Au cours d'une première réunion tenue le matin, la commission nomme tout d'abord M. François Marc rapporteur sur la proposition de résolution européenne n° 624 (2012-2013) de M. Richard Yung, adoptée par la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur la réforme européenne des indices de taux.
La commission entend ensuite une communication de MM. Jean Arthuis et Marc Massion, rapporteurs spéciaux, sur les enjeux et les perspectives budgétaires de l'Union européenne.
Jean Arthuis et moi-même avons souhaité, avant l'examen de la contribution française au budget communautaire dans le projet de loi de finances pour 2014, vous présenter un point d'étape sur les enjeux et les perspectives budgétaires de l'Union européenne (UE). Ces éléments feront l'objet d'une reprise plus approfondie dans notre rapport de cet automne sur le prélèvement européen opéré sur les recettes de l'Etat. Nous mettrons ce matin l'accent sur trois aspects : les dépenses administratives de l'UE, les ressources propres du budget communautaire et, enfin, les enjeux du gouvernement économique de la zone euro. Je vais vous présenter le premier point, tandis que mon co-rapporteur abordera les deux suivants.
Ce point d'étape fait suite à plusieurs déplacements qui ont permis de nombreuses auditions, Jean Arthuis et moi-même ayant en effet décidé de rencontres plus fréquentes avec les responsables des institutions européennes.
Ainsi en trois déplacements à Bruxelles et à Luxembourg, nous avons entendu :
- des responsables de la représentation permanente de la France auprès de l'UE et, par exemple, de son agence financière ;
- des représentants du Conseil européen, du Parlement européen, de la Commission européenne, notamment d'Eurostat, de la Cour des comptes européenne, du Mécanisme européen de stabilité (MES) et d'un think tank.
J'en viens maintenant aux dépenses administratives de l'Union européenne, qui correspondent à la rubrique 5 du budget communautaire. En effet, ce dernier est réparti entre cinq rubriques, que je vous rappelle pour mémoire en vous indiquant leur part dans le futur budget de l'UE : la rubrique 1 « Croissance intelligente et inclusive » est répartie en deux sous-rubriques, qu'il convient de bien distinguer : la rubrique 1a consacrée aux dépenses de compétitivité, 13 % du futur budget de l'UE, et la rubrique 1b dédiée aux dépenses de cohésion, 34 % ; la rubrique 2 a trait aux « ressources naturelles » et retrace le budget de la politique agricole commune (PAC), paiements directs comme aides du deuxième pilier, avec un total de 39 % du futur budget communautaire ; la rubrique 3, marginale avec seulement 1,6 % du budget total, récapitule les crédits consacrés à la sécurité et à la citoyenneté ; la rubrique 4 « actions extérieures », 6 % ; la rubrique 5 « administration », avec 6,4 % du futur budget de l'UE.
Il s'agit donc pour cette rubrique, regroupant les dépenses administratives de l'Union européenne, de 61,6 milliards d'euros, dans le futur cadre 2014-2020, soit environ 9 milliards d'euros par an. Le Conseil européen des 7 et 8 février 2013 est parvenu à un accord, fixant le cadre financier pluriannuel (CFP) à 960 milliards d'euros en engagement (CE) et 908,4 milliards d'euros en paiement (CP), soit un écart de 51,6 milliards d'euros. L'écart entre les engagements et les paiements n'aidera donc pas à la résolution de la question des restes à liquider (RAL), qui s'élèvent à 200 milliards d'euros environ. Alors que le Conseil a raboté de 8 % la proposition de la Commission européenne, je relève que le montant inscrit pour la rubrique 5 n'a quasiment pas été modifié. J'ajoute que, depuis février, la discussion entre le Conseil et le Parlement européen ne porte pas sur les montants mais sur la flexibilité du budget - entre rubriques et entre années - ainsi que sur l'introduction d'une clause obligatoire de révision.
Bien que la rubrique 5 et ses 61,6 milliards d'euros représente une part mineure du budget communautaire, il nous a semblé utile de réaliser un travail plus approfondi sur ces crédits, qui correspondent aux dépenses de personnel et de pensions, aux frais de fonctionnement courant, mais aussi à la politique immobilière. Elles permettent de financer les institutions de l'Union européenne (Commission, Conseil, Parlement européen, Cour de justice, Cour des comptes européenne, Médiateur européen, Comité économique et social, Comité des régions et Service européen pour l'action extérieure) ainsi que les subventions aux écoles européennes. Le revenu mensuel moyen d'un agent de l'UE s'élève à 6 500 euros nets tandis que la pension moyenne serait de l'ordre de 6 000 euros par mois, ce niveau de rémunération devant beaucoup à la sur-représentation des cadres A dans la fonction publique communautaire, soit 26 000 sur 38 500 fonctionnaires permanents.
En 2012, la seule masse salariale de l'Union a atteint globalement un montant de près de 4 milliards d'euros, pour environ 55 000 agents. A titre de comparaison, pour un nombre d'agents sensiblement équivalent à ceux de la ville de Paris, cette masse salariale représente près du double en coût de personnel.
Il ressort de notre travail d'investigation, d'une part, qu'une réforme de l'administration européenne est en cours et qu'elle doit permettre de mieux maîtriser ces coûts et, d'autre part, que les dépenses de fonctionnement de l'UE sont sous-estimées puisque les dépenses liées aux agences ne sont pas récapitulées dans la rubrique 5, à l'exception du centre de traduction de l'Union européenne.
Du côté de la maîtrise des coûts, j'ai observé qu'en effet, l'élargissement de quinze à vingt-sept Etats membres, avec notamment le passage de onze langues officielles en 2003 à vingt-trois en 2007, l'arrivée de la Croatie au 1er juillet 2013 et, enfin, la gestion d'un volume global de dépenses plus élevé représentent des facteurs haussiers pour la rubrique 5, qui influent directement sur les besoins en personnel des institutions européennes. Puisque l'Europe ne peut pas se placer en dehors des efforts exigés en matière d'assainissement des finances publiques, elle s'est engagée dans une réforme administrative que nous suivrons de près. Il est nécessaire de réaliser des gains d'efficacité en dépensant mieux et de procéder à des redéploiements de postes. La Commission va plus loin puisqu'elle prévoit la réduction du personnel des institutions de 5 % d'ici 2018 par rapport à 2012, en ne remplaçant pas la totalité des départs à la retraite (40 % de non-remplacement). Cela représente 2 500 postes en moins, soit une réduction de 500 par an. La Commission propose également de modifier le statut du personnel communautaire, essentiellement autour de trois axes : porter la durée de travail hebdomadaire de 37,5 heures à 40 heures sans compensation salariale ; repousser l'âge de départ à la retraite de 63 à 65 ans et l'âge de départ à la retraite anticipée de 55 à 58 ans tout en incitant financièrement au maintien en activité jusqu'à 67 ans ; revoir la méthode annuelle d'ajustement des salaires et des pensions et ralentir les sauts d'échelon.
Et je note qu'en dépit de cette réforme, le statut du personnel communautaire ne devrait toujours pas prévoir de jour de carence en cas de congés maladie.
Pour ce qui concerne la sous-estimation des dépenses administratives, je précise que la rubrique 5 ne retrace pas les dépenses liées aux agences européennes, au nombre de cinquante-deux et qui sont ventilées entre les autres rubriques budgétaires. Ces structures, souvent réparties sur le territoire des différents États membres, regroupent 8 000 agents environ, soit une part non négligeable de la totalité des 55 000 que compte l'UE. Un effort particulier doit être fourni pour rationaliser ces agences, comme l'avait proposé en 2009 mon prédécesseur et ancien collègue Denis Badré à l'occasion d'un contrôle sur les agences européennes. Je m'inscris à cet égard dans la continuité de son travail.
Une remarque sur la question des pensions des personnels de l'UE avant de conclure : le coût annuel des pensions est aujourd'hui de 1,4 milliard d'euros, pour 17 000 retraités. Or, en raison de l'augmentation des départs à la retraite, cette charge va progresser régulièrement et devrait atteindre 2,5 milliards d'euros par an au cours des trente prochaines années. Et selon la Commission européenne, la dette des Etats membres pour honorer, grâce au budget communautaire, les droits des personnels de l'Union au titre des pensions s'élèveraient à ce jour à 37 milliards d'euros. Ce point devra donc être suivi avec vigilance.
En conclusion, je souhaite vous parler du coût du multilinguisme, évalué à environ un milliard d'euros par an. On relève 6 000 interprètes et traducteurs dans l'ensemble des institutions de l'UE, dont environ 2 500 pour la Commission européenne et 2 000 pour le Parlement européen. Le multilinguisme est certes un atout pour la construction européenne mais son coût devrait nous interroger sur l'avenir de la place de nos bientôt vingt-quatre langues officielles. J'ai constaté que le MES, dont Jean Arthuis va nous parler tout de suite, ne faisait pas de traduction du tout et ne travaillait, à l'écrit comme à l'oral, qu'en anglais. Je ne plaide bien évidemment pas pour ce monopole de l'anglais dans le fonctionnement de l'UE, mais je suis convaincu qu'un juste milieu est possible entre le multilinguisme actuel et l'organisation retenue par le MES. La diversité linguistique ne doit pas être un obstacle à la bonne gestion des finances publiques, de plus en plus impérative.
Je rejoins Marc Massion quand il s'agit de plaider en faveur d'une plus grande rigueur dans la gestion des crédits de fonctionnement de l'UE et j'en arrive, dans notre point d'étape sur les enjeux et les perspectives budgétaires de l'Union européenne, à la question des ressources propres du budget communautaire et à mes considérations sur le gouvernement économique de la zone euro. Ces aspects continueront de faire l'objet d'un suivi d'ici l'automne afin qu'à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2014, notre rapport sur le prélèvement européen soit enrichi en fonction de nouvelles informations.
Tout d'abord, je déplore que le système actuel des ressources propres complexe, opaque et injuste ait été largement reconduit par le futur CFP 2014-2020 ainsi qu'en a décidé le Conseil le 8 février 2013. Nous allons donc continuer avec le rabais britannique, les rabais sur ce rabais, les corrections sur la ressource propre TVA et, enfin, les chèques forfaitaires annuels. Ce système anti-communautaire, qui perpétue des logiques strictement nationales au détriment de toute intégration politique, est même renforcé puisque le Danemark bénéficiera d'un nouveau rabais sur sa contribution RNB, les rabais forfaitaires sur la contribution RNB accordés à la Suède et aux Pays-Bas sont augmentés, et l'Autriche a obtenu un nouveau rabais forfaitaire pour sa ressource TVA.
J'ajoute que les taux réduits de TVA dont bénéficiaient les Pays-Bas et la Suède sont alignés sur celui de l'Allemagne, soit une augmentation de 0,10 % à 0,15 %, les rapprochant du taux d'appel normal, fixé à 0,3 %, et, en échange de ce moindre taux réduit, les Pays-Bas et la Suède ont obtenu une hausse de leurs rabais forfaitaires sur la ressource TVA.
Enfin, le « chèque déguisé » en faveur des Pays-Bas, qui concerne les droits de douane essentiellement, est maintenu, bien que réduit. En effet, les frais de perception sur les ressources propres de l'UE que sont les droits de douane vont diminuer, mais seulement passer de 25 à 20 %, alors que les frais réels sont de l'ordre de 2 % du produit fiscal. Ces frais élevés profitent directement aux finances publiques néerlandaises.
J'ajoute que l'accord des chefs d'Etats et de gouvernement lors du Conseil du 8 février dernier devra être transposé dans une nouvelle décision ressources propres adoptée à l'unanimité des Etats membres. Sa ratification sera l'occasion de faire entendre nos arguments critiques contre ce système injuste et inefficace. Au fond le budget communautaire reste, derrière les procédures et l'affichage convenu, un système généralisé de « give my money back », illustration de la force des égoïsmes nationaux.
J'en viens maintenant à mes considérations sur le gouvernement économique de la zone euro. Les déplacements et les auditions que j'ai conduits avec Marc Massion m'ont permis d'approfondir cette année le travail entamé l'année dernière, dans le prolongement du rapport sur l'avenir de la zone euro que j'ai remis à François Fillon, alors Premier ministre. Son titre, « l'intégration politique ou le chaos », exprime l'alternative qui demeure. Dans ce rapport, remis le 6 mars 2012, j'ai formulé quelques propositions, notamment le projet de création d'un ministre de l'économie et des finances appuyé sur une véritable direction générale du Trésor européenne, ainsi que la mise en place d'une capacité renforcée de coordination budgétaire de la zone euro.
Or j'observe que des avancées en ce sens sont perceptibles, avec par exemple une meilleure harmonisation budgétaire, la mise en place de l'union bancaire et, enfin, la montée en puissance d'Eurostat et du MES, qui font figure, ainsi que je vais essayer de vous le démontrer, d'embryons de direction générale de la comptabilité publique et de direction du Trésor de l'Europe.
S'agissant tout d'abord d'Eurostat, je relève que ce service de la Commission européenne a fortement fait évoluer son rôle à l'occasion de la crise des dettes souveraines. D'une administration de statisticiens, experts en macroéconomie, Eurostat et ses 800 agents sont devenus les pionniers de la comptabilité publique européenne. Dans les ratios dette sur PIB ou déficit sur PIB, Eurostat avait traditionnellement la compétence d'une mesure des risques par rapport au dénominateur que constitue le produit intérieur brut, mais il a su se construire une expertise sur le numérateur que sont les comptes publics. Son département des comptes nationaux est ainsi passé en trois ans de quinze agents à cinquante-cinq agents et il traite dorénavant plus largement des « finances publiques » et non plus seulement des comptes, comme nous l'ont expliqué chez Eurostat son directeur général, Walter Radermacher, et son responsable des finances publiques, Gallo Gueye, que nous connaissions déjà puisqu'il était venu s'exprimer devant la commission des finances le 31 mars 2010.
Eurostat utilise des systèmes d'assurance qualité renforcés dans les Etats membres et propose désormais à la Commission européenne de dresser des amendes en cas de manipulation des statistiques nationales. Son indépendance, sans être organique, sera renforcée par le fait que son directeur général devienne « seul responsable de la production des statistiques ». Cette révolution du rôle et de la place d'Eurostat aurait dû être conduite plus tôt, soit dès 1999 pour la création de l'euro, soit après la première crise grecque de 2005, mais l'Allemagne n'a pas voulu réformer les règles d'Eurostat et elle a eu tort. Jusqu'au déclenchement de la crise des dettes souveraines, en 2009, les comptes publics étaient réputés souverainement sincères. La suite est connue.
Ce rendez-vous manqué a coûté fort cher, mais il est aujourd'hui en train d'être honoré. Il ne faut cependant pas nous arrêter là, nous avons la responsabilité de progresser sur la voie de l'harmonisation comptable. Nous savons que la France, à défaut d'équilibrer ses comptes publics, est exemplaire dans leur tenue et leur sincérité. Notre réunion de commission très instructive qui s'est tenue le 15 mai 2013 et relative aux engagements financiers hors bilan de l'Etat, en porte témoignage. Lors de cette réunion et suite à nos différentes rencontres lors de nos déplacement, nous avons bien compris que les normes comptables internationales ne pouvaient être appliquées telles quelles en Europe. C'est pourquoi la Commission européenne travaille en étroite relation avec la Cour des Comptes européenne et les cours des comptes nationales pour définir des normes, appelées European Public Sector Accounting Standards (EPSAS). Ces normes européennes permettront une normalisation de la présentation des comptes publics, une surveillance harmonisée des comptes publics européens et des diligences de certification qui garantissent la sincérité des comptes. En outre, ces normes seront issues de l'UE et de ses Etats membres et pas d'une entité privée plus ou moins légitime. Je suis convaincu que cette future direction générale de la comptabilité publique de l'Eurozone, voire de l'Union européenne, qui se dessine du côté d'Eurostat, sera un jalon majeur pour le progrès du gouvernement économique, financier et budgétaire de la zone euro.
Dans cet état d'esprit, avant d'agréer un nouvel Etat membre dans l'Union européenne et, à plus forte raison, dans la zone euro, il serait judicieux de vérifier qu'il respecte chacune des conditions requises, notamment en matière d'établissement de ses comptes publics.
J'en viens au Mécanisme européen de stabilité et au Fonds européen de stabilité financière (FESF), dans lesquels je vois les prémisses d'une direction générale du Trésor de la zone euro. En effet, lors de notre déplacement à Luxembourg, j'ai été frappé par le fait que ces institutions dirigées par Klaus Regling et qui représenteront 120 agents d'ici la fin 2013, veillent à se coordonner avec les directions du Trésor des Etats de l'Eurogroupe. Ainsi, ses émissions de titres font l'objet d'un calendrier préparé en amont avec l'ensemble des Etats concernés. Voilà un autre exemple concret de gouvernance européenne des finances publiques, véritable préfiguration de l'union budgétaire. Derrière les 188 milliards d'euros de prêts du FESF - destinés à la Grèce, au Portugal et à l'Irlande - et les 700 milliards d'euros de capital du MES - dont 80 sont effectivement appelés, et serviront à l'Espagne et à Chypre, et 620 correspondent au capital appelable - se dessine, mes chers collègues, une capacité budgétaire de la zone euro.
La mutualisation des dettes souveraines, si elle advient, passera par le MES, bien que la perspective des eurobonds soit à ce stade plutôt lointaine. Pour le moment, nous devons déjà progresser sur le chantier de l'union bancaire, qui constituera un progrès prometteur. Le MES devrait, en outre, rapidement avoir le droit de recapitaliser directement les banques et Klaus Regling nous a expliqué qu'une telle procédure conduira le MES à participer aux conseils d'administration des structures concernées et à exercer son droit de vote.
Pour conclure, j'ajoute que pour devenir une direction générale du Trésor de la zone euro, le MES devra aussi se doter d'une expertise en matière d'analyse économique et jouer un rôle préventif à travers le conseil aux Etats membres. L'euro a été jusqu'aujourd'hui un anesthésiant, mais une monnaie ne suffit pas à faire un projet politique et c'est pourquoi je plaide, conjointement, pour un véritable budget européen ainsi que pour une véritable gouvernance économique, financière et budgétaire de la zone euro. Hier, auditionné par notre commission, le vice-président de la Commission européenne en charge des affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, nous a déclaré son attachement à la méthode communautaire. Il a toutefois reconnu la spécificité de la zone euro en ce qu'elle établit entre les dix-sept Etats qui en sont membres un niveau de solidarité sans commune mesure avec celui qui lie les vingt-sept membres de l'Union européenne. C'est pour cela que j'ai cru devoir vous rendre compte des progrès significatifs que j'ai observés à l'occasion des travaux que je mène avec Marc Massion. Je reviendrai sur ces points cet automne lors de la discussion de la loi de finances initiale. L'Europe doit se montrer à la hauteur des enjeux et relever le défi de sa responsabilité historique.
Si l'on peut ne pas partager l'option d'un renforcement de l'union politique en Europe - j'y suis, pour ma part, profondément hostile pour des raisons de principe -, il faut néanmoins saluer l'important travail qui vient d'être présenté par nos rapporteurs spéciaux...
Nous avons entendu hier Olli Rehn, commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires. Il me semble difficilement imaginable qu'un membre de la commission européenne puisse porter, devant la population, une politique. Le doute est permis. En tout état de cause, l'existence de divergences de doctrine au sein de notre commission s'agissant de l'avenir de l'Europe n'empêche pas de mener une analyse approfondie sur ces vrais sujets, souvent éludés par les responsables politiques de tout bord.
Mes chers collègues, je vous propose de présenter maintenant ma communication sur la situation économique et financière de la Slovénie afin que nous ayons ensuite un débat d'ensemble sur cette séquence européenne.
La commission donne acte de leur communication à MM. Marc Massion et Jean Arthuis, rapporteurs spéciaux.
Puis la commission entend une communication de M. Philippe Marini, président, sur la situation économique et financière de la Slovénie.
Je vais, maintenant, présenter une brève communication sur la situation économique et financière de la Slovénie. La publication, en mars dernier, du rapport de la mission du Fonds monétaire international (FMI), dite « de l'article IV », sur la Slovénie a conduit à s'interroger sur le cas slovène ; celle-ci a, en effet, été perçue comme le « prochain Chypre ». Il était supposé que la situation économique et budgétaire de ce pays allait rendre nécessaire une assistance financière de la « troïka » - composée de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du FMI.
Au cours d'un déplacement d'une journée, j'ai cherché à déterminer précisément l'état de l'économie de la Slovénie et la situation budgétaire du pays. Aussi, j'ai notamment rencontré le ministre des finances, le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, le gouverneur de la Banque de Slovénie ainsi que plusieurs experts.
La Slovénie appartient aux « petits pays » de l'Union européenne : elle compte deux millions d'habitants et son PIB était de 35,5 milliards d'euros en 2012.
Mon premier constat a été que toute comparaison avec Chypre ou l'Irlande serait fallacieuse et relèverait de la simplification. Contrairement à ces derniers, la Slovénie n'a pas nourri de « bulle » ; d'ailleurs, son système financier demeure peu développé : il ne représente aujourd'hui que 130 % du PIB environ. Elle a connu une transition douce entre un système administré et l'économie de marché. Aussi, un haut niveau de protection sociale a été maintenu aux côtés d'un secteur public important. L'on a, en quelque sorte, gardé les habitudes de l'ancien temps. Par ailleurs, la Banque centrale a mené une politique prudente et les institutions financières n'ont pas développé de produits financiers complexes ; le financement de l'économie est resté principalement bancaire.
La crise économique a conduit à l'effondrement d'un édifice fragile et a fait apparaître un haut niveau de créances douteuses, entraînant des réactions de défiance et la mobilisation des organisations internationales.
L'Etat est intervenu afin de recapitaliser les entreprises, financières ou non-financières, provoquant une dégradation des finances publiques. Nous sommes face à un cas d'école pour ce qui est des connexions pouvant exister entre le système bancaire et la dette publique.
Dès lors, ce qui était présenté comme le « miracle slovène » - la Slovénie a connu une croissance moyenne de 4 % entre 1994 et 2004 - n'était, en réalité, que le fruit d'une croissance déséquilibrée. Moi-même, en 2006, soit à la veille de l'entrée de ce pays dans la zone euro, j'avais présenté à la commission des finances un rapport intitulé « La Slovénie : le bon élève discret du dernier élargissement ».
Le PIB slovène s'est contracté de 2,3 % au cours de l'année 2012. Selon la Commission européenne, celui-ci devrait encore décroître de 2 % en 2013 avant de se stabiliser en 2014.
Le déficit public atteindrait 7,9 % du PIB en 2013 et la dette publique s'élèverait, quant à elle, à 61,8 % du PIB. Si la dette ne représente encore qu'une faible part du PIB, celle-ci pourrait exploser dans l'hypothèse où l'Etat aurait à supporter le coût des prêts non performants détenus par le secteur bancaire.
Les projections de dette et de déficit publics retenues par le gouvernement paraissent néanmoins fragiles. En effet, elles reposent sur une prévision de recapitalisation du secteur bancaire de 900 millions d'euros. Or, les besoins de recapitalisation sont évalués à 1,9 milliard d'euros par l'OCDE et à 2,8 milliards d'euros par certains experts indépendants. Si une hypothèse pessimiste - mais réaliste - du besoin de recapitalisation du secteur bancaire est retenue, le déficit public pourrait atteindre 5 milliards d'euros en 2013, soit 14 % du PIB.
Dans ces conditions, il y aurait lieu de s'interroger sur la capacité de la Slovénie à procéder à la recapitalisation des banques sans aide financière.
En effet, nul ne connaît précisément le montant des créances douteuses, ce qui ne peut qu'inciter à la prudence. Elles représenteraient près du quart des prêts accordés aux entreprises non-financières. Les créances douteuses sont évaluées à 6,9 milliards d'euros, soit 19 % du PIB slovène.
En Slovénie, il est aujourd'hui politiquement correct d'affirmer que le pays a la capacité de « s'en sortir seul », sans assistance financière internationale, à la condition toutefois que des efforts stricts soient réalisés.
Force est de constater le sérieux de la Slovénie. En effet, des mesures courageuses ont été adoptées : baisse des salaires du secteur public, voire désindexation ou suppression de certaines prestations sociales. Le taux de base de la TVA sera relevé, à compter du 1er juillet de cette année, de 20 % à 22 % et le taux réduit passera de 8,5 % à 9,5 %.
Par ailleurs, à la fin du mois de mai, le Parlement s'est payé le luxe d'inscrire dans la Constitution une « règle d'or » budgétaire. Néanmoins, les modalités d'application de cette dernière n'ont pas encore été précisées et devraient l'être dans le cadre d'une loi organique à venir, ce qui nous rappelle, à bien des égards, des exercices du même type qui se sont déroulés en d'autres lieux.
Il est intéressant de noter que c'est le même Parlement, dans une composition inchangée, qui a récemment institué un gouvernement de centre-gauche après avoir adopté une motion de défiance constructive à l'encontre de la précédente équipe gouvernementale, de centre-droit.
Le 8 mai dernier, le gouvernement a établi une liste de quinze entreprises devant être privatisées, comprenant notamment la deuxième banque du pays. Toutefois, il est difficile, à ce jour, de connaître la valeur réelle de ces actifs. C'est pourquoi il me semble qu'il est nécessaire de procéder à la restructuration des entreprises détenues par l'Etat avant de les privatiser. Il ne faut, en effet, pas engager un processus de privatisation dans le seul but d'envoyer un signal positif aux institutions européennes, et ce sans tenir compte de l'économie réelle. Enfin, il est indispensable qu'un changement soit opéré s'agissant des liens qui existent entre l'économie et le monde politique.
En tout état de cause, les efforts engagés par le gouvernement slovène semblent avoir, dans une certaine mesure, rassuré les marchés financiers. Ainsi, en mai dernier, la Slovénie a émis des bons du Trésor pour un montant de 3,5 milliards de dollars - dont 1 milliard de dollars de bons à 5 ans à un taux d'intérêt de 4,75 % et 2,5 milliards de dollars de bons à 10 ans à un taux d'intérêt de 5,85 %. Ceci peut être d'autant plus perçu comme une réussite qu'au cours de l'émission, l'agence de notation Moody's a dégradé la note slovène. C'est certainement l'un des plus grands scandales concernant les agences de notation !
Comme le dit souvent Jean Arthuis - et même si je ne suis pas favorable au renforcement de l'union politique en Europe - les Etats de la zone euro ne peuvent pas rester indifférents à la situation financière des autres Etats de la zone. Nous sommes solidaires de la Slovénie.
C'est un aspect des choses qui est souvent ignoré, mais qui nous place devant nos responsabilités, voire nos lâchetés collectives.
Je souhaiterais, maintenant, ouvrir le débat en rappelant que Jean Arthuis a appelé à une évolution de la gouvernance européenne - indiquant à cet égard que des amorces de directions générales se mettaient en place -, et même à l'institution d'un ministre de l'économie de la zone euro. Sur ce dernier point, peut-être faudrait-il regarder ce que peut réellement faire le ministre des affaires étrangères de l'Union pour entrevoir quelles seraient les possibilités ouvertes à un ministre des finances européen... Enfin, pourrait-on aborder la question du régime fiscal des fonctionnaires européens ?
Les négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP), dont le montant s'élève à 960 milliards d'euros en engagements, sont difficiles, le Parlement européen n'étant toujours pas convaincu. En effet, un blocage persiste sur la question de la flexibilité de ce cadre budgétaire.
Je souhaite qu'un point soit fait sur les restes à liquider (RAL), il s'agirait d'environ 200 milliards d'euros pas encore payés. A ma connaissance, il s'agit surtout de crédits destinés à la politique de cohésion, mais dont la France ne sera pas bénéficiaire. N'espérons donc pas pouvoir en réclamer une partie.
Je souligne que le projet de CFP présente des points positifs. L'acquis principal réside dans le maintien de la politique agricole commune (PAC), ce volet ayant été particulièrement bien négocié par le Gouvernement. La plupart des dispositifs seront conservés mais feront l'objet d'un « verdissement » de même qu'il sera procédé à une modulation et à un plafonnement selon la taille des exploitations. De même, la politique de cohésion restera effective et Erasmus sera renforcé avec la création d'Erasmusplus.
En revanche, l'Europe demeure trop frileuse s'agissant de notre sujet de préoccupation que sont les dépenses de croissance et les politiques d'innovation et d'emploi, et en particulier d'emploi des jeunes. Il serait pertinent de créer des effets de levier à travers des dispositifs européens d'investissement. Deux avancées peuvent être mentionnées. Je relève tout d'abord que les project bonds seront expérimentés dans cinq pays dont la France, ce qui permettra d'accroître nos moyens en faveur de la construction d'infrastructures. La recapitalisation de la Banque européenne d'investissement (BEI) constitue un autre signal positif : on estime ainsi que 9 milliards d'euros supplémentaires d'investissement sur trois ans pourront être dégagés au profit de la France.
Je plaide pour une attitude optimiste vis-à-vis de l'Union européenne. Il faut faire de son budget un levier et élaborer d'autres outils à côté du budget strictement dit. Le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 27 et 28 juin 2013, qui se tient ce soir, sera l'occasion d'échanger avec le Gouvernement à ce sujet. A rebours d'une philosophie libérale qui bride aujourd'hui le volontarisme politique, je me déclare favorable à l'augmentation des moyens permettant le retour de l'emploi et de la croissance.
Je précise que le budget communautaire ne ressemble pas à grand chose : chacun vient dans les négociations armé de sa contribution et de sa stratégie pour payer moins et obtenir plus. Cette procédure est révélatrice de l'expression des égoïsmes nationaux caractérisant l'Europe. Cette dernière m'évoque une table de casino, dont la Commission serait le croupier récupérant 7 % des mises et dans laquelle chacun cherche à maximiser son retour. C'est la logique « I want my money back ». Ce système est d'autant plus inefficace que la structure du budget de l'UE remonte à plus de trente ans.
A la différence du rapporteur général, je ne crois pas que les project bonds permettront de résoudre les difficultés, il ne s'agit que d'une façon différente de dépenser un peu plus. Et l'on aurait tort de sous-estimer la nécessité des efforts à consentir en matière de réduction des dépenses de fonctionnement dans l'UE.
En réponse au président, j'indique qu'il existe bien une fiscalité applicable aux fonctionnaires européens. Un impôt est perçu, au profit du budget communautaire, sur le traitement des agents de l'UE. D'après les informations qui m'ont été communiquées, le barème d'imposition serait proche des taux applicables en Belgique.
Je voudrais formuler une remarque personnelle. Lors de mes premières années d'engagement politique, je me souviens qu'un véritable projet était attaché à la construction communautaire. Nous envisagions la citoyenneté européenne comme une perspective riche de promesses. Nous sommes aujourd'hui loin de cet idéal. A l'inverse, les Conseils européens sont devenus des lieux où chaque pays vient faire son marché. La France aurait sauvé la PAC dit-on, mais il n'y a pas à s'en réjouir outre mesure puisqu'il n'est en effet pas sûr que cette politique profite aux agriculteurs les plus en difficulté. De même, il a été choisi de reconduire les rabais, au mépris du projet communautaire. S'il est sans doute trop tard pour réformer rapidement l'UE, nous pouvons faire progresser la zone euro à court terme. Il est urgent de mettre en place une véritable gouvernance politique et économique en son sein.
Pour répondre au rapporteur général, je précise que la négociation sur le futur CFP 2014-2020 continue. Des trilogues réunissant la Commission, le Conseil et le Parlement européen ont eu lieu mais n'ont toujours pas abouti à un accord parce que les parlementaires européens ne sont prêts à aucune concession sur l'exigence d'une flexibilité accrue du budget communautaire. Le Conseil des 27 et 28 juin prochains devrait toutefois permettre de rapprocher les points de vue.
Sur les RAL, je retiens surtout qu'ils témoignent du cumul des écarts entre les crédits d'engagement et les crédits de paiement. Ils nécessitent chaque année des ouvertures de crédits par des budgets rectificatifs, ce qui impacte directement notre contribution nationale. Il s'agit par exemple, sur le seul exercice 2013, de près de 2 milliards d'euros supplémentaires que la France devra verser. Ce mode de gestion n'est pas satisfaisant et il vaudrait mieux être plus sincère dans la préparation des projets de budget initiaux.
Je salue le travail pédagogique et très documenté des rapporteurs spéciaux. Je me demande s'il existe des quotas nationaux dans le recrutement des fonctionnaires européens, ce ne serait pas étonnant compte tenu des tractations entre Etats membres dont Jean Arthuis a fait état. Par ailleurs, je suis surpris du fait que les Pays-Bas récupèrent une part substantielle des droits de douane grâce à la seule importance de leurs installations portuaires. Enfin, je me félicite des progrès en matière de surveillance et d'harmonisation des budgets nationaux. Nous pouvons en effet nous réjouir du rôle d'Eurostat. Je m'interroge sur ses moyens d'investigation, face aux fraudes éventuelles, ainsi que sur les suites données à ces observations.
Le président a décrit un système bancaire slovène fragile. Jeroen Dijsselbloem, président de l'Eurogroupe, a également indiqué qu'il avait des inquiétudes concernant la situation financière d'un certain nombre de banques en Europe. Aussi souhaiterais-je savoir quelle politique sera menée, en Slovénie, afin de « nettoyer » le bilan des banques et, en outre, qui devra payer pour cette opération ? Je souhaite que soit également abordée la question de la mise en place de la taxe sur les transactions financières (TTF). Où en est-on en la matière ? Et pourra-t-on en faire une ressource propre ?
En réponse à Yannick Botrel, je précise qu'il n'y a pas de quotas nationaux en tant que tels dans le recrutement des agents de l'UE. Certaines appréciations dans la gestion des ressources humaines peuvent cependant conduire à privilégier telle ou telle nationalité selon l'équilibre déjà existant afin de prendre en compte les élargissements successifs. Aujourd'hui, les origines nationales des fonctionnaires de la Commission européenne sont les suivantes : la Belgique arrive en tête avec 18 % des agents, suivie de l'Italie - 11 % - et de la France - 10 %. L'Allemagne et l'Espagne ne sont qu'à 7 % et les autres Etats membres assez loin derrière. La Slovénie par exemple ne pèse que 0,8 % de ce personnel communautaire.
En réponse à Yannick Botrel, j'indique qu'Eurostat doit dorénavant intervenir en moyenne au moins une fois tous les deux ans avec un contrôle sur place et sur pièces dans chaque Etat membre, alors qu'avant la crise des dettes souveraines, au nom du respect du principe de souveraineté, ce service ne disposait pas de pouvoirs d'investigation. Les comptes étaient donc réputés souverainement sincères. Pourtant le Pacte de stabilité et de croissance était devenu un pacte de tricheurs et de menteurs et l'euro a anesthésié les marchés financiers et les agences de notation en faisant croire que la zone euro était un espace fédéral, au sein duquel la Banque centrale européenne (BCE) jouerait toujours le rôle de prêteur en dernier ressort.
En écho aux propos de Richard Yung qui faisait part d'inquiétudes concernant la situation financière de certaines banques en Europe comme en Slovénie, je me félicite des progrès enregistrés sur la voie de l'union bancaire mais il faudrait aussi inclure les assurances et les organismes de prévoyance dans le champ de cette réforme. Pour ce qui concerne la TTF, sa mise en oeuvre est évidemment difficile puisque toute taxation de ces transactions tend à engendrer des délocalisations d'activité. Si elle venait à être appliquée dans toute l'Union européenne, il sera alors possible d'en faire une ressource propre de l'UE et d'affecter son produit au budget communautaire, mais si ce n'est pas le cas j'estime qu'il n'y aurait aucun sens à transférer cette recette au budget commun, même dans le cas où l'on retrancherait le produit national de la TTF de la contribution de chaque Etat membre à ce budget.
Pour ma part, je continue de plaider pour un ministre de l'économie et des finances de la zone euro à temps plein, à même de construire un policy-mix qui soit source de croissance. L'Eurogroupe avait choisi de se donner un président étonnant avec Jean-Claude Juncker, Premier ministre du Luxembourg : le même qui nous rappelait le matin nos obligations d'équilibre des finances publiques et nous « faisait les poches » l'après-midi grâce au régime fiscal luxembourgeois et à son secret bancaire. Nous venons de faire un choix tout aussi surprenant avec Jeroen Dijsselbloem, sachant que les Pays-Bas profitent de la manne liée aux droits de douane et appliquent une fiscalité que je qualifierais pudiquement d'originale. A cet égard, je rappelle l'exemple de Google et son système d'optimisation fiscale. Nous devons mettre un terme à ces incohérences.
Une question a été posée sur le « nettoyage » du bilan des banques slovènes. Avant de s'interroger sur qui aura la charge de financer cette opération, je pense qu'il est indispensable de se demander quel sera le montant de cette dernière. En effet, des doutes importants subsistent sur ce point. A cet égard, lors de ma visite au ministre des finances, j'ai croisé une délégation de la Commission européenne qui cherchait aussi, sans doute, à disposer de plus d'éléments pour mesurer l'ampleur du problème.
Le gouvernement slovène a récemment mis en place, d'une part, une holding souveraine qui aura vocation, notamment, à mettre en oeuvre le processus de privatisation et, d'autre part, une structure de défaisance qui pourra reprendre les prêts non performants des banques. Cependant, le gouvernement me semble vouloir aller « plus vite que la musique » : les privatisations sont inutiles si elles sont économiquement non fondées.
Qui va payer ? En premier lieu, le contribuable - du fait des hausses d'impôt - et le salarié slovènes - dont les avantages sociaux seront réduits. Ensuite, les créanciers pourraient également porter une partie de l'effort si les conditions de remboursement de la dette publique venaient à être redéfinies. Enfin, en dernier ressort, la solidarité européenne - et donc les contribuables européens - pourrait être mobilisée en cas d'intervention du mécanisme européen de stabilité (MES).
Je souhaiterais rappeler que dans quelques jours, le 1er juillet prochain, un vingt-huitième Etat entrera dans l'Union européenne : la Croatie. Ceci doit être vu comme la preuve que l'Union demeure une communauté à laquelle l'on souhaite appartenir, dans la mesure où elle permet toujours la réalisation d'un travail collectif et la préservation de la paix. Aussi serait-il souhaitable que nous mettions parfois de côté les difficultés qui peuvent apparaître dans la construction européenne, de même que les égoïsmes nationaux, pour nous rappeler que l'Union européenne constitue toujours un espoir pour de nombreux pays. Je pense notamment à la Serbie qui cherche à intégrer cet espace de dialogue afin, notamment, d'établir la paix avec le Kosovo.
Il s'agit là d'un rappel tout à fait utile. Nous avions, d'ailleurs, à la suite d'un déplacement que j'avais effectué à Zagreb, reçu des parlementaires croates, qui avaient participé à notre réunion de la commission des finances du 19 mai 2010.
Je souhaiterais ajouter que sans une harmonisation des politiques sociales et fiscales, il sera difficile de mettre fin aux égoïsmes nationaux qui ont été mentionnés.
La commission donne acte de sa communication à M. Philippe Marini, président.
Puis, la commission entend une communication de M. François Marc, rapporteur général, sur le programme des investissements d'avenir.
Ces dernières semaines, la commission des finances a reçu le bilan trimestriel du programme d'investissements d'avenir (PIA) ainsi que plusieurs projets d'avenants à des conventions concernant la rénovation thermique, les instituts d'excellence en énergie décarbonnée et les initiatives d'excellence. Dans ce contexte, il m'a semblé utile de faire un point d'étape à ce sujet.
Premier point : des projets d'avenants sont annoncés dans le cadre des redéploiements de crédits annoncés en janvier. En effet, le Premier ministre a annoncé le 21 janvier 2013 que 2,2 milliards d'euros du programme d'investissements d'avenir seraient redéployés : 1,5 milliard d'euros vers de nouvelles priorités et 700 millions d'euros, à l'intérieur des enveloppes existantes.
Parmi les nouvelles actions prioritaires, sont notamment annoncés des prêts aux entreprises pour la diffusion du numérique, distribués par la Banque publique d'Investissement -BPI -, des prêts favorisant l'industrialisation des pôles de compétitivité, la création d'un fonds de fonds multisectoriel via la BPI, un programme de soutien à l'innovation de rupture et un programme en faveur de l'hôpital numérique.
Ces redéploiements feront l'objet d'avenants à des conventions existantes ou de nouvelles conventions, qui sont actuellement discutés avec les opérateurs concernés.
Deuxième point : le bilan du PIA fait apparaître une accélération de la contractualisation des dotations, comme l'avait indiqué Louis Gallois lors de son audition par la commission des finances le 3 avril dernier. De façon générale, sur les 35 milliards d'euros du programme d'investissements d'avenir, 28,3 milliards d'euros ont été engagés c'est-à-dire qu'une convention précise les financements qui seront accordés à l'opérateur. Sur ces 28,3 milliards, environ 20 milliards d'euros ont été contractualisés, c'est-à-dire que les projets spécifiques devant recevoir les financements ont été définis. Enfin, sur ces 20 milliards d'euros, 4,5 milliards ont été décaissés.
Les décaissements peuvent sembler faibles, mais je rappelle qu'ils sont effectués par tranches successives, au fur et à mesure de l'avancement des projets et de leur évaluation tous les 3 ou 4 ans. De plus, pour les dotations non consommables, seuls les intérêts sont comptabilisés.
Enfin, le troisième et dernier point que je souhaitais aborder est relatif à l'avenant à la convention « Instituts d'excellence en énergie décarbonnée ». Comme le Président Marini vous l'a indiqué dans un courrier, nous avons reçu récemment le projet d'avenant à la convention avec l'ANR portant sur les Instituts d'excellence en énergie décarbonnée (IEED).
Dans le cadre de ce programme, neuf projets avaient été sélectionnés par un jury international. Or, après analyse des besoins financiers de ces projets, il demeure un reliquat de 65 millions d'euros de dotation non consommable et de 95 millions d'euros de dotation consommable.
Lors d'une réunion interministérielle du 19 mars 2012, il a été décidé d'affecter une enveloppe de 80 millions d'euros issue de ce reliquat, afin de financer des initiatives qui n'avaient pas été retenues lors de l'appel à projets initial, mais qui avaient reçu des commentaires encourageants. L'avenant vise donc à intégrer ces quatre projets au sein de la convention, sans pour autant leur conférer le label « Instituts d'excellence en énergie décarbonnée ». Ces quatre projets sont INEF 4 à Bordeaux, pour 7 millions d'euros, dans le domaine de la construction durable ; INES 2 à Bourget du Lac (Rhône-Alpes), pour 39 millions d'euros, dans le domaine du photovoltaïque ; PSEE à Saclay, pour 19 millions d'euros, dans le domaine de l'efficacité énergétique des procédés industriels ; et EFFICACITY, pour 15 millions d'euros, à Marne-la-Vallée dans le domaine de l'efficacité énergétique dans les villes
Certains pourraient, en première analyse, considérer qu'il s'agit là d'une forme de détournement des procédures habituelles, puisque les programmes qui seraient ainsi financés n'avaient pas été sélectionnés.
Un contact a donc été pris avec le CGI, qui nous a fait part des arguments qui militent en sens contraire. Tout d'abord, les projets s'inscrivent parfaitement dans les objectifs du programme. Par ailleurs, ce type de redéploiements a déjà été réalisé sur d'autres actions, en raison de l'exigence des jurys qui sélectionnent moins de projets que ne les y autorisent les financements. Enfin, ces projets ne sont financés que dans une phase d'amorçage, avec un financement de l'ordre de 50 % des demandes, contre 80 % pour les projets normaux.
Ces différentes garanties étant données, je considère qu'il ne s'agit pas d'un détournement de la procédure du programme d'investissements d'avenir, mais plutôt d'une optimisation intelligente et encadrée des financements disponibles.
Je vous invite cependant à m'indiquer votre sentiment sur cette procédure, afin que nous puissions faire part de nos observations au Premier ministre, le cas échéant.
Les échos que j'ai ne sont pas aussi optimistes. En tant que membre du comité de surveillance du grand emprunt, il m'arrive parfois de m'interroger sur son bien-fondé, malgré la bonne ambiance qui y règne et la qualité de ses membres. Il y a des chiffres qui interrogent : vous avez parlé de 4,5 milliards d'euros décaissés. Il est très important que l'on accélère les décisions. Une PME qui s'attend à bénéficier, après de longues instructions, de ce grand emprunt, ne peut pas se permettre des mois de retard dans le versement des fonds. Il y a à cet égard une grande différence entre les grandes entreprises et les PME et les TPE car il existe, entre les structures centrales des premières, auxquelles je suis par ailleurs très favorable, et l'administration de l'Etat une porosité qui joue contre la décentralisation.
D'autre part, j'ai toujours été très attaché à l'ADEME - j'avais fondé, lorsque j'étais ministre de l'énergie, l'Agence française de maîtrise de l'énergie (AFME). Je m'interroge beaucoup sur l'approche industrielle de cette agence, en lien avec le PIA. J'ai cru comprendre que certains projets énergétiques de l'ADEME, qui sont en « cogitation » depuis plus de trois ans, n'ont toujours pas été honorés. Je transmettrai au rapporteur général certains documents à ce sujet. J'alerterai également mes collègues du comité de surveilance.
Ce qui m'interroge, ce sont ces 4,5 milliards d'euros décaissés. Après le battage médiatique qui a été fait, je souhaite que l'on accélère dans le versement. Quand on dit à une PME qu'elle aura les fonds le 15 juin après des mois d'instruction et que l'on reporte ensuite de deux mois, la banque est réticente à prêter et l'entreprise peut mettre la clé sous la porte !
Merci pour ces éléments très concrets. Peut-être faudrait-il demander au commissaire général si, dans les retards, il n'y a pas le temps inévitable pour obtenir l'accord de la Commission européenne du point de vue des aides d'Etat car, dans bien des cas, les projets sont réalisés en partenariat avec des industriels. J'ai connu cette situation avec le projet dit « Pivert », qui n'a reçu ses fonds qu'au bout de nombreux mois, après l'aval de la Commission européenne. Il faudrait donc analyser les causes de ces retards, pour distinguer ceux qui relèvent de la gestion par le CGI et ceux qui sont inévitables.
Ils sont évitables ! On peut toujours agir, même quand il s'agit de Bruxelles. Dans une grande entreprise, il n'y a aucun problème car l'on fait marcher les réseaux d'anciens élèves... Je constate qu'il y a, ce n'est pas le propre de ce Gouvernement, un décalage entre les décisions nationales et l'application sur le terrain. Dans la conjoncture actuelle, nous avons des comptes à rendre.
C'est le temps entre la parole politique et son effet concret. C'est la viscosité du système qui s'impose quel que soit le gouvernement, et qui crée en effet de graves dommages !
Dans le même sens qu'Edmond Hervé, je suis actuellement un projet de très haut débit, pour lequel la subvention a été notifiée il y a plus d'un an, peut-être déjà décaissée. Mais, il y a deux mois, les règles d'attribution ayant changé, le même dossier a dû être déposé à nouveau auprès d'une nouvelle structure. J'ai été informé hier que les conditions d'attribution ayant changé, le montant de la subvention a été réduit de 5 millions d'euros unilatéralement. On est donc reparti pour de longues négociations, alors que le dossier est prêt et n'a pas bougé depuis un an ! Les différents ministres assurent qu'il s'agit de leur priorité mais ils modifient les règles en permanence. On a du battage médiatique, mais sur le terrain il ne se passe rien, ce n'est pas crédible !
Le sens de la communication du rapporteur général était de nous informer sur le projet d'avenant et il a parlé d'optimisation des financements. Sans doute est-il trop tôt pour en faire une analyse fine, mais l'ensemble de l'opération est hors procédure budgétaire classique. Il apparaît, de façon générale, que les procédures sont très élastiques au fur et à mesure de l'avancement des projets et il serait intéressant de connaître le nombre de fois où elles ont changé en cours de route.
Les retards que dénonce Edmond Hervé, je les constate aussi depuis le début. J'avais d'ailleurs alerté Alain Juppé sur ce sujet et j'en suis parfois venue à penser que l'administration faisait sciemment traîner les projets... Je vois que rien n'a changé. C'est grave, parce que cela veut dire qu'on ne répond pas à l'objectif que l'on s'était fixé avec ce dispositif.
Je l'ai également constaté dans mon département. D'ailleurs, il se produit avec le crédit d'impôt compétitivité-emploi la même chose que pour le grand emprunt, à savoir que cela profite aux grandes entreprises alors que la complexité des dossiers dissuadent les PME qui en ont besoin. Il y a un problème de sur-administration de notre société française.
Une suggestion de méthode : il faudrait que chacun d'entre nous aille voir le directeur régional d'OSEO, pour se faire communiquer une liste de cas concrets, sans quoi nous en resterons à des propos généraux. Je ne mets, du reste, pas du tout en cause le commissaire général, ni son prédécesseur.
S'agissant du CICE, il serait en effet utile que le rapporteur général nous indique prochainement comment ce mécanisme monte ne puissance.
L'objet de cette communication était justement de susciter les réactions et de transmettre des observations. Il y a en effet un décaissement modeste, 4,5 milliards d'euros, sur les 35 milliards d'euros du PIA. Comme le disait Edmond Hervé, il y a beaucoup de temps de « cogitation », entre le moment où l'on envisage un financement, le moment où l'on met au point la convention, et le moment du versement qui, quant à lui, intervient par tranches, d'autant plus qu'il s'agit souvent de projets scientifiques s'étalant dans le temps. De plus, sur les 28 milliards d'euros engagés, 14 milliards d'euros sont non consommables, donc seuls les intérêts perçus sont pris en compte dans les décaissements. Il faut de ce fait relativiser le montant des décaissements, même s'ils sont indéniablement faibles.
En réponse aux différentes interventions, je tiens à souligner qu'OSEO n'intervient que sur une partie limitée du PIA, soit 3,4 milliards d'euros.
Quant à l'ADEME, le taux de décaissements est effectivement faible, puisqu'à peine plus de 5 % des dotations consommables ont été décaissés. L'interrogation d'Edmond Hervé est donc légitime.
Je vous propose que l'on transmette un questionnaire détaillé sur ces différents sujets au commissaire général à l'investissement et que Louis Gallois vienne nous faire des réponses précises, dès la rentrée, afin de mieux éclairer la commission.
La commission donne acte de sa communication à M. François Marc, rapporteur général.
La commission entend enfin un compte-rendu du déplacement effectué par une délégation du Bureau de la commission aux Etats-Unis du 5 au 11 mai 2013.
Sur proposition du rapporteur général, le bureau de la commission des finances a décidé d'effectuer une mission aux Etats-Unis, qui s'est déroulée du 5 au 11 mai 2013, en trois étapes et nous a conduits à Washington, à New-York et à Boston.
La délégation était constituée de Michèle André, Marie-France Beaufils, Aymeri de Montesquiou, Albéric de Montgolfier ainsi que du rapporteur général François Marc et du président de la commission.
Ce déplacement nous a permis de mieux nous rendre compte des blocages institutionnels et du jeu de forces contradictoires qui animent le système américain et qui n'a rien à envier aux lacunes et à la complexité du système de gouvernance de la zone euro.
Par ailleurs, au sein de chacun des Etats, des débats de fond se font jour sur le modèle social et la politique économique et fiscale.
Les Etats-Unis ont été fortement transformés, dans les esprits et dans les mentalités des responsables politiques et économiques, par la crise financière, qui a laissé des traces très visibles et a mis sous pression le monde politique. Même si les banques demeurent très puissantes, leur image est peut-être aussi dégradée dans l'opinion publique qu'elle ne l'est en Europe. Les Etats-Unis sont davantage sensibilisés qu'ils ne l'étaient aux problèmes structurels de leurs finances publiques. Dès lors, ils sont peut-être encore plus soucieux qu'ils ne pouvaient l'être de leurs intérêts nationaux et de leurs intérêts financiers, et prompts à émettre ou envisager des réglementations extraterritoriales. Cette tendance a toujours existé mais son accentuation peut sans doute s'expliquer par la crise financière et la manière dont elle a pu être gérée.
A l'inverse, quand nous observons la démocratie américaine, il faut avoir le réalisme de constater que le débat d'idées y est en plein essor, que le système démocratique et les checks and balances jouent tout leur rôle, qu'il n'y a pas un pouvoir prédominant et que les Etats-Unis demeurent un pays de grande liberté qui respecte l'esprit critique. L'extraterritorialité reflète l'expansionnisme d'un pays fort qui ne doute pas trop de lui-même. On peut donc avoir une vision négative ou positive des mêmes phénomènes.
Je me concentrerai dans mon propos sur quelques thèmes mais les sujets abordés lors de nos entretiens ont été très divers. J'en cite certains pour mémoire et pour alimenter des travaux futurs : le trading haute fréquence, l'évolution des infrastructures de marché, la politique fiscale des Etats fédérés, les conséquences macroéconomiques des plans d'ajustement budgétaire et la question du multiplicateur budgétaire ou encore les expatriations de Français aux Etats-Unis.
Concernant les débats budgétaires et fiscaux, depuis deux ans, les Etats-Unis ne parviennent pas à voter un budget et fonctionnent selon ce que nous appellerions les « douzièmes provisoires ». Il faut dire que la procédure d'examen du budget est particulièrement complexe, trois versions du budget étant examinées parallèlement : celle du président, celle du Sénat et celle de la Chambre des représentants.
Comme l'Europe aujourd'hui avec le pacte de stabilité et le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, les Etats-Unis ont pensé trouver une solution à leurs difficultés budgétaires en posant des principes et en mettant en place des règles, et mêmes des sanctions (« plafond de la dette », « falaise budgétaire », « séquestres »). Ces règles n'ont pas réellement débouché sur les compromis auxquels elles étaient censées permettre d'aboutir.
Le temps des compromis et des initiatives bipartisanes semble d'ailleurs ne plus être de mise à Washington, ce qui contrastait avec le caractère pluraliste de notre délégation.
Nous avons pu rencontrer les services du Congrès, qui sont non partisans et qui constituent un vivier très important de compétences pour les parlementaires et les commissions. Il s'agit par exemple du Congressional Budget Office (CBO) ou du Joint Committee on Taxation, qui est un organe commun aux deux chambres et dont les études ont par ailleurs été utilisées par l'OCDE dans le cadre de ses travaux sur la fiscalité des entreprises multinationales.
La question de l'érosion des bases fiscales est très présente dans le débat politique américain. Nous étions aux Etats-Unis lorsqu'Apple a émis des obligations afin de lever les fonds nécessaires à la rémunération de ses actionnaires, ce qui lui a évité de devoir rapatrier des bénéfices logés dans un paradis fiscal. Le débat aux Etats-Unis se pose dans des termes que nous connaissons aussi chez nous : comment faire pour taxer les exilés fiscaux ? Comment déjouer les montages optimisant des entreprises multinationales ?
S'agissant de la fiscalité des entreprises, les Etats-Unis ont en commun avec la France d'avoir un impôt sur les sociétés au taux élevé (35 %), d'une grande complexité et grevé par de nombreuses niches. En outre, le régime américain offre des possibilités de non imposition des bénéfices localisés à l'étranger tant qu'ils ne sont pas rapatriés. Ces méandres de la réglementation sont exploités par les plus grandes entreprises.
Nous avons rencontré le sénateur Carl Levin, qui s'attache à décortiquer - lors d'auditions publiques minutieusement préparées - les montages fiscaux des plus grands groupes.
Ces efforts rencontrent un écho dans l'opinion mais n'ont, pour l'heure, pas conduit à modifier une législation que défendent chèrement ceux qui en bénéficient.
Néanmoins, les Etats-Unis semblent bien avoir évolué sur ces sujets, comme le montrent les avancées du projet BEPS (Base erosion and profit shifting - Erosion de la base d'imposition et transfert des bénéfices) au sein de l'OCDE, ainsi que les conclusions encourageantes du G8 tenu à Lough Erne en début de semaine.
Nous avons retenu de nos entretiens avec les représentants du gouvernement américain que les Etats-Unis soutenaient l'initiative BEPS et, en particulier, ses aspects relatifs à l'harmonisation des concepts fiscaux, tels que les prix de transfert, les instruments hybrides, considérés comme des actions dans un pays et des obligations dans un autre, et tous outils permettant de déplacer les profits d'un territoire vers un autre moins fiscalisé. Les Etats-Unis plaident aussi pour que l'économie numérique ne soit pas soumise à des règles différentes de celles applicables aux autres secteurs d'activité.
En revanche, les Etats-Unis ont surtout pour objectif de rapatrier chez eux les profits de leurs grandes entreprises multinationales, et sont donc moins sensibles que nous à la question de la juste taxation des multinationales dans les pays où se situent leurs consommateurs.
Au niveau des Etats fédérés, qui lèvent aussi un impôt sur les sociétés, on constate la réalité de la concurrence fiscale qui conduit un certain nombre d'entre eux à s'interroger sur l'utilité de conserver un tel impôt. Pendant notre mission, le Sénat a voté un projet de loi pour généraliser la sales tax aux ventes sur Internet, avec un taux plancher et un taux plafond. Le texte reste à adopter par la Chambre des représentants mais il constitue un excellent témoignage de ce souhait de neutralité fiscale.
Si j'en viens à l'évasion fiscale des personnes physiques, il faut évoquer la loi américaine FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), qui doit entrer en vigueur le 1er avril 2014.
Elle impose aux banques non américaines de déclarer aux autorités américaines, directement ou par l'intermédiaire de leurs Etats, tous les avoirs et comptes qu'elles détiennent et qui appartiennent à des citoyens américains.
L'objectif est de taxer des avoirs placés dans des paradis fiscaux. Mais, la loi étant de portée générale, elle s'applique à toutes les banques de tous les pays du monde, ce qui implique d'importants coûts de mise en conformité pour les banques qui, cependant, ne peuvent faire autrement que de se conformer puisque, sinon, elles perdront leur licence bancaire aux Etats-Unis.
Les ministres des finances français, britanniques, allemands, espagnols et italiens souhaitent désormais la mise en place d'un FATCA européen. L'objectif serait de transformer le dispositif d'échange d'informations mis en place avec les Etats-Unis en un système multilatéral d'échange d'informations, ce qui est bien entendu souhaitable.
La question qui se pose aujourd'hui est celle d'une éventuelle réciprocité. Nous sommes dans une période cruciale puisque la plupart de nos partenaires ont signé des accords avec les Etats-Unis pour mettre en oeuvre FATCA, se contentant d'une réciprocité minimale.
La France n'a toujours rien signé car elle souhaite une véritable réciprocité. Par exemple, disposer des soldes des comptes détenus aux Etats-Unis par des contribuables français présenterait grand intérêt, notamment en matière d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et de droits de mutation à titre gratuit. Si les Etats-Unis veulent la transparence chez nous, il est légitime, de mon point de vue, que nous puissions bénéficier des mêmes informations s'agissant des avoirs détenus aux Etats-Unis par des européens.
Il faut noter que la question de la réciprocité a été évoquée dès le début 2012 par Nicole Bricq, lorsqu'elle était notre rapporteure générale. Lors de notre réunion du 25 janvier 2012, elle avait interrogé sur ce point Valérie Pécresse, ministre du budget, qui y avait souscrit.
Les Etats-Unis sont officiellement favorables à la réciprocité et le secrétaire au Trésor l'a écrit récemment à notre ministre de l'économie et des finances, Pierre Moscovici. Mais les Etats-Unis ne peuvent espérer un accord du Congrès avant 2016. Il faut être conscient que si elle devenait possible politiquement, cette réciprocité pourrait - c'est en tout cas l'analyse qui nous a été présentée - se heurter à des obstacles techniques, compte tenu de la structure très éclatée du paysage bancaire américain.
Les banques françaises, pour leur part, souhaitent que la France finalise son accord avec les Etats-Unis afin d'écarter le risque d'une mise en oeuvre de la taxe de 30 % à la source sur tous les revenus provenant de comptes logés dans des banques originaires d'un Etat n'ayant pas conclu d'accord avec les Etats-Unis. Elles souhaitent aussi que l'obligation pour les contribuables américains de se déclarer à leur banque française reçoive une base légale.
Pour ma part, je pense que le Gouvernement a raison de maintenir une position exigeante en termes de réciprocité.
Les choses pourraient bouger puisque l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement au projet de loi relatif à la séparation et la régulation des activités bancaires, en cours d'examen au Parlement, et qui a pour objet d'inscrire dans la loi les obligations déclaratives des banques pour permettre à l'administration fiscale de répondre aux demandes de renseignements provenant d'autres Etats. Il s'agit donc bien de se mettre en situation d'appliquer FATCA.
Il sera utile de profiter du débat au Sénat sur cette loi pour interroger le Gouvernement sur le calendrier qu'il envisage pour la signature de l'accord avec les Etats-Unis, sur la réciprocité et sur le véhicule juridique qu'il compte utiliser à cette fin.
En matière de régulation financière, nous avons constaté que la loi Dodd-Frank, adoptée en 2010 après la crise financière, n'est pas encore totalement appliquée et que certaines dispositions emblématiques, comme la règle Volcker, ne sont pas mises en oeuvre en raison de leur complexité.
Comme je l'ai indiqué, le débat sur la responsabilité des banques dans la crise financière est très intense aux Etats-Unis. La question des solutions à mettre en oeuvre pour éviter que les contribuables ne doivent à nouveau payer pour le secteur financier est au coeur du débat public et reste même l'un des seuls domaines dans lesquels des initiatives bipartisanes existent encore.
La sensibilité des américains sur ce point n'est pas nouvelle. Il faut nous souvenir que le gouvernement Bush avait dû s'y reprendre à deux fois avant de faire adopter son plan de soutien aux banques par la Chambre des représentants en 2008. Aujourd'hui, il n'est pas certain qu'un plan de ce type trouverait une majorité.
En effet, alors même que la grande loi Dodd-Frank n'est entrée en vigueur qu'à 30 % ou 40 % selon les interlocuteurs, de nouvelles initiatives voient le jour au Congrès, par exemple pour durcir les exigences en matière de capitalisation ou pour instituer une taxe sur les transactions financières.
Les multiples régulateurs que compte le système financier américain - et que la loi Dodd-Franck n'a en rien conduit à rationaliser, au contraire - sont perçus comme cherchant à redorer leur blason pour compenser leurs défaillances passées.
Cet activisme des régulateurs entretient l'idée chez de nombreux responsables politiques américains que la réglementation américaine est la plus dure envers les acteurs financiers et, notamment, qu'elle est plus stricte que la réglementation européenne issue de Bâle III.
En outre, le débat sur la taille des banques n'est pas clos, de même que celui sur la séparation des bilans. Certains ajoutent à la problématique du too big to fail celle du too big to jail. Ce débat a notamment été suscité par des propos du ministre de la justice, qui a considéré que les risques pour le système financier et l'économie américaine qui pourraient résulter de la condamnation d'une grande banque systémique pouvaient conduire à hésiter à engager des poursuites.
Dans ce contexte politique et institutionnel, les Etats-Unis ont tendance à encourager l'extraterritorialité des règles issues de leurs régulateurs, et je prendrai deux exemples significatifs.
Dans le domaine de la réglementation bancaire, la FED, pour limiter les risques que les banques étrangères pourraient faire courir au système financier américain, propose d'imposer aux filiales américaines des banques étrangères les mêmes exigences en capital que celles imposées aux groupes bancaires américains pour l'ensemble de leurs activités mondiales. Une filiale de banque étrangère devra constituer un holding et immobiliser un volume de fonds propres plus important qu'aujourd'hui.
Cette règle est donc perçue comme de nature à créer des distorsions de concurrence en défaveur des banques européennes.
Par ailleurs, la réglementation de la FED la conduira à vérifier aussi le niveau de capital des maisons-mères des filiales américaines, ce qui revient à empiéter sur le champ de compétence des superviseurs nationaux et en particulier européens, en lesquels les américains semblent avoir peu confiance.
Dans le domaine de la réglementation des dérivés - dont le volume de transaction représente dix fois le PIB mondial -, il est possible que les établissements financiers européens soient bientôt conduits à se soumettre à la fois à la réglementation européenne, issue des directives et règlement MIF, CRD IV et EMIR, et à la réglementation édictée aux Etats-Unis par la CFTC - la Commodity Futures Trading Commission qui, schématiquement, régule les dérivés sur matières premières - qui ont le même objectif de mise en oeuvre des principes du G20 mais ne sont pas identiques. Ces établissements seront donc en contravention avec l'une ou l'autre réglementation.
Cela provient du fait que la réglementation de la CFTC, qui doit entrer en vigueur le 15 juillet 2013, ne repose plus sur le principe de reconnaissance mutuelle entre superviseurs, mais s'impose à tous les établissements financiers issus de pays dont la réglementation n'est pas absolument identique à la sienne, quelle que soit la qualité de la supervision.
L'autre régulateur des dérivés, la Securities and Exchange Commission (SEC), a adopté une position plus classique en matière de reconnaissance mutuelle des réglementations, dès lors qu'elles cherchent à atteindre les mêmes objectifs. Mais il fait l'objet de critiques. Certains parlementaires ont même demandé au président de la CFTC de durcir encore sa position et de présumer tous les régulateurs étrangers plus laxistes que le régulateur américain.
Sur l'une ou l'autre de ces dispositions extraterritoriales, les européens, et en particulier le commissaire Michel Barnier, appellent à un retour à l'esprit des G20 de 2009 et au respect des principes de coordination et de coopération. Ils ne sont pas isolés et ont engagé une démarche conjointe avec le Japon, le Brésil, l'Afrique du Sud et la Russie.
Au total, cette mission aux Etats-Unis a été très riche et nous ramenons des éléments qui nourriront nos travaux, à commencer, dans les semaines qui viennent, par l'examen des projets de loi relatifs à la séparation et la régulation des activités bancaires, ainsi que le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.
La commission donne acte de sa communication à M. Philippe Marini, président.