Intervention de David Assouline

Commission pour le contrôle de l'application des lois — Réunion du 11 juin 2013 : 1ère réunion
Contrôle de la mise en application des lois — Examen du rapport annuel

Photo de David AssoulineDavid Assouline, président :

Le Gouvernement fait moins diligence en ce qui concerne le dépôt des rapports au Parlement, malgré nos rappels quasi incantatoires. Sur la totalité des lois répertoriées dans la base Apleg depuis 1980, le Parlement aurait dû recevoir plus de 500 rapports. Il n'en a reçu que 245, soit moins de 50 %. Cette tendance peu respectueuse de la volonté du Parlement est à peu près constante. D'un autre côté, nous savons tous que nombre des rapports qui nous sont effectivement remis ne sont guère exploités... C'est l'éternel problème de l'oeuf et de la poule ! Pourquoi réclamer avec insistance des rapports que nous ne lirons pas ? Le législateur ne peut se satisfaire de cette double hypocrisie.

Bref, si je déplore que trop de lois votées ne soient toujours pas mises en application, je donne acte au Gouvernement de ses efforts. Les chiffres de 2011-2012 sont meilleurs que ceux des années précédentes, preuve que le Gouvernement a pris conscience des difficultés soulignées de longue date par le Sénat, et qu'il a la volonté d'y mettre un terme. C'est de bon augure !

J'en viens aux propositions et réflexions générales sur le contrôle de l'application des lois, dont il faut affiner la méthodologie et booster les performances, afin de simplifier le droit, moderniser l'action publique et améliorer l'environnement normatif. Toute avancée dans cette voie renforcera l'efficience du contrôle parlementaire et valorisera le travail de notre commission, dans le droit fil de la révision constitutionnelle de 2008.

Le rapport avance plusieurs préconisations techniques : une harmonisation formelle des bilans des commissions permanentes ; une exploitation interne plus méthodique des rapports d'application présentés par le Gouvernement ; la recherche d'une convergence des méthodes de décompte du Sénat et du Secrétariat général du Gouvernement, car en dépit des avancées, il y a encore du chemin à faire.

Il faut également reconsidérer la méthode de comptabilisation des lois les plus anciennes non mises en application, dont nous savons parfaitement que beaucoup ne le seront jamais en raison des alternances politiques et des évolutions techniques ou sociétales intervenues depuis leur adoption. Sans que l'on doive nécessairement les qualifier d'obsolètes, ces lois pèsent inutilement sur les statistiques annuelles et en faussent la lecture.

Le contrôle parlementaire s'oriente de plus en plus vers l'évaluation. Le Sénat a été précurseur en créant dès 1971 la base Apleg, mais nous ne pouvons plus nous contenter de vérifier si les décrets d'application ont bien été publiés à la date prévue. Dans le sillage de la révision constitutionnelle de 2008, nous devons engager une démarche plus ambitieuse et nous interroger sur le rendement législatif des textes que nous votons.

La création de notre commission répondait à cet objectif : nous sommes avant tout chargés d'évaluer les législations existantes pour, s'il y a lieu, faciliter le travail des commissions permanentes lorsqu'elles sont saisies de projets modifiant le droit en vigueur. Nous avons déjà présenté dix rapports d'information, confiés à des binômes de rapporteurs de sensibilités différentes, et plusieurs autres sont en cours d'élaboration. Certains de ces rapports ont fait l'objet de débats en séance publique, ou ont servi de base de travail lorsque le législateur entreprenait de réformer ou produire de nouveaux textes législatifs. J'estime que nous avons bien rempli notre mandat, surtout vu le peu de moyens humains et techniques mis à notre disposition. Notre commission contribue à l'émergence au Sénat d'une véritable culture de l'évaluation et du contrôle, en amont comme en aval du travail législatif.

Certains d'entre vous souhaiteraient que nous nous intéressions aussi au contenu des textes d'application - il est vrai que les rédacteurs des décrets ont un rôle décisif dans la manière dont la loi s'applique. Nous nous heurterions toutefois à la compétence réglementaire exclusive du Gouvernement et au principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs, sans compter que nos effectifs et nos moyens techniques n'y suffiraient pas. Pour autant, le débat est pertinent, je ne crois pas que nous devions renoncer à avancer sur cette question, car le législateur doit pouvoir s'assurer que son travail n'est pas dénaturé.

Malgré la loi organique du 15 avril 2009, beaucoup d'études d'impact jointes aux projets de loi se présentent encore comme une sorte d'exposé des motifs bis, à l'utilité limitée. Les travaux d'évaluation y font peu référence, sans doute parce que ces études ne comportent pas de critères d'évaluation quantitatifs et qualitatifs permettant ultérieurement de mesurer si la loi a atteint ses objectifs. Le Gouvernement comme les assemblées auraient intérêt à leur donner une vraie place au service de cette culture de l'évaluation initiée par la révision constitutionnelle de 2008.

Nous suivrons avec attention la mise en oeuvre des orientations du Gouvernement en matière d'application des lois, de lutte contre l'inflation législative et de renforcement des performances du circuit normatif. Parmi les mesures-phares décidées lors du comité interministériel pour la modernisation de l'action publique (Cimap) de décembre 2012 et avril 2013, je retiens notamment la règle du « un pour un » : toute nouvelle norme devra dorénavant être assortie de la suppression d'une norme existante.

Nous avons abordé la dimension internationale de ces questions lors du Forum sur l'application des lois organisé au Sénat le 15 avril dernier. Je souhaite que l'intervention brillante prononcée à cette occasion par le regretté Guy Carcassonne - ce fut l'une de ses dernières - figure dans notre rapport, en hommage. Il nous encourageait à poursuivre notre tâche, estimant que le contrôle de l'application des lois est un enjeu essentiel pour la démocratie parlementaire. Je vous proposerai d'organiser prochainement au Sénat, avec l'OCDE, un colloque international sur ces questions.

Pour conclure, je salue le travail de contrôle de la publication des décrets effectué tout au long de l'année par les commissions permanentes, et les remercie de leur concours. Je me félicite aussi du climat de confiance établi dès janvier 2012 avec le précédent Gouvernement et singulièrement M. Patrick Ollier, puis avec le nouveau Gouvernement.

Le droit est depuis des années l'objet de critiques parfois excessives mais pas toujours infondées. Simplifier les normes et les rendre plus performantes est une démarche salutaire pour restaurer la confiance dans l'État. Beaucoup de chemin reste à parcourir, et notre commission est bien trop récente dans le paysage institutionnel pour prétendre apporter des réponses définitives à toutes les questions qu'elle pose.

Mais capitalisant l'expérience acquise par le Sénat depuis quatre décennies, nous pouvons être fiers du travail accompli, et présenter au Sénat un rapport rénové, dont je vous demande d'autoriser la publication.

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