Je rejoins Marc Massion quand il s'agit de plaider en faveur d'une plus grande rigueur dans la gestion des crédits de fonctionnement de l'UE et j'en arrive, dans notre point d'étape sur les enjeux et les perspectives budgétaires de l'Union européenne, à la question des ressources propres du budget communautaire et à mes considérations sur le gouvernement économique de la zone euro. Ces aspects continueront de faire l'objet d'un suivi d'ici l'automne afin qu'à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2014, notre rapport sur le prélèvement européen soit enrichi en fonction de nouvelles informations.
Tout d'abord, je déplore que le système actuel des ressources propres complexe, opaque et injuste ait été largement reconduit par le futur CFP 2014-2020 ainsi qu'en a décidé le Conseil le 8 février 2013. Nous allons donc continuer avec le rabais britannique, les rabais sur ce rabais, les corrections sur la ressource propre TVA et, enfin, les chèques forfaitaires annuels. Ce système anti-communautaire, qui perpétue des logiques strictement nationales au détriment de toute intégration politique, est même renforcé puisque le Danemark bénéficiera d'un nouveau rabais sur sa contribution RNB, les rabais forfaitaires sur la contribution RNB accordés à la Suède et aux Pays-Bas sont augmentés, et l'Autriche a obtenu un nouveau rabais forfaitaire pour sa ressource TVA.
J'ajoute que les taux réduits de TVA dont bénéficiaient les Pays-Bas et la Suède sont alignés sur celui de l'Allemagne, soit une augmentation de 0,10 % à 0,15 %, les rapprochant du taux d'appel normal, fixé à 0,3 %, et, en échange de ce moindre taux réduit, les Pays-Bas et la Suède ont obtenu une hausse de leurs rabais forfaitaires sur la ressource TVA.
Enfin, le « chèque déguisé » en faveur des Pays-Bas, qui concerne les droits de douane essentiellement, est maintenu, bien que réduit. En effet, les frais de perception sur les ressources propres de l'UE que sont les droits de douane vont diminuer, mais seulement passer de 25 à 20 %, alors que les frais réels sont de l'ordre de 2 % du produit fiscal. Ces frais élevés profitent directement aux finances publiques néerlandaises.
J'ajoute que l'accord des chefs d'Etats et de gouvernement lors du Conseil du 8 février dernier devra être transposé dans une nouvelle décision ressources propres adoptée à l'unanimité des Etats membres. Sa ratification sera l'occasion de faire entendre nos arguments critiques contre ce système injuste et inefficace. Au fond le budget communautaire reste, derrière les procédures et l'affichage convenu, un système généralisé de « give my money back », illustration de la force des égoïsmes nationaux.
J'en viens maintenant à mes considérations sur le gouvernement économique de la zone euro. Les déplacements et les auditions que j'ai conduits avec Marc Massion m'ont permis d'approfondir cette année le travail entamé l'année dernière, dans le prolongement du rapport sur l'avenir de la zone euro que j'ai remis à François Fillon, alors Premier ministre. Son titre, « l'intégration politique ou le chaos », exprime l'alternative qui demeure. Dans ce rapport, remis le 6 mars 2012, j'ai formulé quelques propositions, notamment le projet de création d'un ministre de l'économie et des finances appuyé sur une véritable direction générale du Trésor européenne, ainsi que la mise en place d'une capacité renforcée de coordination budgétaire de la zone euro.
Or j'observe que des avancées en ce sens sont perceptibles, avec par exemple une meilleure harmonisation budgétaire, la mise en place de l'union bancaire et, enfin, la montée en puissance d'Eurostat et du MES, qui font figure, ainsi que je vais essayer de vous le démontrer, d'embryons de direction générale de la comptabilité publique et de direction du Trésor de l'Europe.
S'agissant tout d'abord d'Eurostat, je relève que ce service de la Commission européenne a fortement fait évoluer son rôle à l'occasion de la crise des dettes souveraines. D'une administration de statisticiens, experts en macroéconomie, Eurostat et ses 800 agents sont devenus les pionniers de la comptabilité publique européenne. Dans les ratios dette sur PIB ou déficit sur PIB, Eurostat avait traditionnellement la compétence d'une mesure des risques par rapport au dénominateur que constitue le produit intérieur brut, mais il a su se construire une expertise sur le numérateur que sont les comptes publics. Son département des comptes nationaux est ainsi passé en trois ans de quinze agents à cinquante-cinq agents et il traite dorénavant plus largement des « finances publiques » et non plus seulement des comptes, comme nous l'ont expliqué chez Eurostat son directeur général, Walter Radermacher, et son responsable des finances publiques, Gallo Gueye, que nous connaissions déjà puisqu'il était venu s'exprimer devant la commission des finances le 31 mars 2010.
Eurostat utilise des systèmes d'assurance qualité renforcés dans les Etats membres et propose désormais à la Commission européenne de dresser des amendes en cas de manipulation des statistiques nationales. Son indépendance, sans être organique, sera renforcée par le fait que son directeur général devienne « seul responsable de la production des statistiques ». Cette révolution du rôle et de la place d'Eurostat aurait dû être conduite plus tôt, soit dès 1999 pour la création de l'euro, soit après la première crise grecque de 2005, mais l'Allemagne n'a pas voulu réformer les règles d'Eurostat et elle a eu tort. Jusqu'au déclenchement de la crise des dettes souveraines, en 2009, les comptes publics étaient réputés souverainement sincères. La suite est connue.
Ce rendez-vous manqué a coûté fort cher, mais il est aujourd'hui en train d'être honoré. Il ne faut cependant pas nous arrêter là, nous avons la responsabilité de progresser sur la voie de l'harmonisation comptable. Nous savons que la France, à défaut d'équilibrer ses comptes publics, est exemplaire dans leur tenue et leur sincérité. Notre réunion de commission très instructive qui s'est tenue le 15 mai 2013 et relative aux engagements financiers hors bilan de l'Etat, en porte témoignage. Lors de cette réunion et suite à nos différentes rencontres lors de nos déplacement, nous avons bien compris que les normes comptables internationales ne pouvaient être appliquées telles quelles en Europe. C'est pourquoi la Commission européenne travaille en étroite relation avec la Cour des Comptes européenne et les cours des comptes nationales pour définir des normes, appelées European Public Sector Accounting Standards (EPSAS). Ces normes européennes permettront une normalisation de la présentation des comptes publics, une surveillance harmonisée des comptes publics européens et des diligences de certification qui garantissent la sincérité des comptes. En outre, ces normes seront issues de l'UE et de ses Etats membres et pas d'une entité privée plus ou moins légitime. Je suis convaincu que cette future direction générale de la comptabilité publique de l'Eurozone, voire de l'Union européenne, qui se dessine du côté d'Eurostat, sera un jalon majeur pour le progrès du gouvernement économique, financier et budgétaire de la zone euro.
Dans cet état d'esprit, avant d'agréer un nouvel Etat membre dans l'Union européenne et, à plus forte raison, dans la zone euro, il serait judicieux de vérifier qu'il respecte chacune des conditions requises, notamment en matière d'établissement de ses comptes publics.
J'en viens au Mécanisme européen de stabilité et au Fonds européen de stabilité financière (FESF), dans lesquels je vois les prémisses d'une direction générale du Trésor de la zone euro. En effet, lors de notre déplacement à Luxembourg, j'ai été frappé par le fait que ces institutions dirigées par Klaus Regling et qui représenteront 120 agents d'ici la fin 2013, veillent à se coordonner avec les directions du Trésor des Etats de l'Eurogroupe. Ainsi, ses émissions de titres font l'objet d'un calendrier préparé en amont avec l'ensemble des Etats concernés. Voilà un autre exemple concret de gouvernance européenne des finances publiques, véritable préfiguration de l'union budgétaire. Derrière les 188 milliards d'euros de prêts du FESF - destinés à la Grèce, au Portugal et à l'Irlande - et les 700 milliards d'euros de capital du MES - dont 80 sont effectivement appelés, et serviront à l'Espagne et à Chypre, et 620 correspondent au capital appelable - se dessine, mes chers collègues, une capacité budgétaire de la zone euro.
La mutualisation des dettes souveraines, si elle advient, passera par le MES, bien que la perspective des eurobonds soit à ce stade plutôt lointaine. Pour le moment, nous devons déjà progresser sur le chantier de l'union bancaire, qui constituera un progrès prometteur. Le MES devrait, en outre, rapidement avoir le droit de recapitaliser directement les banques et Klaus Regling nous a expliqué qu'une telle procédure conduira le MES à participer aux conseils d'administration des structures concernées et à exercer son droit de vote.
Pour conclure, j'ajoute que pour devenir une direction générale du Trésor de la zone euro, le MES devra aussi se doter d'une expertise en matière d'analyse économique et jouer un rôle préventif à travers le conseil aux Etats membres. L'euro a été jusqu'aujourd'hui un anesthésiant, mais une monnaie ne suffit pas à faire un projet politique et c'est pourquoi je plaide, conjointement, pour un véritable budget européen ainsi que pour une véritable gouvernance économique, financière et budgétaire de la zone euro. Hier, auditionné par notre commission, le vice-président de la Commission européenne en charge des affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, nous a déclaré son attachement à la méthode communautaire. Il a toutefois reconnu la spécificité de la zone euro en ce qu'elle établit entre les dix-sept Etats qui en sont membres un niveau de solidarité sans commune mesure avec celui qui lie les vingt-sept membres de l'Union européenne. C'est pour cela que j'ai cru devoir vous rendre compte des progrès significatifs que j'ai observés à l'occasion des travaux que je mène avec Marc Massion. Je reviendrai sur ces points cet automne lors de la discussion de la loi de finances initiale. L'Europe doit se montrer à la hauteur des enjeux et relever le défi de sa responsabilité historique.