Cette idée est reprise aujourd'hui par des députés de la majorité ou de l’opposition irrités par un Sénat indépendant, frondeur et moins inféodé aux appareils des partis politiques. Combien de fois faudra-t-il rappeler que les groupes politiques sont antérieurs aux partis politiques ?
Mes chers collègues, n’oublions pas non plus le rapport sur la rénovation de la vie politique commis par le même ancien Premier ministre, dont les conclusions ne confortent guère notre assemblée. Mais pourquoi autant d’acharnement à notre égard, surtout que le Sénat a depuis fait la preuve que l’alternance y était aussi possible ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est évident que de telles attaques dénotent une incompréhension de notre système institutionnel tel que l’a voulu le constituant de 1958, mais tel aussi qu’il avait été conçu dès les lois constitutionnelles de 1875. Notre système parlementaire repose sur l’idée que le bicamérisme est indispensable, d’une part, pour pondérer les éventuels excès de la majorité de l’Assemblée nationale, surtout quand un seul groupe dispose de la majorité absolue à lui seul, et, d’autre part, pour s’assurer que le temps nécessaire à la réflexion aura été pris pour voter des lois a priori correctement rédigées.
Mais, surtout, le bicamérisme induit nécessairement que se noue un dialogue, que s’échangent des arguments qui vont nourrir un débat public consubstantiel à la démocratie, en tout cas celle à laquelle nous sommes attachés. En outre, le Sénat assure la continuité du Parlement par-delà les soubresauts, que l’on sait parfois versatiles, de l’opinion des électeurs. Nous n’avons ici rien inventé, puisque Montesquieu relevait déjà, après avoir observé le système institutionnel anglais, que le fait pour chaque chambre d’avoir la faculté d’« empêcher » l’autre participait de la séparation et de la pondération des pouvoirs.
Ces éléments nous conduisent à plaider pour que le Sénat, reconnu pour la qualité de ses travaux et son approche plus approfondie des sujets, continue à prendre toute sa place dans notre République. En tant que représentant des collectivités territoriales de la République au titre de l’article 24 de la Constitution, notre Sénat repose sur une légitimité différente de l’Assemblée nationale, sans pour autant lui être inférieure.