Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question des sectes en France a déjà fait l’objet d’une attention soutenue de la part des parlementaires, en particulier de nos collègues députés.
Le groupe RDSE a souhaité poursuivre ce travail avec la création d’une commission d’enquête au Sénat. Son rapporteur, Jacques Mézard, puis son président, Alain Milon, en ont rappelé les motivations. Il s’agissait non pas d’être redondant, mais plutôt d’explorer en détail un aspect fondamental des pratiques sectaires en pleine croissance, celui d’une utilisation abusive du thème de la santé.
La proposition de résolution que mon groupe avait déposée l’année dernière allait dans ce sens en indiquant : « Le développement de pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique sans fondement scientifique ou encore de prises en charge psychologiques hors du cadre psychothérapeutique pose aujourd’hui une réelle question de santé publique encore mal connue, qu’il importe d’évaluer. »
Nous sommes arrivés au terme de cette évaluation rigoureuse et très méthodique. Je tiens d’ailleurs à féliciter, à l’instar des orateurs qui m’ont précédé, le président et le rapporteur de cette commission d’enquête. Tous deux ont travaillé dans un esprit d’ouverture et de transparence sur un sujet difficile qui impliquait l’audition, s’agissant de certains responsables visés par le rapport, de personnes particulièrement habiles et parfois soucieuses d’opacité.
On comprend très bien les ressorts d’une telle culture du secret : ces prétendus thérapeutes n’ont pas intérêt à ce que l’on démontre toute la malice, pour ne pas dire l’escroquerie, qui sous-tend bien souvent leurs activités.
Comme l’écrivait si bien Jean de La Fontaine :
« Le monde n’a jamais manqué de Charlatans :
« Cette science, de tout temps,
« Fut en Professeurs très fertile »
Force est de constater que les pratiques thérapeutiques non conventionnelles se développent aujourd’hui. Le rapport en fait état. Les Français sont de plus en plus friands de techniques de bien-être et de soins nés d’une imagination sans borne : fasciathérapie, kinésiologie, décodage biologique, ondiobiologie... pour ne citer que quelques exemples d’un immense marché très juteux.
Tout cela pourrait prêter à sourire. Malheureusement, plusieurs tragédies nous obligent à considérer ce phénomène avec vigilance et, surtout, à renforcer la réponse des pouvoirs publics. L’absence de soins ou l’injonction de soins fantaisistes par des pseudo-thérapeutes peut en effet conduire à la mort.
Bien entendu, nous ne sommes pas démunis face au phénomène sectaire en général. Plusieurs institutions mènent une lutte contre les dérives thérapeutiques et sectaires, mais, comme l’a très justement indiqué M. le rapporteur, la réponse est globalement insuffisante et des améliorations dans notre arsenal législatif et réglementaire s’imposent.
L’ampleur du phénomène et son expansion actuelle constituent un problème en soi. Les acteurs de ces dérives ont une forte capacité d’infiltration des esprits par des méthodes psychologiques assez traditionnelles, mais aussi par une exploitation de l’environnement technologique et institutionnel. Il faut le dire, nous sommes malheureusement face à des organisations intelligentes, ayant mis au point des stratagèmes de contamination et d’installation bien élaborés, qui tranchent d’ailleurs avec le caractère farfelu de leurs préconisations.
Mes chers collègues, vous le savez, ces organisations s’appuient sur les grandes angoisses collectives, qu’elles soient d’origine sanitaire, climatique ou économique, pour faire passer leur message apocalyptique et recruter encore plus d’adeptes. À l’échelon individuel, elles exploitent les fragilités ou les situations de détresse. La maladie est une porte d’entrée de choix pour ces gourous-guérisseurs, qui parviennent à faire sortir un grand nombre de nos concitoyens du circuit médical dit « conventionnel ».
Ce qui est plus récent, et qui constitue un sujet d’inquiétude, c’est l’utilisation invasive des nouvelles technologies, qui peut conduire tout utilisateur à accéder en un seul clic à ces thérapies douteuses sans les avoir forcément recherchées. Comme le démontre très bien le rapport de la commission d’enquête, Internet est une aubaine pour tous ces mouvements, qui, sous prétexte d’apporter le bien-être ou la guérison, inondent le Web de leurs publicités. Le nombre de sites référencés et leur indexation rusée nécessitent une action rigoureuse de la part des pouvoirs publics, pour en maîtriser le flux et en contrôler le contenu.
Dans cette perspective, la commission formule cinq propositions : certaines sont d’ordre technique ; d’autres sont à visée préventive ou même de nature juridique. Je pense en particulier à la possibilité d’étendre à la cyberpatrouille de la gendarmerie le dispositif des investigations sous pseudonyme.
Notre commission a également évoqué d’autres vecteurs de propagation des dérives thérapeutiques ou sectaires : la formation professionnelle et, dans une moindre mesure, l’hôpital ou l’université. Sur ce point, outre que nous devons protection à nos concitoyens tournés vers ces institutions, il est inadmissible que de l’argent public soit directement – s’agissant de la formation professionnelle – ou indirectement mobilisé pour le développement des pratiques non conventionnelles. Nous avons, là aussi, formulé un certain nombre de recommandations pour les dépister, et j’y souscris totalement.
La formation professionnelle devant faire prochainement l’objet d’une grande réforme, je pense que le Sénat ne manquera pas de travailler sur le contrôle du contenu des formations. En tout cas, les membres du RDSE seront vigilants sur ce volet.
Durant ces six mois d’enquête, nous avons également bien noté un processus qu’il faut, sinon interrompre, du moins ne pas alimenter en cédant à la quête de liberté thérapeutique. Les thérapeutes aux méthodes non conventionnelles ou sectaires sont à la recherche permanente d’une légitimité ou, à défaut, d’une respectabilité. Il est par conséquent important de les décrédibiliser, notamment par une action judiciaire rigoureuse.
Hélas ! les poursuites judiciaires contre les sectes se concrétisent peu, malgré l’existence d’un arsenal très complet. L’apport de la loi About-Picard, qui permet de réprimer le délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse, est essentiel. Mais notre droit protège aussi « la liberté de conscience », « le libre consentement », ce qui conduit les magistrats à la prudence. Si l’on ajoute à cela la difficulté à caractériser l’infraction, on comprend pourquoi les condamnations sont rares aujourd’hui.
Enfin, on observe que peu d’affaires arrivent devant la justice, parfois en raison de l’état de déni des victimes, mais aussi à cause du faible nombre des signalements faits par les institutions concernées. À l’issue de plusieurs auditions, nous avons constaté le peu de moyens humains, le relâchement du fonctionnement de certains des outils existants ou même leur déspécialisation. Je pense, par exemple, aux magistrats référents, souvent démobilisés, ou encore aux conseils départementaux de prévention de la délinquance, aux compétences trop larges pour être vraiment efficaces.
Mes chers collègues, la santé mentale et physique de milliers de nos concitoyens est en danger. La lutte contre les dérives thérapeutiques et les dérives sectaires est donc un combat urgent, qu’il nous faut mener sur plusieurs fronts, comme l’indique le rapport.
J’ajouterai que c’est aussi un combat républicain, car ces mouvements menacent une de nos valeurs fondamentales : la laïcité. Une conception moderne et exigeante de celle-ci nous oblige en effet à protéger les institutions des influences sectaires. Quand l’hôpital public ou l’université se laissent gagner par ces groupes sectaires, la neutralité des institutions de la République doit pouvoir leur être opposée afin de les empêcher de nuire. §