibré de la valeur, en font partie. Il n'y a pas encore d'exemple abouti de co-construction entre une entreprise sociale et solidaire et une entreprise classique, mais nous suivons de près les expérimentations qui ont été lancées.
Ces approches créent de la valeur car elles améliorent l'image de l'entreprise. Les salariés deviennent plus productifs. Les travaux relatifs à la « génération Y » l'ont mis en évidence en démontrant que les jeunes salariés ne cloisonnaient plus leur vie professionnelle et personnelle, mais cherchaient en toute occasion à partager des valeurs humaines.
Historiquement, ces expérimentations étaient soutenues par du mécénat. Cela va désormais plus loin. La société Vitamine T d'André Dupon fait par exemple le lien entre des familles du Nord en voie de réinsertion et des industriels hollandais pourvoyeurs de savoir-faire et de technologie pour développer des solutions de recyclage. Cette entreprise cherche à présent de nouveaux marchés, comme ceux qu'ouvre le recyclage des composants des téléphones portables. Notre rôle est d'identifier les facteurs clés du succès, et de les faire partager.
Le C3D réfléchit au rôle que peuvent jouer les entreprises pour faire advenir le monde de demain. En tant que directeurs du développement durable, nous y contribuons plus ou moins selon nos secteurs d'activité respectifs - le Grenelle de l'environnement a d'ailleurs mis en lumière ceux qui ne tenaient pas l'environnement parmi leurs priorités... Nos politiques portent donc tantôt sur notre coeur de métier, tantôt sur notre gestion des ressources humaines. Le C3D aborde tous les aspects du problème.
Pour conduire le changement, nous promouvons une politique des petits pas. Le Grenelle avait opté pour une approche technique et contraignante, dans la défense des bâtiments de basse consommation par exemple. Nous pensons pour notre part qu'il faut créer l'opportunité de changer de modèle économique. Cela implique de démontrer que le développement durable crée de la valeur. Nous devons contrebalancer le triste constat de l'appauvrissement des ressources naturelles par la valorisation des opportunités qu'offrent la révolution numérique et les nouvelles attentes sociales : nos enfants n'apprendront, ne se déplaceront, ni ne se soigneront comme nous le faisons aujourd'hui ; ils privilégieront une logique d'usage à la logique actuelle de propriété. Au C3D, nous essayons de participer à ce changement profond de société.
L'éco-conception entend concilier les dimensions économique et écologique. Elle impose d'être au plus proche de l'innovation. C'est un défi à relever notamment dans le bâtiment, où l'augmentation des coûts de l'énergie pousse les coûts de construction à la hausse, ce qui nuit à notre rentabilité et à notre compétitivité. La solution technique, favoriser la basse consommation, est aisée, mais pas moins onéreuse. Il nous a fallu penser différemment. A cet égard, le Grenelle a été à l'origine d'une révolution dans la filière : les liens que nous avons alors noués avec les innovateurs ne se sont pas distendus depuis.
L'éco-conception passe aussi par le recyclage. Cette filière n'est pas assez structurée en France. Nos bâtiments sont recyclables à 80 %, mais le secteur n'est pas suffisamment robuste pour absorber de tels volumes. En outre, seuls 3 à 5 % de nos bâtiments sont équipés en matériaux issus du recyclage, encore trop chers.
La création d'un institut de l'économie circulaire est une bonne nouvelle. Nos entreprises en sont bien sûr partenaires, comme le C3D lui-même.
Notez enfin que nous changeons d'échelle : les systèmes de location de voiture ou de vélos en libre service, la création de quartiers positifs, d'écocentres, le pilotage énergétique, tous ces chantiers s'élaborent à l'échelle territoriale. Les échanges thermiques, la biométhanisation supposent de mettre des quartiers en réseau, afin de lisser la consommation d'énergie. Cette logique vaut tout autant pour les transports, les soins... Il y a cinq ans, les collectivités territoriales n'imaginaient pas devoir se doter d'un schéma directeur numérique ; aucune ne pourrait désormais s'en passer.
C'est un privilège de discuter de ces questions avec vous, qui nous renvoyez comme en miroir le résultat des initiatives politiques prises en la matière. Vous êtes des pionniers, non seulement car vous transcendez les vieux clivages internes aux entreprises, mais surtout parce que vous contribuez à relever le problème posé par la finitude de la planète. L'économie ne sera plus jamais ce qu'elle était.
Je suis sensible aux enjeux relatifs au secteur du bâtiment. Vous défendez l'utilisation de matériaux recyclés, mais s'il apparaît de nouveaux matériaux moins coûteux, vous reconsidérerez cet objectif car la logique financière primera... En vérité, le directeur financier de l'entreprise est votre ennemi, car il parle le même langage que le banquier !
La logique financière l'a-t-elle emporté ?
Oui et non. Elle conserve une certaine importance, mais elle évolue. J'ai vu des directeurs financiers exposer eux-mêmes le suivi d'indicateurs non financiers. Ils dialoguent entre eux, et avec les autres départements de l'entreprise. Les logiques se décloisonnent. Il y a quelques années, ils ne savaient même pas ce qu'était le développement durable !
Nous en revenons au renversement nécessaire de certains modèles économiques. L'économie de l'eau repose par exemple sur les volumes vendus, alors qu'il faut inciter les clients à faire des économies. Nous souhaitons convaincre le corps social et les acteurs économiques de la nécessité de faire le contraire de ce que l'on a toujours fait, et fonder un modèle économique viable sur ces nouvelles bases. Nous avons, par exemple, eu toutes les peines du monde à signer quinze contrats pilotes, mais nous y sommes parvenus grâce à l'aide des collectivités territoriales.
Vous y êtes parvenus car vous avez démontré que l'entreprise n'y perdait rien ?
Bien sûr.
Dans les sommets internationaux, on constate souvent que les nations les plus réticentes à s'engager pour le développement durable sont aussi celles qui abritent les initiatives privées les plus abouties. Celles-ci consistent en définitive à trouver les moyens de gagner plus d'argent en faisant moins de chiffre d'affaires, par exemple, pour ce qui concerne l'eau, en diminuant les pertes sur un réseau.
Les assurances sont des incitations à consommer, puisque tout le monde y gagne.
La question de l'obsolescence programmée remet en question de manière plus profonde nos sociétés de consommation. Dans le domaine agricole, nous promouvons une politique de prévention, afin d'éviter les phénomènes de pollution, et nous considérons qu'il est absurde de rendre les agriculteurs responsables des ravages de notre préférence générale pour des légumes beaux et bien calibrés.
Il y a une forte dimension culturelle à prendre en compte. C'est pour cela qu'il faut développer des programmes d'information et de sensibilisation.
L'obsolescence programmée a fait l'objet de débats au Sénat. Je continue à croire que l'invention du marketing a constitué un choc historique, en soutenant artificiellement la consommation de biens et services dispensables.
Il est possible de promouvoir un autre modèle. Les politiques de recyclage vont dans ce sens.
La révolution numérique et la mise en réseau concernent aussi la santé, a dit Mme Desnault. Cela m'inquiète beaucoup, car ce n'est pas du tout ce vers quoi il faut aller. Les patients ont au contraire besoin de proximité.
Mme Desnault pensait sans doute à de nouveaux systèmes d'alerte.
La « e-santé » peut avoir des aspects très positifs : considérez le cas d'un habitant d'un territoire rural, à qui l'on pourra faire subir des examens à distance, plutôt que de le transporter à 150 km de son domicile.
La « e-santé » procure des gains de bien-être considérables dans les pays en voie de développement disposant d'un réseau de téléphonie mobile performant, comme le Kenya. Pour nos entreprises, les nouvelles technologies donnent accès à une nouvelle clientèle - ce que l'on nomme le marché à la base de la pyramide - et permettent de travailler avec des acteurs associatifs que la logistique d'une entreprise classique rendait inaccessibles. C'est une source de croissance et d'innovation indiscutable.
Nous avons reçu il y a quelques mois le président d'Ecocert, société engagée dans la promotion de la révolution culturelle que vous appelez de vos voeux.
Ecocert a beaucoup innové sur la certification environnementale et sociale, qui est très complexe à mettre en oeuvre. L'entreprise développe par exemple des outils de mesure de l'engagement des salariés, ce qui est utile pour le pilotage les ressources humaines et l'amélioration des relations entre les différents départements de l'entreprise.
La comptabilité universelle est une question qui mérite également l'attention.
Nous n'avons pas parlé du financement de la transition énergétique. Traditionnellement, les banques s'engagent dans des investissements socialement responsables, et tentent de valoriser financièrement des éléments extra-financiers. Leur préoccupation majeure reste de savoir dans quoi investir. Il faut promouvoir le financement à long terme de l'économie réelle. C'est ce que font les grandes banques françaises.
Le président fondateur d'Ecocert nous a dit que le souci du développement durable progressait au sein des entreprises : celles dépourvues de politique en la matière se financent désormais plus difficilement et voient se restreindre l'accès à certains marchés. Lui-même s'était engagé à localiser son siège social dans un bâtiment à énergie positive, et de n'employer, pour le construire, que des entreprises au bilan carbone positif.
La commande publique a aussi un rôle à jouer.
L'initiative publique n'est pas la seule à devoir servir l'intérêt général. Je serai convaincue lorsque les intérêts et la valeur ajoutée seront équitablement partagés entre les acteurs publics et privés.
Je reste à votre disposition pour tout complément d'information sur les stratégies développées par les entreprises du C3D.
Nous pourrions en effet travailler plus précisément sur certains secteurs. Merci pour ce débat passionnant.