Intervention de Jean-Pierre Bel

Réunion du 27 octobre 2004 à 15h00
Cohésion sociale — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre BelJean-Pierre Bel :

Nombre d'élus apprécieront ce petit détail, surtout quand on sait - et ces deux aspects sont à mettre en parallèle - que la réforme des droits de succession coûtera 600 millions d'euros, soit le montant total des crédits supplémentaires nécessaires à la DSU pour les cinq prochaines années. D'une certaine façon, ils sont subtilisés aux communes !

Incohérence, donc, lorsque la priorité accordée à la diminution de certains impôts et à l'attribution d'avantages fiscaux limite les ressources de l'Etat au détriment de dépenses socialement utiles, tel le logement - Thierry Repentin y reviendra -, ou indispensables pour l'avenir, comme la recherche.

Le projet de loi repose également sur une conception particulièrement restrictive de l'emploi.

Monsieur le ministre, la philosophie de votre notion de « retour à l'activité », louable dans ses objectifs est aussi porteuse de dangers, car elle ouvre la porte à des sous-emplois dérégulés et appauvris, ce qui revient à créer, selon l'expression du Conseil économique et social, des « travailleurs pauvres ». Je dis peut-être des bêtises, mais le Conseil économique et social a probablement pesé les termes qu'il a utilisés.

Derrière tout cela, il y a une fois encore le spectre des processus d'exclusion.

Avouez que si les craintes évoquées par le Conseil économique et social étaient confirmées, ce serait un lourd échec non seulement pour vous, mais aussi pour les espérances soulevées !

Nous ne sommes pas rassurés, monsieur le ministre, quand nous regardons dans le rétroviseur et faisons le bilan de votre politique : 200 000 chômeurs supplémentaires, 250 000 RMIstes supplémentaires, la suppression des 350 000 emplois-jeunes, la diminution drastique des contrats aidés et des fonds alloués à l'insertion, l'asphyxie des associations intermédiaires et des entreprises d'insertion par la réduction des subventions publiques et, de l'autre côté de la balance, quelque 1 000 RMA et 300 CIVIS seulement !

Nous pourrions ironiser, mais le sujet est trop grave : il touche à la désespérance humaine et à la crise sociale que traverse notre République.

Décidément, ce texte n'est pas à la hauteur de la situation, il n'est pas en phase avec ses ambitions.

Il ne pourra certainement pas résoudre la crise du logement, contrairement à votre déclaration, monsieur le ministre, et apporter une solution concrète aux 3 millions de Français mal logés ou aux locataires qui subissent de plein fouet la hausse vertigineuse des loyers.

Mais, vous l'avez compris, l'introduction d'un texte sur les restructurations qui remet en cause le code du travail constitue pour nous une véritable provocation, alors que, dans ses voeux aux forces vives le 6 janvier 2004, le Chef de l'Etat considérait qu'il était temps « d'instituer pour tous les salariés de nouvelles garanties en matière de reclassement ».

On est bien loin de ces belles intentions.

Le projet Borloo-Larcher reconnaît ainsi la modification du contrat de travail comme motif de licenciement, légalisant les chantages à l'emploi et pourquoi pas les baisses de salaires ou l'augmentation de la durée du travail.

Il limite l'application du plan de sauvegarde de l'emploi aux licenciements décidés et non plus seulement envisagés, réduisant les cas de mise en oeuvre obligatoire du plan.

Il autorise la négociation directe dans l'entreprise de la procédure et du contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, écartant par là même les règles protectrices du code du travail et contournant le comité d'entreprise.

Ce n'est plus le mirage, c'est le danger que fait courir votre projet de loi ainsi transformé que nous dénonçons avec force.

Une dernière interrogation sur un projet décidément flou concerne les élus locaux : quel sera leur rôle exact ? Ce projet de loi est placé sous le signe d'une extrême confusion.

Vous le savez, les atteintes portées aux services publics notamment en milieu rural, désespèrent les élus locaux. Ils ont été 270 à démissionner la semaine dernière dans la Creuse. C'est un événement d'importance.

Je conclus, mes chers collègues. Ce texte, véritable exercice de mystification, ne fera que contribuer au désordre social et vous courez le risque, monsieur le ministre, de voir votre nom assimilé à une politique de régression sociale.

Les Français savent, comme ils l'ont montré à toutes les élections de 2004, que ce gouvernement ne répond pas à la crise sociale qu'il a lui-même provoquée.

Oui, mesdames, messieurs de la majorité, après cette occasion manquée, après ce numéro de passe-passe, les Français n'ont guère de raison d'attendre grand-chose de vous.

Face à leurs préoccupations de plus en plus fortes, face à leur angoisse, il faut une volonté à la hauteur de la situation. Le moment viendra de répondre à leurs demandes.

Aujourd'hui, notre devoir est de refuser la spirale de la fatalité que vous souhaitez leur imposer. Notre devoir est d'amener ceux qui attendent tant de nous à garder espoir dans l'avenir, dans notre République, une République protectrice, garante des avancées sociales, garante d'une vraie cohésion.

Pour cela, mes chers collègues, nous devons faire oeuvre de pédagogie, aider à y voir plus clair et donc dénoncer l'illusion, la mystification, refuser la précarisation, les atteintes aux droits des salariés, le poids du balancier toujours plus lourd pour les plus faibles.

Pour toutes ces raisons, et vraiment sans état d'âme, conforté par votre manière de faire sur le fond mais aussi sur la forme, le groupe socialiste votera contre le projet de loi Borloo-Larcher.

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